1913

Publié pour la première fois, sous le nom de «N. Trotsky», avec comme titre «L’affaire Beylis», dans «Die Neue Zeit», magazine mensuel du Parti social-démocrate d'Allemagne, le 28 novembre 1913. Traduction de G. Billy, confrontée par MIA avec la parution en russe : «L. Trotsky, Oeuvre », volume quatre, Moscou-Léningrad, 1926.

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Trotsky

Léon Trotsky

Sous le signe de l'affaire Beylis

28 novembre 1913

Le procès pour meurtre rituel qui s'est tenu à Kiev et a pris fin le 10 novembre, fait partie de ce petit nombre de drames judiciaires qui, en dépit de la relative minceur de leur point de départ, prennent les dimensions d'un événement historique, modifient pour longtemps la conscience du pays et marquent fréquemment une césure entre deux chapitres de sa vie politique.

Toute la Russie, telle qu'elle est aujourd’hui, avec tous ses antagonismes sociaux et nationaux et ses énormes contrastes culturels, s’est reflétée directement ou indirectement dans cette lutte passionnée, dont l’origine fut la découverte du cadavre lacéré d'un sans-abri, et dont l'enjeu était le sort d'un ouvrier juif totalement inconnu.

Si les metteurs en scène réactionnaires de cette campagne judiciaire dirigée contre le peuple juif ont eu l'audace de lancer, au vingtième siècle, une allégation absurde ressortie de l’époque des sabbats de sorcières c’est qu'ils se sentaient soutenus par de puissants appuis. Le tsar Nicolas II, qui subit l'influence de louches aventuriers ayant troqué le métier de voleur de chevaux pour celui de « thaumaturge » à la cour, voulait à tout prix voir apporter la preuve de l'existence de meurtres rituels juifs. Certes, et quelques indices en filtrèrent dans la presse, certains des ministres du tsar ont tenté de s'opposer à cette mise à nu qui compromettait la Russie officielle aux yeux du monde entier – et M. Kokovtsev [1] était sans aucun doute inquiet en se demandant comment il allait affronter le regard de Rothschild [2] – mais comme toujours, les plus serviles et les plus malhonnêtes donnèrent le ton. Le plus infâme d'entre eux, le ministre de la Justice Shcheglovitov [3], ci-devant fierté de la magistrature «libérale», s'est chargé de monter le spectacle d'un procès pour meurtre rituel devant mener à la condamnation tant souhaitée par le tsar.

Tous les leviers de la puissance publique ont été actionnés. Les juges d'instruction et les agents de la police secrète qui, à la lumière de la faiblesse des preuves apportées, étaient opposés à s'engager dans la version du meurtre rituel, ont été démis de leurs fonctions, et les plus rebelles ont été traduits en justice. L'administration locale et plus ou moins tous ceux qui avaient été proches de l'enquête ont été en butte à de terribles persécutions policières. On fit valser les procureurs, on alla chercher des « experts » parmi les escrocs notoires et les maniaques. La presse d'opposition a été effrayée par une répression décuplée et, pour couronner le tout, la composition du jury a été truquée.

Mais les réticences à tout cela ont pris des proportions inattendues. Le premier acte de cette tragi-comédie médico-légale rituelle est tombé dans cette époque sinistre du début 1911 où la vie politique commençait à peine à reprendre quelques couleurs, alors que la réaction, ayant épuisé toutes les ressources internes dont elle disposait, se mettait en quête de stimuli extérieurs pour ses nouveaux exploits.

L'action centrale elle-même, cependant, du moins dans la partie qui est liée à l'affaire Beylis, se passe presque trois ans plus tard dans une période marquée par une effervescence tumultueuse dans les villes, des grèves politiques de masse, des troubles dans les universités, des protestations de différentes corporations, le développement de la presse d'opposition, et l'importance croissante des journaux ouvriers.

Par elle-même, la question mise à l'ordre du jour par la réaction, dans un geste provocateur, était de savoir si les juifs, à l'époque du cinématographe et des aéroplanes, consommait du sang chrétien. Cette question, conçue pour la psychologie des masses rurales les plus arriérées, ne pouvait, par sa monstruosité même, que susciter un sentiment d'indignation et de honte infinie dans les villes. Même des éléments très modérés furent pris d'effroi devant la turpitude criminelle de la réaction, qui avait définitivement perdu la capacité de prendre la mesure des réalités. Hormis le “Novoye Vremya”, un journal influent dans la haute société, et sans doute le plus vil, le plus immonde de toute notre planète, pourtant pas particulièrement reluisante en général, il n'y eut qu'une petite douzaine de publications pogromistes confidentielles pour reprendre l’antienne du meurtre rituel. Publié à Kiev, le « Kievlianin » [4], la voix des nationalistes - ceux-ci se recrutant principalement dans le sud-ouest - se hâta de quitter, quand il en était encore temps, la barque trop peu sûre de l'accusation de meurtre rituel. Tout le reste de la presse se mit avec ferveur à mobiliser l'opinion publique contre les instigateurs de ce procès moyenâgeux.

Et parce qu’une bande de "ritualistes", à commencer par les véritables assassins du garçon, voleurs professionnels de Kiev, en passant par des fonctionnaires de police et de la justice, était encouragée par le tsar de toutes les Russie, toute l'agitation contre la diffamation sur l’usage rituel du sang prit un caractère clairement anti-monarchiste et révolutionnaire, et ce, indépendamment de la volonté des politiciens et de tous les comités de rédaction libéraux. C'est la police elle-même qui se chargea de mettre cela en évidence, elle qui mit à confisquer les journaux démasquant la bande de voleurs de Madame Tcheberiak [5], le même zèle que s'il s'était agi des plus terribles outrages subis par Sa Majesté le Tsar [6]. Dans le cadre du procès il y a eu 66 actes de répression contre la presse, 34 amendes ont été infligées, s'élevant à 10.400 roubles, 30 parutions de journaux ont été confisquées, dans quatre cas les rédacteurs en chef ont été arrêtés et dans deux les journaux ont été interdits en attendant le procès. Inutile de dire que c’est la presse ouvrière qui a le plus souffert. La dénonciation par la presse a été complétée par des appels collectifs des politiciens et des écrivains parmi les plus populaires, et par des résolutions adoptées par des sociétés savantes et des groupements corporatifs de professions libérales. Les grèves de protestation de masse des travailleurs contre la fraude judiciaire organisée ont été les manifestations d'indignation les plus décisives et les plus impressionnantes, elles ont porté un coup fatal à la fable du le caractère «populaire» de la croisade antisémite.

Ainsi, alors que l'affaire Beylis grossissait, sa toile s'étirait dans toutes les directions : dans les salons de la noblesse de cour pétersbourgeoise et dans les faubourgs ouvriers, volontiers révolutionnaires, dans les rédactions des journaux libéraux et les monastères orthodoxes, dans les tavernes mal famées et dans le palais du Tsar.

« Voyez, voilà le libéralisme, la démocratie, la révolution ! » disait-on d'un côté.

« Voyez cette mystérieuse organisation judéo-maçonnique dirigée par son puissant gouvernement international ; elle s'est donné pour tâche de subjuguer le monde chrétien tout entier, et ce faisant, les Juifs qui la dirigent se fortifient du sang de bébés chrétiens ! »

« Voyez, » répliquait la partie adverse, « à quoi la réaction dominante nous a mené : "elle doit ressusciter des procès moyenâgeux afin de maintenir un milieu propice à la poursuite de sa propre existence !"

Dans cette atmosphère de passions politiques exacerbées où les camps opposés se mobilisaient l'un contre l'autre, il va sans dire que les antagonismes de classes ne disparurent pas un seul instant. Mais l'alignement des forces opposées s'est essentiellement déroulé autour d'axes plus élémentaires : le 17ème siècle contre le 20ème ! Et notre XVIIème siècle russe, imprégné par l'héritage du Moyen Âge européen, a été honteusement battu sur toute la ligne.

Le règlement de la procédure judiciaire, d'ordinaire d'autant plus pompeusement mis en avant que le tribunal se prostitue davantage, part, entre autres, d'une fiction selon laquelle celui-ci serait totalement libre d’intérêts politiques et de préjugés nationaux. Mais au cours du procès de Kiev, il ne subsistait aucune trace de cette solennelle hypocrisie. Il était clair, pour chacun, que tout le mécanisme du tribunal était actionné par des courroies transmettant l’énergie à partir des volants de la réaction aristocratique et monarchiste et du chauvinisme pogromiste.

Tout l'empire russe a défilé devant le tribunal : le cordonnier du faubourg, le capitaliste juif, le charretier de village, l'indicateur de police, des enfants des rues, des journalistes libéraux, des voleurs, le Juif baptisé en habit de moine orthodoxe, le repris de justice, des filles de petite vertu, le prêtre, l'officier de gendarmerie, l'exploitant banqueroutier d'une maison de crédit tenant le rôle de chef de file des « patriotes », un ci-devant révolutionnaire dans la peau d'un détective privé, un avocat à titre de témoin, des professeurs de médecine, un prêtre catholique, des professeurs d’une académie de théologie et un rabbin – des truands et « d'honnêtes gens », des savants spécialistes et des bigots fanatiques.

La lie de la réaction pogromiste et des débris de la révolution – tous ces éléments défilèrent devant les yeux étonnés de douze hommes qui n'en pouvaient mais, principalement des paysans que le ministère de la justice avait soigneusement choisis pour rendre la justice dans ce procès moyenâgeux en estimant qu'ils seraient plus malléables que d'autres.

Le lecteur a sûrement appris par les journaux le déroulement effectif et les épisodes les plus marquants du procès. Nous voulons ici rassembler ces pièces éparses pour brosser un tableau d'ensemble qui, par lui-même, sera bien plus éloquent que toutes les considérations politiques dont on pourrait les accompagner.

Le 20 mars 1911 fut découvert dans une caverne à proximité d'un faubourg de Kiev le cadavre d'un jeune garçon férocement lardé de coups de couteau. L'enquête avait à peine démarré, que déjà une lettre anonyme envoyée d'on ne sait où parvenait à la mère de l'adolescent assassiné qui lui faisait savoir que son fils avait été victime d'un crime rituel juif. Le médecin commis par la municipalité pour l'autopsie reçut avant celle-ci une lettre anonyme postée dans la ville et affirmant que la mort du jeune Youchtchinsky était due au fanatisme juif. Lors de l'enterrement, furent distribués dans le cimetière des tracts qui appelaient les chrétiens à se venger sur les Juifs de la mort de Yushchinsky. L’un des distributeurs de ces tracts, immédiatement arrêté, s'est avéré être un criminel connu de la police et un membre de la société patriotique «L'Aigle bicéphale» [7] - deux attributs qui, par nature, vont sans doute très bien l'un avec l'autre.

À ce moment-là, la presse Cent Noirs a commencé, comme sur un signal, à tempêter à propos du caractère juif et rituel du crime de Kiev. La Ligue de la noblesse unifiée - l'organisation de combat des hobereaux russes d'où partent toutes les initiatives de la contre-révolution – publia un recueil de rapports de tous les procès pour meurtre rituel et souleva la question de restreindre davantage les droits des Juifs. Le député Cent Noirs, ancien procureur, Zamyslovsky [8], rédigea une brochure de propagande titrée "Torturés par les juifs", parmi lesquels il fit figurer Andrei Yushchinsky. L'"Union du peuple russe", voulant donner un caractère populaire à toute l'affaire, a suggéré que se tînt devant le Saint Synode la question de la canonisation d'Andrey Yushchinsky parmi les saints de l'Église orthodoxe.

Malheureusement, cette offre alléchante dut être abandonnée, les actes du procès contenant des allusions d'où il ressortait que Yushchinsky faisait partie d'une bande de voleurs qui projetait de dévaliser une des cathédrales de Kiev.

Comme la police judiciaire de Kiev, s'attachant aux résultats de l'enquête, commençait à suivre une tout autre piste, la presse Cent Noirs a prétendu, dans une tirade furieuse, que les autorités chargées de l'enquête avaient été soudoyées par le qahal [9] Juif mondial. Le gouvernement hésita, ne pouvant se résoudre à capituler devant les manœuvres manifestement criminelles de la bande des Cent Noirs. La faction d'extrême droite, dirigée par le même Zamyslovsky, six semaines après la découverte du cadavre, interpella le gouvernement à la Douma d'État, exigeant de lui qu’abandonnant sa politique de connivence, il lève le voile sur le conjuration organisée par les Juifs en vue de commettre des meurtres rituels. On apprit que Nicolas II s'était cette fois encore mis à la tête des pogromistes. Alors, le gouvernement capitula.

L'enquête préliminaire passa d'une main à l'autre jusqu'à ce qu'on trouve la personne ad hoc qui sût mener à bien la mission commanditée en haut lieu. Le chef de la police judiciaire de Kiev, Mishchuk, ayant démontré son incapacité à découvrir les rabbins extracteurs du sang de Iouchtchinski, fut d'abord retiré de l'enquête, puis, coup de théâtre, fut traduit en justice et reconnu coupable de l'une de ces forgeries, qui, d'une manière générale, remplissent la carrière des agents de la police russe.

Dans ce cas précis, Mishchuk, apparemment, n'était pas du tout à blâmer. Le mouchard pétersbourgeois Kuntsevich, fierté et symbole de la police de la capitale, se révéla rapidement totalement incapable de trouver des preuves du rituel et fut écarté dès que le danger apparut qu'il pouvait tomber sur la vraie piste. Sur l'insistance des organisations patriotiques de Kiev, l'affaire fut transférée au détective Krasovsky, bien connu dans le Sud. Dès le début, dans une atmosphère très solennelle, il lui fut enjoint de ne pas suivre de pistes erronées comme ses prédécesseurs, et on mit immédiatement l'enquête sur la «bonne» voie. Chaque pas de Krasovsky fut surveillé par l'organisation pogromiste, à la tête de laquelle se trouvait un Tchèque vrai-Russe, Rozmitalsky, propriétaire en faillite d'un institut de crédit.

Après une série de tentatives infructueuses pour trouver des preuves contre les shohets [10] juifs, les rabbins et les employés juifs d'une briqueterie voisine, Krasovsky se jeta sur la piste des vrais meurtriers - une bande de voleurs qui - à tort ou à raison – avait considéré Yushchinsky comme un traître. Craignant de perdre son poste avant d'arriver au terme de l'enquête, Krasovsky induit en erreur son patron officieux, en la personne de Rozmitalsky, lui assurant la divulgation proche du supposé meurtre rituel.

A ce moment, la police de gendarmerie [11], qui n'avait rien à voir avec l'affaire et ignorant le déroulement de l'enquête de Krasovsky, a arrêté un employé de la briqueterie, Beylis, au motif d'une "situation d'alerte renforcée", c'est-à-dire pour les mêmes motifs, invoqués en Russie, pour arrêter des criminels politiques ; et ce sans aucune preuve, d’après la gendarmerie elle-même.

L'arrestation de Beylis, en tant que Juif dont le domicile était le plus proche de l'endroit de la découverte du cadavre, a fourni enfin aux zélateurs du meurtre rituel de tous rangs l'axe souhaité pour l’accumulation de tous les parjures et faux nécessaires.

Alors que le travail d'enquête mené par Krasovsky prenait le caractère d'une menace manifeste pour la thèse fallacieuse de meurtre rituel, Krasovsky, comme ses prédécesseurs, fut retiré de l'affaire et renvoyé du service. Puis, lorsqu'il s'avèra qu'il poursuivait l'enquête en tant que particulier, aux fins de sa réhabilitation, il fut traduit devant un tribunal pour des crimes commis (ou non commis) pendant toute sa carrière, y compris pour des faux, prétendument fabriqués dix ans auparavant. Krasovsky fut arrêté, mais acquitté par le tribunal.

Afin en quelque sorte de dissimuler toutes ces actions scandaleuses, la presse des Cent Noirs s’est répandue en hurlements sur les pots-de-vin et la corruption systématique par le qahal juif de tous les juges russes touchant à l'enquête. Le principal gang de Cent Noirs était mécontent de l'indécision et de la lenteur autour du déroulement des événements. En novembre 1911, il soumit une deuxième interpellation à la Douma à laquelle le ministre de la justice répondit par la promesse de mesures énergiques.

L’enquêteur médico-légal Fenenko, chargé de l'enquête, fut remplacé et, à sa place, fut envoyé de Saint-Pétersbourg un juge d'instruction chargé des affaires particulièrement importantes, Mashkevich. Celui-ci, rendu assez sage par le sort de ses prédécesseurs, ne dévia pas de droite ou de gauche, mais alla sans détours au but souhaité.

Ayant confirmé que Beylis était au centre de l'enquête et rassemblant mécaniquement tous les ragots, parjures et faux nécessaires pour suivre la piste du meurtre rituel, mais rejetés en raison de leur ineptie par tous les enquêteurs précédents, Mashkevich ne s'est occupé que de la bonne présentation de l'affaire sous la forme d'un expertise «scientifique». Après de longues recherches et une série de tentatives infructueuses, son objectif fut atteint quand il trouva Sikorsky, un psychiatre complètement fou, et le Père catholique Pranaytis, qui, démasqué comme maître-chanteur avéré, avait auparavant été obligé d'abandonner son poste de professeur de l’académie de théologie et de se retirer pour servir Dieu en Asie centrale.

À partir de ce moment, l'affaire fut remise enfin sur ses rails. Il y eut une expertise d’un spécialiste en rituel, il y eut des dizaines de volumes de documents d'enquête, sous le poids desquels on put écraser les jurés, et surtout il y eut un Juif bien vivant, avec un nez crochu et une barbe noire, qui put être traîné sur le banc des accusés et ainsi donner du corps au procès. De même que le futur de l’arbre est contenu dans la graine, toute la procédure du tribunal de Kiev se trouvait déjà dans ce prologue de l'affaire Beylis.

Cependant, le futur jury était un obstacle menaçant dressé sur la route prévue. Mais là aussi, on a trouvé un remède. L'organisateur principal du procès, Zamyslovsky, la figure la plus prostituée de toute l'arène de la Russie contre-révolutionnaire, a inlassablement rappelé aux autorités judiciaires que les citadins, en tant que jurés, n'étaient absolument pas fiables. Il a réussi à faire en sorte que pour l'affaire Beylis, qui devait impliquer de complexes examens médicaux, historiques et rituel-talmudiques, un jury spécial a été sélectionné. Fait sans précédent dans l'histoire du tribunal de Kiev, ce jury a été composé de paysans arriérés de la province de Kiev, contaminés par la démagogie antisémite, et placé sous la présidence d’un fonctionnaire subalterne qui a démontré, tout au long du procès, sa volonté de servir le parquet.

Un jeune procureur, Vipper, a été envoyé de Pétersbourg en tant qu’accusateur. C’était un vrai russe allemand, image d'une des pires sous-espèces du type baltique-russe, et entièrement dominé par un carriérisme effréné.

Les hobereaux germano-baltiques, élevés dans l'asservissement au tsarisme et dans le mépris de la population paysanne lettone, jouent, comme on le sait, un grand rôle dans la diplomatie russe, au parquet et la gendarmerie, cultivant un nihilisme bureaucratique des plus purs, sans la moindre trace de sentiment national, dépourvu même des liens féodaux avec les populations autochtones, et sans conscience et sans honneur.
Cependant, les ressources intellectuelles plus que modestes de l'accusateur officiel sont restées bien en deçà de ses mauvaises intentions, et pendant tout le procès, il a été tenu en laisse par Zamyslovsky, qui de sa place de partie civile, s'en fit le véritable pilote. La deuxième partie civile était l'avocat Shmakov [12], un bouffeur de Juifs patenté, connu entre autres pour le fait que, dans ses travaux, il avait classé Paris, le ravisseur de la belle Hélène, parmi les Juifs, en raison de ses faibles qualités morales.

 Il y avait un autre Allemand, d’une âme véritablement russe et d’un nom de famille symbolique, responsable des tâches spéciales attaché au gouverneur général de Kiev : Mörder [13]. Celui-ci, sous couvert de témoignage, a tenté de conduire les jurés à penser que le sang de Yushchinsky était nécessaire aux Juifs pour la consécration de leur maison de prières alors en cours de construction.

L'ensemble du procès, qui a duré plus d'un mois, est, heureusement, conservé pour l'éternité dans les comptes-rendus sténographiques d’un journal de Kiev, comme un terrible monument culturel témoin de cette époque de l’histoire. Malgré le parti pris cynique du président, malgré l'indécision parfois étonnante et les tergiversations de la défense libérale, qui craignait d'irriter les jurés, dont elle supposait l'appartenance aux Cent-Noirs, le procès de Kiev a révélé l’image vraiment étonnante d'un complot unique en son genre entre la police, l'administration et le tribunal. Dans l'intérêt de la démagogie pogromiste et antisémite, cette bande de criminels en uniforme avait décidé d'unir ses forces afin de faire croire au crime de sang rituel, complètement fabriqué, d'un ouvrier juif pris au hasard, et dont la vie entière avait été faite de travail honnête et de privations.

L'affaire Beylis a plus d'une fois été comparée à l'affaire Dreyfus. Une certaine analogie ne peut être niée, mais la différence entre l'une et l'autre est aussi frappante que la différence entre l'antisémitisme de salon du jésuitisme français et le pogromisme criminel des Cent Noirs russes, la différence entre le cynique instruit Poincaré, qui ne croit ni en Dieu ni au Diable, et le tsar Nicolas, toujours convaincu que les sorcières sortent des cheminées, en s'envolant la nuit sur des balais. L'officier Dreyfus a été accusé de trahison militaire. Il n'y avait rien de monstrueux dans la construction même de l'accusation ; la monstruosité ne résidait que dans la fausseté délibérée de l'accusation. Mais là un ouvrier juif ordinaire, plutôt indifférent aux dogmes de la religion, mais totalement privé de droit et passé à l'école des pogroms de Kiev, fut soudainement arraché à sa femme et à ses enfants et on a dit que lui, Beylis, a extrait tout le sang d'un enfant vivant afin de le consommer sous une forme ou un autre pour la joie de son Jéhovah. Il suffit alors d'imaginer un instant ce que pouvait ressentir ce malheureux pendant sa peine de vingt-six mois de prison, pour que vos cheveux se dressent tout seuls sur votre tête ! En l'absence totale de preuves contre l'accusé, la tâche de l'accusation et du tribunal, favorable à l'accusation à tous égards et à tout moment, était d'inculquer aux jurés de Kiev, la haine de Beylis, en tant que Juif.

<i>Pour ce faire [14], on ne dédaigna aucune superstition, aucun préjugé.
Au titre de matériel « scientifique », on fit en outre la lecture du livre de Neophit, Juif moldave baptisé, un salmigondis de délires et des plus diaboliques calomnies, qui affirme par exemple que l'air dépose du sang sur les mets juifs, que c'est mortel pour les Juifs, et que pour les sauver d'un tel sort, il faut obligatoirement une fourchette trempée dans du sang chrétien. On fit encore la lecture d'extraits de la publication « savante » d'un autre renégat juif du nom de Serafimovitch, dans laquelle l'auteur déclare avoir de ses propres mains saigné un enfant chrétien, dont le sang aurait été blanc comme du lait. Il y eut enfin un débat passionné au sujet de la cruauté des Juifs dans leurs guerres contre les Amalécites, et tout ce torrent de boue fut déversé sur la personne de l'accusé Beylis.</i>

Avec obstination et persistance tous les témoins ont été interrogé par l'accusation au sujet de deux terribles «tzadiks» [15], Ettinger et Landau, qui auraient contacté Beylis pour massacrer Yushchinsky. Un nuage imprégné de mysticisme s'est épaissi dans la salle d'audience à la mention de ces deux noms, jusqu'à l'arrivée de l'étranger des tzadiks eux-mêmes, à la demande de la défense.

L'un d'eux s'est avéré être un propriétaire foncier autrichien à la mode, qui connaissait incomparablement mieux les rituels des établissements nocturnes de Vienne que les rituels de la religion juive. L’autre, venu de Paris, s'est avéré être le jeune auteur de plusieurs opérettes dans lesquelles pas une goutte de sang chrétien n'est versée, bien que, à la lumière du septième commandement, les situations s’y présentaient sous un jour extrêmement défavorable.

Les deux "tzadiks" ont comparu devant le tribunal vêtus par les meilleurs tailleurs, et l'un d'entre eux s'est même avéré être - comme le procureur l'a fait remarquer avec malveillance aux jurés - un docteur en chimie. La chimie organique, comme on le sait, fournit des conseils très précieux sur le traitement et la conservation du sang chrétien à l’usage domestique des Juifs pieux.

Ainsi, de douloureuses et terribles notes comiques, résonnaient dans la symphonie générale du procès, où le ton était donné par la bassesse la plus débridée.
Le procès a atteint son plus haut niveau de tension lors de l'interrogatoire des vrais meurtriers du garçon, deux voleurs professionnels, qui avaient été démasqués par des détectives indépendants et qui comparaissaient en tant qu’honorables témoins devant ce même tribunal où Beylis était assis sur le banc des accusés.

Ce furent des moments difficiles pour l'accusation.

Aux yeux de tous, peu importait à quel point les talmudistes étaient criminels, en identifiant les Romains à la chèvre, et peu importait la sinistre lumière jetée de ce fait sur la figure de Beylis.

Non, ce qui était clair, c'était le danger que représentait pour l'accusation la comparution au procès de deux voyous, contre lesquels, outre bien d'autres choses, il y avait de leur propre aveu le meurtre lui-même, en présence de deux témoins.

Et donc le procureur et les parties civiles, avec l'aide vigilante du président, ont pris les assassins de Yushchinsky sous leur protection. Afin d'établir leur alibi, juste au cas où, les tueurs eux-mêmes ont déclaré au procureur que, la nuit du meurtre, ils étaient occupés à piller la boutique d'un opticien. (Le troisième assassin, dès lors qu'il était devenu clair d'après les paroles du procureur qu'il pourrait être impliqué dans l'affaire Yushchinsky, s’était, lui, tué en sautant par la fenêtre.)

Les aveux concernant le vol étaient si manifestement faux que le juge d'instruction n'a même pas engagé de procédure suite à ces aveux. Néanmoins, le parquet est resté ferme dans son acceptation de l'alibi. La défense a attiré l'attention des témoins sur le fait que le pillage du magasin avait eu lieu à minuit et le meurtre à 9 ou 10 heures du matin, et que, par conséquent, l'alibi n’était pas recevable. A cette objection, répétée trois fois sous l'attention intense de tout le public, les assassins entendus comme témoins n'ont pas eu un seul mot de réponse.

Mais alors l’accusation est intervenue. À travers des questions directrices grossières conçues exclusivement en fonction de la balourdise intellectuelle des jurés paysans, les procureurs ont développé l'idée que les témoins, en tant que voleurs sérieux et expérimentés, ne pouvaient pas cambrioler un magasin (qu'en fait ils n’avaient pas cambriolé du tout) sans une reconnaissance préalable minutieuse ; qu'ils devaient d'abord étudier tous les aspects de l'environnement et des habitudes de la maison, et ne pouvaient donc pas en être distraits pour commettre le meurtre du garçon - 14 heures avant le cambriolage (qu'ils n'avaient pas commis).

Les meurtriers n'avaient donc plus rien à faire, que confirmer ces considérations par des réponses monosyllabiques. Après plusieurs minutes de confusion et de d'alarme, ils ont rapidement senti un sol solide sous leurs pieds : ils ont réalisé que le procureur et les juges, à d'autres moments si effrayants pour eux, étaient dans le cas présent leurs complices directs, et qu'en refusant d'admettre leur meurtre, ils remplissaient d'une certaine façon un devoir d'État important et pouvaient compter sur de la gratitude. Cette scène semble incroyable à la lecture, mot après mot, du compte rendu sténographique. Et ce parjure clair et évident, visant l'auto-blanchiment des meurtriers et l'accusation d'innocents, sous la direction du procureur et du président du tribunal, a été commis devant tout le pays et le monde entier.

L'escroc impudent en uniforme de procureur non seulement ne craignait d’endosser la responsabilité de son crime mais, au contraire, était convaincu que c'était précisément le caractère cynique et provocateur de ce crime qui assurerait très probablement la suite de sa carrière par la mémoire reconnaissante du ministre de la Justice et par la faveur du tribunal !

Il y a beaucoup de pages honteuses dans les annales des tribunaux russes, et l'époque de la contre-révolution était bien l'époque de la corruption de la justice russe.
Mais nous ne connaissons pas un seul procès au cours duquel la bassesse bureaucratique naturelle de la clique qui règle le sort de 160 millions de personnes a régné dans une aussi horrible nudité.

Indépendamment de ce que l’on peut en penser, la lecture des comptes-rendus suscite surtout une sensation de nausée physique. Et peut-être la signification principale de l'affaire Beylis réside-t-elle dans sa capacité à susciter ce sentiment.

Il est difficile de rendre compte de la tension qui s'est emparée de tout le pays pendant ces semaines historiques. Et à ce jour, la Russie vit toujours sous le signe de l'affaire Beylis.

Au centre de l'affaire ne se trouvaient ni la classe ouvrière, ni la paysannerie, ni les Juifs en tant que communauté, comme c'est le cas dans le travail législatif de la réaction, mais une personne vivante particulière, qu'ils voulaient sacrifier en tant qu’individu de chair et de sang à certains besoins «idéologiques» de la classe dirigeante. Ce caractère même, dramatique et personnel du procès a grandement contribué à la compréhension générale de toutes les questions soulevées.

Les couches les plus arriérées et les plus indifférentes étaient touchés au vif. Et en même temps, précisément parce que l'affaire n'était au fond pas plus liée à Beylis qu'à quiconque, ce drame cauchemardesque qui le touchait Beylis a rendu visibles les courants souterrains qui l’irriguaient, à savoir la dépravation de la noblesse et de la monarchie et le banditisme bureaucratique.

L'affaire Beylis est apparue comme un faux organisé par un puissant appareil d'État contre un individu faible et sans défense, contre un ouvrier juif, c'est-à-dire contre l’incarnation qualifiée de l'impuissance.

L'énormité du crime est apparue pleinement à la conscience de tous ceux qui ont lu le procès, de tous ceux qui ont pensé au procès, et même de tous ceux qui le connaissaient de seconde ou de troisième main. Le tirage des journaux d'opposition a doublé et triplé ce mois là, et le nombre de leurs lecteurs a été probablement décuplé.

Pendant un mois des millions de personnes ont dévoré quotidiennement les journaux, ils les ont lu les poings serrés et en grinçant des dents. Des gens politiquement indifférents ont bondi de stupéfaction et d'horreur, exactement comme des gens sont éjectés de leur siège dans un wagon en cas d'accident. Les gens qui se considéraient comme des opposants conscients au régime politique russe ont dû se convaincre chaque jour qu'ils n'avaient jamais pensé que notre pays était gouverné par de tels coquins. Inutile de dire que ce sont les travailleurs, dans les villes, qui ont réagi avec la plus grande passion. Des millions de cœurs prolétariens ont été envahis par la haine de la monarchie qui a célébré cette année, en grande pompe, son triste 300ème anniversaire.

Dans cette affaire, le gouvernement a complètement révélé non seulement sa bassesse, mais aussi sa faiblesse.

 Les jurés ont acquitté Beylis. Le fait qu'à la première question. formulée de manière perfide, ces paysans déconcertés aient donné une réponse qui peut être interprétée comme une semi-reconnaissance déguisée du caractère rituel du meurtre, cela ne peut avoir d'importance que pour les professionnels de l’antisémitisme, qui ont besoin de reconstituer de temps en temps leurs stocks de faux documents juridiques. Mais ce qui en dit long pour la conscience des masses populaires, c'est le fait clair et simple qu'une douzaine de personnes soigneusement sélectionnées, enfermées pendant un mois, empêtrées dans un réseau de faux, systématiquement droguées avec le spectre de la domination juive et terrorisées par l'autorité de la monarchie et de l'Église, se sont avérés incapables d’exécuter l'acte ignoble qui leur était confié, et ont laissé Beylis rentrer à la maison. Les jurés ont dit : “Non, non coupable”. Cela signifie que, malgré toute sa puissance apparente, le tsarisme s’est révélé devant le peuple, à la suite de ce procès, comme étant moralement en faillite.

Les Cent Noirs et les parties civiles ont publiquement, dans la salle d'audience même, menacé qu'il y aurait des pogroms de juifs - en particulier en cas d'acquittement. Les autorités locales ont annoncé qu'elles n'autoriseraient aucun «excès» - et il n'y a en effet pas eu de pogroms. Le gouvernement, ayant manifesté sa faillite pendant le procès, a pensé pouvoir ainsi démontrer sa force. Il s'est passé l'inverse.

Le résultat a été une confirmation éloquente que les pogroms n'ont lieu que lorsque les autorités gouvernementales le souhaitent. Toutes les rumeurs sur le caractère spontané et irrésistible de l'antisémitisme se sont révélées n’être que des mensonges : il n'y a pas de masses populaires qui pourraient, tout en soutenant le gouvernement, agir indépendamment de la volonté de la police. Mais de telles masses existent en opposition au gouvernement. Les pogroms ont été interdits et n'ont pas eu lieu. Mais des grèves ouvrières de protestation contre l'accusation de crime de sang portée contre les Juifs ont balayé le pays, au mépris de toutes les interdictions. Rassemblements dans les usines et les chantiers, manifestations de rue, troubles dans les universités, agitation de la presse, protestations corporatives - tout cela continue, malgré le déluge de répression policière. Ecrasé moralement, traîné dans la poussière, le gouvernement est aussi en faillite comme organisateur de la violence matérielle. Les publicistes réactionnaires évoquent de plus en plus le fantôme de 1905 dans leurs écrits.

Tout cela, bien sûr, n'est pas tombé du ciel, mais a été préparé par des processus moléculaires complexes. Des années de croissance industrielle ont fortifié et revigoré la classe ouvrière, ce qui s’est immédiatement reflété dans la confiance en soi de tout le pays. La démocratie a recommencé à croire en elle-même. L'affaire Beylis n'a fait que concentrer et donner un caractère extérieurement dramatique au processus révolutionnaire rapide à l’œuvre dans les masses.

Sans sacrifier aucun de ses droits historiques, le tsarisme a tenté pendant huit ans d'utiliser des institutions soi-disant constitutionnelles afin de s'adapter aux nouvelles exigences du développement de la société. Mais il est apparu devant le pays comme une organisation purement parasitaire au caractère lumpen et criminel clairement exprimé.

Le procès de Kiev a révélé l'abîme existant nécessairement entre la monarchie basée sur les grands domaines et les Cent-Noirs d’un côté, et toutes les classes sociales historiquement viables de l’autre, il a donné aux deux parties la possibilité de scruter le fond de cet abîme. Ce faisant, ce procès a accompli un travail politique majeur et est entré dans l'histoire de la Russie comme le présage d'une nouvelle époque de profonds bouleversements révolutionnaires.

Die Neue Zeit, novembre 1913

Notes

[1] Premier ministre et ministre des finances (note du traducteur)

[2] Si Monsieur Kokovzev a frémi, c'est qu'il connaissait mal ses Pappenheimer. [expression allemande, « Ich kenne meine Pappenheimer », « Je sais à qui j’ai affaire »]. Lors de sa tournée en Europe occidentale, c'est l'ensemble du monde juif, dans la mesure où il fait partie du camp capitaliste, qui lui a fait la cour, même des intellectuels aussi versés dans l'éthique que Monsieur Théodor Wolff du « Berliner Tageblatt ». Le procès Beylis couvre de honte non seulement la Russie officielle, mais tout autant la fraction capitaliste du monde juif d'Europe occidentale, sans le soutien de laquelle les bourreaux russes des Juifs auraient depuis longtemps fait faillite (note de la rédaction de « Die Neue Zeit »).

[3] Shcheglovitov - Avocat libéral dans sa jeunesse. A collaboré à "Pravo", au "Bulletin juridique" [Yuridichesky Vestnik] et à d'autres organes libéraux. A été procureur en chef du département pénal du Sénat. En 1905, sous le ministère Witte, il est ministre adjoint de la justice, il est nommé ministre en avril 1906. À l'époque de la deuxième Douma, lorsque le tournant vers une réaction ouverte a finalement été pris, Shcheglovitov est devenu l'un des plus proches collaborateurs et laquais de Stolypine. De libéral, il s’est transformé immédiatement en l'un des Cent Noirs les plus acharnés. En tant que ministre de la Justice, il a consacré beaucoup d'attention aux affaires judiciaires ; il est intervenu souvent personnellement dans le déroulement des procédures, dictant des jugements, etc. Il s'est surtout distingué sur ce plan dans l'affaire Beylis, qui, avec son étroite collaboration, a été gonflée aux proportions d'un scandale pan-russe. Pour être sûr d'obtenir un verdict de culpabilité, a mis en œuvre tous les «transferts et nominations» possibles dans la Cour de justice de Kiev, où l'affaire Beylis a été entendue. À l'été 1915, sous la pression des forces sociales déclenchées par des échecs militaires, il prend sa retraite avec Soukhomlinov, Maklakov et d'autres, et est nommé membre du Conseil d'État, au sein duquel il dirige l'extrême droite. En 1916, il est nommé président du Conseil d'État. À ce poste, il est confronté à la révolution de février, où il dirige l'extrême droite. (Note dans l’édition russe de 1926)

[4] "Kievlyanin" - Journal Cent Noirs, publié sous la direction du professeur Pikhno, puis de Shulgin. (Note dans l’édition russe de 1926)

[5] Vera Chebyryak - Épouse d'un fonctionnaire des postes de Kiev, gardienne d'une tanière de voleurs et chef d'un gang de bandits bien organisé. Le gang prévoyait de piller l'une des cathédrales de Kiev. Un membre du gang, Andrei Yushchinsky, devait entrer dans la cathédrale par une fenêtre à battants et ouvrir une porte précédemment désignée. Soupçonné de trahison, Yushchinsky fut tué par des membres du gang, avec la participation de Chebyryak. Son corps a été retrouvé dans une grotte à la périphérie de Kiev, près de la briqueterie Zaitsev. Le grand nombre de blessures sur le cadavre a entraîné le gonflement d’une «affaire» dans laquelle les Juifs étaient accusés d'utiliser du sang chrétien. Au sommet de cette «affaire» se tenait Nicolas II lui-même, et l'organisateur direct et l'inspirateur de ce procès pogromiste était le «Conseil de la noblesse unie».
Un ouvrier de la briqueterie des Zaitsev, un juif du nom de Mendel Beylis, fut accusé du meurtre de Yushchinsky.
L'affaire Beylis a attiré l'attention du monde entier. Au procès, Chebyryak a agi comme principal témoin à charge. Malgré les nombreux témoignages de témoins, incriminant Chebyryak dans le meurtre de Yushchinsky, le tribunal ne l'a jamais fait comparaître. En 1919, Chebyryak, utilisant de faux documents, a réussi à se faire admettre parmi les membres du Soviet de Kiev. Reconnue, elle a ensuite été arrêtée et abattue par la Tcheka provinciale de Kiev. (Note dans l’édition russe de 1926)

[6] On enregistra pendant le procès et en lien avec lui 66 cas de poursuites contre la presse. 34 condamnations furent prononcées, pour une somme de 10400 roubles, 30 journaux furent confisqués; dans 4 cas, les rédacteurs furent arrêtés, et 2 journaux furent suspendus en attendant une décision de justice. Inutile de préciser que ce fut la presse ouvrière qui fut le plus frappée.

[7] "L’aigle à deux têtes" - Une organisation antisémite Cent Noirs de jeunes étudiants de Kiev. Son principal chef était l'étudiant V.S. Golubev, tué plus tard au front au tout début de la guerre mondiale. Avec sa propagande antisémite systématique, «L'aigle à deux têtes» a joué un rôle important dans les préparatifs du procès Beylis. (Note dans l’édition russe de 1926)

[8] Zamyslovsky G. - Un des antisémites Cent Noirs les plus enragés. A été procureur au tribunal de district de Vilnius, puis au tribunal principal de Vilnius. A été procureur dans de nombreux procès politiques. A joué un rôle de premier plan dans l'Union du peuple russe. Il a été élu de la province de Vilnius à la troisième Douma. À la Douma était secrétaire adjoint principal et membre du présidium. En tant que membre de la Douma, il était engagé dans la persécution de tous les étrangers et exigea la russification complète de la Finlande, de la Pologne et d'autres pays limitrophes de la Russie. À partir de 1912, membre de la quatrième Douma d'État. En 1913, avec un autre membre des Cent Noirs, Shmakov, il fut partie civile dans l'affaire Beylis, accusé du meurtre d'un garçon chrétien Yushchinsky à des fins rituelles. Au cours du procès, Zamyslovsky a témoigné de meurtres rituels juifs.
"Torturé par les juifs" (affaire Saratov) - sur la base d'archives authentiques (sic) – Tel était le titre de la brochure antisémite de G. G. Zamyslovsky, publiée en 1911 à Kharkov. (Note dans l’édition russe de 1926)

[9] «qahal» (congégration, assemblée). Expression hébraïque dans le texte. (note de la rédaction de « Die Neue Zeit »)

[10] «shohet» Personne autorisée par l'autorité rabbinique à tuer des animaux et de la volaille. Expression hébraïque dans le texte. (note de la rédaction de « Die Neue Zeit »)

[11] La police qui, en Russie, est chargée exclusivement des enquêtes dans les procès politiques

[12] Shmakov - membre actif des Cent Noirs, avocat. A calomnié les Juifs avec une haine particulière. Est apparu dans plusieurs procès pour défendre les pogromistes. Dans l'affaire Beylis il est apparu comme partie civile. Auteur de nombreuses brochures des Cent Noirs de contenu antisémite. (Note dans l’édition russe de 1926)

[13] Meurtre - en allemand Mörder signifie meurtrier. (Note dans l’édition russe de 1926)

[14] Ce passage en italique a été remplacé par le texte suivant dans "L. Trotsky : Oeuvres, volume quatre, Moscou-Léningrad, 1926" : [Un moine ignorant de 70 ans, auparavant juif, a été appelé à comparaître devant le tribunal. Zamyslovsky lui a demandé s'il avait vu de ses propres yeux des marques de coups de couteau juives, sur les reliques éternelles de Saint Gabriel, qui avait été martyrisé par les Juifs. Lorsque cette question a été posée, le procureur Vipper a dû se mordre les lèvres d'envie, car, en tant que luthérien, il avait été privé de la possibilité de manipuler des preuves matérielles fragiles telles que des reliques éternelles. Mais le procureur s'est récompensé avec la Bible et le Talmud. Ayant obtenu son expert en la personne de l'escroc condamné Pranaytis, dont les écrits ont été plagiés par les falsificateurs allemands Eustus et Rolling, condamnés à leur tour, l'accusation a mené un raid audacieux sur la Bible et le Talmud, où elle a confondu tous les âges et les époques, tous les siècles et les millénaires. Elle a cité, en tant que présumés complices intellectuels de Beylis, non seulement un certain nombre de théologiens juifs des deuxième et troisième siècles après JC, mais aussi les ancêtres Abraham et Jacob. Le Jéhovah biblique, qui, selon la généalogie chrétienne, était jusqu'à présent considéré comme le père naturel de Jésus-Christ, a été saisi par le col, sans cérémonie, par le procureur luthérien et la présence même du Dieu de la Bible à Kiev, démuni d'un certificat prouvant sa qualité de marchand de première guilde, a été reconnue comme une violation flagrante des lois russes sur le droit de séjour des Juifs. Tendant le cou, Beylis, les yeux figés dans son visage émacié, a regardé les voyous de l'accusation, ainsi que les escrocs de l'expertise, réunis pour trois jours en un collège scientifique, passant des heures à décider de la signification du mot «seir» dans le Talmud – un mot totalement inconnu de Beylis. Le résultat atteint, appliqué au déroulement de l'affaire, était que si «seir» ne signifiait rien de plus que de chèvre, alors Beylis pourrait peut-être encore retourner dans sa famille. Mais si, dans certains textes du troisième siècle, "seir" signifiait aussi "Romains", alors Beylis ne pourrait pas éviter les travaux forcés, d'une durée indéterminée. Et tout cela s’est joué devant un forum de douze personnes semi-analphabètes, complètement effrayées, qui étaient censées démêler le sens des allégories bibliques et des philosophies talmudiques et leur lien avec le sort d'un adolescent sans-abri dans la banlieue de Kiev.] (Note MIA)

[15] «tzadik» (juste, maître spirituel). Expression hébraïque dans le texte. (note de la rédaction de « Die Neue Zeit »)