1932 |
Allemagne, 1932 : la situation du prolétariat, trahi par ses dirigeants est quasi-désespérée. Trotsky analyse la situation et en déduit les tâches de l'avant garde dans une étude magistrale. |
Œuvres - janvier 1932
La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne
Seuls des fonctionnaires enragés qui se croient tout permis ou des perroquets stupides qui répètent les injures, sans en comprendre le sens, peuvent qualifier le SAP de parti "social-fasciste" ou "contre-révolutionnaire". Mais ce serait faire preuve d'une légèreté impardonnable et d'un optimisme à bon marché que d'accorder à priori sa confiance à une organisation qui, bien qu'ayant rompu avec la social-démocratie, se trouve toujours à mi-chemin entre le réformisme et le communisme, avec une direction plus proche du réformisme que du communisme. Sur ce point également l'opposition de gauche n'est nullement responsable de la politique d'Urbahns.
Le SAP n'a pas de programme. Nous n'entendons pas par là un document formel : un programme n'est solide que si son texte est lié à l'expérience révolutionnaire du parti, aux enseignements des luttes, qui sont devenues la chair et le sang de ses cadres. Le SAP n'a rien de tout cela. La Révolution russe, ses différentes étapes, ses luttes de fractions; la crise allemande de 1923; la guerre civile en Bulgarie; les événements de la Révolution chinoise; le combat du prolétariat anglais (1926); la crise révolutionnaire espagnole - tous ces événements qui devraient être dans la conscience du révolutionnaire comme des jalons éclatants sur la route politique, ne sont pour les cadres du SAP que des souvenirs journalistiques confus et non une expérience révolutionnaire assimilée en profondeur. Il est indiscutable qu'un parti ouvrier doit mener une politique de front unique. Mais la politique de front unique présente des dangers. Seul un parti révolutionnaire, trempé dans la lutte, peut mener cette politique avec succès. En tout cas, politique de front unique ne peut constituer le programme d'un parti révolutionnaire. Et pourtant, c'est à cela que se ramène aujourd'hui toute l'activité du SAP. La politique de front unique est ainsi reportée à l'intérieur du parti, c'est-à-dire qu'elle sert à gommer les contradictions entre les différentes tendances. Telle est bien la fonction fondamentale du centrisme.
Le quotidien du SAP oscille entre deux pôles. Malgré le départ de Ströbel, le journal reste à demi pacifiste et non marxiste. Des articles révolutionnaires isolés ne modifient en rien sa physionomie, au contraire, ils ne lui donnent que plus de relief. Le journal s'enthousiasme pour la lettre de Küster à Brüning à propos du militarisme, lettre fade, d'un esprit profondément petit bourgeois. Il applaudit le "socialiste" danois, ancien ministre du roi, pour son refus de prendre part à la délégation gouvernementale dans des conditions trop humiliantes. Le centrisme se contente de peu. Mais la révolution demande beaucoup, la révolution demande tout.
Le SAP condamne la politique du Parti communiste allemand : scission des syndicats et formation du RGO (opposition syndicale rouge). La politique syndicale du Parti communiste allemand est, sans conteste, profondément erronée : la direction de Lozovsky coûte cher à l'avant-garde prolétarienne internationale. Mais la critique du SAP n'est pas moins erronée. Le problème essentiel n'est pas que le Parti communiste "divise" les rangs du prolétariat et "affaiblit" les unions sociales-démocrates. Ce n'est pas un critère révolutionnaire, car avec la direction actuelle, les syndicats sont au service des capitalistes et non des ouvriers. Le crime du Parti communiste n'est pas qu'il "affaiblit" l'organisation de Leipart, mais qu'il s'affaiblit lui-même. La participation des communistes aux unions réactionnaires est dictée non par le principe abstrait d'unité, mais par la nécessité de lutter pour nettoyer les organisations des agents du capital. Le SAP fait passer avant cet aspect actif, révolutionnaire, offensif de la politique, le principe abstrait de l'unité des syndicats, dirigés par les agents du capital.
Le SAP accuse le Parti communiste de tendance au putschisme. Une telle accusation se fonde également sur certains faits et certaines méthodes; mais avant d'avoir le droit d'avancer cette accusation, le SAP doit formuler exactement et montrer dans les faits quelle est sa position sur les questions fondamentales de la révolution prolétarienne. Les mencheviks accusaient toujours les bolcheviks de blanquisme et d'aventurisme, c'est-à-dire de putschisme. Cependant, la stratégie léniniste était aussi éloignée du putschisme que le ciel de la terre. Mais Lénine comprenait et savait faire comprendre aux autres l'importance de "l'art du soulèvement" dans la lutte prolétarienne. Sur ce point la critique du SAP a un caractère d'autant plus douteux qu'elle s'appuie sur Paul Lévi, qui s'effraya des maladies infantiles du Parti communiste et leur préféra le marasme sénile de la social-démocratie. Pendant les conférences restreintes au sujet des événements de mars 1921 en Allemagne, Lénine disait de Lévi : "Cet homme a définitivement perdu la tête." Il est vrai que Lénine ajoutait aussitôt avec malice : "Il avait au moins quelque chose à perdre, mais on ne peut pas en dire autant des autres." Parmi "les autres" figuraient : Bela Kun, Thalheimer, etc. On ne peut nier que Paul Lévy avait une tête sur les épaules. Mais il est peu probable que cet homme qui a perdu la tête et qui, sous cette forme, a sauté des rangs du communisme dans les rangs du réformisme, soit un professeur compétent pour un parti prolétarien. La fin tragique de Lévy - son saut par la fenêtre durant un accès de folie - symbolise en quelque sorte sa trajectoire politique.
Pour les masses, le centrisme n'est que la transition d'une étape à une autre, mais pour certains hommes politiques, il peut devenir une seconde nature. A la tête du SAP se trouve un groupe de sociaux-démocrates désespérés, fonctionnaires, avocats, journalistes, qui ont atteint l'âge où l'éducation politique doit être considérée comme terminée. Social-démocrate désespéré ne signifie pas encore révolutionnaire.
Georg Ledebour est un représentant de ce type, son meilleur représentant. Ce n'est que récemment que j'ai eu l'occasion de lire le compte rendu de son procès en 1919. Et plus d'une fois au cours de ma lecture, j'ai applaudi mentalement le vieux combattant, sa sincérité, son tempérament, sa noblesse. Mais Ledebour n'a toujours pas franchi les limites du centrisme. Là où il s'agit d'actions de masse, des formes supérieures de la lutte des classes, de leur préparation, là où il s'agit pour le parti de prendre la responsabilité de la direction des combats de masse, Ledebour est seulement le meilleur représentant du centrisme. C'est cela qui le séparait de Liebknecht et de Rosa Luxemburg. C'est cela qui le sépare aujourd'hui de nous.
S'indignant du fait que Staline accuse l'aile radicale de la vieille social-démocratie allemande de passivité envers la lutte des nations opprimées, Ledebour rappelle que, précisément dans la question nationale, il a toujours fait preuve d'une grande initiative. C'est absolument indiscutable. Ledebour, personnellement, s'éleva avec beaucoup de passion contre les tendances chauvines dans la vieille social-démocratie allemande, sans nullement dissimuler le sentiment national allemand, fortement développé chez lui. Ledebour fut toujours le meilleur ami des émigrants révolutionnaires russes, polonais ou autres, et beaucoup d'entre eux ont conservé un souvenir chaleureux du vieux révolutionnaire, que dans les rangs de la bureaucratie sociale-démocrate on appelait avec une ironie condescendante tantôt "Ledeburov", tantôt "Ledebursky".
Néanmoins, Staline qui ne connaît ni les faits, ni la littérature de cette époque, a raison dans cette question, dans la mesure du moins où il reprend l'appréciation générale de Lénine. En essayant de répliquer, Ledebour ne fait que confirmer cette appréciation. Il se réfère au fait que, dans ses articles, il a plus d'une fois exprimé son indignation envers les partis de la II° Internationale, qui jugeaient avec une parfaite sérénité le travail de l'un de leurs membres, Ramsay MacDonald, qui résolvait le problème national de l'Inde à l'aide de bombardements aériens. Cette indignation et cette protestation traduisent la différence indiscutable et honorable qui existe entre Ledebour et un quelconque Otto Bauer, sans parler des Hilferding ou des Wels : pour que ces messieurs puissent se lancer dans des bombardements démocratiques, il ne leur manque que l'Inde.
Néanmoins, la position de Ledebour sur ce point ne sort pas des limites du centrisme, Ledebour réclame la lutte contre l'oppression coloniale : il votera au parlement contre les crédits coloniaux; il prendra sur lui la défense courageuse des victimes d'un soulèvement écrasé par les colonialistes. Mais Ledebour ne prendra pas part à la préparation d'un soulèvement colonial. Il considère qu'un tel travail relève du putschisme, de l'aventurisme, du bolchevisme. C'est là qu'est le fond du problème.
Ce qui caractérise le bolchevisme dans la question nationale, c'est qu'il traite les nations opprimées, même les plus arriérées, non seulement comme des objets, mais aussi comme des sujets politiques. Le bolchevisme ne se borne pas à leur reconnaître "le droit" à l'autodétermination et à protester au parlement contre la violation de ce droit. Le bolchevisme pénètre dans les nations opprimées, les dresse contre leurs oppresseurs, lie leur lutte à celle du prolétariat des pays capitalistes, enseigne aux opprimés, chinois, hindous ou arabes l'art du soulèvement, et il assume la pleine responsabilité de ce travail à la face des bourreaux civilisés. C'est là seulement que commence le bolchevisme, c'est-à-dire le marxisme révolutionnaire agissant. Tout ce qui reste en deçà de cette limite est du centrisme.
Les seuls critères nationaux ne permettent pas d'apprécier correctement la politique d'un parti prolétarien. Pour un marxiste, c'est un axiome. Quels sont donc les sympathies et les liens internationaux du SAP? Des centristes norvégiens, suédois, hollandais, des organisations, des groupes ou des personnes isolées, à qui leur caractère passif et provincial permet de se maintenir entre le réformisme et le communisme, tels sont ses amis les plus proches. Angelica Balabanova est le symbole des liens internationaux du SAP : elle essaie encore aujourd'hui de lier le nouveau parti aux débris de l'Internationale 2 1/2.
Léon Blum, défenseur des réparations, compère socialiste du banquier Oustric, se voit appelé dans les pages du journal de Seydewitz "camarade". Qu'est-ce que c'est ? De la politesse ? Non, c'est un manque de principes, de caractère, de fermeté. "Vous cherchez la petite bête !", dira quelque sage toujours enfermé dans son cabinet. Non, ces détails expriment le fond politique avec beaucoup plus de vérité et d'authenticité que la reconnaissance abstraite des Soviets, non fondée sur l'expérience révolutionnaire. On ne peut que se ridiculiser, en traitant Blum de "fasciste". Mais qui ne méprise ni ne hait cette engeance politique n'est pas un révolutionnaire.
Le SAP se démarque du "camarade" Otto Bauer dans la limite où Max Adler le fait. Pour Rosenfeld et Seydewitz, Bauer n'est qu'un adversaire idéologique, peut-être même temporaire, alors que pour nous, c'est un ennemi irréductible, qui a conduit le prolétariat d'Autriche dans un marais effrayant.
Max Adler est un baromètre centriste assez sensible. On ne peut nier l'utilité d'un tel instrument, mais il faut bien se persuader que s'il enregistre le changement de temps, il est incapable d'influer sur lui. Du fait de la situation sans issue du capitalisme, Max Adler est à nouveau prêt, non sans une douleur philosophique, à reconnaître que la révolution est inévitable. Mais quel aveu ! Que de réserves et de soupirs ! La meilleure solution aurait été que la IIe et la IIIe Internationale s'unissent. La solution la plus avantageuse aurait été d'introduire le socialisme par la voie démocratique. Mais, hélas, ce moyen est visiblement irréalisable. Il est évident que dans les pays civilisés, et non plus seulement dans les pays barbares, les ouvriers doivent, hélas, trois fois hélas, faire la révolution Mais même cette acceptation mélancolique de la Révolution n'est que de la littérature. L'histoire n'a pas connu et ne connaîtra jamais de situation telle que Max Adler puisse dire : " L'heure a sonné ! " Les hommes comme Adler sont capables de justifier la révolution dans le passé, de la reconnaître comme inévitable dans le futur, mais ils sont incapables d'y appeler dans le présent. Il n'y a rien à espérer de tout ce groupe de vieux sociaux-démocrates de gauche, que ni la guerre impérialiste, ni la Révolution russe n'ont fait évoluer. Comme instrument barométrique, passe encore. Comme chef révolutionnaire, jamais !
A la fin du mois de décembre, le SAP a adressé à toutes les organisations ouvrières un appel pour organiser dans tout le pays des réunions, où les orateurs de toutes les tendances disposeraient du même temps de parole. Il est évident qu'on n'arrivera à rien en s'engageant sur cette voie. En effet, quel sens y aurait-il pour le Parti communiste et le parti social-démocrate de partager à égalité la tribune avec Brandler, Urbahns, et autres représentants d'organisations et groupes trop insignifiants pour prétendre occuper une place particulière dans le mouvement ? Le front unique est l'unité des masses ouvrières communistes et sociales-démocrates et non un marché entre groupes politiques sans aucune base de masse.
On nous dira : le bloc de Rosenfeld-Brandler-Urbalins n'est qu'un bloc de propagande pour le front unique. Mais c'est précisément dans le domaine de la propagande qu'un tel bloc est inadmissible. La propagande doit s'appuyer sur des principes clairs, sur un programme précis. Marcher séparément, frapper ensemble. Le bloc n'est créé que pour des actions pratiques de masse. Les transactions au sommet sans base de principe ne mènent à rien, sauf à la confusion.
L'idée de présenter aux élections présidentielles un candidat du front unique ouvrier est une idée fondamentalement erronée. Le parti n'a pas le droit de renoncer à mobiliser ses partisans et à compter ses forces lors des élections. Une candidature du parti qui s'oppose à toutes les autres candidatures ne peut en aucun cas constituer un obstacle à un accord avec d'autres organisations pour les objectifs immédiats de la lutte. Les communistes, qu'ils soient ou non dans le parti officiel, soutiendront de toutes leurs forces la candidature de Thaelmann. Il ne s'agit pas de Thaelmann personnellement, mais du drapeau du communisme. Nous le défendrons contre tous les autres partis. En détruisant les préjugés, inoculés aux communistes de la base par la bureaucratie stalinienne, l'opposition de gauche se fraie un chemin vers leur conscience [2].
Quelle fut la politique des bolcheviks en ce qui concerne les organisations ouvrières et les "partis" qui s'étaient développés sur la gauche du réformisme ou du centrisme vers le communisme ?
A Pétrograd, en 1917, il existait une organisation inter-rayons qui comptait environ quatre mille ouvriers. L'organisation bolchevique regroupait à Pétrograd des dizaines de milliers d'ouvriers. Néanmoins, le comité des bolcheviks de Pétrograd se mettait d'accord sur toutes les questions avec les inter-rayons, les tenait au courant de leurs plans et facilita ainsi la fusion complète des deux organisations.
On peut répondre à cela que les inter-rayons étaient politiquement proches des bolcheviks. Mais il ne s'agissait pas seulement des inter-rayons. Quand les mencheviks internationalistes (le groupe de Martov) s'opposèrent aux sociaux-partriotes, les bolcheviks firent tout pour arriver à des actions communes avec les martoviens ; si dans la majorité des cas, ce fut un échec, la faute n'en incombe nullement aux bolcheviks. Il faut ajouter que les mencheviks-intemationalistes restaient formellement membres du même parti que Tseretelli et Dan.
La même tactique, mais à une plus grande échelle, fut adoptée à l'égard des socialistes révolutionnaires de gauche. Les bolcheviks entraînèrent une partie des socialistes révolutionnaires de gauche jusque dans le Comité militaire révolutionnaire, c'est-à-dire l'organe de l'insurrection, bien qu'à cette époque les socialistes révolutionnaires de gauche fussent toujours membres du même parti que Kérensky, contre lequel l'insurrection était directement dirigée. Evidemment, ce n'était pas très logique de la part des socialistes révolutionnaires de gauche, cela prouvait que tout n'était pas en ordre dans leur tête. Mais s'il fallait attendre que tout soit en ordre dans toutes les têtes, il n'y aurait jamais de révolution victorieuse. Les bolcheviks formèrent par la suite avec le parti des socialistes révolutionnaires de gauche (des "kornilovistes" de gauche ou des "fascistes" de gauche selon la terminologie actuelle) un bloc gouvernemental qui se maintint quelque mois et ne prit fin qu'après le soulèvement des socialistes révolutionnaires de gauche.
Lénine résumait ainsi l'expérience des bolcheviks en ce qui concerne les centristes de gauche : " La tactique juste des communistes doit consister à utiliser ces hésitations et non à les ignorer; leur utilisation exige que l'on fasse des concessions aux éléments qui se tournent vers le prolétariat, et cela seulement dans la mesure et au moment où ils se tournent vers lui; parallèlement il faut lutter contre ceux qui se tournent vers la bourgeoisie... En prenant une décision trop précipitée : "Aucun compromis, aucun louvoiement", on ne peut que nuire au renforcement du prolétariat révolutionnaire..." La tactique des bolcheviks dans cette question n'a jamais rien eu de commun avec l'ultimatisme bureaucratique !
Il n'y a pas si longtemps non plus que Thaelmann et Remmele eux-mêmes étaient dans le parti indépendant. S'ils font un effort de mémoire, ils auront peut-être la chance de se rappeler leur état politique dans les années où, ayant rompu avec la social-démocratie, ils adhérèrent au parti indépendant et lui donnèrent une impulsion à gauche. Qu'auraient-ils fait si quelqu'un leur avait dit alors, qu'ils représentaient seulement "l'aile gauche de la contre-révolution monarchique" ? Ils auraient vraisemblablement conclu que leur accusateur était ivre ou fou. Et pourtant, c'est précisément ainsi qu'ils définissent aujourd'hui le SAP !
Rappelons les conclusions que tira Lénine de l'apparition du parti indépendant : "Pourquoi en Allemagne le déplacement des ouvriers de la droite vers la gauche, glissement absolument identique à celui qu'a connu la Russie en 1917, a-t-il amené non le renforcement immédiat des communistes, mais d'abord celui du parti intermédiaire des "indépendants"... Il est évident que l'une des causes en fut la tactique erronée des communistes allemands, qui doivent sans crainte et loyalement reconnaître cette erreur et apprendre à la corriger... Cette erreur est l'une des nombreuses manifestations de la maladie infantile, le "gauchisme", qui s'est maintenant déclarée au grand jour; elle n'en sera que mieux saignée, plus vite et avec un plus grand profit pour l'organisme." On dirait que c'est écrit directement pour la situation actuelle !
Le Parti communiste allemand est aujourd'hui beaucoup plus puissant que l'Union spartakiste d'alors. Mais si maintenant une deuxième mouture du parti indépendant, en partie avec la même direction, apparaît, la faute du Parti communiste n'en est que plus grave.
L'apparition du SAP est un phénomène contradictoire. Il aurait mieux valu, évidemment, que les ouvriers adhèrent directement au Parti communiste. Mais pour cela, le Parti communiste aurait dû avoir une autre politique et une autre direction. Il faut juger le SAP non à partir d'un Parti communiste idéal, mais du parti tel qu'il est en fait. Dans la mesure où le Parti communiste restait sur les positions de l'ultimatisme bureaucratique et s'opposait aux forces centrifuges à l'intérieur de la social-démocratie, l'apparition du SAP était inévitable et progressiste.
Mais l'existence d'une direction centriste limite considérablement ce caractère progressiste du SAP. Si une telle direction se stabilise, le SAP est perdu. Accepter le centrisme du SAP au nom du rôle globalement progressiste de ce parti reviendrait à liquider ce rôle progressiste.
Les éléments conciliateurs qui se trouvent à la tête du parti et qui savent manœuvrer, s'efforceront par tous les moyens de masquer les contradictions et de retarder la crise. Ces moyens seront efficaces jusqu'à la première poussée sérieuse des événements. La crise du parti risque de se développer au plus fort de la crise révolutionnaire et de paralyser les éléments prolétariens.
La tâche des communistes est d'aider les ouvriers du SAP à nettoyer suffisamment tôt leurs rangs du centrisme et à se débarrasser de leur direction centriste. Pour cela, il faut ne rien passer sous silence, ne pas prendre les bonnes résolutions pour des actions et appeler chaque chose par son nom. Par son nom et non par un nom inventé de toutes pièces. Critiquer et non calomnier. Chercher un rapprochement et non repousser brutalement.
Au sujet de l'aile gauche du parti indépendant, Lénine écrivait : "Il est absolument ridicule d'avoir peur d'un " compromis " avec cette aile du parti. Au contraire, les communistes doivent chercher et trouver la forme adéquate de compromis avec elle, un compromis qui, d'une part, faciliterait et hâterait la fusion complète et indispensable avec cette aile, et qui, d'autre part, ne gênerait en rien les communistes dans leur lutte idéologique et politique contre l'aide opportuniste droitière des "indépendants". " Aujourd'hui, il n'y a presque rien à ajouter à cette directive tactique.
Nous disons aux éléments de gauche du SAP : "Les révolutionnaires se trempent non seulement dans les grèves et les combats de rue, mais aussi et avant tout dans la lutte pour une politique juste de leur propre parti. Prenez les "vingt et une conditions", élaborées en leur temps pour accepter de nouveaux partis dans l'Internationale communiste. Prenez les travaux de l'opposition de gauche, où les "vingt et une conditions" sont utilisées pour analyser l'évolution de la situation au cours des huit dernières années. A la lumière de ces "conditions", lancez une attaque systématique contre le centrisme dans vos propres rangs et menez-la à son terme. Autrement, il ne vous restera qu'à jouer le rôle peu glorieux de caution de gauche du centrisme."
Et ensuite? Ensuite, il faut se tourner du côté du Parti communiste allemand. Les révolutionnaires ne se situent nullement à mi-chemin entre la social-démocratie et le Parti communiste, comme le voudraient Rosenfeld et Seydewitz. Non, les chefs sociaux-démocrates sont les agents de l'ennemi de classe dans le prolétariat. Les chefs communistes sont des révolutionnaires ou des demi-révolutionnaires confus, mauvais, maladroits, fourvoyés. Ce n'est pas la même chose. Il faut détruire la social-démocratie, mais il faut redresser le Parti communiste. Vous dites que c'est impossible ? Mais avez-vous essayé sérieusement de vous mettre à la tâche.
Alors que les événements font pression sur le Parti communiste, il nous faut maintenant aider les événements par la pression de notre critique. Les ouvriers communistes nous prêteront une oreille d'autant plus attentive qu'ils se convaincront dans les faits que nous ne voulons pas créer un " troisième parti ", mais que nous nous efforçons sincèrement de les aider à faire du Parti communiste existant le véritable dirigeant de la classe ouvrière.
- Et si cela ne réussit pas ?
- Si cela ne réussit pas, cela signifie, presque à coup sûr, dans la situation historique donnée, la victoire du fascisme.
Mais avant les grands combats, un révolutionnaire ne demande pas ce qui se passera en cas d'échec, il demande comment faire pour que cela réussisse. Cela est possible, cela est réalisable, par conséquent cela doit être fait.
Notes
[1] SAP : Sozialistische Arbeiterpartei (Parti Socialiste Ouvrier). Organisation centriste, née d'une scission de l'aile gauche du Parti Social-Démocrate; en 1932, fusionne avec la minorité du KPDO (Parti communiste Allemand d'opposition); membre avec d'autres groupes sociaux-démocrates de gauche de l'Union Internationale du Travail; par la suite, membre dirigeant du Bureau de Londres pour l'unité des socialistes révolutionnaires; après la guerre, la majorité de ses membres sont retournés au parti social-démocrate
[2] Malheureusement, la revue Permanente Revolution a publié un article qui, il est vrai, n'émane pas de la rédaction, pour la défense du candidat unique ouvrier. Il ne peut y avoir de doute que les bolcheviks-léninistes allemands rejetteront une telle position.