1925 |
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Vers le capitalisme ou vers le socialisme ?
Août-septembre 1925
Chapitre Cinq
Le développement socialiste et la puissance du marché mondial
Du point de vue de l'économie sociale, en opposition avec le point de vue de l’économie privée, des valeurs-papiers ne peuvent pas, en elles-mêmes, hâter l’essor de la production, pas plus que l’ombre d’un homme ne saurait agrandir sa taille. Du point de vue de l'économie mondiale, la question se pose d'une manière différente. Les billets de banque américains en eux-mêmes ne peuvent pas produire un seul tracteur; mais si un bon nombre de ces billets de banque appartient à l’État soviétique, alors on peut importer des tracteurs des États-Unis.
En face de l’économie mondiale capitaliste, l’État soviétique se comporte comme un propriétaire privé gigantesque : il exporte ses marchandises, en importe d’étrangères, il use de son crédit, il achète des moyens techniques à l’étranger; finalement il attire le capital étranger sous forme de sociétés mixtes et de concessions.
Le processus de « reconstruction » nous a aussi rétabli dans nos droits au marché mondial. II ne faut vraiment pas oublier un seul instant la grande dépendance qui existait entre l’économie de la Russie capitaliste et le capital mondial. Il suffit de rappeler que presque les deux tiers de notre outillage d’usines et d'établissements de toutes sortes étaient importés de l’étranger. C’est une proportion qui, aujourd'hui encore, n’a pas considérablement varié. Cela signifie qu’il ne sera sans doute pas économiquement avantageux pour nous de produire, dans notre pays et dans les prochaines années, plus qu’environ deux cinquièmes, ou tout au plus, la moitié de l’outillage. Si nous voulions engager d’un seul coup nos moyens et nos forces dans la production de nouvelles machines, nous déplacerions les relations nécessaires entre les différentes branches de l’économie et entre le capital de base et le capital de roulement dans une seule branche de l’économie, ou bien — si nous conservions intactes ces relations — nous diminuerions beaucoup l'allure de la croissance économique. Cependant, un ralentissement de l’allure est beaucoup plus dangereux pour nous que l’importation de machines étrangères, ainsi qu’en général de toutes les machines nécessaires.
Nous empruntons la technique étrangère, les directives pour la production, étrangères. De plus en plus, les ingénieurs de chez nous partent en Europe et en Amérique, et ceux d’entre eux qui en sont capables rapportent de là-bas tout ce qu'il faut pour hâter notre relèvement économique. Nous allons de plus en plus vers l’acquisition, vers l’achat direct de l’aide technique étranger, en alliant nos trusts à des firmes étrangères éminentes qui prennent l’engagement de développer chez nous, dans l’espace d’un temps donné, la production de certains produits.
L’importance décisive qu’a le commerce extérieur pour notre agriculture est évidente. L’industrialisation, et, par suite, la collectivisation de l'agriculture, progressera parallèlement. à la croissance de notre exportation. En échange de produits agricoles, nous obtenons des machines agricoles ou des machines pour la production de machines agricoles.
Mais il ne s’agit pas seulement de machines. Chaque produit étranger qui comble un vide quelconque dans notre système économique, que ce soit en matières premières, en objets à demi-confectionnés ou en objets usuels, peut, dans certaines circonstances hâter l’allure de notre construction économique, et, en même temps, la faciliter. L’importation d’articles de luxe et d’objets usuels de nature parasitaire, ne peut naturellement que contribuer à ralentir notre développement. Par contre, l'importation de certains objets usuels se faisant à temps opportun, et dans la mesure où ceux-ci servent à établir l’équilibre nécessaire sur le marché et à remplir les lacunes du budget ouvrier ou paysan, hâtera certainement notre évolution économique générale.
Le commerce extérieur, dirigé par l’État qui achève avec la souplesse nécessaire le travail de l'industrie étatique et du commerce intérieur, constitue un instrument puissant pour l’accélération de notre essor économique. Le commerce extérieur aura naturellement une action très féconde, d’autant plus grande que son crédit multipliera ses possibilités sur le marché mondial.
Quel rôle le crédit étranger joue-t-il dans le développement de notre économie ? Le capitalisme nous accorde des avances sur cette accumulation qui n'existe pas encore, et que notre tâche est de créer, dans un, ou deux, ou cinq ans. De cette manière, la base de notre évolution dépasse le cadre des ressources matérielles que nous avons rassemblées jusqu'à ce jour. Si nous pouvons hâter le processus de production à l'aide d’une « recette » de la technique européenne, nous le pourrons encore mieux à l'aide d’une machine européenne ou américaine que nous pouvons obtenir à crédit. La dialectique du développement historique oblige le capitalisme à être pour un certain temps le créancier du socialisme. Du reste, le capitalisme ne s’est-il pas engraissé aux dépens de l’économie féodale ? Une dette historique exige l’amortissement.
L'existence des concessions est aussi la conséquence de ce point de vue. La concession réside en ceci : apporter chez nous un outillage et des méthodes de production étrangères, et les avances faites à notre économie par l'accumulation du capital mondial. Dans quelques branches industrielles, les concessions peuvent et doivent prendre une plus grande importance. Il est inutile de dire qu’avec la politique des concessions, les mêmes barrières subsistent, pour nous comme pour le capital privé en général : l’État garde en son pouvoir les moyens de contrôle, et veille avec sévérité à ce que la prédominance décisive de l’industrie étatique sur l’industrie « concédée » soit assurée. Mais à l'intérieur de ces limites, les portes restent largement ouvertes à la politique des concessions.
C’est aussi de ce point de vue que sont possibles, comme « couronnement » de tout le système, les emprunts nationaux. Un emprunt national est la forme la plus pure d’une avance consentie sur notre accumulation socialiste future. L’or réuni, grâce aux emprunts, assure, puisqu’il est la marchandise par excellence, la possibilité d'acheter à l’étranger des produits tout faits, des matières premières, des machines, des brevets, et de faire venir d’Europe et d'Amérique les meilleurs ingénieurs et techniciens.
De tout ce que nous avons dit jusqu’à présent, résulte pour nous la nécessité de nous orienter plus encore que cela n’a été fait jusqu’à présent, d’une manière juste, c’est-à-dire systématique et scientifique, dans toutes les questions économiques mondiales. Quelles machines importer, pour quels établissements, quand, quelles autres marchandises et dans quel ordre, dans quelles proportions répartir les fonds en devises entre les différentes branches de l’industrie, quels spécialistes rechercher, pour quelles branches de l'économie rechercher du capital de concession, dans quelle mesure, à quelles échéances ? Il est clair que ces questions ne peuvent pas être résolues du jour au lendemain, au hasard, ou d’une manière occasionnelle au point de vue économique. Les esprits de nos hommes politiques sont en ce moment occupés, avec persévérance et non sans succès, à chercher des solutions méthodiques à ces questions et à beaucoup d'autres qui ne peuvent pas en être séparées, tels les problèmes primordiaux de l’exportation. Il s’agit de maintenir les rapports (dynamiques) entre les principales branches de l’industrie et l'économie totale, en faisant intervenir dans ces rapports et au moment opportun, tels éléments de l'économie mondiale qui soient susceptibles d’accélérer la dynamique du processus considéré dans son ensemble.
Pour la résolution des questions pratiques et de détail qui en résultent, ainsi que pour la mise au point des plans de perspective — à un an, cinq ans, ou une plus longue échéance encore —, le travail à l’aide des coefficients de comparaison est un secours inappréciable et irremplaçable. Si les coefficients de comparaison sont particulièrement défavorables pour certaines branches importantes de l’industrie, ce sera une indication prouvant la nécessité de recourir à l’étranger, aussi bien pour des produits finis que pour des brevets, des indications techniques, des machines neuves, des spécialistes, ou des concessions. La politique commerciale et des concessions ne peut remplir son rôle stimulant, conforme au plan, que si elle s’appuie sur le système profondément étudié et généralisé des coefficients de comparaison de l’industrie.
Les mêmes méthodes devront ensuite être à la source des décisions concernant le renouvellement du capital de base et l'accroissement de la production. Pour quelles branches de l'industrie faudra-t-il d'abord renouveler l'outillage ? Quelles nouvelles usines faut-il construire en premier lieu ? Il est inutile de dire que les besoins et les desiderata dépassent de beaucoup les possibilités. Quelle est donc la voie à suivre pour résoudre ces problèmes ?
D’abord, il faut naturellement savoir exactement quelle proportion de l’accumulation on peut utiliser pour le renouvellement de l'outillage dans les usines existantes et pour la création de nouvelles usines. Nous couvrirons les besoins les plus urgents et les plus criants au moyen de notre propre accumulation. Et si, dans l’avenir, nous ne trouvions pas à utiliser d’autres sources, ce serait l’accumulation intérieure qui fixerait la mesure de l’accroissement de la production.
En même temps, il est absolument nécessaire de fixer l'ordre de succession des demandes au point de vue des besoins du processus économique considéré dans l’ensemble. Les coefficients de comparaison indiqueront ici, directement, les domaines économiques qui exigent, en premier lieu, une augmentation du capital de base. Ainsi, se présente dans ses contours les plus grossiers — et avec l’omission volontaire de toute une série de détails qui compliquent la question — le passage vers les solutions des questions selon le plan, questions qui sont liées au renouvellement et à l’accroissement du capital de base industriel.