1923 |
Un livre d'A. Rosmer, successivement syndicaliste révolutionnaire, communiste et trotskyste. |
Moscou sous Lénine
1923
I : Poincaré fait occuper la Ruhr
Lannée 1923 fut une année décisive : pour lAllemagne, pour lEntente qui acheva de se briser, et, il nest pas exagéré de le dire, pour le monde. Loccupation de la Ruhr sonna le réveil du nationalisme allemand ; Hitler, déjà, se montra. Elle fut décisive pour la Russie soviétique et pour la révolution prolétarienne. Lénine avait pu se remettre partiellement au travail durant les deux premiers mois ; au début de mars une nouvelle attaque le terrassa, le paralysa jusquà sa mort, en janvier 1924.
Léternelle question des réparations provoqua la crise. Elle revenait sans cesse, de conférence en conférence, jamais résolue. Le traité de Versailles avait institué une commission spéciale des réparations ; cest elle qui avait la charge de ce problème. Les conditions successives quelle imposa à lAllemagne se révélèrent inapplicables, et, comme on pouvait sy attendre, lAllemagne singéniait de son côté à aggraver les difficultés dapplication. Le traité de Versailles navait pas fixé le montant des réparations imposées à lAllemagne. Le 5 mai 1921, la commission avait décidé de chiffrer la dette de lAllemagne à 132 milliards de marks-or. Mais comment arracher une pareille somme à lAllemagne, sans achever de démolir léconomie européenne ? Les intérêts des Alliés du temps de guerre ne coïncidaient plus ; ils se heurtaient de plus en plus nettement. En Angleterre le chômage, un chômage exceptionnel, sétait installé à demeure ; une masse énorme de deux millions douvriers étaient inoccupés ; lindustrie ne pouvait les absorber aujourdhui ; elle ne pourrait le faire davantage demain si lon ne parvenait pas à rétablir une économie européenne normale. Le gouvernement britannique avait tenté de le faire à Gênes ; toujours il trouvait devant lui une France butée, invoquant ses régions dévastées pour exiger que lAllemagne payât. LAngleterre rétorquait quelle avait elle aussi des régions dévastées : ses grands centres industriels où les usines fermaient leurs portes, ses bassins miniers où les travailleurs, réduits à lallocation de chômage, ne pouvaient que regarder saccumuler les stocks dun charbon qui ne trouvait plus de clients sur le Continent.
En Allemagne, la situation allait sans cesse saggravant. Les contrôles imposés par les Alliés gênaient et exaspéraient les industriels. Les énormes dépenses du temps de guerre pesaient lourdement sur le budget. Les social-démocrates étaient au gouvernement avec plusieurs ministres et parfois à la Présidence du Conseil. Après avoir brisé lélan révolutionnaire des premiers jours, ils étaient réduits à demander platoniquement une équitable répartition du fardeau des réparations . Mais Stinnes, qui alors parlait pour les magnats de lindustrie lourde, répondait : non, et le gouvernement restait impuissant, tandis que la misère sétendait. La monnaie seffondrait ; chaque crise marquait une nouvelle chute du mark ; au début de 1922 la première dégringolade sérieuse avait fait tomber le mark si bas quil en fallait 650 pour une livre sterling ; après Gênes, il était à 1.650 et à 2.500 dix jours plus tard ; avec loccupation ce sera la chute sans fin. Les nationalistes de toute catégorie sagitaient, devenaient agressifs. Les hommes qui cherchaient un accord avec les Alliés sur la base de conditions raisonnables, exécutables, étaient marqués par eux pour la destruction. Walter Rathenau, lancien directeur de la puissante Société générale délectricité, devenu ministre des Affaires étrangères, ayant affirmé à Cannes la volonté de lAllemagne de payer dans toute la mesure du possible fut assassiné en juin (le leader du centre catholique, Erzberger, qui avait consenti à signer le traité de paix lavait été le 26 août 1921).
En France, la situation intérieure était difficile pour dautres raisons. Durant la guerre les divers gouvernants avaient financé les dépenses exceptionnelles presquexclusivement au moyen demprunts ; la bourgeoisie voulait bien que la guerre fût poursuivie jusquà la victoire , mais elle ne voulait pas payer ; elle laissait les charges financières aux générations suivantes. Les gouvernements qui sétaient succédé navaient frappé que pour la forme les énormes bénéfices réalisés par les entrepreneurs de tout genre, par les intermédiaires qui, travaillant pour la guerre, sétaient enrichis. Le budget de lEtat croulait sous les accroissements de dépenses : dette ancienne, dettes de guerre, pensions aux victimes de la guerre, etc. ; le déficit, énorme, se creusait davantage, car bien quon eût imposé un sérieux désarmement à lAllemagne, le budget militaire de la France nétait pas réduit ; il prenait même de telles proportions que les gouvernants en dissimulaient une portion importante par des artifices décritures. Au mécontentement qui croissait, ils répondaient en dénonçant la carence de lAllemagne . Ainsi le terrain restait favorable au courant chauvin qui avait envoyé à la Chambre une majorité nationaliste, et surtout à la germanophobie que la guerre avait portée au plus haut degré.
Au cours de lannée 1922, la tension entre la France et lAngleterre alla grandissant. LAllemagne, nétant pas en mesure dacquitter les échéances fixées par la décision du 5 mai, demandait quon lui accordât des emprunts ; après seulement elle pourrait payer. En août, lors dune nouvelle conférence réunie à Londres, Poincaré consentit à lui accorder le moratorium quelle demandait, mais en revanche exigea de nouvelles mesures de contrôle, plus sévères. Au début de 1923, une nouvelle conférence était devenue nécessaire ; Angleterre, France et Allemagne se retrouvaient sur les mêmes positions. Mais ce devait être la dernière du genre. Poincaré avait caressé trop longtemps lidée doccuper la Ruhr pour ne pas finir par passer à lacte ; il avait demandé à des techniciens, militaires et civils, de létudier minutieusement et de dresser un plan précis. Selon lui et selon les hommes qui lentouraient, cette mesure, équivalant en fait à une reprise de la guerre, contraindrait enfin lAllemagne à sexécuter. Il y avait des risques ; la rupture avec lAngleterre deviendrait inévitable. Mais il se croyait assuré de ne rencontrer en France quune insignifiante opposition. Briand lui-même avait parfois employé un langage comminatoire - envoyer lhuissier à lAllemagne , lui mettre la main au collet - et ordonné des mesures coercitives sous forme doccupation ; mais cette occupation sétait limitée à trois villes-clés du bassin : Duisbourg, Dusseldorf, Ruhrort, et elle avait été de peu de durée - en fait, une démonstration plutôt symbolique.
La conférence avait tenu séance du 2 au 4 janvier. Poincaré se montra intransigeant, signifia sa décision irrévocable doccuper la Ruhr. Toute discussion était désormais inutile. Non moins résolus, les Anglais déclarèrent que la France devrait entreprendre seule laventure ; ils regrettaient de ne pouvoir la seconder, lui souhaitant bonne chance, comme il se devait entre Alliés, dissimulant mal leur colère davoir affaire à un partenaire aussi incompréhensif. Cependant Poincaré ne resta pas seul ; quand, le 11 janvier, les soldats français entrèrent dans la Ruhr, un contingent belge les accompagnait.
Le président du Reich lança un appel solennel à la résistance que le Reichstag, quasi unanime, confirma : résistance passive de toute la population, les ouvriers devraient refuser de travailler pour loccupant. Les incidents se multiplièrent. Le gouvernement français fit arrêter et condamner Fritz Thyssen et dautres grands industriels.
En France, le Parti communiste, qui avait à peine achevé la réorganisation découlant des décisions du 4e congrès de lInternationale communiste, se trouva tout de suite mis à lépreuve : la lutte contre loccupation de la Ruhr reposa tout entière sur lui. Le Parti socialiste ne faisait quune opposition de forme ; il napprouvait pas la politique de Poincaré, mais il assistait à lopération en spectateur ; il refusait dappeler ses troupes à une opposition active parce quil nosait pas attaquer de front la dangereuse germanophobie que les nationalistes entretenaient et excitaient. Encore moins songeait-il à coordonner son action avec celle de la social-démocratie allemande.
La nouvelle direction du Parti communiste français se préoccupa immédiatement détablir une liaison avec le Parti communiste allemand. Elle participa à la préparation et à la réunion dune Conférence franco-allemande, au cur de la Ruhr, à Essen. Poincaré répondit en faisant arrêter et jeter en prison les délégués français à la Conférence : Cachin, Treint, le nouveau secrétaire général du Parti, Monmousseau, secrétaire général de la C.G.T.U. La Commission des conseils dusine de la Ruhr, se substituant aux directions syndicales défaillantes, lança un appel aux diverses Internationales, aux Centrales syndicales, aux social-démocrates et aux travaillistes ; elle leur demandait denvoyer les délégués à la Conférence quelle se proposait de réunir à Cologne. La Conférence eut lieu, non à Cologne, à cause des difficultés créées par les occupants, mais à Francfort, le 17 mars. Elle neut pas le succès que les travailleurs en attendaient, les dirigeants des organisations social-démocrates et réformistes ayant décidé de la boycotter et dinterdire à leurs membres dy participer. En France, une semaine de protestation pendant laquelle des réunions eurent lieu dans toutes les villes, ne connut quun succès relatif. Les ouvriers étaient foncièrement hostiles à la politique intérieure de Poincaré, mais la haine de lAllemagne, entretenue par la quasi-totalité des journaux, lemporta ; ils permirent à Poincaré de poursuivre son opération ; peut-être arracherait-il quelque chose à cette Allemagne qui refusait de réparer les ruines que son agression avait causées.
La Jeunesse communiste intervint avec courage, bravant tous les risques. Elle assura la publication et la diffusion de lHumanité - interdite par les autorités militaires ; le journal était rédigé et composé à Paris et imprimé en Allemagne. Elle fit une ardente propagande parmi les soldats, préconisant la fraternisation avec les masses ouvrières dAllemagne. Cette propagande donna de tels résultats que le gouvernement français, alarmé, fit procéder à de vastes opérations de police. Les arrestations de jeunes soldats furent nombreuses, les conseils de guerre les condamnèrent à de lourdes peines ; néanmoins la propagande et laction persistaient.
En Allemagne, lagitation et les troubles provoqués par loccupation sintensifiaient. Leffondrement de la monnaie faisait du ravitaillement des familles ouvrières un angoissant problème ; les salaires ne pouvaient suivre les prix quoi quon fît. Misère, chômage, émeutes de la faim. La colère et la révolte sexprimèrent en deux courants distincts. Les arrestations dindustriels, de bourgmestres, les lourdes amendes infligées aux villes, favorisaient le recrutement et lactivité des nationalistes ; leurs leaders sefforçaient dentraîner toutes les couches de la population derrière eux, contre un occupant qui tentait de détacher de lAllemagne un morceau de son territoire en favorisant des mouvements séparatistes, en particulier la création dune République rhénane indépendante.
Pour les ouvriers, la situation présentait un aspect plus complexe. Ils étaient certes contre loccupant, mais aussi contre Thyssen, contre Krupp, contre les magnats de la Ruhr, maîtres durs, piliers du régime qui avait conduit lAllemagne à la guerre. Des mouvements spontanés, fréquents et nombreux, surgissaient çà et là, tantôt sous forme doccupation dusines, de mines, tantôt par la prise du pouvoir dans les villes. Une tendance, parmi les militants du Parti communiste, demandait que ces mouvements soient aidés, encouragés, que laction directe des ouvriers soit préconisée. Mais la direction du Parti les considérait comme de petites insurrections vouées à léchec, risquant déloigner les masses du Parti ; laction ouvrière devait être dirigée dabord contre loccupant.
Les nationalistes avaient organisé des équipes de saboteurs, ils préparaient des attentats, faisaient sauter des ponts, arrachaient des rails, tâchant dentraver de toutes les façons lexploitation des richesses du bassin par les Français. Un des leurs, Schlageter, fut pris, envoyé devant un conseil de guerre, condamné à mort. Son exécution, le 26 mai, provoqua une grande émotion dans tout le pays. La situation devint sérieuse ; loccupation se prolongeait, saggravait ; jusquoù irait-elle ? et à quoi mènerait-elle ? La direction de lInternationale communiste décida de convoquer un Comité exécutif élargi.
Le voyage de Moscou était de nouveau long et compliqué ; il fallait contourner les régions où régnait le militarisme français. Un député communiste, rentrant alors de Moscou et peu habitué aux voyages irréguliers , suivit mal les instructions quil avait reçues et, après de multiples péripéties, échoua au commissariat de Kehl, mais dans un tel état que les autorités policières refusant de croire quil était député, téléphonèrent à Paris pour sen assurer.
La première séance eut lieu le 12 juin 1923. Après le rapport général habituel, Clara Zetkin ouvrit, par un long exposé, le débat sur la lutte contre le fascisme . Dans laprès-midi du 21, Sméral puis Gyptner étaient intervenus dans la discussion quand Radek surgit à la tribune. Son aspect était inhabituel et le discours quil allait prononcer ne le fut pas moins. Il débutait ainsi :
Durant tout le discours de la camarade Clara Zetkin, jétais obsédé par le nom de Schlageter et par son sort tragique. Le destin de ce martyr du nationalisme allemand ne doit pas être tu ni être seulement honoré dun mot dit en passant. Il a beaucoup à nous apprendre, à nous et au peuple allemand. Nous ne sommes pas des romantiques sentimentaux qui oublient la haine devant un cadavre, ou des diplomates qui disent : devant une tombe il faut louer ou se taire. Schlageter, le vaillant soldat de la contre-révolution, mérite de nous, soldats de la révolution, un hommage sincère. Son camarade didées, Freks, a publié en 1920 un roman dans lequel il décrit la vie dun officier tombé dans la lutte contre les spartakistes intitulé Le pèlerin du néant. Si ceux des fascistes allemands qui veulent loyalement servir leur peuple ne comprennent pas le sens de la destinée de Schlageter, celui-ci est bien mort en vain et ils peuvent écrire sur sa tombe Le Pèlerin du Néant .
Les délégués étaient interloqués. Que signifiait cet étrange préambule ? Ce qui suivit ne lexpliquait pas ; au contraire, venait renforcer limpression première. Poursuivant son discours, Radek évoqua une Allemagne abattue, écrasée par le vainqueur. Seuls des fous, dit-il, pouvaient simaginer que lEntente traiterait lAllemagne autrement que lAllemagne a traité la Russie. Schlageter est mort. Sur sa tombe, ses compagnons darmes ont juré de continuer : contre qui ? avec qui ?
Maintenant Radek rappelait Iéna : Gneisenau et Scharnhorst. Doù venait cette médiocre littérature à propos dun héros nationaliste ? Il nétait pas la première victime de loccupation. Des ouvriers avaient été avant Schlageter, emprisonnés et exécutés. Dautres avaient été assaillis et brutalisés par les amis de Schlageter. En écoutant Radek on avait limpression quil lisait un article quil venait dimproviser en hâte, et qui était une affaire strictement personnelle. Seule la conclusion était plausible : Nous croyons que la grande majorité des masses secouées actuellement par des sentiments nationalistes appartient non pas au camp des capitalistes mais au camp du travail.
Cétait là, en effet, le problème que posait une agitation nationaliste qui, servie par la politique de Poincaré, se développait dinquiétante façon [46]. Avant loccupation elle était déjà bien préoccupante. Un article signé H. Tittel, publié par la Correspondance internationale, le 30 décembre 1922, précisait la menace quelle constituait par sa forme militaire dorganisation et par son programme démagogique. Le péril fasciste est réel dans lAllemagne du Sud, disait en substance cet article. En Bavière, et récemment dans le Wurtemberg, les menées du Parti ouvrier national-socialiste ont revêtu une signification très nette : brutalités contre les travailleurs, collisions sanglantes à Stuttgart et à Geislingen ; véritable fusillade à Goeppingen. Il sagit dune campagne méthodique menée à laide daffiches, de tracts, de réunions. Le mouvement national-socialiste est antisémite et pangermaniste. Sa démagogie - contre la haute finance juive, les usuriers, les spéculateurs - lui vaut parfois, dans les masses désappointées, un accueil trop bienveillant. Militairement organisé il se défend dêtre un parti. Il recrute en premier lieu dans les classes moyennes, la petite bourgeoisie ; nous ne nierons cependant pas quil a aussi des ouvriers. Ses soutiens les plus importants sont les grands industriels et les propriétaires fonciers. Les membres actifs sont liés par un serment et tenus, si leurs chefs le leur demandent, de risquer leur vie. Partout ils bénéficient dune attitude bienveillante de la police, et même de son aide. Lauteur de larticle concluait ainsi : Laudace des national-socialistes leur vaut, surtout dans lAllemagne du Sud, un certain prestige. Nous ne pouvons en douter : leur énergie peut rapidement accroître leurs forces et en faire, demain, un danger réel pour la classe ouvrière.
Si le danger national-socialiste était, on le voit, clairement perçu et exactement précisé dans ses traits distincts, la situation nen restait pas moins particulièrement difficile ; ce nétait plus la lutte claire et directe des ouvriers contre leurs exploiteurs : loccupation poussait vers les national-socialistes des couches de la petite bourgeoisie et même des ouvriers quil fallait retenir. Lincroyable déclamation de Radek nétait pas faite pour faciliter la tâche des militants ouvriers qui avaient orienté exactement leur activité. Par contre, elle aida grandement les chefs social-démocrates qui demeuraient passifs devant les progrès des national-socialistes, et étaient heureux davoir un prétexte - qui semblait excellent - pour dénoncer la collusion des chefs communistes et fascistes . Leurs journaux sétaient empressés de reproduire le discours de Radek et de le commenter, comme lavaient fait de leur côté les journaux du Parti populaire allemand, et la Vossische Zeitung, vénérable quotidien libéralo-démocrate.
Radek dut alors répondre. Il le fit en un article exempt de ces envolées lyriques qui avaient marqué son discours, mais empreint de sa causticité et de son ironie coutumière. Après avoir consacré quelques lignes aux rédacteurs de Die Zeit et de la Vossische Zeitung, il sen prenait au Vorwaerts qui avait titré son article Radek fête Schlageter . Le fascisme constitue un grave danger, écrivait-il, plus grand peut-être que ces messieurs de Vorwaerts ne le soupçonnent, car ils ont prouvé maintes fois quils ne savent guère calculer juste... Le Parti communiste est lunique force qui organise à présent la lutte du prolétariat contre les bandes armées des fascistes. Mais il est ridicule de croire que lon pourra battre le fascisme uniquement les armes à la main. On peut abattre les petits mouvements dune minorité par la terreur gouvernementale ; mais cela est impossible contre les fascistes en Allemagne pour la simple raison que tout lappareil gouvernemental est entre les mains des fascistes ou sympathise avec eux. Ce quil faut faire, cest gagner au socialisme les couches de la petite bourgeoisie que leur misère matérielle et morale pousse vers le national-socialisme. Le socialisme ne fut jamais uniquement une lutte pour un morceau de pain au profit des ouvriers. Il chercha toujours à être un flambeau lumineux pour tous les misérables. Le Vorwaerts accordera que les Allemands doivent lutter contre les clauses dasservissement du traité de Versailles, mais il ne saura dire comment il faut mener cette lutte parce quil ne le sait pas lui-même. Le gouvernement ouvrier que les communistes veulent imposer mettra dabord les charges stipulées par le traité sur les épaules de ceux qui peuvent les supporter, et il luttera contre le traité de Versailles comme les Russes ont lutté contre toute tentative dasservissement. Radek concluait ainsi : Un des plus grands crimes de la social-démocratie allemande consiste en ce quelle détruit toute foi dans le socialisme, toute confiance dans la force des masses populaires [47].
Cet article avait été écrit à Moscou le 2 juillet 1923, dix jours après lextraordinaire homélie sur Schlageter. Il rendait un tout autre son, posait clairement les problèmes. On pouvait encore chercher les raisons qui avaient amené Radek à la prononcer : cela navait plus quun intérêt très limité.
Notes
[46] Au cours dune conférence de la presse étrangère, le 30 juin 1924, Stresemann déclara : A lambassadeur de France qui me faisait part des inquiétudes de M. Poincaré relativement au mouvement nationaliste en Allemagne, jai dit, en novembre dernier, quil ne dépendait que des Alliés denrayer ce mouvement. Je crois me rappeler lui avoir dit que chaque discours prononcé le dimanche par M. Poincaré faisait gagner cent mille voix aux nationalistes. Je me suis trompé, mais seulement en restant très au-dessous du chiffre juste. (Les Papiers de Stresemann, tr. fr., I, 255.)
[47] Correspondance Internationale, 10 juillet 1923.