1843-50 |
"On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.." F. Engels, 1894. Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec. |
Le parti de classe
Formation de l'Internationale
Citoyens !
Dans sa séance du 22 mars, le Conseil général a fait connaître, par un vote unanime, que votre programme et vos statuts sont en accord avec les statuts généraux de l'Association internationale des travailleurs [1]. Il s'empresse d'admettre votre section dans l'Internationale. C'est avec joie que j'assumerai le devoir, qui me fait honneur, d'être votre représentant au Conseil général, comme vous me le proposez.
Dans votre programme, il est dit « que le joug tsariste qui pèse sur la Pologne est une entrave préjudiciable à la liberté politique et sociale des deux pays ‑ russe aussi bien que polonais ».
Vous pouvez ajouter que la conquête violente de la Pologne par la Russie constitue un appui néfaste et la cause véritable de l'existence du régime militaire en Allemagne et, en conséquence, sur le continent européen tout entier. C'est pourquoi, en œuvrant à réduire en pièces les chaînes qui pèsent sur la Pologne, les socialistes russes assument la tâche élevée consistant en l'élimination du régime militaire qui est absolument indispensable, comme condition préalable, à l'émancipation générale du prolétariat européen.
Il y a quelques mois, on m'a envoyé de Pétersbourg le livre de Flerovsky sur La Situation de la classe ouvrière en Russie [2]. Cet ouvrage est une véritable révélation pour l'Europe. L'optimisme russe, qui est répandu même parmi les prétendus révolutionnaires du continent, y est impitoyablement démasqué. Son ouvrage ne se trouve en rien diminué quand je dis qu'il n'est pas encore assez critique sur certains points, si l'on voit les choses au niveau purement théorique. C'est l'ouvrage d'un observateur sérieux, d'un travailleur infatigable et sans peur, d'un critique dénué de préjugés, d'un artiste puissant, et surtout d'un homme qui se révolte devant toute forme d'oppression et qui a horreur des divers hymnes nationaux et partage passionnément tous les efforts et souffrances de la classe productive.
Les travaux de Flerovsky et de votre maître Tchernitchevsky font véritablement honneur à la Russie et démontrent que votre pays aussi commence à participer au mouvement général de notre siècle [3].
Salut et fraternité.
K. Marx
Notes
[1] Lettre de Marx publiée dans le
Narodnoje Delo, 15-4-1870.
Bien que ce texte outrepasse les limites
chronologiques du présent tome, nous l'avons repris ici,
parce qu'en substance il fait partie de la période
d'aménagement de la I° Internationale. Avec la création de
la section russe de l’A. I. T., l’Internationale
est en place, du moins dans ses lignes essentielles.
Le 12 mars 1870, le comité de la section russe qui
allait se créer envoya à Marx son programme et ses statuts, en
lui demandant de les examiner et de bien vouloir représenter la
section au Conseil général. À la séance du 22 avril, le Conseil
général décida d'admettre la section russe. Par la suite,
elle soutint Marx-Engels dans leur lutte contre Bakounine. La
section russe fut très active non seulement sur place, en
Suisse, mais elle noua encore des relations étroites avec le
mouvement révolutionnaire de Russie. Elle se désagrégea en
1872.
En ce qui concerne la pénétration et la propagation
des idées de Marx-Engels en Russie, notamment dans les années
1860, cf. W. N. Kotov, Eindringen der Ideen von Karl Marx
und Friedrich Engels in Russland, Dietz Verlag, Berlin,
1956.
[2] De même, Engels a commencé avec l'étude sur La Situation de la classe ouvrière en Angleterre.
[3] La section russe se fixa pour but de
faire connaître le programme et les statuts de la
I° Internationale aux révolutionnaires russes, de
les familiariser avec les textes de Marx- Engels et
d'établir des contacts avec le mouvement révolutionnaire
des pays développés de l'Ouest. C'est ce qui ressort de
son programme même :
« 1. Propager en Russie, avec tous les moyens
rationnels possibles qui peuvent résulter des particularités de
situation de ce pays les idées et les principes fondamentaux de
l'Association internationale ;
« 2. Contribuer à la fondation de sections
internationales parmi les masses laborieuses russes ;
« 3. Contribuer à réaliser une liaison solide et
fraternelle entre les classes laborieuses de Russie et celles
d'Europe occidentale, et à atteindre leur but commun
d'émancipation, grâce à une action et une aide
mutuelles. »