1921-1927 |
Source : numéro 85 de
Quatrième Internationale, février 1959, précédé de
l'introduction suivante : |
Karl Liebknecht et la guerre
Karl Liebknecht ne fut pas tout de suite le Karl Liebknecht que le prolétariat international connaît aujourd'hui. Dans son activité politique, il y eut une période très étendue au cours de laquelle il ne se différencia que peu des autres dirigeants de la social-démocratie allemande. En ce temps très éloigné, rien ne laissait prévoir le rôle historique international qui échut à Karl Liebknecht pendant la guerre. Il suffit de dire que dans les années 1905-1915, dans la lutte des courants « russes », Karl Liebknecht se trouva souvent plus près des mencheviks que des bolcheviks.
Le « dépassement » du Liebknecht social-démocrate au Liebknecht du Spartakusbund et de l'insurrection armée s'effectua pendant la guerre mondiale. Le mouvement communiste international des jeunes qui élève la jeunesse dans un amour ardent de Karl Liebknecht et voit en lui à juste titre, à côté de Lénine, son meilleur dirigeant, doit connaître le véritable Liebknecht, avec tous ses côtés forts et faibles, et ce d'autant plus que les fautes de Liebknecht n'étaient pas des fautes individuelles, mais bien plutôt celles de toute une aile (et pas la plus mauvaise) du mouvement ouvrier international. La figure de Liebknecht n'en perd rien de sa grandeur. Lénine écrivit que Rosa Luxemburg se trompa dans la question de l'indépendance de la Pologne, qu'elle eut en 1903 une estimation fausse du menchevisme, qu'elle fut dans l'erreur sur l'accumulation du capital, qu'elle commit une faute en juillet 1914 quand elle se prononça pour l'unification des bolcheviks et des mencheviks (à la Conférence de Bruxelles convoquée par la IIe Internationale), qu'elle se trompa dans quelques questions fondamentales de la Révolution russe dans la brochure qu'elle écrivit en prison en 1918, « mais malgré toutes ses fautes, elle était et reste un aigle », ajouta Lénine, citant les vers russes célèbres : « L'aigle descendra plus bas qu'une poule, mais les poules ne s'élèveront jamais aussi haut que l'aigle ».
Karl Liebknecht était et reste naturellement un aigle. La vérité, toute la vérité sur sa vie et sa lutte, sur ses fautes et ses avantages, rend encore plus clair, plus saisissant le réel héroïsme de sa prise de position pendant la première, guerre impérialiste.
Le nom de Karl Liebknecht, tel qu'il entra dans l'histoire mondiale, est indissolublement lié à la guerre. La grandeur de Karl Liebknecht consiste en ceci qu'il parvint mieux que quiconque, à l'exception de Lénine, à exprimer avec une force inusitée le tournant dans la révolution prolétarienne qui s'effectua en Allemagne et dans tous les autres pays impliqués dans la guerre, en relation avec la première guerre impérialiste.
Il n'est pas besoin de rappeler particulièrement que la classe ouvrière d'Europe sortit, de la première guerre impérialiste, différente de ce qu'elle était à son début. Chaque mois de la guerre impérialiste mondiale fut une leçon énorme pour le prolétariat international. Chaque salve sur les champs de bataille impérialistes atteignait les illusions pacifistes réformistes de ces couches de la classe ouvrière européenne qui entrèrent dans la première guerre impérialiste avec ces sentiments qu'avaient engendrés les 25 ans de développement pacifique de la IIe Internationale.
Le sang coulait à flots. Chaque semaine des dizaines et des centaines de milliers d'hommes perdaient la vie. Chaque jour croissaient la misère, les souffrances, la faim. Dès les premiers mois de la guerre, des hésitations et des doutes s'emparèrent même d'ouvriers aux sentiments patriotiques qui se trouvaient sous l'influence de la social-démocratie, bientôt les hésitations et les doutes firent place à une animosité toujours plus grande contre la guerre que les dirigeants sociaux-démocrates qualifiaient de « grande », de « libératrice ». A Karl Liebknecht, nous le répétons, il revint d'exprimer de la manière la plus ample et la plus profonde le tournant qui s'opérait précisément dans les millions d'ouvriers, de parvenir avec ces masses à des décisions révolutionnaires, de protester avec elles et en leur nom de toute la force de son cœur ardent contre la guerre, il réussit, mieux que quiconque, à exprimer la colère et la douleur, la souffrance et la protestation et la résolution révolutionnaire mûrissante de la meilleure partie de la classe ouvrière européenne que les mains criminelles de la bourgeoisie et de sa social-démocratie avaient envoyée sur les champs de bataille impérialistes.
Dans le livre remarquable de Barbusse Le feu, qui donne une description artistique jusqu'alors inégalée de la guerre impérialiste, l'auteur nous montre dans un des passages les plus brillants de ce livre comment — la guerre alors battant son plein — l'image de Liebknecht concordait précisément avec les meilleures aspirations des ouvriers et des soldats de cette époque affreuse.
La force de Liebknecht s'exprima précisément en ceci qu'il comprit, alors que la guerre faisait rage, comment exprimer de façon incomparablement puissante la haine passionnée des ouvriers contre la guerre ainsi que les premières espérances, fraîches, en partie encore naïves, dans la révolution immédiate contre la guerre.
Déjà avant la guerre, Karl Liebknecht s'intéressa énormément à la révolution russe. Sur les événements de la révolution de 1905 il pencha une attention très passionnée. Mais Liebknecht ne parvint pas alors à se faire une idée claire et complète sur la signification de classe réelle des événements russes : il ne fit aucune estimation juste du bolchevisme et du menchevisme. Jusqu'en 1915, Liebknecht ne soutînt pas les bolcheviks.
Liebknecht se trouvait à l'aile gauche, marxiste, de la social-démocratie allemande. Cependant, il n'avait pas de position délimitée, aucune sorte de plate-forme générale dans les questions « allemandes ». Il se prononça pour la nécessité d'une propagande antimilitariste au moment où les « pères » de la social-démocratie allemande estimaient qu'en parler était « manquer de tact ». Il accorda beaucoup d'attention à l'organisation de la jeunesse à un moment où les mêmes « pères » considéraient cela presque comme une plaisanterie. (Un des traits caractéristiques de l'opportunisme était et est d'avoir une position négative et toute autre que bienveillante envers l'organisation de la jeunesse.) Ce sont des mérites extraordinaires de Liebknecht. Par son attitude envers la propagande antimilitariste et le soutien de l'organisation de la jeunesse, Liebknecht dans une certaine mesure prépara son rôle futur perdant la guerre impérialiste. Mais ce n'étaient que les seuls « bourgeons » que l'observateur du de hors pouvait découvrir en prévision du futur rôle dt Liebknecht dans la guerre qui venait.
Liebknecht se trouvait dans l'aile gauche de la social-démocratie allemande. Mais ce parti, il le considérait comme son parti et l'unité de la social-démocratie allemande en 1914 était encore tout à fait intouchable. Jusqu'à l'éclatement de la guerre et même dans la première période de celle-ci, Karl Liebknecht ne put se décider à une opposition ouverte contre la majorité de la social-démocratie allemande et encore moins penser à une scission. Le 4 août 1914 encore, lorsqu'eut lieu le célèbre vote de la social-démocratie allemande pour les crédits de guerre, Liebknecht, qui avait mené une lutte ardente contre le vote au sein de la fraction parlementaire, se borna à une faible protestation publiquement. C'est seulement le 2 décembre 1914 que, sur le vote de 5 nouveaux milliards de crédits de guerre, Liebknecht fit sa déclaration et, seul sur 111 députés sociaux-démocrates, vota contre les crédits. Mais même cette position de Karl Liebknecht était encore si indécisive que les bolcheviks se virent obligés, dans l'article « Pas des héros »1 de dire à ce sujet : « Maintenant est aussi publiée la déclaration de Liebknecht. Dans la première partie est stigmatisé excellemment le caractère de piraterie impérialiste de la guerre, dans la seconde partie elle s'épuise à proclamer le mot d'ordre de « paix ». La conclusion contredit tellement les prémisses qu'elle sonne faux. Si tout ce que le camarade Liebknecht a dit de l'essence et des causes de la guerre est juste (et c'est indiscutablement juste), la conclusion pour des socialistes ne peut être seulement que « la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile ».
A cette première étape de la guerre, Liebknecht n'exprima que la tendance élémentaire des ouvriers à la paix et la première lueur de compréhension du caractère impérialiste de la guerre parmi les ouvriers sociaux-démocrates. C'est seulement pendant l'été de 1915, quand se réunit la première conférence de Zimmerwald, que Liebknecht adhéra au mot d'ordre léniniste de transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. Karl Liebknecht avait alors été mobilisé et ne put participer aux travaux de la conférence de Zimmerwald. Il envoya cependant une lettre à la conférence se terminant par ces mots : « Le mot d'ordre du jour, ce n'est pas la paix civile, mais la guerre civile ».
A cette époque se constitua le groupe Spartakus qui joua un rôle si glorieux dans l'histoire de la révolution allemande. A la tête de ce groupe se trouvaient Liebknecht et Rosa Luxemburg. Liebknecht comme son dirigeant et agitateur politique, Rosa Luxemburg comme théoricienne et initiatrice idéologique. La seule apparition de ce groupe valut à ses dirigeants la haine si honorable de la bourgeoisie et de la social-démocratie. La signification historique des premières actions des hommes de Spartakus est indiscutable. Toutefois on ne peut ici faire le silence sur le fait que le groupe Spartakus, dans la première période de son existence, n'avait nullement un programme bolchevik résolu. Les membres qui représentèrent ce groupe à Zimmerwald et à Kienthal se joignirent partiellement à Martov contre Lénine. Organisationnellement, ce groupe se trouvait encore en liaison avec l'union plus large de sociaux-démocrates oppositionnels allemands qui fondèrent plus tard l'U.S.P.
La position théorique de Karl Liebknecht même à cette époque n'était pas encore complètement élaborée. Néanmoins, la figure de Liebknecht dès cette époque grandissait non seulement chaque jour, mais chaque heure. Incorporé dans l'armée, il y poursuivit sa propagande contre la guerre et ni l'état de siège ni le poison moral des dirigeants de la social-démocratie officielle ne purent l'intimider. Ses « camarades » du parti social-démocrate ne craignirent même pas de le présenter comme fou. La haine mortelle du régime militaire prussien suivait chacun de ses pas. Mais la résolution de Karl Liebknecht n'en fit que croître, sa volonté révolutionnaire ne s'en trempa que davantage. A la tête d'une poignée d'ouvriers berlinois, il manifesta sur la Potsdamerplatz pour lever ouvertement le drapeau de la lutte contre la guerre. Cette démonstration numériquement relativement faible des ouvriers de Berlin sous la direction de Liebknecht entrera dans l'histoire de la révolution mondial comme un des épisodes les plus célèbres qui témoigne de la grande hardiesse du combattant prolétarien pendant les plus noires années de la guerre.
Karl Liebknecht exprima alors le mot d'ordre célèbre : « L'ennemi est dans son propre pays ! Retournez vos baïonnettes contre voire propre bourgeoisie ! » Ces mots eurent l'effet d'une bombe. Il faut avoir vécu cette période de la guerre pour comprendre quel effet ces mots devaient provoquer. Pour ces paroles hardies, le militarisme allemand envoya au bagne Karl Liebknecht sous les applaudissements de la social-démocratie allemande. Mais même au bagne Liebknecht resta le porte-drapeau des ouvriers allemands. C'est là qu'il devint le porte-drapeau de la révolution mondiale.
Plus la guerre impérialiste se prolongeait, plus grandissait le monceau de cadavres, plus effroyable devenait le sort de la classe ouvrière, et plus grandissaient le mécontentement des travailleurs et la résolution révolutionnaire du prolétariat de tous les pays belligérants, et plus le nom de Liebknecht resplendissait parmi les ouvriers dans la nuit sanglante de la guerre impérialiste. A cette période, le nom de Liebknecht était connu de cercles beaucoup plus larges que celui de Lénine qui, alors, était réduit à agir directement seulement dans l'illégalité des émigrants.
La Révolution russe éclata. Du bagne, Karl Liebknecht envoya aux ouvriers russes un message de soutien ardent. A ce moment, Karl Liebknecht commença à se persuader de toute la justesse de la position des bolcheviks. Ses anciens « amis », les mencheviks russes y compris les « plus radicaux » d'entre eux, se montrèrent des sociaux-traîtres tout comme les Scheidemann et les Ebert. Seuls les bolcheviks apportaient aux millions d'ouvriers et de soldats mis en mouvement par la révolution, le programme de Karl Liebknecht, ses mots d'ordre, son nom. Dans les journées de juillet 1917, Lénine et les camarades se trouvant proches de lui connurent un sort très voisin de celui de Karl Liebknecht — on essaya également de les calomnier, de les salir, ils furent également déclarés des « agents de puissance étrangère », on les mit en prison comme « ennemis de la patrie », et leurs camarades du parti et de l'Internationale de la veille, les Liber, Dan, Tseretelli, Tchernov, avaient leurs mains prises dans ces calomnies honteuses.
A travers les murailles du bagne arrivèrent à Liebknecht les nouvelles des événements de Russie. Avec un intérêt toujours croissant, Liebknecht rassembla chaque nouvelle du premier pays où la révolution avait rompu le cercle de feu de la guerre. Il salua avec enthousiasme la victoire d'Octobre des bolcheviks, alors qu'il était encore dans les murs du bagne. Les bolcheviks ont pris le pouvoir. Ils sont fiers de l'amitié et du soutien politique total, sans réserve, d'un combattant tel que Karl Liebknecht.
Pendant quelques mois la révolution prolétarienne en Russie fit une marche triomphale de victoire en victoire, comme le dit Lénine. Mais alors se dressèrent devant elle les premières grandes difficultés internationales. L'impérialisme allemand était encore suffisamment fort pour obliger la révolution à passer par la période de Brest. Dans les discussions au sein du parti bolchevik sur la possibilité de signer la paix de Brest, le nom de Liebknecht ne joua pas un rôle minime. En Allemagne la vague révolutionnaire est certainement en montée. On peut attendre la victoire de la révolution allemande non pas d'un mois à l'autre, mais d'un jour à l'autre. Quand Liebknecht vaincra, il nous délivrera naturellement de toutes les difficultés et corrigera toutes nos bêtises — déclara Lénine aux communistes de « gauche » — mais il ne s'ensuit pas que nous pouvons nous permettre de faire beaucoup de bêtises, que nous puissions refuser de signer la paix de Brest dans le présent rapport de forces.
La révolution russe signa la paix de Brest. Ce fait suscita chez tous les sociaux-patriotes de Russie une explosion inouïe de colère. Le patriotisme petit bourgeois fut porté au blanc. Dans le monde entier, y compris en Allemagne, les dirigeants de la IIe internationale, entreprirent de faire tout ce qui était en leur pouvoir pour calomnier les bolcheviks, pour rendre suspects les motifs de leur action et pour les montrer aux yeux des ouvriers de l'Europe occidentale sous le jour le plus défavorable. À nouveau, c'est Karl Liebknecht qui, du bagne, donna le signal à la meilleur partie de la classe ouvrière allemande et du prolétariat européen : si la première révolution prolétarienne doit maintenant supporter la lourde paix de Rrest, ce ne sont pas les bolcheviks qui en sont responsables ; en premier lieu c'est la faute, et le malheur des ouvriers d'Europe occidentale qui n'ont pas encore pu aller au secours de la révolution russe d'une manière adéquate.
Entre temps, les forces de l'impérialisme allemand déclinaient toujours plus et approchaient de l'épuisement complet. Avec une vitesse toujours plus grande mûrissait en Allemagne la crise révolutionnaire. Les masses ouvrières écrasées par la guerre vont à la révolution. La social-démocratie allemande officielle entreprend tout ce gui est possible pour maintenir ces masses sous le joug impérialiste. Mais il est déjà trop tard. Les défaites militaires de Hindenburg et de Ludendorff précipitent la chute. Les ouvriers allemands se radicalisent chaque jour, chaque heure. Karl Liebknecht est leur porte-drapeau, leur dirigeant. La gloire de Liebknecht brille parmi tous les opprimés, parmi tous les ouvriers révolutionnaires dans le monde.
Le mouvement l'évolutionnaire des ouvriers et soldats allemands libère Liebknecht du bagne. Directement en sortant du bagne, Liebknecht se rend à la tête d'une puissante manifestation ouvrière au siège de l'ambassade soviétique de Berlin pour transmettre avant tout son salut au prolétariat révolutionnaire russe. Il se découvre devant le drapeau rouge de la République soviétique, son premier discours dans l'Allemagne révolutionnaire est en l'honneur de la Révolution russe et du pouvoir soviétique.
Des la première minute, toute l'activité de Liebknecht est au service ininterrompu de la révolution prolétarienne. Autour de Spartakus se rassemble la partie tout à fait révolutionnaire de la classe ouvrière allemande. Le nom de Liebknecht est un flambeau qui illumine la voie des rangs grandissants du prolétariat révolutionnaire allemand. Chaque jour, chaque heure, croît l'influence de Spartakus.
Mais la bourgeoisie allemande et la social-démocratie allemande sont incomparablement mieux organisées et plus intelligentes que la bourgeoisie russe, les socialistes révolutionnaires et les mencheviks russes. Avant tout ils étudient les expériences de la révolution russe. Alors que les Kerenski, Tseretelli, Tchernov, Liber et Dan, qui avaient le pouvoir en mains, donnèrent le mot d'ordre « Poursuite de la guerre jusqu'à une fin victorieuse », les Scheidemann, Noske et Ebert qui avaient également reçu le pouvoir, donnèrent avant tout le mot d'ordre : Conclusion d'une paix à tout prix ! Paix avec l'Entente impérialiste ! Guerre aux ouvriers révolutionnaires ! Paix avec Clemenceau et Lloyd George ! Guerre à Liebknecht et Lénine ! Tels étaient les mots d'ordre du gouvernement « social-démocrate » qui sortit de la Révolution de novembre. Les Ebert et Noske utilisèrent avec sang-froid la volonté de combat des ouvriers révolutionnaires allemands qui poussaient à l'action pour les entraîner dans un soulèvement prématuré et étouffer celui-ci dans le sang du prolétariat. Ce plan criminel des « pères » de la social-démocratie allemande fut engagé et mené avec succès. Le soulèvement de janvier fut étouffé dans le sang des meilleurs ouvriers allemands. Le jeune Parti communiste allemand fut privé de sa direction, de ses meilleurs dirigeants, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg. Hier même, Noske et Liebknecht, Ebert et Rosa Luxemburg étaient encore les membres d'un seul et même parti social-démocrate allemand « unique ». Aujourd'hui, Noske et Ebert sont les assassins de Liebknecht et de Luxemburg. Ce n'est pas seulement par sa vie et par sa lutte, mais aussi par sa mort héroïque, que Karl Liebknecht servit la grande cause de la révolution allemande. Les circonstances de sa mort ont permis à la classe ouvrière allemande de constater la décomposition de la social-démocratie allemande, de ce parti qui, jusqu'à ce jour, est le premier paladin de la domination bourgeoise.
Dans l'analyse des causes de la défaite du soulèvement révolutionnaire en Allemagne qu'il fit en 1921 après l'action de mars, Lénine dit ceci dans la « lettre aux communistes allemands » :
Au moment de la crise, la classe ouvrière allemande n'avait pas encore un véritable parti révolutionnaire par suite du retard de la scission, de l'influence de la tradition unitaire fatale des vendus et des sans caractère (Kautsky, Hilferding et Co), de toute la bande des laquais du capital (Scheidemann, Legien, David et Co).
Par suite de la scission tardive ! C'est précisément cette faute que les bolcheviks n'ont pas commise. Bien longtemps avant la guerre ils s'étaient séparés des mencheviks. L'avantage énorme qu'avaient les bolcheviks consistait précisément en ceci qu'ils entrèrent dans la guerre et, par suite, dans la révolution comme parti bolchevik indépendant, dont « l'unité » avec les mencheviks ne pouvait lier les mains. C'était la garantie de la victoire des bolcheviks.
Riches des « expériences russes » et portés au paroxysme contre, la révolution prolétarienne proche, la bourgeoisie allemande et toute la bourgeoisie internationale, les dirigeants de la social-démocratie allemande et internationale, firent tout pour faire trébucher dans un piège les rangs non encore fortifiés des ouvriers mal armés et pour les battre aussi vite que possible. Les ouvriers brimés inhumainement par la guerre poussaient au soulèvement. « La haine conduisit à un soulèvement prématuré » (Lénine).
Sur les cadavres des ouvriers de Spartakus, sur les cadavres de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht, la social-démocratie conduisit la bourgeoisie dans la « libre » Allemagne qui, à la dérision des ouvriers, fut appelée République « socialiste » par le premier gouvernement « social-démocrate ». Le prolétariat allemand a payé cher cette scission tardive du parti social-démocrate, cette absence d'un fort parti bolchevik.
Le soulèvement héroïque de Spartakus fut abattu, mais il sema les semences de la victoire. Ces semailles germeront.
La route de la social-démocratie officielle au « spartakisme » constitue un progrès immense. Le chemin parcouru du Spartakusbund au parti bolchevik est un autre pas en avant. Mais aller du bolchevisme au « spartakisme » signifierait reculer.
De Liebknecht en avant vers Lénine ! Si Kart Liebknecht vivait encore, il serait le premier à dire que ceci doit être la voie des révolutionnaires prolétariens, non l'inverse. Liebknecht lui-même a parcouru ce chemin, et c'est seulement la balle traîtresse qui tua Liebknecht qui a empêché celui-ci de continuer à conduire le prolétariat allemand sur cette voie.
Note
1 In Contre le courant. (note de la MIA)