1971

"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (2)

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La voie froide coupée, révolution et contre-révolution à l'ordre du jour


La putréfaction de l'impérialisme américain et ses conséquences

Le bilan peut être tiré. Pour les renégats de la IV° Internationale, comme pour les révisionnistes de toute origine, comme pour le P.S.U., la C.F.D.T., les staliniens, la grève générale de mai juin 68 en France, les luttes du peuple et du prolétariat tchécoslovaque sont des crises de croissance du « néo capitalisme » d'un côté, et du « système socialiste » de l'autre. Ils réécrivent l'histoire de la lutte des classes mondiale afin de justifier leurs « nouvelles théories ». Leurs constructions idéologiques nécessitent que la classe ouvrière des pays économiquement développés ne constitue plus qu'une vaste aristocratie; que le prolétariat d'Europe ait été défait au moment où la révolution chinoise fut victorieuse.

Au contraire, restituer la continuité historique de la lutte de classe du prolétariat mondial, de celui d'Europe en particulier, situe la grève générale de mai juin 68, et la montée vers la révolution politique du prolétariat tchécoslovaque, comme des moments d'une lutte de classe qui s'inscrit dans le processus de la révolution mondiale commencée en 1917 par le prolétariat russe. Elles marquent, néanmoins, un tournant de la lutte des classes mondiale.

La bureaucratie du Kremlin, en contenant et limitant la vague révolutionnaire d'après la seconde guerre mondiale, a donné un sursis à l'impérialisme en se protégeant elle même. Le sursis tend vers sa fin. Ce que les renégats de la IV° Internationale et les révisionnistes de tout acabit baptisent « néo capitalisme » est au fond le processus de putréfaction, au sens léniniste du terme, de l'impérialisme, qui se poursuivait sous l'apparence de la prospérité.

Non sans crises, l'impérialisme américain a émergé de la guerre comme le plus puissant impérialisme, pivot du système impérialiste mondial et son sauveur. Comme un chacal, au cours des deux guerres mondiales et des années de l'entre-­deux guerres, il s'était nourri des chairs décomposées des impérialismes européens. Contraint depuis 1945 de prendre en charge le système capitaliste mondial, il a intégré à ses propres contradictions celles des vieilles puissances impérialistes, du système dans son ensemble. Il reste l'impérialisme dominant, le pivot du système sans lequel celui ci s'effondrerait. Mais c'est, désormais, la totalité du système impérialiste mondial qui en est au point de décomposition, de gangrène, qui a conduit les puissances impérialistes d'Europe à la décadence. C'est là un phénomène majeur. Il donne une profondeur et une dimension à la crise de l'impérialisme qu'elle n'a jamais eue jusqu'alors. L'alternative se précise : ou, sous la direction de l'impérialisme américain, l'impérialisme sera capable de passer de l'économie d'armement à l'économie de guerre et à la guerre, d'abord contre la Chine, ensuite à l'échelle mondiale en direction de l'U.R.S.S., ou le système impérialiste se disloquera sous l'effet d'une crise économique sans précédent.

Actuellement, les puissances impérialistes mondiales font les plus grands efforts : elles tentent de prolonger, avec le concours de la bureaucratie du Kremlin, l'état de chose qui existe. Elles unissent leurs efforts pour que n'éclate pas la crise du système monétaire international. Par milliards de dollars, l'Etat bourgeois allemand souscrit aux bons du trésor américain et soutient, sous diverses formes, le dollar. Après bien des hésitations, les grandes puissances impérialistes ont consenti que soient créés des droits de tirages spéciaux auprès du Fonds Monétaire International. Ils tendent à faire du dollar une monnaie à cours forcé à l'échelle internationale. Toutes redoutent que l'impérialisme U.S. ne soit plus en mesure d'alimenter la conjoncture économique internationale par ses gigantesques dépenses parasitaires. Ce sont des palliatifs, des expédients; à la longue, ils aggravent la crise du système monétaire international.

Mais que faire ? Passer de l'économie d'armement à l'économie de guerre ouvre inéluctablement la perspective de la troisième guerre mondiale. L'impérialisme n'est pas prêt politiquement à cette « solution », pas même l'impérialisme américain. L'économie de guerre et son aboutissant, la troisième guerre mondiale, exigent que soient réalisées des conditions politiques qui donnent en général à la classe dominante la maîtrise des rapports entre les classes. Au point où en est le système impérialiste mondial, elle exige que, dans les principaux pays impérialistes, Etats Unis compris, la classe ouvrière subisse des défaites décisives et que s'instaure l'Etat fort dans chaque pays, sous une forme ou sous une autre. Encore, ces conditions ne sont elles pas suffisantes : l'Etat fort américain devrait discipliner aux exigences de l'économie d'armement et de la guerre elle même les autres puissances impérialistes. Ce n'est pas le moindre aspect de la situation actuelle les puissances impérialistes remises sur pied au lendemain de la deuxième guerre impérialiste par l'action combinée de l'impérialisme américain et de la bureaucratie du Kremlin, sont incapables de subir l'épreuve de l'économie d'armement et encore moins d'une troisième guerre mondiale.

Au cours de ces dernières dix années, toutes ces tendances contradictoires se sont exprimées, encore que de façon embryonnaire. Poussé par la nécessité objective, la menace révolutionnaire et la pression du capital accumulé, l'impérialisme américain a engagé, par son intervention massive contre les ouvriers et paysans vietnamiens, le processus qui le conduit à l'économie d'armement, à la guerre contre la Chine, à la troisième guerre impérialiste, en même temps qu'il réduit à la portion congrue les impérialismes les moins puissants. La bureaucratie du Kremlin a tout fait, pour sa part, pour détendre la « guerre froide »... en coopérant avec l'impérialisme américain dans son entreprise d'encerclement de la Chine et de préparation à la guerre contre elle. Loin d'obtenir en compensation le statu quo en Europe, aux prises avec ses propres contradictions, elle subissait d'autant plus la pression des impérialismes européens que ceux ci s'efforçaient de trouver, en contrepartie des difficultés grandissantes qui les assaillaient, une voie propre. Comme toujours, ce sont les parties les plus faibles de la chaîne des pays contrôlés par la bureaucratie du Kremlin qui concentraient les contradictions des bureaucraties parasitaires et qui subissaient la pression croissante des impérialismes européens : les pays de l'Europe de l'Est. Et comme toujours également, la pénétration en Europe de l'Est   bien qu'encore partielle et limitée   des impérialismes européens bénéficiait au plus puissant, placé au cœur de l'Europe appuyé le plus directement sur l'impérialisme américain, l'impérialisme allemand.

L'alliance contre révolutionnaire, scellée à Yalta et Postdam, n'a cessé d'opérer, même aux moments les plus tendus de la guerre froide. Il n'y a aucune solution de continuité entre le sauvetage de l'impérialisme mondial par le découpage du monde en zones d'influence, le renflouement des impérialismes décadents, la coupure du prolétariat européen en deux et la coopération cynique entre l'impérialisme américain et la bureaucratie du Kremlin contre la Chine. Mais il n'y a pas identité entre les moyens dont disposait l'impérialisme américain hier et ceux d'aujourd'hui, ni entre ses rapports avec les impérialismes décadents. Et avec la bureaucratie du Kremlin dans l'immédiate après guerre et ceux d'aujourd'hui, ni dans les rapports entre l'appareil international du stalinisme et le prolétariat mondial alors et maintenant.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l'impérialisme et la bureaucratie du Kremlin pouvaient se limiter à contenir la vague révolutionnaire ; aujourd'hui, malgré leurs antagonismes   et dans une certaine mesure en raison d'eux   les impérialismes doivent refouler les prolétariats de leurs propres pays et attaquer les conquêtes révolutionnaires du prolétariat mondial. La bureaucratie du Kremlin   son appareil international   est contrainte de jouer un rôle actif et décisif dans cette lutte pour détruire les positions conquises par le prolétariat depuis la révolution d'octobre 1917.

Le pourrissement de l'impérialisme mondial qui atteint le cœur du système, l'impérialisme américain, la crainte que s'effondrent les impéria­lismes décadents remis sur pied par la coopération entre l'impérialisme américain et elle même; la détérioration de son contrôle sur des secteurs décisifs du prolétariat mondial par le truchement de son appareil international; le fait que le prolétariat mondial ne puisse défendre les positions qu'il a conquises   qu'il s'agisse de celle qu'il occupe dans les pays capitalistes économiquement développés, ou des rapports sociaux de production nés de la révolution d'octobre et étendus à l'Europe de l'Est, de ceux nés de la révolution chinoise   que par un nouveau bond en avant de la révolution prolétarienne mondiale, dictent à la bureaucratie du Kremlin, aux bureaucraties satellites, comme à tous les appareils bureaucratiques, leurs politiques. Ils doivent, au service de l'impérialisme, participer à l'attaque de l'impérialisme contre les conquêtes de la classe ouvrière, y compris dans leurs propres pays.

En ce sens, il n'y a pas de différence qualitative entre la politique du gouvernement Wilson se proposant d'imposer la politique des revenus, la législation anti grève et anti syndicale, celle de Brandt participant au gouvernement Kisinguer afin de faire ratifier par le Bundestag les lois sur l'état d'urgence, la participation du P.S. italien au gouvernement démocrate chrétien, la participation du P.C. finnois au gouvernement finlandais, l'acceptation en pratique de la politique d'intégration des syndicats à l'Etat par les appareils syndicaux en France, le soutien de l'intervention de l'impérialisme U.S. au Vietnam de la part des dirigeants de l'A.F.L. C.I.O., et la politique cynique de la bureaucratie du Kremlin qui coopère ouvertement avec l'impérialisme américain et l'aide politiquement à encercler la Chine et à préparer la guerre contre elle. Tout comme il y a unité entre la politique de la bureaucratie du Kremlin en U.R.S.S, en Europe de l'Est, et celle qui la conduit à coopérer avec l'impérialisme américain afin de détruire les conquêtes de la révolution chinoise.


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