Pendant quatre jours, une Conférence internationale rassemblant pour la première fois depuis le début de la guerre, les socialistes-internationalistes de la majorité des pays européens, s’est tenue dans le village suisse de Zimmerwald. Dans les remarques de mon "Carnet de notes" [1], nous ne pouvions, jusqu’à présent, que parler "à propos" de la Conférence. Maintenant, nous pouvons communiquer au lecteur des informations réelles sur la Conférence, appelant les choses par leur nom. Mais, même encore maintenant, nous sommes privés du droit de publier le manifeste de la Conférence.
Les préliminaires de celle-ci sont bien connus des lecteurs de Goloss et de Naché Slovo. Ces journaux ont relevé soigneusement toutes les interventions de l’internationalisme pendant la guerre et toutes les tentatives de rétablissement des relations internationales : Conférence à Lugano, à Copenhague, Conférences féminines et de la jeunesse socialiste.
Après avoir donné une caractéristique générale des travaux de la Conférence dans les remarques mentionnées plus haut, nous voulons communiquer les principales données quant au contenu même de la Conférence.
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Des principales puissances en guerre, deux n’étaient pas représentées : l’Angleterre et l’Autriche-Hongrie.
Les socialistes anglais voulaient faire de leur voyage un acte de propagande : ils déclarèrent ouvertement au pouvoir pourquoi ils demandaient des passeports. Ils voulaient ainsi obliger le gouvernement à prendre position vis-à-vis de la lutte prolétarienne internationale pour la paix. De fait, le pouvoir a prit position... il refusa les autorisations de sortie. La presse allemande, y compris la presse social-patriote, s’empressa, évidemment, de reproduire ce trait si caractéristique de la police britannique, exaltant le "prestige" si bien connu du libéralisme anglais. Mais ce faisant, la pieuse presse germanique se priva de la possibilité de raconter à ses lecteurs que tous les socialistes anglais, rien que de bons patriotes, avaient refusé de participer à une Conférence internationale.
L’affaire austro-hongroise est incomparablement plus affligeante. Le parti "ouvrier" autrichien, cahoté entre les diverses nationalités, empoisonné par le nationalisme, démoralisé par la chute de la Social-démocratie allemande, ne présenta plus, pendant la guerre, qu’un vide profond. Le Parlement ne fut pas convoqué une seule fois, les députés socialistes n’avaient pas l’occasion de manifester leurs opinions publiquement devant les masses ; l’opposition était désorganisée et tiraillée de dives côtés, et elle ne trouva aucune personnalité possédant assez de force morale pour prendre part à la Conférence au nom du Socialisme révolutionnaire autrichien.
La délégation française se trouva réduite au minimum par suite des circonstances et des mesures prises par les autorités : on refusa à l’un le passeport, l’autre fut arrêté à la frontière ; des internationalistes chevronnés étaient retenus par leurs obligations militaires. Il n’y eut pas un seul député à la Conférence : l’opposition du Parti, conduite par Pressemane, capitula lamentablement à la Conférence nationale du Parti, le 14 juillet. Au sommet du Parti, le plus "parlementaire" de toutes les sections de l’Internationale, il ne se trouva pas, ni chez les jauressistes, ni chez les guesdistes, un seul homme qui eût été capable et aurait eu le droit de se présenter à la Conférence de Zimmerwald au nom de la fraction révolutionnaire du prolétariat français ! Cet honneur revint aux syndicalistes français [2]. Des cercles dirigeants, se rencontraient d’honorables et stoïques activistes du mouvement ouvrier, tels que Monatte, Merrheim, Dumoulin , Rosmer et d’autres. Les anciens groupements se soumirent assez aisément au cours des événements. Tandis que les syndicalistes-patriotes, type Jouhaux (celui-là même que venaient rencontrer Kautsky et Bernstein, en Suisse) marchaient bras-dessus, bras-dessous, avec le Parti de Sembat-Guesde, Monatte et ses camarades se liaient avec les sociaux-démocrates internationaux de Russie et d’Allemagne.
Les représentants les plus en vue de l’opposition ne figuraient pas dans la délégation allemande : Liebknecht était mobilisé ; Luxembourg et Zetkin étaient en prison (peu après la Conférence, Cl. Zetkin fut remise en liberté). Néanmoins, "l’opposition" était représentée d’une manière assez forte : la minorité de la fraction parlementaire, la rédaction du journal Internationale, les femmes-internationalistes, l’opposition francfortoise et stuttgartoise, le groupe du journal Lichtstrahlen, etc.
La délégation italienne représentait entièrement le Parti : le Comité central et la fraction parlementaire. Le secrétaire de cette dernière, Odino Morgari, siégeait sur le flanc gauche. Il avait pris une part active à la préparation de la Conférence. Sur le flanc gauche siégeait Angélica Balabanova, collaboratrice de notre journal. A l’exclusion de celle-ci, les délégués italiens étaient partisans, en ce qui concerne le domaine de la théorie, non du Marxisme, mais d’une position éclectique.
La Social-démocratie russe était représentée par des bolcheviks, Naché Slovo, la Social-démocratie lettone, des mencheviks de l’O.K. et le Comité du Bund (celui-ci dans un but d’information). Le parti S.R. était représenté par la délégation de Jizn.
La Pologne envoya trois délégations : les partisans des principes de la lutte internationale des classes : G.P.D. (groupe de la direction principale), "l’Opposition Kadet" et "la Gauche".
La fédération social-démocrate balkanique, déjà réunie en juillet à la Conférence de Bucarest, était représentée par la délégation bulgare (Kolarov) et le Parti roumain. Un des membres de celui-ci ; Ch. Racovsky, un des meilleurs amis de Naché Slovo, prit une part active aux travaux de la Conférence.
Des deux groupes révolutionnaires hollandais, un seul était présent : le groupe "Internationale" où l’écrivain féminin bien connue, Roland-Holst, jouait le principal rôle. Les représentants de Tribune, groupement proche des bolcheviks, ne parurent pas : vraisemblablement pour des motifs d’ordre technique.
La Suède et la Norvège étaient représentées par une délégation du Comité révolutionnaire de la jeunesse, dirigé par le député Hoeglund.
Du côté suisse, prirent part à la Conférence les sociaux-démocrates : Grimm, l’un des organisateurs les plus actifs, Ch. Moor, Ch. Naine et Fr. Platten — tous par initiatives personnelles.
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Les principaux travaux consistaient dans les exposés des différentes délégations et la rédaction du manifeste appelant le prolétariat européen à la reprise de la lutte : pour la Paix, pour la Fraternité entre les peuples et pour le Socialisme.
Après l’approbation unanime du manifeste, il restait à constituer un bureau comme moyen permanent de rétablir les relations internationales et de mener campagne contre la guerre. Cette institution fut créée à Berne, sous le nom de Commission internationale socialiste, par les trois personnages suivants : Grimm, Naine, Morgari. La Commission ne s’opposait pas formellement à l’ancien Bureau. Mais en réalité, la formation de la future Internationale socialiste s’effectuerait autour de la Commission de berne, non autour du Bureau de Bruxelles. En tout cas, c’est dans ce sens que se feront les efforts des internationalistes russes.