1930 |
La lettre suivante, à l'origine en russe, n'a été trouvée que récemment [à la date du 18 Octobre 2017] dans les dossiers de la police sur Andres Nin, aux Archives historiques nationales de Madrid (Ministerio de gobernación, policía [histórico], h.394). Mise en ligne en anglais par 'In defense of Marxism'. Traduction MIA. |
Œuvres - octobre 1930
Lettre à A. Nin
Cher ami !
J'ai reçu votre lettre du 23 octobre, après beaucoup d'attente et avec une grande joie. Votre long silence, bien sûr, est parfaitement compréhensible, et ne peut s'expliquer que par les raisons que vous précisez. Dans le Bulletin de l'opposition espagnole, qui paraît à New York, il est dit qu'immédiatement à votre arrivée, vous avez eu toutes sortes d'ennuis de la part des autorités nationales. C'est ainsi que j'avais expliqué votre silence, et je suis content de voir que ce n'est pas le cas.
Les conditions de votre bannissement, je ne les connais qu'en termes vagues. Ce serait bien si vous pouviez écrire à ce sujet en détail : cela peut être utile de faire figurer ce récit dans mes archives.
La correspondance jointe à votre lettre m'intéresse beaucoup. J'espère ardemment que vous enverrez une suite, car je suis très mal informé sur ces événements. Je vous prie de me dire tout ce que vous savez sur les soulèvements paysans et les événements sanglants de Riazan. Les compte-rendus existants, provenant de sources de seconde et même de troisième main, doivent être vérifiés et complétés. Vos récits sont précieux surtout parce qu'ils fournissent non seulement des faits bruts, mais aussi certaines nuances psychologiques et politiques, dont je ne dispose, souvent , que trop peu.
Les plaintes des Smirnovistes sur la façon dont nous avons « exposé » leur plan ingénieux pour tromper le Parti, la classe ouvrière et les intérêts de l'Opposition, sont vraiment curieuses. En réalité, ces gens ont seulement essayé de tromper l'Opposition et les membres de leur propre groupe : ils voulaient créer un abri "noble" et "révolutionnaire" pour les capitalistes, prévoyant à juste titre que s'ils diluaient l'acte même de capitulation, dans l'avenir personne ne vérifierait ni ne pourrait vérifier si ceux qui ont capitulé ont effectivement rempli leurs engagements ou non. Aussi, j'attends avec impatience la suite de votre correspondance.
Maintenant quelques mots sur les affaires de France. Plusieurs camarades français m'ont rendu visite récemment, dont Naville et Molinier, c'est-à-dire les représentants les plus actifs des deux groupes qui s'affrontent. Nous avons discuté de toutes les questions de manière très approfondie et sommes parvenus à l'unanimité à une sorte d'accord, qui devrait faciliter la poursuite des travaux et, en particulier, la préparation ordonnée de la conférence. Le travail en France va bien, mais une scission voire une lutte interne prolongée pourrait paralyser longtemps le travail de la Ligue. Je veux espérer que cela n'arrivera pas.
Récemment, il est devenu clair que le groupe le plus fort de l'opposition se trouve en Grèce. Vous le verrez bientôt apparaître dans le sommaire de la presse de l'Opposition. L'organisation a une certaine influence dans les syndicats, comptant dans ses rangs 500 ouvriers (10.000 sous son influence dans les syndicats.
En ce qui concerne la situation générale dans les rangs du communisme, et de l'Espagne en particulier, j'espère lire prochainement votre article ou série d'articles dans la presse de l'Opposition. Ce que j'ai écrit à ce sujet est beaucoup trop général. Ne connaissant pas très bien la situation dans le pays, j'ai dû me fier à des informations de seconde main qui sont de toute façon très rares. Le camarade Lacroix m'écrivit alors qu'il n'était pas d'accord avec certaines parties de mon article. Je n'ai pas lancé de polémique car je ne me sentais pas suffisamment fondé pour le faire. Quant à la question espagnole, ainsi qu'à d'autres problèmes politiques actuels, je prévois de les aborder dans un avenir proche, après avoir terminé enfin un livre d'histoire, j'espère dans le courant de la semaine prochaine. J'espère pouvoir compter sur votre aide en ce qui concerne l'Espagne. Tout d'abord, j'aimerais entendre de votre part des informations plus détaillées sur chacun des groupes et organisations communistes. Quelle est la plateforme de chacun d'eux ? Pour quels motifs et dans quelles circonstances ont-ils été exclus du Parti ? En particulier, de laquelle de ces organisations Maurin fait-il partie ? Dans quel but a-t-il publié le rapport honteusement ignorant de Staline à la [conférence des] agronomes marxistes ?
Vous écrivez que l'Opposition de gauche est faible en Catalogne. Qu'en est-il des autres provinces ?
A votre question la plus importante, sur l'unification des diverses organisations communistes, je ne peux pas donner de réponse parce que je ne sais rien d'aucune d'entre elles. En tout état de cause, cette question doit être abordée dans une perspective internationale.
Vous connaissez probablement le camarade tchèque Michalec. Je suis en correspondance avec lui depuis longtemps. Il se considère comme un de nos co-penseurs, mais estime en même temps nécessaire de regrouper toutes les oppositions au sein d'une même organisation. En pratique, cela signifie une union avec l'Opposition de droite, qui fait partie de l'organisation internationale de Brandler. En plein accord avec nos amis tchèques, je me suis prononcé contre ce plan. Bien sûr, nous pouvons créer nos propres cellules dans l'opposition de droite, qui se vante d'un régime interne de démocratie et d'« opinions libres ». Mais ce travail ne peut aboutir qu'avec l'indépendance complète de notre propre organisation. Il serait impardonnable de se soumettre à la discipline de l'opposition de droite – qui jouae elle-même le rôle d'une opposition double. C'est dans cet esprit que j'ai répondu au camarade Michalec. Il n'a pas pu me convaincre. Finalement, il n'a pas rejoint l'Opposition de gauche, et collabore plutôt avec la droite, travaillant dans le journal de Neurath, où il traduit certains de mes articles, s'opposant cependant à notre intransigeance envers l'Opposition de droite.
Je donne cet exemple que je n'utilise en aucun cas pour tirer des conclusions concernant l'Espagne, surtout en l'absence des faits nécessaires. Je voulais juste illustrer par cet exemple l'importance des considérations internationales pour nous sur cette question.
À propos de mes livres. Je serai bien sûr très heureux de vous fournir tous les droits d'édition, que vous détiendrez vous-même. Cela s'applique à mon Histoire de la Révolution Russe. La supervision des traductions étrangères est de la responsabilité de mon traducteur allemand. J'espère qu'il n'a pas encore confié l'édition espagnole à quelqu'un. Je vais lui envoyer une demande à ce sujet aujourd'hui.
Je ne peux malheureusement pas vous envoyer « Comment la Révolution s’est armée » pour le moment, car je n'en ai qu'un seul exemplaire, qui est pour moi d’une nécessité absolue pour la suite de mon travail historique. Je vais essayer d'obtenir un deuxième exemplaire, même si c'est maintenant extrêmement difficile, car les staliniens sont partis en croisade contre mes livres.
Au fait, est-ce que mon livre sur l’Espagne a été publié en espagnol ? J'ai reçu une demande de l'éditeur pour écrire l'avant-propos il y a longtemps. En fait, l'éditeur vous a cité. J'accédai immédiatement à sa demande et lui envoyai une préface par courrier recommandé. Je n'ai reçu aucune réponse de sa part. Nous nous sommes interrogés une seconde fois sur le sort du livre et de la préface, mais en vain.
Vous brossez un tableau assez sombre de la situation de l'Opposition de gauche en URSS. Bien sûr, je ne me fais pas d'illusions moi-même à ce sujet. Cependant, l'autre jour, nous avons reçu une lettre de la Russie, qui décrit la situation comme n'étant pas si sombre. L'écrivain semble mieux connaître les provinces que Moscou. Il a écrit sur la sympathie croissante pour nous dans les usines et sur la nécessité pour nous d’agir avec des tactiques plus audacieuses et plus déterminées.
Le magazine allemand « Der Communiste » s'est vu promettre votre correspondance. Leur enverrez-vous la même correspondance que vous m'avez envoyée ? Le fait est que je veux préparer un extrait de votre correspondance pour le prochain numéro du Bulletin, car sa publication entière serait à bien des égards déconseillée. Mais si l'édition allemande reçoit la même correspondance (ce dont je doute), alors l'impression des extraits serait doublement indésirable car nous pourrions avoir des extraits en russe qui ne correspondraient pas. Merci de me donner les éclaircissements nécessaires à ce sujet.
Votre « tournée » de conférences en Espagne m'intéresse beaucoup. S'il vous plaît écrivez-moi à ce sujet plus en détail.
Vous n'écrivez rien sur votre santé. Entre-temps, si je ne me trompe pas, vous avez subi une seconde opération après avoir reçu ma lettre. Quels sont les résultats ? Comment vous êtes-vous installé à Barcelone ? Comment votre famille s'est-elle adaptée à Barcelone ? Les enfants doivent être heureux dans ce climat béni. Je me souviens que nos garçons étaient ravis à Barcelone, surtout avec l'abondance de fruits.
Salutations cordiales à votre femme et à vos enfants de la part de nous tous.
TROTSKI