"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale." |
Défense du trotskysme (2)
"Nouvelles avant-gardes" ? Non ! Reconstruction de la IV° Internationale !
Les renégats de la IV° Internationale, à tout instant, à tout propos, hors de propos, évoquent la théorie de la révolution permanente. Pablo attribuait à la bureaucratie du Kremlin et à ses dérivés, la mission de réaliser le socialisme au « cours des siècles de transition », au nom de la révolution permanente. Frank s'extasie :
« N'y a‑t‑il rien de plus remarquable que des phénomènes comme celui de la redécouverte sous une forme encore grossière et approximative de la théorie de la révolution permanente par les chinois? ».
Livio Maitan, qui voit dans la « guérilla rurale » le deus ex machina révolutionnaire en Amérique Latine, y va également de son couplet sur la révolution permanente :
« Puisqu'un Etat ouvrier existe déjà en Amérique Latine dans un contexte mondial éminemment révolutionnaire, puisque les masses les plus larges subissent constamment des stimulants objectifs puissants qui les poussent à lutter contre le système capitaliste en tant que tel, et que sont réalisés des progrès énormes au niveau de leur conscience sociale et politique, puisque l'impérialisme après l'expérience cubaine, a saisi sans possibilité d'équivoque la dynamique de l'affrontement qui se prépare, la perspective de la révolution permanente n'est plus seulement une tendance historique, mais une réalité de cette étape de la lutte des classes. L'ère de la révolution permanente est déjà ouverte en Amérique Latine de manière directe et immédiate. Le fait que cette conclusion ait été partagée par la direction de la première révolution socialiste latino-américaine est un progrès historique. Cette direction par ses attitudes, ces initiatives, ses généralisations a contribué d'une façon décisive à la maturation d'une nouvelle avant-garde ».(Résolution du 9° Congrès Mondial sur l'Amérique Latine, Quatrième Internationale mai 1969, page 60).
De « puisque » en « puisque » s'étalent les merveilles de la « science » pabliste. Serait‑il permis d'ajouter quelques « puisque » à cet harmonieux ensemble ? « Puisque » la bureaucratie du Kremlin est définitivement passée du côté de l'ordre bourgeois à l'échelle internationale, « puisque » la bureaucratie chinoise se situe entièrement sur le terrain de la « construction du socialisme dans un seul pays » et de la « coexistence pacifique » ajustée à ses besoins propres, « puisque » Fidel Castro au cours de la grève générale de mai‑juin 68 soutenait ouvertement De Gaulle, qu'il approuva l'intervention militaire de la bureaucratie du Kremlin contre le prolétariat et le peuple tchécoslovaques, en août 68, qu'il soutient politiquement le régime péruvien, qu'il apporte son appui politique à l'opération bourgeoise Allende au Chili... donc, s'extasient les renégats de la IV° Internationale, ils redécouvrent la théorie de la révolution permanente. Trotsky, qui la formula, n'écrivait‑il pas :
« La théorie de la révolution permanente exige actuellement la plus grande attention de la part de tout marxiste car le développement de la lutte idéologique et de la lutte de classe a définitivement fait sortir cette question du domaine des souvenirs des vieilles divergences entre marxistes russes et l'a posée comme la question du caractère des liens internes et des méthodes de la révolution internationale en général » (thèse 1 de la théorie de la révolution permanente).
« Puisque » selon Trotsky :
« La théorie du socialisme dans un seul pays, qui a germé sur le fumier de la réaction contre Octobre, est la seule théorie qui s'oppose d'une manière profonde et conséquente à la théorie de la révolution permanente » (début thèse 12. Idem)...
… les renégats de la IV° Internationale en concluent que tous ceux qui tirent à boulets rouges, en théorie et en pratique, contre le processus de la révolution mondiale, au nom de la conception petite-bourgeoise et réactionnaire de « la construction du socialisme dans un seul pays », « redécouvrent sous une forme encore grossière et approximative la théorie de la révolution permanente ». Vérité d'évidence si l'on entend par là que confrontées à l'unité mondiale de la lutte de classe du prolétariat, dont la théorie de la révolution permanente est l'expression consciente, les bureaucraties parasitaires, comme les directions bonapartistes petites-bourgeoises, doivent y faire face pour tenter de la briser ; l'expression consciente du combat contre l'unité mondiale de la lutte de classe du prolétariat, la « théorie » de la « construction du socialisme dans un seul pays », est liée dialectiquement à la théorie de la révolution permanente comme son contraire (même si c'est sous une forme grossière et approximative).
Les renégats de la IV° Internationale dénaturent doublement la théorie de la révolution permanente : en la réduisant à un de ses aspects particulier qu'ils dénaturent : la « dynamique de la révolution coloniale ». Ils réduisent cette « dynamique de la révolution coloniale » à un processus objectif indépendant de l'existence et du combat de l'Internationale et de ses partis qui contraint toutes directions bureaucratiques ou petites bourgeoises à assumer « la transcroissance de la révolution démocratique bourgeoise en révolution socialiste ». Mitonnée dans les marmites pablistes, la « théorie de la révolution permanente » acquiert des propriétés merveilleuses et totalement inattendues : quelques gouttes de cet élixir magique suffisent à tout résoudre, tout au moins dans les textes pablistes. Transformée en embrouillaminis incohérents, la « théorie de la révolution permanente » sert à justifier toutes les trahisons des renégats de la IV° Internationale. Ainsi, ils parviennent à faire des tenants de la « théorie » de la « construction du socialisme dans un seul pays », des défenseurs sans précédents de la théorie de la révolution permanente.
Ce traitement infligé à la théorie de la révolution permanente a été possible parce qu'elle fut le plus souvent discutée sous l'angle des rapports entre les classes dans le cours des révolutions qui éclatent à l'ère de l'impérialisme dans les pays économiquement arriérés qui n'ont pas encore accompli de révolution démocratique bourgeoise. Mais ces rapports s'intègrent, sont des composantes d'un ensemble plus vaste que sont les rapports entre les classes à l'échelle mondiale. La théorie de la révolution permanente a son histoire qu'il est nécessaire de rappeler, ne serait‑ce que brièvement car elle se recoupe entièrement avec celle du développement de la lutte des classes à l'échelle mondiale depuis 1848, et partant souligne son véritable contenu. Marx et Engels formulèrent les premiers éléments de la théorie de la révolution permanente en 1850. Marx écrivait :
« La position du parti ouvrier révolutionnaire vis-à-vis de la démocratie petite-bourgeoise est la suivante : il marche avec elle contre la fraction dont elle poursuit la chute; il s'oppose à elle toutes les fois qu'elle veut établir ses propres positions...
... Tandis que les petits bourgeois démocratiques veulent amener la révolution à son terme au plus vite... notre intérêt, notre tâche est de rendre la révolution permanente, jusqu'à ce que toutes les classes plus ou moins possédantes aient été écartées du pouvoir, que le pouvoir d'Etat ait été conquis par le prolétariat et que non seulement dans un pays, mais dans tous les pays qui dominent le monde, l'association des prolétaires ait fait assez de progrès pour faire cesser dans ces pays la concurrence des prolétaires et concentrer dans leurs mains du moins les forces productives décisives. Pour nous, il ne saurait être question de la transformation de la propriété privée mais de son anéantissement; il ne saurait être question de masquer les antagonismes de classes mais de supprimer les classes; non pas d'améliorer la société existante mais d'en fonder une nouvelle...
... Si les ouvriers allemands ne peuvent s'emparer du pouvoir et faire triompher leurs intérêts de classe sans passer par toute une évolution révolutionnaire d'une assez longue durée, ils ont, cette fois du moins, la certitude que le premier acte du drame révolutionnaire imminent coïncide avec le triomphe direct de leur propre classe en France et s'en trouve accéléré.
« Mais ils doivent contribuer eux-mêmes au maximum à leur victoire finale en prenant conscience de leurs intérêts de classe, en se posant aussitôt que possible en parti indépendant, sans se laisser détourner un seul instant, par les phrases hypocrites des petits bourgeois, de l'organisation autonome du parti du prolétariat. Leur cri de guerre doit‑être : « la révolution en permanence ». (Adresse du Comité central de la Ligue des communistes, mars 1850).
Au même moment, Engels écrivait :
« La campagne pour la constitution du Reich échoua à cause de ses propres insuffisances et de sa misère intérieure. Depuis la défaite de juin 1848, la question qui se pose à la partie civilisée du continent européen est la suivante : ou bien la domination du prolétariat révolutionnaire ou bien la domination des classes qui régnaient avant février. Un moyen terme n'est plus possible. En Allemagne surtout la bourgeoisie s'est montrée incapable de régner, elle ne put maintenir sa domination sur le peuple qu'en l'abandonnant à la noblesse et à la bureaucratie. Alliée à l'idéologie allemande, la petite bourgeoisie tenta avec la constitution du Reich une conciliation impossible qui devait retarder le combat décisif. La tentative ne pouvait qu'échouer : ceux qui prenaient au sérieux le mouvement ne prenaient pas au sérieux la constitution et ceux qui prenaient au sérieux la constitution ne prenaient pas au sérieux le mouvement.
Mais les résultats de la campagne pour la Constitution du Reich n'en furent pas moins importants. Avant tout, cette campagne a simplifié la situation . Elle a supprimé une série infinie de tentatives de compromis : maintenant qu'elle est perdue, la victoire ne peut aller qu'à la monarchie féodale démocratique un peu constitutionnalisée ou à la véritable révolution. Et la révolution ne peut se terminer en Allemagne qu'avec la domination totale du prolétariat ». (La Révolution démocratique bourgeoise en Allemagne, page 198).
Ces lignes furent écrites comme premiers et fondamentaux enseignements de la vague révolutionnaire qui déferla sur l'Europe en 1848. Jusqu'alors les révolutions qui s'étaient produites avaient toutes été dominées par la bourgeoisie ou l'une de ses couches et faites à leur profit. Alors même que le prolétariat naissant s'engageait sans mesurer ses sacrifices dans le combat, qu'il était la force de frappe de la révolution, il demeurait sous le contrôle politique de la bourgeoisie ou de l'une de ses couches et agissait pour leur compte. En 1830, Charles X était renversé. Louis‑Philippe prit le pouvoir au compte de la bourgeoisie bancaire. La révolution de 1830 devait tout au prolétariat parisien. La bourgeoisie acquitta ses dettes en faisant tirer à mitraille en 1831 sur les canuts lyonnais. Mais le prolétariat se renforçait comme classe. Il acquit une conscience de classe au moins élémentaire, non seulement en Angleterre et en France, mais là où la bourgeoisie et lui‑même étaient encore relativement faibles.
« En 1844 éclatèrent les émeutes des tisserands silésiens que suivit l'insurrection des imprimeurs d'indienne de Prague. Ces soulèvements, réprimés dans le sang, soulèvements d'ouvriers qui étaient dirigés non contre le gouvernement mais contre leurs patrons, produisirent une profonde impression et donnèrent une nouvelle impulsion à la propagande socialiste et communiste parmi les ouvriers. Il en fut de même des émeutes pour le pain en l'an de famine 1847 », nous dit Engels (La Révolution démocratique bourgeoise en Allemagne, page 220).
Ainsi, dans les pays où la victoire de la Sainte‑Alliance et le congrès de Vienne, en 1814‑1815, dressèrent le barrage de la réaction aristocratique, des vieilles dynasties royales et princières, de leurs armées, de leur bureaucratie, soutenues par le gendarme de la contre-révolution en Europe, le tsarisme et ses cosaques, contre la solution des tâches démocratiques bourgeoises (indépendance et unité nationales, destruction des vestiges de la féodalité, du pouvoir politique de l'aristocratie terrienne, réforme agraire, abolition des droits seigneuriaux, exercice du pouvoir par une couche de la bourgeoisie ou ses représentants, assemblée nationale et parlementaire plus ou moins développée, constitution, droits politiques bourgeois), le prolétariat s'affirmait comme classe.
« Il ne fallait certes pas attendre des ouvriers qu'ils aient une notion particulièrement nette de leurs buts; ils savaient seulement que le programme de la constitution bourgeoise ne contenait pas tout ce qui leur était nécessaire et qu'il n'était nullement tenu compte de leurs besoins dans les projets de Constitution » (idem page 220).
Déjà altéré depuis 1830. l'ordre social et politique consacré par le congrès de Vienne, ruiné, malgré les entraves, par le développement du mode de production capitaliste, vacillait en 1848, sous le choc, d'un mouvement révolutionnaire qui embrasait la France, l'Italie, l'Autriche, la Hongrie, l'Allemagne du Nord. En écho à la révolution de février en France, la révolution s'étendait en Italie contre la domination autrichienne, le 13 mars la révolution à Vienne renversait Metternich, le 18 mars la révolution éclatait à Berlin et contraignait le roi de Prusse à reculer, une assemblée nationale allemande fut élue qui se réunit à Francfort. Pour la première fois à l'échelle de l'Europe, la révolution prolétarienne se combinait à la révolution démocratique bourgeoise.
« La bourgeoisie engendre le prolétariat, dans la mesure même où elle développe son industrie, son commerce, ses moyens de communications. Et à un certain moment ‑ qui n'est pas nécessairement le même partout et ne doit pas absolument arriver au même degré de développement ‑ elle commence à s'apercevoir que son double le prolétariat la dépasse à vive allure. A partir de ce moment, elle perd la force de maintenir exclusivement sa force politique : elle cherche des alliés avec lesquels elle partage son pouvoir ou auxquels elle le cède complètement selon les circonstances.
En Allemagne, ce tournant a été atteint par la bourgeoisie dès 1848. Et à ce moment‑là, la bourgeoisie allemande a pris peur, bien plus du prolétariat français que du prolétariat allemand. Les combats de juin 48 à Paris lui montrèrent ce qui l'attendait. Le prolétariat allemand était juste assez agité pour lui prouver qu'ici aussi, la semence était jetée pour la même récolte et, à partir de ce jour, la pointe de l'action politique de la bourgeoisie fut émoussée. Elle chercha des alliés, se vendit à eux à tout prix ‑ et aujourd'hui elle n'a pas avancé d'un pas » (Engels, préface à La Révolution démocratique bourgeoise en Allemagne, page 15).
L'écrasement du prolétariat français en juin 48 fut le point de départ de la contre-offensive de la contre-révolution européenne. La révolution prolétarienne défaite, la révolution démocratique bourgeoise ne put s’ accomplir.
1848 marque un tournant historique : le prolétariat s'avance sur le devant de la scène et combat sous son drapeau, pour lui-même, tandis que la bourgeoisie, qui est loin d'avoir réalisé ses tâches politiques à l'échelle des plus grands pays européens, le reconnaît comme son principal ennemi.
De l'analyse des rapports sociaux et des rapports politiques entre les classes, à l'échelle de l'Europe, mise en valeur par l'affrontement de la révolution et de la contre-révolution, Marx et Engels extraient les premiers éléments de la théorie de la révolution permanente. Ils soulignent le rapport international : « la bourgeoisie allemande a pris peur, bien plus du prolétariat français que du prolétariat allemand ». Le prolétariat allemand jouait un rôle démesuré, si l'on se réfère à ses seules forces. Mais il le jouait comme fraction du prolétariat international, en relation avec le prolétariat des pays alors beaucoup plus développés, la France et l'Angleterre. Marx et Engels appelaient le prolétariat allemand à se constituer en parti indépendant, à prendre pour cri de guerre la révolution en permanence; car « la révolution en Allemagne ne peut se terminer qu'avec la domination totale du prolétariat » dit Engels, jusqu'à ce que « le pouvoir d'Etat ait été conquis par le prolétariat et que non seulement dans un pays, mais dans tous les pays qui dominent le monde, l'association des prolétaires ait fait assez de progrès pour faire cesser dans ces pays la concurrence des prolétaires et concentrer, dans leurs mains du moins, les forces productives décisives » dit Marx; parce que tous deux estimaient que la révolution de 1848 en France ouvrait la période de la révolution prolétarienne internationale, « les ouvriers allemands ont la certitude que le premier acte du drame révolutionnaire imminent coïncide avec le triomphe direct de leur propre classe en France et s'en trouve accéléré ».
Marx et Engels se trompaient lorsqu'ils estimaient que 1848 ouvrait la période de la révolution prolétarienne internationale. La crise économique, sociale, politique de 1848 était une crise de croissance du mode de production capitaliste. Ils rectifièrent, et l'analyse de leur erreur ne fut pas étrangère à la « petite » phrase de Marx dans la préface à la « Contribution à la critique de l'économie politique », que le désinvolte Janus‑Germain-Mandel fait sauter. Il reste qu'en 1848, l'affrontement entre les classes à l'échelle internationale dégagea certains rapports politiques entre les classes qui devaient se retrouver à l'échelle mondiale lorsque s'ouvrit le stade suprême du capitalisme, l'impérialisme, la période des guerres et des révolutions, l'ère de la révolution prolétarienne. Ce fut une des marques du génie de Marx et d'Engels et de la supériorité de leur méthode, le matérialisme dialectique, de les dégager. Mais ils ne pouvaient aller au-delà. Le marxisme est une méthode d'analyse où forme, contenu, méthode sont inséparables, la spéculation lui est étrangère. La période qui suivit fut celle du développement intensif et extensif du capitalisme qui couvrit la terre entière, et celle également de l'organisation du prolétariat, de la formation de ses partis et syndicats. Mais déjà telle qu'elle fut formulée par Marx et Engels, la théorie de la révolution permanente est totalement étrangère à l'infâme bouillie éclectique que les renégats de la IV° Internationale appellent du même nom.