1843-50

"On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.." F. Engels, 1894.

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


Le parti de classe

K. Marx - F. Engels

Le Parti à contre-courant (1850-1863)

Le « parti Marx »


J'ai demandé à nos gens d'ici d'apporter leur contribution : je crois que Dronke et Piepper vous ont déjà envoyé quelque chose [1]. Je parlerai avec Jones. Dans l'ensemble, il nous est difficile de faire quelque chose. Moi-même, je suis surmené. Les autres sont, hélas, rebutés par les expériences précédentes. Wolff a des conditions de vie misérables. Eccarius fait son métier de tailleur de 5 heures du matin à 8 heures du soir, et souffre d'une très grave maladie pulmonaire. Lorsqu'il n'est pas lié à son travail de bureau, Engels est entièrement absorbé par ses études : il n'est certainement pas encore tout à fait remis des ennuis que lui a causés la presse américaine.

Notre parti est, hélas, bien pauvre. Je m'adresserai aussi à l'ex-lieutenant Steffen qui est intervenu dans le procès de Cologne comme témoin de la défense et occupe actuellement un poste d'instituteur dans la région de Londres. C'est lui qui a le plus de temps de libre, et il est plein de zèle. Pieper n'a pas encore terminé l'article que tu lui as demandé : c'est ce qui explique que tu ne l'aies pas encore reçu à ce jour.

Le parti a la guigne depuis quelque temps [2]. Steffen a perdu sa place à Brighton, le directeur de l'institution où il travaillait ayant fait faillite. La question se pose même de savoir s'il touchera le salaire qu'on lui doit. Pieper a perdu sa place de correspondant, car M. Pierce est également en faillite, et ses journaux n'ont plus d'argent pour les correspondants étrangers. Mac Gowan, l'imprimeur et commanditaire de Jones, est mort du choléra : c'est un coup dur pour Jones. Tout cela n'est pas drôle !

Je ne connais pas tous les détails de l'histoire d'Imandt. De plus amples recherches ne feraient qu'apparaître une merde plus grande encore. Mais je couperai court désormais sitôt qu'on me parlera de quelque chose qui soit lié à la personne de Dronke. Dronke ne vaut pas la peine d'en parler  [3].

Dronke ‑ entre nous  [4] par manque de stimulation intellectuelle », passe son temps à faire une enquête sur « Steffen » auquel il fait dire toutes sortes de choses dans ses lettres à Imandt afin d'établir qu'il est politiquement « suspect ». Je n'ai guère eu de mal à démontrer à Imandt l'absurdité de toutes les élucubrations de Dronke. Tout cela est absurde [5]. Je considère Steffen comme une excellente acquisition pour notre parti. Il a du caractère et des connaissances. Il a des idées très originales en géographie comparée, dont il a fait sa spécialité. Malheureusement, il a laissé à Cologne le manuscrit dans lequel il avait concrétisé son travail.

Que fait Wolff ? Miquel n'est pas venu ici comme il en avait manifesté l'intention [6] : il a eu à Paris deux accès de choléra...

Si je pouvais vivre à l'aise ou du moins sans soucis, je me moquerais de toutes ces basses stupidités [7]. Mais que cette merde bourgeoise vienne encore, année après année, s'ajouter à mes ennuis domestiques, c'est un peu fort  [8]. J'ai l'intention, à la première occasion, de déclarer publiquement que je ne suis lié à aucun parti. Je ne veux pas que, sous prétexte d'affaires de parti, n'importe quel imbécile puisse se permettre de m'insulter.

Je dois d'abord te dire que, depuis 1851, je n'ai plus la moindre relation avec aucune des sociétés ouvrières publiques (même celles que l'on appelle communistes [9]). Les seuls ouvriers que je rencontre sont vingt à trente hommes sélectionnés auxquels je fais en privé des exposés d'économie politique. Or, Liebknecht est président de la Société ouvrière avec l'aide de laquelle Biskamp a fondé le journal Das Volk [10].

Quelques jours après la fondation de ce journal, Biskamp accompagné de Liebknecht vint me voir et réclama ma collaboration. Je refusai alors catégoriquement, en partie parce que je manque de temps, en partie parce que j'étais sur le point de quitter Londres pour un temps assez long. Je promis simplement de leur procurer quelques fonds chez des amis en Angleterre, ce qui fut fait. À cette occasion, je leur racontai aussi ce que Blind, profondément indigné, m'avait un jour raconté sur Vogt [11], en citant naturellement ma source. Biskamp en fit un article, comme je le vis plus tard.

Si Lassalle se permet de parler au nom du parti, il faut qu'il s'attende dorénavant à se voir désavoué complètement par nous [12]. La situation est, en effet, trop grave pour que nous puissions prendre des gants ; au lieu d'obéir à ses inspirations moitié feu, moitié logique [13], il faudra qu'il prenne au préalable l'avis qu'ont d'autres que lui sur la question. Nous sommes dans la nécessité absolue maintenant de nous en tenir à la discipline de parti, si nous ne voulons pas que tout aille à vau-l'eau...

Tu te souviens que M. Liebknecht a présenté ce clown d'Edgar Bauer à la société dite communiste [14] au moment où j'ai rompu officiellement avec elle, et que ce clown a pris la direction de la Neue Zeit, où ce lourdaud ignorant ridiculise notre parti en outrant les quelques formules communistes apprises de Scherzer. Tout cela m'était très déplaisant, non à cause des quelques badernes de Londres, mais en raison des ricanements de joie mauvaise des démocrates, de la confusion jetée par quelques exemplaires de l'ignoble feuille adroitement distribués en Allemagne et aux États-Unis, de la connaissance précise que ce clown a de la situation lamentable du parti, et enfin des relations qu'il a nouées avec le comité international de Londres...

Après l'abandon du clown, Biskamp créa Das Volk. Lui et les vieilles badernes s'adressèrent à moi par le truchement de Liebknecht, puis Biskamp lui-même vint me voir directement.

Je lui déclarai que nous ne pouvions collaborer directement à aucun petit journal, ni même à aucun journal de parti, à moins que nous ne le rédigions nous-mêmes. Mais qu'en ce moment toutes les conditions pour cela faisaient défaut. En revanche, il ne tenait qu'à M. Liebknecht de faire profiter Biskamp de son activité. Certes, j'approuvai entièrement son intention de ne pas céder la place à Gottfried Kinkel et de contrecarrer ses sales calculs. Tout ce à quoi je m'engageai, c'était : de les faire profiter de temps à autre des articles déjà parus dans la Tribune, d'inviter mes connaissances à soutenir la feuille, enfin de leur donner de vive voix des nouvelles, indications et conseils sur ce qui est de mon ressort. D'autre part, j'exigeai que Biskamp publiât, avec preuves à l'appui, la combinaison malpropre de Bauer et de Kinkel (ce qui sera fait dans le prochain numéro). Je fis ainsi d'une pierre deux coups, même si la feuille cesse de paraître. J'ajoutai qu'il fallait passer outre à la grandeur objective du clown et engager contre lui une polémique sur un ton aussi humoristique que possible.

Je te prie donc de t'abonner et de faire abonner Wolff, Cumpert et tous ceux que vous pourrez à Das Volk en présentant le journal comme étant dirigé contre Kinkel, sans que nous y soyons liés...

Le moment peut d'ailleurs venir ‑ et très vite ‑ où il sera d'une importance décisive que nos adversaires ne soient pas seuls à pouvoir exprimer leurs idées dans un journal de Londres, mais que nous puissions le faire aussi...

J'ai donné une très belle leçon à ces badernes de l'Association. Cet âne de Scherzer, qui est toujours empreint des vieilles idées de Weitling, se figurait qu'il lui appartenait à lui de désigner les représentants du parti. Lors de mon entrevue avec une délégation de ces vieilles badernes, j'ai refusé d'entrer dans une organisation quelconque, présidée par Liebknecht, d'une part, et par Anders, de l'autre, en leur déclarant tout crûment : c'est de nous seuls que nous tenons notre mission de représentants du parti prolétarien, mais celle-ci est contresignée par la haine exclusive et générale que nous vouent toutes les fractions et tous les partis de l'ancien monde. Tu peux t'imaginer la stupeur de ces lourdauds...

Je ne puis naturellement approfondir la question comme il conviendrait, et je te soumets simplement quelques points [15]. Mais tu me permettras de faire une observation : les événements peuvent bientôt de nouveau conduire à une crise. Dans ces conditions, de deux choses l'une : ou bien nul n'intervient au nom du parti sans avoir consulté au préalable les autres camarades, ou bien chacun a le droit d'exposer son opinion sans se soucier de quiconque. Cette dernière éventualité n'est pas à conseiller en ce moment, étant donné qu'une polémique publique ne pourrait être supportée par un parti aussi peu nombreux que le nôtre (mais dont l'énergie remplace, espérons-le, ce qui lui manque sur le plan numérique). Tout ce que je puis dire, c'est qu'au cours de mon voyage, cet été, en Angleterre et en Écosse, je n'ai rencontré aucun de nos vieux camarades de parti qui n'eût souhaité que tu modifies ta brochure sur de nombreux points [16]. Je m'explique cela tout simplement par le fait que précisément la politique extérieure se présente sous un autre jour en Angleterre que sur le continent. Salut.

Le vent de la révolution qui commence à souffler sur le continent a naturellement tiré de leur sommeil hivernal tous les grands hommes (du camp de la démocratie) [17].

En même temps que cette lettre, j'en envoie une autre ‑ la première ‑ à Komp [18]. J'ai renoncé à participer aux groupements organisés. Ici, en revanche, après les bassesses que j'ai subies de la part des badernes qui se laissent utiliser comme purs instruments au service d'un Kinkel, Willich et autres farceurs, je me suis complètement retiré dans mon cabinet d'études depuis le procès de Cologne. Mon temps m'est trop précieux pour le gaspiller en vains efforts et en chamailleries mesquines.

En ce qui concerne les affaires du parti, je suis habitué à ce que toute la presse me couvre de merde pour tout le parti et que mes intérêts privés soient constamment lésés pour des raisons de parti ; d'autre part, je suis tout aussi habitué à ne pas attendre que l'on ait des égards pour moi dans le parti [19].


Notes

[1] Marx à Adolf Cluss, 17 avril 1853.
On a écrit toute sorte de choses sur le « parti Marx », le petit groupe de fidèles restés en contact avec Marx-Engels après le reflux de la vague révolutionnaire de 1849. Or, cette situation n'a rien de particulier, ni de personnel. Elle s'est reproduite lors de l'effondrement de la IIe Internationale, après la trahison de ses chefs au moment de la déclaration de la guerre de 1914. À ce moment, Lénine, par exemple, n'a pu réunir que sept signatures pour son manifeste sur les Tâches de la social‑démocratie révolutionnaire dans la guerre européenne, il a fallu attendre 1970 pour trouver une réimpression des importants articles de Lénine et de Zinoviev dans le recueil intitulé de manière significative Contre le courant (Maspero, 2 volumes). Évidemment, on a moins écrit encore sur les communistes restés fidèles aux positions marxistes révolutionnaires de la III° Internationale après la dégénérescence du mouvement lié à Moscou, notamment la gauche communiste italienne dirigée par Bordiga.
Mais il y a plus : Marx a théorisé cette situation d'isolement après l'échec du mouvement révolutionnaire général dans la lettre à Freiligrath que nous reproduisons ci-après, en distinguant entre parti formel et parti historique, l'un étant le parti programmatique, l'autre le parti d'action organisé. Pour éviter toute équivoque, notons que le parti programmatique lui-même n'est pas un parti abstrait pouvant, par exemple, se réduire à une sorte de bibliothèque où seraient consignés tous les ouvrages fondamentaux du socialisme. Lui-même est vivant et assure une continuité essentielle dans l'activité d'un groupe de militants, et non d'érudits : cf. « En mémoire d'Amadeo Bordiga », Fil du temps, novembre 1970, no 7, p. 1-15. Marx-Engels eux-mêmes insisteront sur l'importance fondamentale du maintien d'un réseau de quelques militants dispersés dans la plupart des pays civilisés du monde. On ne saurait nouer avec 1e programme originel sans un lien vivant avec lui et une analyse des événements, des partis et groupes de la période de reflux à partir des positions révolutionnaires orthodoxes : la reprise ne peut s'effectuer spontanément.

[2] Cf. Marx à Engels, 13 septembre 1853.
Le parti étant réduit à une poignée d'individus, il est inévitable que les questions personnelles ‑ « les misères de la vie privée bourgeoise » ‑ viennent interférer dans les questions de parti. Au reste, Marx et Engels ont organisé toute leur vie privée en fonction du meilleur travail possible pour le parti, sans jamais dépendre financièrement de la caisse de l'organisation en se transformant en fonctionnaires du parti.
« Je vis très isolé ici, étant donné qu'en dehors de Freiligrath tous mes amis ont quitté Londres. Au reste, je ne souhaite pas avoir de fréquentations... Je suis forcé de travailler la journée pour gagner ma vie. Il ne me reste que la nuit pour mes travaux véritables, et c'est là où ma mauvaise santé a le plus de répercussion. » (Marx à Lassalle, 21 décembre 1837.)

[3] En français dans le texte.

[4] En français dans le texte.

[5] Cf. Marx à Engels, 2 septembre 1854.

[6] Miquel, ancien de la Ligue des communistes, devint plus tard ministre de Bismarck. Néanmoins, il resta toujours attaché à Marx et lui fit parvenir des informations politiques en confidence : en juillet-août 1851, il informa Marx (de l’effet de l'arrestation des communistes sur les démocrates allemands ; par le truchement de Kugelmann, il prévient ensuite Marx que s'il faisait un voyage en Allemagne, il serait arrêté (15-4-1871), enfin, c'est à Miquel auquel Marx fait allusion en écrivant : « Le 11 mai, dix jours avant la catastrophe [la chute de la Commune] , j'ai envoyé par le même canal tous les détails de l'accord secret entre Bismarck et Favre à Francfort. L'information m'avait été transmise par un collaborateur direct de Bismarck qui appartint jadis à une société secrète (1848‑1852) que je dirigeais. Cet homme sait que je détiens encore tous les rapports qu'il m'a expédiés d'Allemagne sur la situation de ce pays, en sorte qu'il dépend de ma discrétion. » (Marx à E. S. Beesly, 12-6-1871, in La Commune de 1871, 10/18, p. 133.)

[7] Marx à Engels, 8 octobre 1853.

[8] En français dans le texte.

[9] Cf. Marx à Ferdinand Lasalle, 6 novembre 1859.

[10] Même durant la période où Marx-Engels n'appartinrent plus formellement à une organisation quelconque, ils ne freinèrent pas leur activité. Cependant, comme il faut tenir compte du rapport de forces existant, c'est-à-dire des éléments dont on dispose, et que ceux-ci sont réduits au maximum, l'activité que l'on peut et doit développer à tout prix, c'est la clarification théorique, l'analyse objective de la situation et des forces en mouvement, la liaison internationale et la propagande écrite, sinon orale. Marx-Engels ont consacré l'essentiel de leurs forces, durant cette période, à ces tâches primordiales. Cependant, dans leurs interventions à l'extérieur, ils n'ont pas imité ceux qu'ils critiquaient si vivement, en utilisant la première occasion venue pour faire connaître leurs idées et accrocher les gens. Au contraire reliant solidement la théorie à la pratique, ils ne prenaient parole que sur des faits fondamentaux devant déterminer le sens de l'action des masses dans la période successive : s'il n'est pas d'action ni de parti révolutionnaires sans prévision historique, il n'est pas de prévision historique sans action et connaissance théorique préalables.
Tout en refusant de renouer avec l'organisation dont il émane, parce que ces relations ne représenteraient qu'une perte de temps et d'énergie (qu'il faut réserver pour l'essentiel), Marx collaborera finalement à Das Volk, dont il prendra en fait la direction puisqu'il en déterminera l'orientation tout entière. Le choix de cette activité a été déterminé par l'ensemble de la conception et de l'analyse de Marx-Engels. Dans Das Volk, Marx pourra aborder la question qui représente le nœud où convergent les lignes de force de toute la période historique, question qui prélude aux futurs affrontements de masse sur les champs de bataille, question qui permet le plus clairement de se délimiter des autres forces, notamment de celles qui se prétendent les plus proches. Cette façon de procéder dans les interventions extérieures et la propagande caractérise le mieux le parti marxiste, face à tous les partis opportunistes ou immédiatistes, qui courent toujours après l'événement qui passionne un instant et tombe aussitôt après dans l'oubli, remplacé par un autre.

[11] La grande tâche historique des années 1860 à 1871 sur le continent fut la réalisation de l'unité nationale de l'Allemagne, de la Pologne, de la Hongrie, de l'Italie, de l'Espagne, etc., prélude à l'affrontement des classes. L'occasion saisie par Marx pour exposer la position du parti sur cette grande tâche historique fut l'affaire Vogt. Cet agent stipendié de Napoléon III prônait dans ses écrits une unité de type fédératif et petit-bourgeois, qui avait une certaine résonance en Allemagne méridionale, très particulariste, donc perméable aux influences françaises. En passant, Marx pouvait attaquer le bonapartisme en la personne de l'un de ses agents le plus en vue, et démontrer le caractère trompeur de la solution nationale réglée avec l'aide de l'impérialisme français.
En même temps, il étendra cette polémique à Lassalle qui, précisément, est en train de créer en Allemagne un parti ouvrier sur des positions qui, hélas, furent loin d'être véritablement révolutionnaires ou communistes. Et c'est encore en collaborant avec les puissances établies de l'État que Lassalle estime pouvoir lancer le mouvement ouvrier (dogme lassalléen de l'aide de l'État aux coopératives, soutien ouvrier à la politique d'unification nationale de Bismarck, sous l'égide de la Prusse, donc révolution par le haut, en échange du démocratique suffrage universel).
Marx et Engels, en revanche, prônaient l'unité nationale bourgeoise en Allemagne (et ailleurs) comme révolution qui met en mouvement les masses, la crise mettant en branle des forces de plus en plus radicales qui arracheraient la direction des opérations aux États officiels, autrichien et prussien, et finalement à la bourgeoisie elle-même. Ainsi la question du parti est étroitement liée, qu'on le veuille ou non, à la conception générale aussi bien qu'à la situation historique tout entière. En faisant confiance à l'État établi, au lieu de s'appuyer uniquement sur les masses, Lassalle, non seulement contribua à la mise en place d'institutions politiques, administratives prussiennes dans la future Allemagne, mais il fourvoya encore le mouvement ouvrier : « Il s'avéra très vite, écrivit Marx à Kugelmann, le 23 février 1865, que Lassalle avait, en fait, trahi le parti, et nous en reçûmes bientôt la preuve. Il avait conclu un accord formel avec Bismarck (et naturellement sans recevoir de ce dernier aucune espèce de garantie). En effet, il devait se rendre à Hambourg, fin septembre 1864, pour y rencontrer l'imbécile de Schramm et l'espion de police prussien Marr, afin de pousser Bismarck à annexer le Schleswig-Holstein, en proclamant cette annexion au nom des « ouvriers », etc. Bismarck avait promis en contrepartie le suffrage universel et quelques mesures pseudo-socialistes. Dommage que Lassalle n'ait pu jouer cette comédie jusqu'au bout. » Il se serait démasqué lui-même et discrédité auprès des ouvriers révolutionnaires. L'élaboration de son écrit polémique ‑ Herr Vogt (trad. fr. aux éditions Costes) coûtera à Marx un immense effort, presque tous ses partisans y apporteront leur concours, tout un réseau de relations politiques et littéraires sera mobilisé, et Marx devra interrompre son œuvre théorique et négliger même son gagne-pain journalistique. En ce qui concerne la politique générale de Marx-Engels au cours de cette période cruciale, cf. Écrits militaires, « Stratégie dans la période des luttes nationales progressives », p. 433-446. Dans son étude sur « Karl Marx et le journal londonien Das Vo1k » I. A. Bach étudie la signification de cette collaboration journalistique dans le mouvement national progressif qui reprit en 1859. Cette étude se trouve dans l'ouvrage collectif Aus der Geschichte des Kampfes von Marx und Engels  für die proletarische Partei, Dietz Verlag, Berlin, 1961.

[12] Cf. Marx à Engels, 18 mai 1859.

[13] À propos de sa brochure sur La Guerre italienne et le devoir de la Prusse, Lassalle écrivit à Marx vers le 15 mai 1859 qu’« au cours de ces derniers jours, écrivant toute la nuit, [il s'était] efforcé de construire un ensemble de logique et de feu qui... en tout cas ne manquera pas de faire son effet sur le peuple ».

[14] Marx fait allusion à la Société allemande de formation des ouvriers de Londres.

[15] Cf. Marx à Ferdinand Lassalle, 22 novembre 1859.

[16] Marx fait allusion à la brochure intitulée La Guerre italienne et le devoir de la Prusse, dans laquelle Lassalle exposa ses conceptions sur la position à adopter dans la guerre qui se préparait en Italie. Lassalle y défendait une position prusso-bonapartiste en prônant la neutralité de l’Allemagne dans le conflit, justifiant ainsi « la politique de libération des nationalités » de Napoléon III, et se prononçant contre une action commune entre la Prusse et l'Autriche qui aurait opéré un rapprochement de ces deux puissances allemandes qui devaient, hélas, se battre entre elles, en 1866, affaiblissant ainsi le mouvement national allemand en général.

[17] Cf. Marx à Jaser Weydemeyer, I° février 1859.

[18] Comme Weydemeyer, Albrecht Komp était un ancien dirigeant de la Ligue des communistes émigré aux États-Unis où il développa une grande activité politique. En ce qui concerne l'importance de la Ligue des communistes pour le mouvement ouvrier américain, cf. l'article de Karl Obemann, « The Communist League : A Forerunner on the American Labor Movement », in Science & Society, Fall, 1966, vol. XXX, no 4, p. 433-446.

[19] Cf. Marx à Ferdinand Freiligrath, 28 novembre 1859.


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