1938 |
Lettre à A. Bardin (7323), dictée en français, avec la permission de la Houghton Library. |
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9 juin 1938
Cher Camarade [1] ,
Je vous écris cette lettre après bien des hésitations, car mon expérience m'a montré qu'il est bien difficile de convaincre les amis français de la nécessité d'une manœuvre prudente et énergique envers tel ou tel adversaire. On se laisse entraîner par ses sentiments, par une «intransigeance » psychologique, et on arrive au résultat zéro.
Il s'agit toujours de l'organisation Molinier . C'est le plus grand obstacle pour le développement de notre section. Cette doublure jette une lueur extrêmement défavorable sur la IV° Internationale et repousse les ouvriers. On se dit : oui, les idées sont bonnes, mais ils ne sont capables de rien.
Il faut savoir utiliser la prochaine conférence [2] pour régler cette question pénible. Je suppose que Molinier va faire une tentative de participer à la conférence. Notre section va naturellement s'y opposer. Mais cela ne suffit pas. Une attitude purement négative laisserait toutes les choses comme elles sont maintenant, c'est‑à‑dire en très mauvais état. D'ailleurs la conférence internationale ne pourrait pas répondre par un simple non‑recevoir à n'importe quelle organisation qui propose son adhésion. C'est pourquoi je crois que la conférence devrait nommer le cas échéant une commission spéciale pour analyser le caractère du P.C.I. (sa composition, sa politique, ses ressources financières, etc.). La même commission devrait naturellement poser aussi la question personnelle de Molinier. Si l'investigation de la commission démontre que la majorité du P.C.I. ne cherche autre chose que de s'incliner devant la IV°, on pourrait très bien formuler des conditions. Par exemple, Molinier abandonne la France pour les Etats‑Unis où il reste pendant deux ans, sans être accepté par la section américaine. Pendant deux ans il doit démontrer, par son attitude, son droit à la réintégration. Les nouveaux membres du P.C.I. peuvent entrer comme membres effectifs dans le P.O.I. Les anciens membres, ceux qui ont quitté le P.O.I., doivent passer par un stage, mettons de six mois. Tout cela à titre d'exemple. Je ne crois pas qu'on puisse régler toute la question définitivement, mais on pourrait bien ébranler cet obstacle qu'est le P.C.I. et, si Molinier et ses amis refusent d'accepter la décision de la conférence, cette dernière pourrait voter une motion en pleine connaissance de cause et porter ainsi un coup décisif au groupe Molinier. En passant, on peut désarmer Vereeken [3] et ses semblables qui ont commencé à flirter avec le P.C.I. L'avantage d'un tel procédé est énorme. Mais il exige une attitude calme, ferme, et intelligente de la part de la direction du P.O.I. Ne pas s'opposer à la constitution de la commission, ne pas brûler les étapes lors de l'investigation, ne pas compromettre le plan par des articles ou même des conversations imprudentes avant et pendant la conférence. Dans ce cas‑ci, tous les atouts seraient entre vos mains, car la décision qui interdit à Molinier de s'occuper des affaires garde toute sa vigueur et sa déloyauté est un fait patent.
Cette lettre est strictement confidentielle. Je considérerais sa divulgation, directe ou indirecte, par n'importe quel camarade, comme un geste de déloyauté.
Notes
[1]
Alexis Bardin
(né en 1906), était en 1935, lors de l'arrivée de Trotsky à Domène, professeur de dessin industriel à l'école Vaucanson à
Grenoble, francmaçon, militant de la S.F.I.O. et du comité de vigilance des intellectuels antifascistes, et... frère de deux
militants trotskystes, dont il avait accepté d'être l'intermédiaire auprès de Trotsky. Trotsky l'avait gagné. Membre du C.C.
du P.O.I., il travaillait à Paris.
[2]
Il s'agit de la conférence internationale en préparation depuis plusieurs mois, dont Trotsky pensait qu'elle serait la dernière
avant la guerre.
[3]
Le Belge Georges Vereeken
(1898‑1978), un des fondateurs de l'opposition de gauche en Belgique, multipliait depuis plusieurs années, les manifestations
d'opposition à la politique de Trotsky et du S.I. Il se rapprochait effectivement du P.C.I.
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