1931 |
Brochure rééditée dans les "Ecrits" de Trotsky, tome III, Supplément à la revue "4ème Internationale", 1959 |
Contre le national-communisme
(les leçons du plébiscite "rouge")
Comment tout est mis sens dessus dessous
Quand ces lignes seront connues des lecteurs, elles auront peut-être vieilli dans certaines parties. Grâce aux efforts de l'appareil stalinien et avec l'appui amical de tous les gouvernements bourgeois, l'auteur de ces lignes est placé dans de telles conditions qu'il ne peut réagir sur les événements politiques autrement qu'avec un retard de quelques semaines. A cela, il faut encore ajouter que l'auteur est obligé de s'appuyer sur une information qui est loin d'être complète. Le lecteur doit en tenir compte. Mais il faut essayer de tirer, même d'une situation peu commode, quelques avantages. N'ayant pas la possibilité de réagir sur les événements au jour le jour, dans tout leur aspect concret, l'auteur est obligé de concentrer son attention sur les points fondamentaux et sur les questions cruciales. Là est la justification du présent travail.
Comment tout est mis sens dessus dessous
Les erreurs du P.C. allemand dans la question du plébiscite appartiennent à la catégorie de ces erreurs qui deviennent de plus en plus évidentes et qui entreront définitivement dans les manuels de la stratégie révolutionnaire comme des exemples de ce qu'on ne doit pas faire.
Dans l'attitude du Comité Central du P.C. allemand, tout est erroné : l'appréciation de la situation est fausse, le but immédiat est posé d'une manière fausse, les moyens choisis pour l'atteindre sont faux. Chemin faisant, la direction du Parti s'est ingéniée à renverser tous les "principes" qu'elle défendait durant ces dernières années.
Le 21 juillet, le C.C. s'est adressé au gouvernement prussien avec des revendications démocratiques et sociales, menaçant, en cas de refus, de prendre la défense du référendum. En mettant en avant ces revendications, la bureaucratie stalinienne s'est adressée effectivement au sommet du Parti social-démocrate avec des propositions, sous certaines conditions, de front unique contre le fascisme. Après que la social-démocratie eut rejeté ces conditions, les staliniens firent le front unique avec les fascistes contre la social-démocratie. La politique de front unique se fait donc non seulement " par en bas ", mais aussi "par en haut ". Il est donc permis à Thaelmann de s'adresser à Braun et à Severing par une " lettre ouverte " pour la défense commune de la démocratie et de la législation sociale contre les bandes de Hitler. Ainsi, ces gens, sans s'en apercevoir, démolissent toute leur métaphysique du front unique " rien que par en bas " à l'aide de l'expérience la plus inepte et la plus scandaleuse de front unique rien que par en haut, expérience inattendue pour les masses et contraire à la volonté des masses.
Si la social-démocratie ne représente qu'une variété de fascisme, comment peut-on présenter aux sociaux-fascistes une demande officielle de défense commune de la démocratie ? En empruntant le chemin du référendum, la bureaucratie du parti n'a posé aucune condition aux nationaux-socialistes. Pourquoi ? Si les sociaux-démocrates et les nationaux-socialistes ne représentent que des nuances du fascisme, pourquoi peut-on poser des conditions à la social-démocratie et ne peut-on pas les poser aux nationaux-socialistes ? C'est qu'il existe quelques différences importantes de qualité entre ces deux " variétés", tant en ce qui concerne leur méthode de duper les masses ? Mais alors, n'appelez pas fascistes les uns et les autres, car les termes, en politique, servent à distinguer les choses et non à mettre tout dans le même sac.
Est-il cependant juste de dire que Thaelmann a conclu un front unique avec Hitler ? La bureaucratie communiste a donné au référendum de Thaelmann le nom de " rouge ", par opposition au plébiscite noir ou brun de Hitler. Il est évidemment hors de doute qu'il s'agit de deux partis ennemis irréductibles, et tous les mensonges de la social-démocratie n'arriveront pas à le faire oublier aux ouvriers. Mais le fait est là : dans une campagne déterminée, la bureaucratie stalinienne entraîna les ouvriers révolutionnaires dans un front unique avec les nationaux-socialistes contre la social-démocratie. Si, du moins, on avait pu sur le bulletin de vote marquer le nom du parti auquel appartient le votant, le référendum aurait eu cette justification (politiquement tout à fait insuffisante dans le cas donné) de permettre de compter ses forces et du même coup, de se différencier des forces du fascisme. Mais la " démocratie " bourgeoise n'a pas eu soin, à Weimar, d'assurer le droit aux partisans du référendum, de marquer le nom de leur parti. Tous les votants sont mêlés indistinctement dans la masse qui donne à une question déterminée la même réponse. Dans les cadres de cette question, le front unique avec les fascistes est en fait incontestable.
Ainsi, du jour au lendemain, tout fut renversé sens dessus dessous.