1843-50 |
"On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.." F. Engels, 1894. Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec. |
Le parti de classe
Le Parti à contre-courant (1850-1863)
Lorsqu'après la défaite de la révolution de 1848-1849
vint le moment où il devint de plus en plus impossible d'agir
en direction de l'Allemagne à partir de l'étranger, notre
parti abandonna à la démocratie vulgaire le terrain des querelles
d'émigration, qui demeuraient la seule action possible.
Tandis que celle-ci se lançait à corps perdu dans une agitation
frénétique, se chamaillant aujourd'hui, fraternisant le
lendemain, et étalant de nouveau, le surlendemain, son linge sale
devant tout le monde ; tandis qu'elle allait mendier quelques
sous en Amérique, afin de préparer de nouveaux scandales dès
qu'elle les dépenserait ‑ notre parti était heureux de
retrouver un peu de calme pour ses études. Il avait le grand
avantage de disposer pour base théorique d'une conception
scientifique nouvelle, et son élaboration lui donnait
suffisamment à faire. Ne serait-ce que pour cette raison, il ne
put jamais tomber aussi bas que les « grands hommes » de
l'émigration.
Le premier fruit de ces travaux est le présent ouvrage
[sur la critique de l'économie politique].
Engels, Das Volk, 6 août 1859
Des papiers saisis chez les accusés, ainsi que de leurs aveux, il résultait qu'il avait existé une société communiste allemande dont le Conseil central siégeait primitivement à Londres [1]. Le 18 septembre 1850, ce Conseil fit scission. La majorité ‑ l'acte d'accusation l'appelle le parti Marx ‑ transféra le siège du Conseil central à Cologne. La minorité ‑ exclue plus tard de la Ligue par le Conseil de Cologne ‑ s'établit à Londres comme Conseil central indépendant et créa, dans cette ville et sur le continent, une Ligue séparatiste. Cette minorité et ses adhérents, l'accusation les appelle le parti Willich-Schapper.
Saedt et Seckendorf prétendent que la scission du Conseil de Londres n'était due qu'à des antipathies purement personnelles. Longtemps avant Saedt et Seckendorf, le « chevaleresque Willich » avait déjà clabaudé sur les motifs de la scission et répandu, parmi les émigrés de Londres, les bruits les plus infâmes ; il avait trouvé en M. Arnold Ruge, cette cinquième roue du char d'État de la démocratie européenne [2], ainsi que dans les gens du même acabit, des canaux tous disposés à déverser ces bruits dans la presse allemande et américaine. La démocratie comprit avec quelle facilité elle remporterait la victoire sur les communistes si elle improvisait, pour la circonstance, « le chevaleresque Willich » représentant du communisme. « Le chevaleresque Willich « comprit de son côté que le « parti Marx » ne pouvait dévoiler les raisons de la scission sans trahir l'organisation secrète en Allemagne, et tout spécialement sans livrer le Conseil central de Cologne à la sollicitude paternelle de la police prussienne. Ces conditions n'existent plus, et c'est pourquoi nous citons quelques passages du dernier procès-verbal du Conseil central de Londres, séance du 15 septembre 1850 [3].
Dans l'exposé des motifs de sa proposition de scission, Marx, entre autres choses, dit textuellement :
« À la place de la conception critique, la minorité met une conception dogmatique, et à la place de la conception matérialiste, une conception idéaliste. Au lieu des conditions réelles, c'est la simple volonté qui devient la force motrice de la révolution. Nous, nous disons aux ouvriers : ‘Vous avez à traverser quinze, vingt, cinquante ans de guerres civiles et de luttes entre les peuples, non seulement pour changer les conditions existantes, mais pour vous changer vous-mêmes et vous rendre aptes à la direction politique’. Vous, au contraire, vous dites ‘Il nous faut immédiatement arriver au pouvoir, ou bien nous n'avons plus qu'à aller nous coucher [4]’. Nous, nous attirons tout spécialement l'attention des ouvriers allemands sur le faible développement du prolétariat allemand. Vous, vous flattez de la façon la plus grossière le sentiment national et les préjugés corporatifs des artisans allemands, ce qui est évidemment plus populaire. De même que les démocrates ont fait du mot peuple une formule sacrée, vous faites, vous, une formule sacrée du mot prolétariat [5]. Tout comme les démocrates, vous substituez au développement révolutionnaire la phraséologie révolutionnaire, etc. »
Dans sa réponse, Schapper dit textuellement :
« J'ai exprimé le point de vue critiqué ici, parce qu'en général je suis enthousiaste pour la cause. Il s'agit de savoir si, au commencement, nous coupons la tête ou nous aurons la tête coupée (Schapper prédit même qu'il serait guillotiné dans un an, donc le 15 septembre 1851). En France, les ouvriers arriveront au pouvoir, et à leur suite nous y arriverons en Allemagne. Si ce n'était pas le cas, j'irais bel et bien me coucher et me consacrerais de tout autre manière à mon gagne-pain. Si c'est notre tour, nous pouvons prendre des mesures telles que nous assurerons le règne du prolétariat. Je suis fanatiquement attaché à cette opinion. Or, le Conseil central a voulu le contraire, etc. »
On le voit : ce ne furent pas des raisons personnelles qui créèrent la scission du Conseil central. Mais il serait faux de parler de divergences de principes : le parti Willich-Schapper n'a jamais revendiqué l'honneur d'avoir des idées à lui. Ce qui lui appartient en propre, c'est sa façon toute particulière de déformer les idées d'autrui, de les fixer en articles de foi et de se les approprier comme phraséologie. Il serait tout aussi faux d'appliquer au parti Willich-Schapper l'épithète de « parti de l'action », à moins que l'on entende par action une oisiveté cachée sous les gueulantes de cabarets, les considérations inventées de toutes pièces et les semblants de conjurations oiseuses.
Présents : Marx, Engels, Schramm, Pfänder, Bauer, Eccarius, Schapper, Willich, Lehmann. Excusé : Fränkel [6].
Cette réunion étant extraordinaire, on ne dispose pas encore du procès-verbal de la dernière réunion ; il ne peut donc être lu.
Marx : La réunion de vendredi n'a pas pu se tenir à cause du conflit avec la commission de l'Association [7]. Willich ayant convoqué une réunion de district, ce dont je ne recherche pas ici la validité, la réunion doit avoir lieu aujourd'hui.
Je présente donc la proposition suivante qui se subdivise en trois points :
Ces débats ont enfin prouvé quelles étaient les divergences de principes qui constituaient l'arrière-fond des chamailleries personnelles, et maintenant le moment est venu d'intervenir. Précisément ces antagonismes sont devenus les mots d'ordre de lutte des deux fractions, et les défenseurs du Manifeste sont traités de réactionnaires par certains membres de la Ligue ; l'on a ainsi cherché à les rendre impopulaires, mais cela leur est parfaitement indifférent, étant donné qu'ils ne recherchent aucune popularité. En conséquence, la majorité aurait le droit de dissoudre le district de Londres et d'exclure la minorité comme étant en contradiction avec les principes de la Ligue. Cependant, je ne fais pas cette proposition, parce qu'elle susciterait d'inutiles chamailleries et que ces gens sont encore des communistes de par leur conviction, bien que les conceptions qu'ils expriment en ce moment soient anticommunistes et peuvent, à la rigueur, être appelées social-démocrates.
On comprendra cependant que ce serait pure perte de temps que de rester encore ensemble. Schapper a souvent parlé de nous séparer, bien ‑ je prends au sérieux sa parole de séparation. Je crois avoir trouvé la voie grâce à laquelle nous nous séparons sans faire éclater le parti.
Je déclare qu'à mon sens je souhaite tout au plus que douze personnes passent dans notre district, le moins possible, et j'abandonne volontiers toute la volée à la minorité. Si cette proposition est adoptée, il est manifeste que nous ne pourrons pas rester dans l'Association ; la majorité et moi-même, nous quitterons l'Association de la Great Windmill Street [12]. Enfin, il ne s'agit pas d'établir des relations d'hostilité entre les deux fractions, mais au contraire de résorber les tensions, donc toutes les relations. Nous demeurons ensemble dans la Ligue et le parti, mais non dans des relations uniquement malfaisantes.
Schaper : De même que le prolétariat se sépare en France de la Montagne et de La Presse [13], les gens qui représentent les principes du parti se séparent ici de ceux qui organisent le prolétariat. Je suis pour le transfert du Conseil central, de même que pour le changement des statuts. Les camarades de Cologne connaissent la situation en Allemagne. Mais je crois que la nouvelle révolution suscitera des gens qui se dirigeront eux-mêmes, mieux que tous les gens qui ont eu un nom en 1848.
En ce qui concerne les questions de principes, Eccarius a posé la question qui a suscité cette discussion. J'ai exprimé le point de vue critiqué ici, parce qu'en général je suis enthousiaste pour la cause. II s'agit de savoir si, au commencement, nous coupons les têtes ou nous aurons la tête coupée. En France, les ouvriers arriveront au pouvoir, et à leur suite nous y arriverons en Allemagne. Si ce n'était pas le cas, j'irais bel et bien me coucher et me consacrerais à mon gagne-pain de tout autre manière. Si c'est notre tour, nous pouvons prendre des mesures telles que nous assurerons le règne du prolétariat. Je suis fanatiquement attaché à cette opinion. Or, le Conseil central a voulu le contraire. Mais si vous ne voulez plus rien avoir à faire avec nous, bien, ‑ nous nous séparons alors. Je serai certainement guillotiné dans la prochaine révolution, mais j'irai en Allemagne.
Mais si vous voulez former deux districts, bien ‑ mais lors c'en est fait de la Ligue, nous nous retrouverons en Allemagne, et nous pourrons peut-être de nouveau marcher ensemble. Je suis un ami personnel de Marx, mais si vous voulez que nous nous séparions, bien ‑ alors nous irons seuls, et vous irez seuls. Nous aurons alors créé deux Ligues. L'une pour ceux qui agissent avec la plume, l'autre pour ceux qui agissent autrement. Je ne suis pas d'avis que les bourgeois arriveront au pouvoir en Allemagne [14], et sur ce point je suis fanatiquement enthousiaste ; si je ne l'étais pas, je ne donnerais pas un centime pour toute l'histoire. Mais à deux districts ici à Londres, deux associations, deux comités de réfugiés, nous préférons deux Ligues, et une séparation complète.
Marx : Schapper a mal compris ma proposition. Sitôt qu'elle sera adoptée, nous nous séparerons, les deux districts se sépareront, et les personnes ne seront plus en relation entre elles. Mais ils resteront dans la même Ligue et sous le même Conseil central. Vous pouvez même garder la grande masse des membres de la Ligue. En ce qui concerne les sacrifices personnels, j'en ai fait autant que n'importe qui, mais pour la classe, non pour des personnes.
En ce qui concerne l'enthousiasme, il n'en faut pas beaucoup pour adhérer à un parti dont on pense qu'il arrivera au pouvoir. J'ai toujours tenu tête à l'opinion momentanée du prolétariat. Nous nous dévouons à un parti qui, pour son plus grand bien précisément, ne peut pas encore arriver au pouvoir. S'il arrivait au pouvoir, le prolétariat ne prendrait pas des mesures directement prolétariennes, mais petites-bourgeoises. Notre parti ne pourra arriver au pouvoir que lorsque les conditions lui permettront d'appliquer ses idées. Louis Blanc fournit le meilleur exemple de ce que l'on arrive à faire, lorsqu'on arrive trop tôt au pouvoir [15]. Au reste, en France, ce n'est pas le seul prolétariat, mais avec lui la paysannerie et la petite bourgeoisie qui arriveront au pouvoir, et le prolétariat devra appliquer leurs mesures, et non les siennes. La Commune de Paris [16] démontre que l'on n'a pas besoin d'être au gouvernement pour faire quelque chose.
Au reste, pourquoi nul autre parmi les membres de la minorité qui ont unanimement ratifié la circulaire ‑ notamment Willich ‑ ne prend-il la parole ? Nous ne pouvons pas scinder la Ligue, et nous ne le voulons pas : il suffit de diviser le district de Londres en deux.
Eccarius : J'ai effectivement posé la question avec la claire intention de mettre les choses sur le tapis. En ce qui concerne la conception de Schapper, j'ai exposé dans l'Association pourquoi je la tiens pour une illusion et pourquoi je ne pense pas que notre parti viendra au pouvoir dès la prochaine révolution. Notre parti sera alors plus important dans les clubs qu'au gouvernement.
Le citoyen Lehmann quitte la salle, sans dire un mot, de même
le citoyen Willich.
Art. 1 : adopté par tous. Schapper ne participe pas au vote.
Art. 2 : adopté par tous. Schapper de même.
Art. 3 : adopté par tous. Schapper de même.
Schapper élève une protestation contre tous. Nous sommes maintenant tout à fait séparés. J'ai des amis et connaissances à Cologne qui me suivront plus que vous.
Marx : Nous avons réglé cette affaire conformément aux statuts, et les décisions du Conseil central sont valables.
Après lecture du procès-verbal, Marx et Schapper déclarent qu'ils n'ont pas écrit à Cologne à propos de cette affaire.
On demande à Schapper s'il a une objection à élever contre le procès-verbal. Il déclare n'avoir rien à objecter, étant donné qu'il tient toute objection pour inutile.
Eccarius demande que le procès-verbal soit signé de tous. Adopté. Schapper déclare qu'il ne le signerait pas.
Ainsi fait à Londres, le 15 septembre 1850.
Lu, ratifié et signé
K. Marx, président du Conseil central
F. Engels, secrétaire
K. Schramm
Henry Bauer
J.G.Eccarius
K. Pfäender
Notes
[1] Cf. Marx, Révélations sur le procès
des communistes, 1852.
Les textes de la révolution de 1848‑1849
s'achèvent avec les procès-verbaux des réunions de parti.
L'échec de la tentative révolutionnaire se répercute sur
l'organisation, qui se désagrège et s'éteint pour une
période assez longue.
Les débats des rares procès-verbaux qui sont parvenus
jusqu'à nous ont le plus haut intérêt : toutes les
thèses qui sont passées par l'épreuve du feu
révolutionnaire s'y heurtent et y sont soumises à une
critique impitoyable. L'organisation formelle du parti
n'y résistera pas, en dépit des efforts de Marx. Cependant,
la prochaine organisation qui naîtra profitera de la lutte et
de l'expérience de ces batailles de parti, et n'en sera
que plus forte.
Ces combats révolutionnaires d'arrière-garde au
sein même de l'organisation constituent les sommets de
l'activité du parti ; c'est là où s'effectue la
synthèse vibrante de l'expérience d'une classe qui
vient de vivre ses moments les plus dramatiques et
cruciaux.
[2] Marx fait allusion au comité central de la démocratie européenne, fondée à Londres en juin 1850 à l'initiative de Mazzini et rassemblant les émigrés politiques de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie des divers pays du continent.
[3] Faute d'avoir trouvé ce procès-verbal dans le texte original, nous le reprenons de la plume de Marx. Notons que certains passages en sont similaires à ceux du procès-verbal de la réunion du 17 septembre, mais des détails diffèrent, et ils ne manquent pas d'intérêt, ce qui saute aux yeux si l'on complète un texte par l'autre.
[4] Cette formule définit
l'opportunisme, dont l'un des traits fondamentaux est
de préférer la voie la plus courte, la plus commode et la moins
ardue à la voie la plus longue, la plus difficile et la plus
hérissée d'obstacles, mais la plus directe. La voie directe
est celle où l'action pratique immédiate, dans la situation
donnée du moment, répond le mieux aux principes et au programme
communistes, c'est-à-dire au but historique du
prolétariat.
L'opportunisme n'est pas une tare morale, mais
l'expression de la prédominance politique dans les rangs
ouvriers de couches proches de la petite bourgeoisie (comme
Marx et Engels le montrent ici : la prédominance d'artisans
de type petit-bourgeois, et plus tard en Angleterre :
l'aristocratie ouvrière), dont les positions sont plus ou
moins consciemment inspirées par les idées-mères de la classe
dominante, et donc par ses intérêts sociaux.
De l'expérience amère de tous les opportunismes
successifs à l'échelle historique, il faut tirer
aujourd'hui cet avertissement : le parti doit éviter
toute décision et tout choix qui pourraient être dictés par le
désir d'obtenir de bons résultats pour un travail et un
sacrifice moindres. Un tel désir peut sembler innocent, mais il
traduit la tendance des petits-bourgeois à la paresse, et il
obéit au principe fondamental du capitalisme qui est
d'obtenir le maximum de profit pour le minimum de frais.
Marx et Engels ont fait de la règle contraire leur maxime de
vie, prenant sur eux les tâches ingrates de « taupe », et
fuyant la facilité et la popularité. Il pourrait sembler que
cette position ne se trouve pas à la lettre dans la tactique de
Lénine ; mais elle n'est qu'une généralisation poussée
de l'expérience historique, et Lénine était à l'école
de l'histoire.
Dans la Critique du projet de programme
social-démocrate de 1891, Engels définit
l'opportunisme ou immédiatisme d'une manière classique
: « Cet oubli des grandes considérations essentielles
devant les intérêts passagers du jour, cette course aux succès
éphémères et la lutte qui se livre tout autour, sans souci des
conséquences ultérieures [sur le programme et le but
communistes], cet abandon de l'avenir du mouvement que
l'on sacrifie au présent, tout cela a peut-être des mobiles
honnêtes. Mais cela est et reste de l'opportunisme. Or,
l'opportunisme 'honnête' est sans doute le plus
dangereux de tous. »
À chaque phase successive du mouvement ouvrier, les tâches
deviennent non plus faciles, mais au contraire plus amples et
difficiles. L'opportunisme est alors toujours en retard
d'une phase.
La phase de l'insurrection armée et de la transformation
économique de la société arrachée par la violence au contrôle
du capital est certes plus difficile que celle de la
préparation révolutionnaire, de la constitution du prolétariat
en classe. L'opportunisme qui se présente toujours comme
parti d'action, de construction et de réalisme ne
s'active alors que dans les réformes possibles, reculant
devant les tâches révolutionnaires difficiles. En période de
préparation révolutionnaire, il évite ainsi comme la peste le
travail illégal et ingrat pour se pavaner sur la scène
politique du parlement où il excelle, trouvant dans la méthode
démocratique la forme commode d'une action légale et
rituelle.
Les braves artisans comme Schapper, qui exprimaient avec une
certaine logique leur impatience et leur paresse, étaient moins
dangereux et ne sévissaient qu'en période révolutionnaire.
C'est pourquoi leur emprise idéologique sur les masses
était bien moins ample, comme Marx le notera dans la suite de
son exposé. La social-démocratie, qui donnera infiniment plus
de fil à retordre à Marx-Engels, n'apparaîtra que bien plus
tard, au cours de la période de développement idyllique du
capitalisme, et ‑ hélas ‑ ne fera que se gonfler au
cours de la phase impérialiste et sénile du capital.
[5] Si la lecture de Marx-Engels a un sens plus d'un siècle après qu'ils ont écrit leur théorie dans le feu de la bataille, dans ses phases les plus diverses, leur critique des fétichistes du peuple s'applique aujourd'hui à tous les communistes dégénérés, qu'ils relèvent de Moscou ou de Pékin, mais qui se retrouvent tous pour tourner le dos au prolétariat vivant et actuel pour adorer la masse confuse et hybride du peuple cher aux démocrates bourgeois classiques, mais surannés.
[6] Cf. Marx-Engels, Werke, 8, texte établi d'après le manuscrit.
[7] Il s'agit de l'Association allemande pour la formation des ouvriers que Marx-Engels quitteront ce jour même, parce qu'elle s'était rangée aux côtés de la minorité Willich-Schapper de la Ligue des communistes.
[8] De fait, le projet de Schapper, en coiffant toutes les communes d'Allemagne par une direction à Cologne, brisait l'unité et le principe de centralisation de la Ligue des communistes. En transférant le centre pour les différents pays à Cologne, le projet de Marx maintenait, au contraire, son unité, sa centralisation et son internationalisme.
[9] En décembre 1850, le Conseil central de Cologne rédigera de nouveaux statuts d'après les indications de Marx. Cf. Werke, 7, p. 565-567.
[10] Marx fait allusion à l' « Adresse du Conseil central à la Ligue » (mars 1850) que nous ne reproduisons pas ici, ainsi que celle fort importante de juin 1850, cf. en traduction française en annexe du volume édité par Costes, Karl Marx devant les jurés de Cologne.
[11] Marx définit l'action politique
comme le domaine de la volonté par excellence. Dans la
conception idéaliste bourgeoise, l'État découle de
l'acte des innombrables volontés souveraines des libres
citoyens d'un pays. Toute décision politique découle de
même d'une volonté et d’une conscience : toute
déviation ou déformation de la vision révolutionnaire marxiste
tend à cette conception volontariste du développement social.
Au reste, tous les rapports de la société bourgeoise suggèrent
irrésistiblement l'idée d'un choix politique, bien ou
mal fait, par la ou les volontés. De la sorte, tout
opportunisme repose sur l'idée qu'il existe une autre
voie ‑ plus courte et plus rapide ‑ que la volonté
doit imposer, ou qu'on peut modifier son influence
l'accroître ‑ auprès du grand nombre par des
manœuvres, des manipulations de programme, quitte à
revenir sur la voie initiale, comme si tout cela
n'entraînait pas ses conséquences (qui sont trop
matérielles pour être effacées par un acte de volonté).
Certes, comme le dit Marx, les hommes font leur
histoire, mais non comme ils le pensent ni comme ils le
veulent. Toute la question est, en effet, de savoir comment les
hommes interviennent dans leur histoire. Aux yeux du marxisme,
ce sont les classes qui sont les grandes forces de
l'histoire, et leur lutte constitue le moteur du
développement. Dans la classe, l'uniformité et le
parallélisme des conditions créent une force et constituent une
cause du développement historique. Mais là encore l'action
précède la volonté, et à plus forte raison la conscience de
classe.
La classe devient sujet de conscience (c'est-à-dire de
buts programmatiques) quand s'est formé le parti, quand
s'est formée la doctrine, au travers de dures luttes.
C'est dans la collectivité plus restreinte constituée par
le parti que l'on commence, en tant qu'organe unitaire,
à trouver un sujet d'interprétation de l'histoire, de
ses possibilités et de ses voies. L'intervention
révolutionnaire ne peut s'effectuer à tous moments, mais
seulement dans de rares situations dues à la complète
maturation des contradictions de la base productive. C'est
alors que le parti est non seulement un sujet de conscience,
mais de volonté ‑ liée à des déterminations matérielles
et à l'action passée et cette volonté est politique, en
s'appuyant sur des forces ou superstructures de
l'organisation de parti ou d'État. La classe trouve,
dans l'histoire, un guide dans la mesure où les facteurs
matériels qui la meuvent se cristallisent dans le parti, et où
celui-ci possède une théorie complète et continue, une
organisation elle aussi universelle et continue, qui ne se fait
ni ne se défait à chaque tournant par des agrégations et des
scissions.
[12] Marx fait allusion à l'Association allemande pour la formation des ouvriers.
[13] De 1848 à 1851 le parti
radical-démocratique petit-bourgeois de Ledru-Rollin porta le
nom de Montagne, en souvenir de l’aile radicale des
Jacobins siégeant à l'Assemblée nationale de la Révolution
française.
La Presse, organe des républicains bourgeois de
1848‑1849, puis des bonapartistes.
[14] Les positions du parti
révolutionnaire ‑ ou mieux de classe ‑ ne doivent
pas seulement synthétiser l'expérience et les tâches de la
révolution, mais encore celles de la contre-révolution.
Schapper en fournit un exemple ici, qui éclate dans les
divergences séparant les deux tendances de la Ligue.
Les positions exprimées par Marx sur la nature de la
révolution en Allemagne, à savoir le déroulement selon des
phases économiques, politiques et sociales nécessaires
(d'abord phase bourgeoise, puis prolétarienne), sont
dictées non par les désirs ou la volonté, mais par le cours
matériel de 1’histoire vivante. La théorie
révolutionnaire doit englober les phases de la
contre-révolution : les positions de Marx-Engels dans la
tourmente révolutionnaire impliquaient effectivement qu'en
cas d'échec de la tentative prolétarienne l'histoire
mettrait à l'ordre du jour la lutte pour la révolution
bourgeoise nationale, effectuée finalement par Bismarck et
achevée par la formation de l'Empire unitaire allemand. La
position de Schapper, en revanche, heurte toute l'évolution
ultérieure, donc tous ses apports positifs et négatifs, qui
forment la base de l'assaut futur.
[15] Le 26 janvier 1894 encore, Engels écrivait à ce propos à Turati : « Après la victoire commune, on pourrait nous offrir quelques sièges au gouvernement, mais toujours en minorité. Cela est le plus grand danger. Après février 1848 les démocrates socialistes français (La Réforme, Ledru-Rollin, L. Blanc, Flocon, etc.) ont commis la faute d'accepter de pareils sièges. Minorité au gouvernement des républicains purs (National, Marrast, Bastide, Marie), ils ont partagé volontairement toutes les infamies votées et commises par la majorité, toutes les trahisons de la classe ouvrière à l'intérieur. Et pendant que tout cela se passait, la classe ouvrière était paralysée par la présence au gouvernement de ces messieurs qui prétendaient l'y représenter. »
[16] De 1792 à 1794, la Commune dirigea en fait la lutte des masses vers l'application de diverses mesures révolutionnaires par « une pression de l'extérieur ». Elle joua un rôle important dans le renversement de la monarchie, l'instauration de la dictature jacobine, l'introduction des prix maxima, l'adoption de la loi des suspects dirigée contre les éléments contre-révolutionnaires, etc. L'organisation de la Commune fut mise en pièces lors du coup d'État contre-révolutionnaire du 9 Thermidor (27‑7‑1794).