1938 |
Lettre au P.S.R. (T4369), dictée en français, avec la permission de la Houghton Library. |
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22 juin 1938
Chers Camarades,
Je viens à l'instant de recevoir la nouvelle de la démission du parti du camarade Vereeken [1] . C'est une tout à fait mauvaise nouvelle pour notre mouvement, car Vereeken a des qualités peu communes de dévouement et d'énergie. Mais c'est une chose particulièrement tragique pour Vereeken lui-même, car notre mouvement, qui est profondément révolutionnaire et non moins profondément réaliste, était le seul qui pouvait le sauver de ses traits négatifs, son sectarisme, son manque de solidarité et une susceptibilité tout à fait exceptionnelle. Vereeken se trompe lourdement s'il pense pouvoir « servir sa classe » hors du mouvement [2] . Pour ma part, je puis seulement espérer que, tôt ou tard, il trouvera à nouveau la voie de la IV° Internationale, car c'est le seul et unique chemin, pour servir le prolétariat à notre époque.
Les raisons que Vereeken donne pour sa décision sont tout à fait inacceptables et ne font que révéler l'état de frénésie permanente qui est devenu si caractéristique de Vereeken. Il accuse T[rotsky], le S.I. et « ceux qui les soutiennent inconditionnellement » (?) de vouloir le « liquider » à tout prix. Quelles pourraient être les raisons d'un projet aussi inexplicable et abominable? Nous ne sommes pas riches en camarades totalement dévoués à notre mouvement. Au contraire, je pense que tous les dirigeants de notre mouvement ont fait et sont prêts à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour garder Vereeken dans nos rangs. Tout, sauf de lui céder sur les principes même de la IV° Internationale. Il serait facile de démontrer que, bien loin d'avoir été attaqué et persécuté par les autres, c'est Vereeken lui-même qui a attaqué le S.I. et les directions de presque toutes les sections sauf celles qui piétinaient les principes du marxisme, qui a fait une dérision de notre discipline internationale et a fraternisé avec nos pires ennemis. Les documents qui servent de prétexte immédiat à la démission de Vereeken ne sont que des actes d'auto‑défense contre les attaques absolument injustifiées venant de Vereeken. Par le moyen de ces attaques, il cherchait à dissimuler ses propres erreurs passées. Cet état de frénésie n'est pas un mal individuel, mais caractérise plutôt un état d'esprit politique particulier. Voici ce qu'en dit le Programme de Transition :
« Comme les sectaires, de même que les confusionnistes et faiseurs de miracles de toutes sortes, reçoivent à chaque instant des chiquenaudes de la part de la réalité, ils vivent dans un état d'irritation continuelle, se plaignant sans cesse du « régime » et des « méthodes », et s'adonnent aux petites intrigues. »
Il y a quelques jours, j'ai reçu du camarade V[ereeken] une déclaration sur les élections municipales. Ses arguments m'ont paru faux du début à la fin. Vous savez que j'ai considéré et que je considère encore le soutien de notre parti à van Zeeland [3] comme une erreur extrêmement sérieuse et dangereuse. Quand V[ereeken] le réaffirme, il a raison. Mais cette erreur ne justifie pas l'abstentionnisme. Si le parti, du fait des tendances sectaires de sa direction, est affaibli au point de ne pouvoir participer aux élections, il doit le dire ouvertement et non dissimuler sa faiblesse par des arguments artificiels et scolastiques.
« Les notes sur le mouvement ouvrier (pour La Lutte) diminuent semaine après semaine . » Je l'ai lu dans votre compte-rendu du 8 juin 1938. Ce simple fait résume toute une ligne politique, c'est‑à‑dire sa faiblesse. Quand le parti tourne le dos aux ouvriers, les ouvriers le paient en nature. Il faut à tout prix s'enraciner dans les syndicats. Vous devez vous enraciner dans la jeunesse. A mon avis, l'orientation de votre congrès devrait être : assez de phrases creuses, assez de répétition de formules abstraites à notre propre usage ! Vers les masses, encore vers les masses, toujours vers les masses !
Nous avons pu observer en France en 1936 un mouvement d'une puissance et d'une vigueur incomparables. Nous avons dit : c'est là une situation pré-révolutionnaire au sens le plus concret et le plus immédiat du terme. Peut‑on douter une minute que, si ce mouvement avait trouvé une direction qui eût exprimé ses aspirations, si peu que ce soit, la révolution prolétarienne serait aujourd'hui en France un fait accompli ? Mais toutes les organisations officielles ont réuni leurs efforts pour tromper, briser, égarer, saboter et paralyser le mouvement révolutionnaire. Ont-elles réussi ? Oui, au moins dans une certaine mesure, car elles ont affaibli les chances de la révolution prolétarienne au profit du fascisme. Nous avons eu une nouvelle démonstration de la puissance des trois Internationales ‑ la II° , la Ill° et celle d'Amsterdam [4] ‑ puissance qui a sa source la plus profonde dans la bureaucratie de Moscou et la trahison ouverte et perfide du Comintern. Dans ces conditions, vouloir rester au dehors de la classe ouvrière, attendre qu'elle tourne effectivement ses regards vers nous, c'est un programme qui n'est bon que pour les plus stériles des sectaires, ceux qui, comme l'a dit Engels, ne sont révolutionnaires que dans leur propre imagination.
Je pense, chers camarades, que le projet de programme présenté par le S.I. répond bien dans son orientation générale aux besoins de notre parti belge. La question est seulement de ne pas se contenter d'une acceptation abstraite de ce programme, mais de passer immédiatement à son application. La condition préalable est d'en avoir fini sans ménagements avec tous les vestiges du sectarisme. Dans cette situation, la démission de Vereeken ne peut que revêtir un caractère symbolique.
Camarades, le temps est plus précieux que jamais. Ne le gaspillez pas. Prenez courageusement un tournant. Que les hésitants, les faibles, les dilettantes s'en aillent ! Enracinez‑vous dans les syndicats, enracinez-vous dans la jeunesse, faites de votre journal l'instrument et l'expression de votre travail dans les masses. Si vous réussissez à opérer ce tournant, votre congrès marquera une étape cruciale dans le développement de votre parti.
Mes salutations révolutionnaires les meilleures accompagnent votre travail.
Notes
[1]
C'était le 8 juin que Vereeken avait remis sa démission en invoquant notamment la lettre du 24 mai qu'il considérait comme
un « ultimatum ».
[2]
La déclaration de Vereeken telle qu'elle était rapportée dans le procès-verbal contenait notamment le passage suivant : «
Pour remettre sur ses pieds tout ce que Léon Trotsky et Klement
ont mis sur sa tête, cela équivaut à une dépense d'énergie que Vereeken ne veut plus dépenser. Il se « liquide » donc dans
le parti pour ne pas être liquidé en tant que militant révolutionnaire. Il veut, malgré tout, pouvoir servir sa classe. »
[3]
Paul van Zeeland
(1893‑1937), social‑chrétien était premier ministre d'un gouvernement d'union nationale lorsqu'il décida, au début de 1937,
de s'opposer, dans une élection partielle à Bruxelles à la candidature du chef « rexiste » (fascisme belge) Léon Degrelle.
Le 10 mars, le P.O.B. et le P.C. avaient annoncé qu'ils n'opposeraient aucun candidat et soutiendraient le premier ministre.
La conférence nationale du P.S.R., le 21 mars, avait décidé de ne pas présenter non plus de candidat, en invoquant le manque
d'argent et en manifestant sa crainte d'être accusé de « division ».
[4]
Il s'agit de la Fédération syndicale internationale.
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