1932 |
Une série de lettres de Trotsky, surtout à son fils L. Sedov : l'activité quotidienne à l'aube de la prise du pouvoir par Hitler. |
Œuvres - janvier 1932
Lettre à L. Sedov
Mon cher Ljova,
La seconde lettre de Francfort contient des informations d'une importance politique exceptionnelle. Surtout elle me donne une foule de faite et observations vivantes qui m’ont permis de me faire une idée de ce qui se passe dans la classe ouvrière. Jusqu'à maintenant je n'ai rien reçu de semblable de notre milieu officiel. Les auteurs de la lettre se considèrent comme nos partisans sans réserve. Ils proclament que " les trotskystes " sont en majorité dans la direction de l'organisation de Francfort du S.A.P. Ils parlent officiellement en cette qualité aux réunions de discussion du P.C. Ils ont la permission de parler, puisqu'ils représentent formellement les ouvriers social-démocrates de gauche. Selon ce qu'ils disent, dans les cours donnés aux fonctionnaires, seulement des conférences " trotskystes ", exclusivement basées sur la littérature trotskyste. L’organisation étudiante communiste a créé une organisation générale avec les étudiants du S.A.P. et la s(ocial)-d(émocratie). Selon leurs propos, la majorité des l'organisation étudiante est formée de " trotskystes conscients ou inconscients " qui sont déjà entrés en conflit aigu avec la direction officielle du P.C. Il serait facile de penser que ce tableau a été embelli si la lettre n'était pas pleine de détails pittoresques et vivants. Concernant l'Opposition de gauche officielle à Berlin, les auteurs de la lettre disent qu’on en entend très peu parler.
A propos, ils m’ont envoyé en une seule fois pas mal de coupures de presse et m'ont proposé de m'envoyer d'autres matériaux ; notre organisation a été incapable de faire cela, bien qu’elle me réclame articles et brochures. La chose la plus étonnante cependant est que jusqu'à présent, notre organisation n'a pas la moindre compréhension de ce qui se passe à Francfort et sans doute dans de nombreux endroits d'Allemagne.
Au nom de tous nos partisans, les auteurs de la lettre proposent que j'adresse un manifeste à la classe ouvrière allemande, auquel ils promettent d'assurer la diffusion la plus large et m'assurent qu'il aura un écho considérable. Cette initiative est très responsable et on ne peut en décider après la vérification et les préparatifs nécessaires. Comme le temps n'attendra pas, il faut que vérification et préparatifs se fassent aussi vite que possible. Je vois ainsi ce plan d'action : Erwin va à Francfort pour faire leur connaissance, réunir le plus d'impressions et d'informations les plus précises que possible, et me les communiquer tout de suite. Le but pratique immédiat : s'assurer qu'un représentant autorisé des gens de Francfort vienne ici. Si nous avions un autre groupe de nos partisans quelque part en Allemagne, il serait souhaitable qu'il y ait aussi un second représentant ce qui donnerait une certaine assurance contre les accidents. Ils pourraient venir ici en février, en même temps que Seipold. Peut-être qu'Erwin aussi pourrait venir ici quelques jours avec eux. Ce genre de conférence aurait pour moi personnellement et je pense pour la cause une importance irremplaçable et incalculable. C'est seulement à une telle conférence qu’on pourrait décider de la question du " manifeste " etc. L'apparition sur la scène de ces gens de Francfort ouvre un nouveau chapitre de l'évolution de l'Opposition de gauche.
On peut s'attendre à envie, résistance et méfiance de la part des sectaires endurcis. Il faudra surmonter cela. La question du voyage ici d’une à trois personnes va naturellement poser la question financière. S'ils sont suffisamment à l'aise pour pouvoir payer les frais de voyage, tant mieux. Si non, et si cette question peut avoir une importance décisive pour le voyage lui-même, il sera nécessaire de venir à leur aide d'une façon ou d'une autre. Ils pourront vivre avec nous naturellement dans le nouvel appartement qui est plus spacieux que celui que nous avons maintenant. Bien entendu il ne s'agit de venir que quelques jours, puisque ce n'est guère le moment maintenant de quitter l'Allemagne pour longtemps. La question est ultra-urgente. J'insiste pour qu’Erwin vienne parce que c’est un Allemand et [qu’il] connaît le peuple et les conditions. Pour cela Well n'a aucune utilité: il a toujours quelque idée périphérique qu'il est incapable de formuler mais qui conduit infailliblement à nuire à la cause. Si le voyage d'Ervin se révèle infaisable, peut-être Seipold peut-il venir pour voir si quelqu'un peut venir et exactement qui et organiser un voyage en commun.
Za Industrializatsiu et Ekonomicheskaia Jizn ont commencé à arriver. Comme avant, il n'y a ni publications ni matériaux allemands ( si on ne tient pas compte du Berliner Tageblatt).
De toute évidence, Frank ne laisse pas passer une seule occasion de faire une bêtise. Il est en train de mener une bataille contre le groupe juif, contre Naville et Gérard et sans avoir mené ce combat jusqu'au bout, il s'est empressé de déclencher une lutte frénétique contreTreint - basé sur sa propre clairvoyance quant aux trahisons futures de Treint.
Tu sais probablement que sans même essayer de trouver un accord avec Treint, Frank a déposé à la commission exécutive une motion pour exclure Naville et Gérard (pour leur intention de publier un bulletin intérieur au nom du district de Paris). Frank a choisi l'occasion la moins favorable, ne s'est entendu avec personne et a honteusement échoué. Un tel allié est littéralement plus dangereux qu'un ennemi. Au secrétariat administratif, il capitule sur toutes les questions de principe alors qu'à la commission exécutive de la Ligue il bondit sans préparatifs et échoue. A ces brillants talents stratégiques il faut évidemment ajouter un effroyable entêtement : il n’écoute les conseils de personne. Il ne réagit à aucun argument, agit comme s'il avait fait le pari de faire le plus possible de choses stupides dans le délai le plus bref possible.
La Ligue peut ressusciter à la suite de quelque poussée de l'extérieur - plus vraisemblablement d'Allemagne. Là le lien décisif en ce moment - selon toutes apparences – n’est pas à Berlin, mais à Francfort. Je le répète, je n'ai pas une seule fois en ces trois années -ni d'Urbahns, ni de Landau, ni des nouveaux dirigeants de l'Opposition - jamais reçu une seule lettre même très éloignée - aussi bourrée de faits et d'idées - que la lettre de Francfort. Il faut tourner son attention vers cet angle. Il faut essayer, et juste maintenant -de poser la question - avec leur participation et leur collaboration - d'un hebdomadaire. C’est vital en Allemagne juste maintenant.