Brochure qui aurait dû paraître comme n°19 des Cahiers Spartacus en juin 1939 mais la Gestapo détruisit les matricules. Après guerre, Wilebaldo Solano remit copie d'un jeu d'épreuves (déposé à la Bibliothèque nationale de Paris) à René Lefeuvre qui l'édita dans la compilation Espagne: les fossoyeurs de la révolution sociale (Spartacus, série B, n°65, décembre 1975). |
L'assassinat d'A. Nin : ses causes, ses auteurs
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Une sentence vengeresse
Du 11 au 22 octobre 1938 eut lieu à Barcelone, devant le Tribunal central d’espionnage et de haute trahison, le procès du Comité exécutif du P.O.U.M. Les camarades d’Andrès Nin comparurent devant le Tribunal et celui-ci fut déclaré contumace (en rébellion) ! comme si les morts pouvaient se rebeller !
L’instruction de l’affaire se fit sur la base du « document N » commenté ci-dessus et de la détention ainsi que de la responsabilité supposée d’Andrès Nin. On tenta d’étendre ensuite cette responsabilité au C.E. du parti et au P.O.U.M. tout entier pris collectivement. Au cours de l’instruction, on tenta de démontrer l’existence de relations supposées entre les travailleurs révolutionnaires appartenant au P.O.U.M. et leurs mortels ennemis les fascistes.
Il est bien inutile de rappeler l’infâme campagne qui se déroula en Espagne et à l’étranger sur de semblables mensonges. On en vint à dire que les membres du C.E. du P.O.U.M. « avaient avoué tous leurs crimes ». Le vénal Alvarez del Vayo déclara aux journalistes étrangers, sitôt après l’arrestation de Nin, que « celui-ci était convaincu d’espionnage et qu’il avait avoué ». L’entreprise stalinienne de mensonges nommée « Agence Espaňa » n’hésita pas à écrire : « Il existe des preuves écrasantes contre les dirigeants du P.O.U.M. ». Pendant longtemps, la presse stalinienne demanda sur tous les tons « le piquet d’exécution pour les bandits exceptionnels du P.O.U.M. ». Aux inscriptions peintes sur les murs des maisons par les courageux poumistes qui demandaient : « Où est Nin ? », des gardes d’assaut au service du parti communiste ajoutaient au-dessous : « A Salamanque ».
Le procès monté contre nous et où toutes les preuves devaient être apportées et à la suite duquel « la responsabilité fasciste du P.O.U.M. apparaîtrait en plein jour », eut lieu à Barcelone, publiquement. Le parti communiste fut invité à désigner un accusateur privé. Il renonça à cette occasion unique de présenter « ses preuves ». Cependant, il recourut à toutes sortes d’infamies pour déformer la vérité, pour terroriser le tribunal, pour exciter la haine populaire contre les accusés.
Pourtant, les ressources infinies qui furent mises en œuvre, tous les mensonges accumulés s’écroulèrent comme un château de cartes, crevèrent comme des bulles de savon. Parmi ceux qui assistèrent au procès, il n’y eut pas un esprit honorable pour découvrir le moindre indice de culpabilité contre le P.O.U.M. Bien au contraire, le procès permit de réaffirmer une fois de plus la conduite révolutionnaire qui avait toujours été celle des accusés. Le Tribunal dut se rendre à l’évidence et formuler une sentence qui constituait pour tous les accusés un brevet d’honorabilité politique, et en premier lieu pour Andrès Nin, dont on avait fait la tête visible du procès contre le P.O.U.M. Le paragraphe essentiel de la sentence prononcée le 29 octobre 1938 par le tribunal central d’espionnage et de haute trahison est le suivant :
« Des débats, il n’apparaît pas qu’il soit prouvé que les accusés aient fourni aux factieux aucune sorte d’information concernant la situation des fronts de bataille ou l’organisation de l’arrière. Qu’ils aient entretenu des relations directes ou indirectes avec eux ni avec des organismes policiers ou militaires des pays envahisseurs ; qu’ils aient été en contact et aient aidé des groupes ou des organisations phalangistes du pays, ou de toute autres espèce, qui prêtent leur appui aux combattants rebelles, ni qu’ils aient reçu pour la propagande politique de leur parti une aide économique des ennemis de l’Etat. En revanche, les débats font apparaître qu’ils ont tenu une attitude antifasciste visible et ancienne, qu’ils ont contribué par leurs efforts à la lutte contre le soulèvement militaire et que l’activité dont il s’agit répondait uniquement au projet de dépasser la république démocratique et d’instaurer leurs propres convictions sociales. FAITS QUE NOUS DECLARONS DEMONTRES. »
Le jugement ne peut donc être plus catégoriquement clair. On condamna cependant quatre des condamnés à 15 ans de prison et une autre à onze ans. Quant à Andrès Nin, il est toujours contumace !
Pourquoi les condamna-t-on tous ? Eh bien !… Pour les « journées de mai ». Précisément pour l’affaire dont ne s’était pas occupé l’instruction, précisément pour l’affaire qui démontre le mieux leur entière dévotion à la cause révolutionnaire de la classe ouvrière ; précisément pour ce qui honore le plus la mémoire d’Andrès Nin, des condamnés et de leur parti.
Mais cette sentence a aussi une histoire intime dont on sait quelque chose et dont on saura tout. Le Tribunal était absolument résolu à absoudre librement les accusés. On peut supposer toute la terreur politique que cela produisit dans le parti communiste et parmi ses agents étrangers. On recourut à toutes les pressions, on mit en jeu tous les ressorts, on menaça d’une crise ministérielle. Le Gouvernement intervint. Il y eut des tiraillements entre le pour et le contre. Finalement triompha une formule transactionnelle : la sentence donnerait pleine satisfaction politique aux accusés et les condamnerait pour les événements de mai. Telle fut la sentence qui est un prix de consolation pour les staliniens et une réhabilitation politique pour Andrès Nin, pour les accusés et pour le P.O.U.M.
Du verdict lui-même, on déduit catégoriquement que le Tribunal considéra comme faux les documents confectionnés par le stalinisme pour nous accuser. Cependant, le Tribunal ne chercha pas à établir la responsabilité des falsificateurs et des faussaires. C’eût été aller trop loin. Le Tribunal n’avait pas tant de courage. D’ailleurs, le gouvernement lui-même le lui eût interdit. Il y avait une solidarité complète entre tous pour couvrir les assassins et leurs complices.
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