La formule du « gouvernement ouvrier et paysan » est apparue pour la première fois en 1917 dans la politique des Bolcheviks.
Elle revêtait dans ce cas deux aspects: en tant que mot d'ordre de propagande générale elle représentait une dénomination populaire de la dictature du prolétariat « en mettant au premier plan l'idée de l'alliance du prolétariat et de la paysannerie pauvre », comme dit notre programme transitoire, « placée à la base du pouvoir soviétique » ; en tant que mot d'ordre de politique actuelle, elle se concrétisait, entre avril-septembre 1917, dans la bouche des Bolcheviks, encore minoritaires dans les Soviets, comme la revendication adressée aux Mencheviks et aux socialistes-révolutionnaires de « rompre la coalition, et de prendre dans leurs mains le pouvoir », d'une énorme valeur éducative pour les masses.
C'est ce deuxième aspect de la question, c'est-à-dire non pas celui de mot d'ordre de propagande générale synonyme de la dictature du prolétariat, mais celui de mot d'ordre de politique actuelle, dans des conditions données (que nous caractériserons plus loin) qui fera l'objet de cette étude.
Le mot d'ordre du « gouvernement ouvrier et paysan » consacré par l'expérience bolchevique de 1917 fut définitivement admis par l'Internationale communiste après l'insurrection d'octobre.
Le IV° Congrès de l’I.C. en particulier dans sa « Résolution sur la tactique » a repris le mot d'ordre sous ces deux aspects, mais il insista surtout sur son importance en tant que mot d'ordre de politique actuelle. Nous savons que, par la suite, l'Internationale Communiste des épigones toutes les fois qu'elle a tenté de faire revivre dans les pays coloniaux la formule de « dictature démocratique des ouvriers et des paysans » et après 1934 à travers toute sa politique « front-populiste » dans le monde, donna comme dit justement notre programme transitoire, « à la formule de « gouvernement ouvrier et paysan » une interprétation démocratique et bourgeoise » . Notre mouvement a toujours rejeté cette interprétation et chaque fois qu'il a fait usage de cette formule, comme par exemple durant la première période de la Révolution espagnole, et la situation en France entre 1934-1936, il l'a fait dans le sens de d'expérience bolchevique de 1917 et de l'I.C. jusqu'en 1923.
Il est donc nécessaire, pour arriver à une juste compréhension de la formule de « gouvernement ouvrier et paysan » en tant que formule de politique actuelle, de connaître concrètement cette expérience.
La formule de « gouvernement ouvrier et paysan » en tant que mot d'ordre de politique actuelle n'a de sens que dans des conditions données caractérisées par un rapport des forces entre les partis se réclamant de la classe ouvrière et de la bourgeoisie tel qu'il « met la solution de la question du gouvernement ouvrier à l'ordre du jour comme une nécessité politique » [1].
Dans ces conditions de Parti Révolutionnaire encore en minorité dans la classe ouvrière met en avant la revendication adressée aux partis ouvriers majoritaires de « rompre la coalition, prendre le pouvoir » et appliquer une véritable politique ouvrière.
C'est ce qu'ont fait entre avril-septembre 1917 les Bolchevicks. Rappelons brièvement les traits caractéristiques et les événements de cette période. Le 14 mars 1917 se forme le premier gouvernement provisoire présidé par le Prince Lvov, comme résultat d'un accord passé avec le Soviet des députés des ouvriers et des soldats dominé par les Menchevicks et les Socialistes-Révolutionnaires. Ce gouvernement a résisté jusqu'à la crise du 3-5 mai 1917. Le 18 mai se forme, après la démission de Milioukov, le premier gouvernement de coalition présidé à nouveau par le prince Lvov avec la participation des « Socialistes » délégués par le Soviet de Petrograd.
Il a résisté jusqu'aux journées de juillet 1917 pour céder sa place au deuxième gouvernement de coalition présidé par Kerensky. Pendant toute cette période de mars jusqu'aux journées de juillet il y a eu en Russie un régime de dualité de pouvoir; d'un côté le gouvernement politique de la bourgeoisie, et de l'autre côté des conseils des ouvriers, des paysans et des soldats. Lénine considérait cette période (12 mars-17 juillet) comme la période d'épanouissement du pouvoir effectif et de la démocratie des Soviets, conditions qui garantissaient le développement pacifique de la Révolution par la lutte idéologique des partis ouvriers au sein des Soviets.
Les Bolcheviks, d'autre part, représentaient sur le plan national pendant cette période une petite minorité dans les Soviets [2].
C'est dans ces conditions que les Bolchevicks ont traversé toute cette période démocratique de la révolution avec deux mots d'ordre essentiels « Tout le pouvoir aux Soviets » et « À bas les Ministres capitalistes ».
Étant donné le rapport des forces dans les Soviets cela signifiait pratiquement que le pouvoir passerait aux mains des Menchevicks et des Socialistes-Révolutionnaires qui y détenaient la majorité.
Par conséquent la formule « Tout de pouvoir aux Soviets. A bas des Ministres capitalistes » se traduisait pratiquement par la revendication d'un « gouvernement Menchevicks-Socialistes-Révolutionnaires » .
Lénine l'a admis expressément quand par exemple durant le coup d’État de Kornilov il proposa à son parti un compromis circonstancié avec Kerensky en demandant « le retour à notre revendication d'avant les journées de juillet, de tout le pouvoir aux Soviets, d'un gouvernement des Menchevicks est deys Socialistes-Révolutionnaires responsable aux Soviets » [3].
La revendication des Bolchevicks adressée aux « Socialistes » de cette période avait un sens révolutionnaire précisément parce qu'il ne s'agissait pas de la formation d'un gouvernement parlementaire, mais d'un gouvernement appuyé sur les Soviets et contrôlé par les Soviets.
D'autre part, dans cette même période les Soviets, assumaient effectivement le pouvoir, étant:
la seule force armée du peuple contre laquelle le gouvernement bourgeois était absolument impuissant et
la forme démocratique par excellence de l'expression libre de l'opinion de la majorité qui pouvait être gagnée par le seul jeu de la lutte idéologique.
Lénine trouvait ces conditions suffisantes pour rejeter toute idée de transfert violent du pouvoir aux prolétaires et semi-prolétaires, préconisant par contre la lutte idéologique à l'intérieur des Soviets. Répondant aux critiques de la presse menchévique, qui accusait les Bolchevicks d'exciter les ouvriers non seulement contre le gouvernement mais aussi contre les Soviets il écrivait:
« En Russie, nous avons maintenant suffisamment de liberté pour être à même de faire prévaloir la volonté de la majorité de par la composition des Soviets des représentants des ouvriers et des soldats. Par conséquent, si le parti prolétarien désire sérieusement (et non pas à la manière Blanquiste) prendre le pouvoir, nous devons lutter pour gagner de l'influence dans les Soviets.
« Tout ceci a été dit, répété et expliqué à nouveau dans la Pravda et seuls des gens stupides ou de mauvaise foi peuvent ne pas le comprendre. »
Et plus loin, dans le même article:
« Nous avons un droit pour lequel nous allons lutter; noua lutterons donc pour gagner de l'influence et la majorité dans le Soviet et les Soviets. Nous le répétons encore :
Nous nous déclarerons en faveur du transfert du pouvoir dans les mains des prolétaires et semi-prolétaires seulement quand le Soviet des représentants des ouvriers et des soldats adoptera notre politique et sera disposé de prendre ce pouvoir entre ses mains. »
Nous avons un autre exemple très clair de d'interprétation anticapitaliste, révolutionnaire, du mot d'ordre « gouvernement ouvrier et paysan » concrétisé dans la formule de gouvernement Menchevicks-Socialistes-Révolutionnaires » , à l'occasion du coup d’État de Kornilov.
Comme nous l'avons déjà signalé, Lénine considérait le mot d'ordre « Tout le pouvoir aux Soviets » comme parfaitement valable pour toute la période « d'un développement pacifique possible de la Révolution en avril, mai, juin, jusqu'aux journées de 12-22 juillet, c'est-à-dire jusqu'au moment où le pouvoir actuel passa dans les mains de la dictature militaire (de Kerensky) » [4].
Après la terreur déclenchée par Kerensky contre la classe ouvrière et contre les Bolchevicks en particulier, c'est-à-dire après l'affranchissement du gouvernement du contrôle effectif des Soviets, leur rejet dans l'impuissance, et l'étouffement de la démocratie dans deur sein, Lénine considérait
« que ce slogan n'est plus correct, parce qu'il ne tient pas compte de l'accomplissement du passage (aux mains d'une dictature militaire) et de la réelle et complète trahison de la Révolution par les Menchevicks et les Socialistes révolutionnaires. » [5].
Lénine appelait alors l'avant-garde ouvrière à se prononcer pour « une lutte décisive » , à abandonner toute « illusion constitutionnelle ou démocratique » toute illusion sur un développement « pacifique » .
Cependant, les premiers jours de septembre, survint la révolte de Kornilov et sa marche du front vers la capitale pour destituer Kerensky et se proclamer dictateur.
Kerensky et ses Ministres « socialistes » subissant la pression des masses décidées à défendre les armes à la main la Révolution en danger, se voient obligés de lutter contre le général réactionnaire.
C'est à ce moment critique que les opportunistes dans les rangs du Parti bolchevick lèvent la voix demandant d'exprimer, ne fusse qu'indirectement, une sorte de confiance au gouvernement provisoire pour « se défendre (en commun), contre les Cosaques » .
Ils proposent un bloc avec les « Socialistes » pour « soutenir » le gouvernement.
La position prise par Lénine sur cette question est une leçon d'une immense valeur éducative pour tous les Partis révolutionnaires en ce qui concerne l'application léniniste de la tactique du front unique et du « gouvernement ouvrier et paysan » , qui, dans certaines circonstances politiques est une conséquence inévitable de cette dernière.
Lénine était pour l'expulsion immédiate du Parti des défenseurs du bloc avec les « Socialistes » [6].
Dans sa lettre au Comité central du Parti bolchevick du 12 septembre 1917 Lénine définit ainsi sa position envers le gouvernement Kerensky :
« Et même maintenant nous ne devons pas soutenir le gouvernement de Kerensky. Ce serait sans principe. On pourrait nous demander : ne devons-nous pas lutter contre Kornilov ? Certainement nous devons le faire. Mais ce n'est pas la même chose; il y a ici une ligne de démarcation; elle a été franchie par quelques Bolchevicks qui sont tombés dans « le conciliationnisme » et qui se laissent entraîner par le courant des événements.
« Nous allons lutter, nous luttons contre Kornilov, de même que les troupes de Kerensky, mais nous ne soutiendrons pas Kerensky. Au contraire, nous démasquerons sa faiblesse. Là est la différence. C'est une différence plutôt subtile, mais elle est tout à fait essentielle et on ne doit pas l'oublier. En quoi donc consiste le changement de notre tactique après la révolte de Kornilov ?
« En ce que nous changeons la forme de notre lutte contre Kerensky. Sans nous départir le moins du monde de notre hostilité envers lui, sans retrancher un seul mot de ce que nous avons dit contre lui, sans renoncer à la tâche de renverser Kerensky, nous disons : nous devons tenir compte du moment présent : nous n'allons pas renverser Kerensky juste en ce moment; nous envisagerons la tâche de notre lutte contre lui d'une manière différente, c'est-à-dire, nous montrerons aux gens (qui luttent contre Kornilov) la faiblesse et les hésitations de Kerensky. Ceci a été fait aussi.dans le passé. Mais maintenant, c'est devenu la chose principale. C'est en cela que consiste le changement.
« Le changement, aussi, consiste en ceci, que maintenant la chose principale c'est d'intensifier notre propagande en faveur d'une sorte de « revendications partielles » qui doivent être présentées à Kerensky, revendications qui consisteraient en: l'arrestation de Milioukov; l'armement des ouvriers de Petrograd. Le rappel des troupes de Cronstadt, Viborg et Helsinfors à Petrograd: la dissolution de la Douma d’État; l'arrestation de Rodzyanko; la légalisation du transfert de la propriété des hobereaux aux paysans; l'introduction du contrôle ouvrier sur le pain et les usines, etc..., etc... Ces revendications nous les adresserons non pas seulement à Kerensky, non pas tellement à Kerensky, mais aux ouvriers, mer soldats et aux paysans qui ont été entraînés dans la lutte contre Kornilov.
« Attiser leur enthousiasme; les encourager à battre les généraux et les officiers qui se sont déclarés pour Kornilov; les inciter à exiger le transfert immédiat de la terre aux paysans, leur inspirer l'idée de la nécessité de l'arrestation de Rodzyanko et Milioukov, de la dissolution de la Douma, de la fermeture du Ryech et autres journaux bourgeois et de l'ouverture d'une enquête contre eux. La « Gauche » Socialiste Révolutionnaire doit être spécialement poussée dans cette direction ».
« Quant aux phrases sur la défense du pays, sur le front unique des démocrates révolutionnaires, sur le soutien au gouvernement provisoire, etc..., nous devons lutter impitoyablement contre elles, puisqu'elles ne sont que des phrases. »
Revenant sur cette question du « compromis » avec Kerensky contre Kornilov dans son article « sur les compromis » du 14 septembre, Lénine précisait ainsi les conditions :
« Le compromis consistera en ceci : en ce que les Bolchevicks, sans demander de participer au gouvernement (ce qui est impossible à un internationaliste sans la réalisation intégrale des conditions de la dictature du prolétariat et des paysans pauvres) s'abstiendront de mettre immédiatement en avant la revendication du transfert du pouvoir au prolétariat et aux paysans pauvres, et des méthodes de lutte révolutionnaires pour la réalisation de cette revendication. La condition qui est évidente et nullement nouvelle pour les Socialistes Révolutionnaires et les Mencheviks serait la pleine liberté de propagande et la convocation de l'Assemblée Constituante sans nouveau délai ou peut-être même sa convocation à une date plus rapprochée.
« Les Menchevicks et les Socialistes Révolutionnaires en tant que bloc gouvernemental consentiraient alors (prétendant que le compromis a été réalisé) à former un gouvernement et exclusivement responsable devant les Soviets à condition de faire passer tout le pouvoir aux Soviets locaux également. Cela constituerait une « nouvelle » condition, Aucune nouvelle condition ne saurait, je pense, être posée par les Bolcheviks, confiants en ce qu'une pleine et entière liberté de propagande et la réalisation immédiate d'une nouvelle démocratie dans la composition et le fonctionnement des Soviets (nouvelles élections) pourraient assurer d'eux-mêmes une avance pacifique de la Révolution, une issue pacifique de la lutte du Parti à l'intérieur des Soviets. »
Ce qui est, entre autres, intéressant dans cette position de Lénine ce sont les deux conditions du compromis du « front unique » proposé à Kerensky:
la pleine liberté de propagande dans les Soviets;
redonner aux Soviets locaux leur pouvoir effectif.
C'est très important. Encore une fois Lénine n'accepte pas de soutenir un « gouvernement Menchevik-Socialiste-Révolutionnaire », n'engage aucune responsabilité politique pour ses actes, mais il promet seulement de reprendre la voie du développement pacifique de la Révolution au sein des Soviets rétablis dans leurs pouvoirs et leur climat démocratique, de tolérer par conséquent le gouvernement des « Socialistes » aussi longtemps qu'il serait l'émanation de la volonté de la majorité des Soviets librement exprimée.
En conclusion pour comprendre la signification réelle de la formule du « gouvernement ouvrier et paysan » donnée par l'expérience bolchevique de 1917 en tant que mot-d'ordre de politique actuelle il faut tenir compte des conditions suivantes:
La revendication des Bolcheviks adressée aux Mencheviks et aux Socialistes-Révolutionnaires se plaçait dans le cadre de l'existence d'un front-unique organisé de tous les partis ouvriers, des Soviets, ayant un pouvoir effectif et une démocratie intérieure complète. Le Gouvernement s'appuierait sur les Soviets et serait contrôlé par eux. Il serait par conséquent un Gouvernement du type de la Commune, dans le cadre d'une véritable république démocratique ouvrière.
Les Bolchevicks même dans ces conditions ne soutiendraient pas un tel Gouvernement, n'engageraient aucune responsabilité politique pour ses actes mais ils le toléreraient seulement en tant qu'émanation de la volonté de la majorité des Soviets, librement exprimée.
Les Bolcheviks ne limitaient nullement leur propagande pour leur programme dans les Soviets pour faire adopter par les Soviets et par conséquent par le Gouvernement des Soviets leur point de vue.
Il faut avoir constamment à l'esprit l'ensemble de ces conditions pour comprendre le véritable sens transitoire anti-capitaliste et révolutionnaire de la formule du « gouvernement ouvrier et paysan » employée entre avril et septembre 1917 par les Bolcheviks.
L'Internationale Communiste a repris dans le même sens cette formule. La résolution sur la tactique du IV° Congrès de l’I.C. déjà mentionnée est parfaitement claire sur ce point. Après avoir souligné que cette formule en tant que mot d'ordre de politique actuelle acquiert une importance quand le rapport des forces entre les partis ouvriers et la bourgeoisie met à l'ordre du jour la question du gouvernement ouvrier, la résolution précise que ce mot d'ordre « est une conséquence inévitable de toute la tactique du front unique » . Mais quel front unique, de quelle étendue, sur quel programme ? La résolution donne à toutes ces questions une réponse claire.
Il ne s'agit pas d'un front unique temporaire, restreint, pour atteindre quelques objectifs limités, sur un programme des revendications alimentaires, du genre d'un front unique des syndicats. Il s'agit d'un plan d'action beaucoup plus vaste.
« À la coalition ouverte ou masquée bourgeoise et social-démocrate » précise la Résolution, « les communistes opposent le front unique de tous les ouvriers et la coalition politique et économique de tous les partis ouvriers contre le pouvoir bourgeois pour le renversement définitif de ce dernier ».
Les communistes définissent eux-mêmes dans leur propagande ce que doit être le programme d'un tel gouvernement :
« Le programme le plus élémentaire d'un gouvernement ouvrier doit consister à armer le prolétariat, à désarmer les organisations bourgeoises contre-révolutionnaires, à instaurer le contrôle de la production, à faire tomber sur les riches le principal fardeau des impôts et à briser la résistance de la bourgeoisie contre-révolutionnaire »
Notre Programme Transitoire explique dans le même sens cette question quand il écrit
« De tous les partis et organisations qui s'appuient sur les paysans et parlent en leur nom nous demandons qu'ils rompent politiquement avec la bourgeoisie et entrent dans la voie de la lutte pour le pouvoir des ouvriers et des paysans. Dans cette voie nous leur promettons, un soutien complet contre la réaction capitaliste. En même temps nous déployons une agitation inlassable autour des revendications de transition qui devraient à notre avis constituer le programme du « gouvernement ouvrier et paysan » .
Les exemples plus récents de l'expérience espagnole et française illustrent davantage l'emploi pratique de ce mot d'ordre et sa signification.
En avril 1931 le roi Alphonse quitte l'Espagne, et la République est proclamée.
La Révolution espagnole commence. Ses premiers pas en 1931, avec les gouvernements de Zamora-Maura, de Lerroux, dans lesquelles prédominent les ministres « socialistes » rappellent les gouvernements provisoires de mars à juillet 1917 en Russie.
Il y a cependant une différence essentielle entre les deux situations : l'action des masses en Russie se canalisa dès le début dans l'organisation extra-parlementaire des Soviets, tandis qu'en Espagne il n'y a pas eu en 1931 des Soviets. Par ce fait le Parlement bourgeois, les Cortès, acquérait une importance considérable et la formule du « gouvernement ouvrier et paysan » se traduisait concrètement dans la situation espagnole d'une façon différente qu'en Russie.
En 1931 la radicalisation des masses espagnoles se manifeste par la poussée du Parti Socialiste qui devient vite le premier Parti parlementaire.
Cependant les Socialistes prétextant qu'ils n'avaient pas la majorité absolue dans les Cortès refusent d'assumer à eux seuls tout le pouvoir.
Trotsky dans ses lettres adresses aux dirigeants de l'Opposition de Gauche Espagnole trace à cette période la tactique suivante :
Durant la formation du premier gouvernement de coalition de Zamora-Maura et avant les élections de Juin, il préconise le mot d'ordre « À bas Zamora-Maura » qui était l’équivalent du mot d'ordre bolchevik « À bas les ministres capitalistes ».
Partant de la constatation que l'avant-garde ouvrière espagnole était pleinement intéressée à pousser les socialistes à prendre tout le pouvoir en les obligeant de rompre la coalition, il raisonnait ainsi :
« Le slogan « À bas Zamora-Maura » est d'une actualité parfaite. Il est seulement nécessaire de clarifier une question : des communistes ne font pas d'agitation en faveur du ministère Lerroux, ni n'assument aucune responsabilité pour le ministère socialiste; mais, en toute occasion, ils assènent leurs coups les plus décisifs contre l'ennemi de classe le plus déterminé et le plus conséquent, affaiblissant par là même les conciliateurs et ouvrant la voie au prolétariat. Les communistes disent aux ouvriers socialistes : « Contrairement à nous, vous avez confiance en vos chefs socialistes; par conséquent, obligez-les au moins à prendre le pouvoir. En cela nous vous aiderons honnêtement. Après quoi, voyons par ce qui arrivera, qui de nous a raison » [7].
Revenant après la victoire socialiste aux élections de juin il écrivait [8] :
« Méditons un peu comment les ouvriers Espagnols en masse peuvent voir les choses : leurs leaders, les socialistes, ont le pouvoir. Ceci augmente les revendications et la ténacité des ouvriers. Chaque gréviste se figure que non seulement le gouvernement n'est pas à craindre, mais qu'au contraire, on doit espérer son aide. Les communistes doivent précisément engager les préoccupations des ouvriers dans la voie suivante : « Revendiquez du Gouvernement, c'est vos leaders qui en font partie » . Les socialistes prétendront, répondant aux délégations ouvrières qu'ils n'ont pas encore la majorité. La réponse est claire: Avec un système électoral vraiment démocratique et la rupture de la coalition avec la bourgeoisie, la majorité est assurée. Mais c'est ce que les socialistes ne veulent pas » .
Comme il devient clair par ces citations, il ne s'agissait pas de soutenir ou de faire la propagande pour un gouvernement socialiste parlementaire appliquant son programme, mais de s'adresser avant tout aux ouvriers socialistes et de leur promettre une aide révolutionnaire contre la réaction bourgeoise dans le cas où ils obligeraient leurs leaders à rompre effectivement la coalition et à prendre le pouvoir.
Mais prendre le pouvoir par la voie parlementaire ?
Cette hypothèse n'est pas théoriquement exclue dans certaines conditions exceptionnelles.
Ce qui est important n'est pas comment un gouvernement « ouvrier » se forme, mais le genre de l’action (purement parlementaire, ou révolutionnaire) dans laquelle il s'engage après et le programme entend appliquer.
La résolution de l’I.C. déjà mentionnée, envisage la possibilité d'un « gouvernement ouvrier résultant d'une combinaison parlementaire » qui peut aussi « fournir l'occasion de ranimer le mouvement ouvrier révolutionnaire » .
Cependant, pour ne pas laisser d’illusion sur la signification d'un tel gouvernement s'il venait par hasard à être formé, la même résolution ajoute :
« Il va de soi que la naissance d'un gouvernement véritablement ouvrier et le maintien d'un gouvernement faisant une politique révolutionnaire doivent mener à la lutte la plus acharnée et éventuellement à la guerre civile contre la bourgeoisie » .
Trotsky, qui ne recommandait pas d'opposer directement les Cortès, démocratiquement élus « sur la base d'un vrai suffrage universel et égal pour tous les hommes et les femmes à partir de 18 ans » aux Soviets, ajoutait cependant dans cette même lettre précitée :
« Tout le raisonnement ci-dessus resterait en l’air si nous nous bornions uniquement à des mots d'ordre démocratiques et à leur réfraction parlementaire. Il ne saurait être question d’une telle limitation. Les communistes participent à toutes les grèves, toutes les protestations et démonstrations, soulevant toujours de nouvelles couches de la population. Les communistes participent à la lutte avec les masses et au premier rang de celles-ci et la base de ces luttes, les communistes mettent en avant le mot d'ordre des Soviets, et, à la première occasion, forment des Soviets, en tant qu'organisations du front unique prolétarien » .
Ainsi l’expérience de la formule du gouvernement ouvrier et paysan en tant que mot d'ordre de politique actuelle dans les conditions données de la situation espagnole, malgré ses particularités. Il ramène aux mêmes conclusions de l’expérience bolchévique : des partis ouvriers majoritaires (soit aux Soviets, soit au Parlement), le Parti révolutionnaire minoritaire demande qu'ils rompent effectivement la coalition, qu'ils prennent le pouvoir.
En même temps le Parti Révolutionnaire fait une propagande inlassable autour d'un programme de revendications transitoires qui, à son avis, doit constituer le programme du « gouvernement ouvrier » , soutenu et contrôlé par les masses organisées. Voyons maintenant expérience française.
Entre février 1934 et juin 1936, la France a traversé une profonde crise politique et sociale alliant sursaut des forces réactionnaires et fascistes du 6 février qui ont imposé au pays le gouvernement « bonapartiste préventif » de Doumergue à la vague puissante de la révolution prolétarienne des journées de mai-juin 1936. Trotsky a consacré une série d'articles et de brochures à l'examen le plus approfondi de cette situation et dont l’étude nous apporte des enseignements très riches, entre autres sur la signification et l'emploi de la formule du « gouvernement ouvrier et paysan » en tant que mot d'ordre de politique actuelle.
Socialistes et Communistes ont préconisé, pressés par les masses, après le coup d’État réactionnaire et fasciste du 6 février, un « front unique contre le fascisme » , y incluant les Radicaux qui devint depuis 1936, le fameux « Front Populaire ».
Mais ce front unique n'avait en 1934 aucun programme contre le fascisme. Trotsky concluait que la plus importante conséquence de ce Front unique embrassant à cette époque la totalité de l'activité politique publique des deux partis, devrait être « la lutte pour le pouvoir » [9].
« Le but du front unique ne peut être qu'un gouvernement du front unique, c'est-à-dire un gouvernement socialiste-communiste, un Ministère Blum-Cachin » [10].
Cela devait être dit ouvertement. Si le front unique se prenait lui-même au sérieux, il ne pouvait pas ne pas lancer le mot d’ordre de la conquête du pouvoir.
Par quels moyens ?
Trotsky répond: « Par tous les moyens qui mènent à ce but » .
« La lutte pour le pouvoir » écrivait-il, précisant mieux sa pensée « signifie l'utilisation de toutes les possibilités offertes par le régime bonapartiste semi-parlementaire pour renverser ce régime par l'action révolutionnaire et remplacer L’État bourgeois par l’état ouvrier » [11].
Cette argumentation garde une valeur particulière pour ceux qui n'envisagent la création d'un « gouvernement ouvrier » que dans les conditions d'une victoire parlementaire nette des Partis ouvriers leur assurant la majorité.
Trotsky explique que c'est l'esprit offensif de la campagne pour la conquête du pouvoir, et son programme révolutionnaire, qui décuplera la force et l'enthousiasme des masses, les arrachant de leur conservatisme parlementaire et démocratique.
« La lutte pour le pouvoir doit commencer » écrit-il [12] « avec l'idée fondamentale que si l'opposition à une aggravation de la situation des masses sous le régime capitaliste est encore possible, aucune amélioration réelle de leur situation n'est concevable sans un renversement révolutionnaire du droit de propriété capitaliste. La campagne politique du front unique doit être basée sur un programme transitoire adéquat[13], c'est-à-dire sur un système de mesures grâce auxquelles le gouvernement ouvrier et paysan peut assurer le passage du capitalisme au socialisme » .
Il précise d'autre part la nature de l'action que le front unique doit employer pour arriver à son but, la prise du pouvoir :
« Une campagne concentrée dans la presse de la classe ouvrière visant toujours au même but; de vrais discours socialistes prononcés à la tribune du parlement, non par des députés timorés mais par des leaders du peuple; l'utilisation de toute campagne électorale pour des buts révolutionnaires; de fréquents meetings auxquels les masses n'assistent pas seulement pour écouter les orateurs, mais pour avoir les mots d'ordre et les directives du jour; la création et le renforcement de la milice ouvrière; des démonstrations bien organisées chassant des rues les bandes réactionnaires : des grèves de protestation; une campagne ouverte pour l'unification et l'élargissement des rangs des syndicats sous le drapeau de la lutte des classes; une activité opiniâtre conduite avec soin pour gagner l'armée à la cause du peuple; des grèves de plus en plus larges, des démonstrations de plus en plus nombreuses; la grève générale dans une ville et dans le pays entier; une offensive générale contre le gouvernement bonapartiste pour le pouvoir des ouvriers et des paysans » [14].
L'expérience française de la formule du « gouvernement ouvrier et paysan » , en 1934, est particulièrement intéressante parce qu'elle nous montre, entre autres, combien peu s'embarrasse l'esprit révolutionnaire des arguments invoquant l'impossibilité de conquérir le pouvoir par la voie parlementaire pour justifier la passivité dans les conditions d'une double poussée de la menace réactionnaire et des masses radicalisées.
Avec la fin de la guerre, nous assistons à une puissante poussée des masses, du moins dans toute l'Europe, vers les Partis qui se réclament de la classe ouvrière, Communistes et Socialistes.
C'est là la manifestation de la première étape de radicalisation des masses.
Dans plusieurs pays de l'Europe, ces Partis ont même, sur le plan parlementaire, la majorité.
Leur puissance nulle est effectivement beaucoup plus grande que sa réfraction parlementaire, nécessairement faussée par le jeu d'un mode de scrutin qui exclut pratiquement la jeunesse, souvent les femmes, ainsi que par la toute-puissance de l'appareil politique de la bourgeoisie, de l'administration, de la presse et de tous les moyens faiseurs de l'opinion publique.
D'autre part, dans cette première étape de radicalisation des masses, le Parti Révolutionnaire, représenté par les sections de la IV° Internationale, est encore faible et ne peut pas intervenir en tant que facteur indépendant déterminant.
L'ensemble de ces conditions fait que la formule. de « gouvernement ouvrier et paysan » en tant que mot d'ordre de politique actuelle pris dans son sens anticapitaliste et révolutionnaire est plus opportun que jamais.
C'est le mot d'ordre central de la période, l'épine dorsale de toutes nos revendications transitoires et comme dit justement notre programme transitoire
« chacune de nos revendications transitoires doit conduire à une seule et même conclusion politique : les ouvriers doivent rompre avec tous les partis traditionnels de la bourgeoisie pour établir, en commun avec les paysans, leur propre pouvoir » .
L'application concrète de notre programme transitoire par nos jeunes sections élaboré en 1938 avant la guerre, mais qui n'est devenu réellement actuel que maintenant, n'a pas été sans issues et déviations. L'interprétation par la presse de nos sections européennes en particulier du mot d'ordre central et par excellence transitoire du « gouvernement ouvrier et paysan » a été plus d'une fois erronée soit dans un sens sectaire, soit, le plus souvent, dans un sens opportuniste.
L'interprétation de cette formule est sectaire quand on l'utilise seulement en tant que mot d'ordre de propagande générale, c'est-à-dire comme dénomination populaire de la dictature du prolétariat dans des conditions telles que sous cet aspect, elle ne trouve pratiquement aucun écho dans les masses. Cette erreur a été commise par exemple par nos camarades grecs qui appelaient les masses à lutter pour le « gouvernement ouvrier et paysan » , dans le sens de la dictature du prolétariat au même moment où ces masses étaient groupées en majorité écrasante dans tout le pays, autour du Parti Communiste Grec et de son organisation de camouflage, l'E.A.M.
Faire avancer l'expérience politique de ces masses d'intentions révolutionnaires incontestables signifiait en Grèce concrétiser la formule de « gouvernement ouvrier et paysan » dans le mot d'ordre: « L'E.A.M. (débarrassé de ses éléments bourgeois) au pouvoir » .
La tâche tactique en Grèce consistait à enseigner aux masses prolétaires et semi-prolétaires (paysans pauvres, petits bourgeois massés) qui suivaient l’E.A.M., et qui aspiraient à la « Laocratie » , c'est-à-dire à un régime du peuple, qu'elles devaient rompre avec les soi-disant démocrates bourgeois (plus inexistants que partout ailleurs étant donné l’acuité de la lutte de classe dans ce pays) et obliger le Parti Communiste et les quelques autres petites formations se réclamant de la classe ouvrière et de la paysannerie pauvre, groupées autour .de lui, à prendre le pouvoir.
En même temps, nos camarades devraient faire une propagande inlassable autour d'un programme précis de revendications transitoires (qui toutes ont un terrain excellent d'application en Grèce) et qui, à notre avis, devait constituer le programme de ce gouvernement. Les camarades grecs ont omis de passer de la propagande générale du « gouvernement ouvrier et paysan » à son actualisation, et il a fallu l'intervention énergique de l'Internationale pour qu'ils changent de tactique.
Une autre déviation sectaire de cette formule consiste à la présenter comme destinée à « démasquer » le caractère traitre des partis et organisations de la Deuxième et de l'ex-Troisième Internationale.
Nous sommes persuadés que le résultat final de cette revendication constamment adressée à la vieille direction « communiste » et « socialiste » : « Rompez avec la bourgeoisie, prenez le pouvoir » . étant donné l'incapacité quasi-organique de cette direction de se séparer du demi-cadavre politique de la bourgeoisie » , sera de dévoiler aux masses son caractère traître. Mais, comme c'est le cas avec toute la tactique du front unique, cette revendication n'est pas une simple manœuvre de notre part. mais un sincère appel aux ouvriers d'obliger leurs partis de rompre avec la bourgeoisie, et dans cette voie, même si cette rupture se réalise partiellement, nous les soutiendrons avec toutes nos forces contre toute attaque de la réaction bourgeoise. Voilà quel langage nous devons tenir devant les ouvriers.
Venons maintenant à l'interprétation opportuniste, plus fréquente et plus dangereuse parce qu'elle peut faire dévier d'ensemble de notre politique sur une base centriste, de la formule de « gouvernement ouvrier et paysan » .
On a vu se développer cette déviation au sein de notre section française. Le dernier Congrès du P.C.I. a déjà donné l'occasion de mener une première discussion autour de cette question et de mettre au clair les deux interprétations différentes données au mot d'ordre « gouvernement P.C., P.S., C.G.T. » qu'emploie notre section française.
Il y a des camarades qui conçoivent cette formule comme purement parlementaire, démocratique, une revendication minima, qui n'a aucun rapport avec le « gouvernement ouvrier et paysan » [15].
Et cela parce que cette formule ne peut être employée, paraît-il, que dans son sens de propagande générale, c'est-à-dire « comme expression populaire de la dictature du prolétariat » .
Cela, parait-il, résume l'expérience bolchevique de ce mot d'ordre. D'autre part la campagne pour le « gouvernement ouvrier et paysan » ne peut se déclencher, sans « qu'on pose par cela même la candidature du Parti Révolutionnaire à ce gouvernement » [16].
Partant de ces considérations, on rejette pour la période actuelle cette formule « équivoque » , « inactuelle » et « dangereuse » .
Mais alors, de quoi s'agit-il, quand on lance le mot d'ordre : « Gouvernement P.C., P.S., .C.G.T. » ?
Il s'agit, nous l'apprenons à notre grand étonnement, d'une question de tactique, à savoir de formuler « la nécessité d'un « gouvernement P.C., P.S., C.G.T. » dans le cas d'une victoire électorale des Partis ouvriers, et uniquement dans le cas où une majorité parlementaire est obtenue » ! Ce gouvernement parlementaire appliquera son programme et bien qu'il s'agira en réalité « d'un gouvernement bourgeois, appelé à gérer les intérêts de la bourgeoisie » , notre Parti dira aux ouvriers « communistes et « socialistes » :
« Nous sommes prêts à marcher avec vous.., pour soutenir ce gouvernement que vous reconnaissez comme le vôtre; nous sommes prêts à le défendre avec vous, contre ses ennemis et faux amis bourgeois, pour lui permettre de réaliser son programme, qui est à présent votre programme » !
Et cette confusion difficilement imaginable s'appelle application de la tactique du front unique avec les Partis ouvriers sur un programme minimum et sur le plan parlementaire ! [17]
Pauvre tactique du Front unique, pauvre expérience bolchevique, pauvre résolution du IV° Congrès de l’I.C., pauvre programme transitoire !
Tout se trouve embrouillé dans une confusion inextricable.
Cet article aura atteint son but s'il est parvenu à démontrer :
Que la formule de « gouvernement ouvrier et paysan » a deux aspects : l'un en tant que mot d'ordre de propagande générale, servant comme dénomination populaire de la dictature du prolétariat; l'autre en tant que mot d'ordre de politique actuelle dans des conditions données: rapport de forces tel entre les Partis ouvriers et la bourgeoisie que la solution du gouvernement ouvrier devienne une nécessité politique.
Que ce deuxième aspect est l'aspect qui intéresse particulièrement le Parti Révolutionnaire dans une situation caractérisée par l'attachement des masses aux Partis ouvriers traditionnels, tandis que lui reste encore faible.
Dans ces conditions, l'utilisation de la formule « gouvernement ouvrier et paysan » doit se faire concrètement en tant que revendication transitoire, anticapitaliste et révolutionnaire adressée à la vieille direction : « Rompez avec la bourgeoisie, prenez dans vos mains tout le pouvoir » .
« Rompez avec la bourgeoisie » signifie nécessairement appliquer non pas le programme .de ces Partis, qui est justement de programme de la coalition, mais un programme effectivement ouvrier, anticapitaliste et révolutionnaire.
Il se peut que parfois le programme du gouvernement « ouvrier » soit en grande partie le programme défendu par le Parti Communiste, ou le Parti Socialiste ou par leur front unique.
Il se peut, c'est-à-dire, que dans des conditions exceptionnelles ces partis avancent un programme réellement révolutionnaire, au moins sur le papier.
Notre effort dans ce cas sera d'obliger leur direction à porter ce programme devant les masses et de s'engager dans la lutte pour sa réalisation.
C'est ainsi, par exemple, qu'en Janvier 1935, le Comité national du Parti Socialiste Français lançait un programme de lutte pour le pouvoir, de destruction de l'appareil de l’État bourgeois, d'instauration de la démocratie des ouvriers et des paysans, de l’expropriation des banque et et de la grande industrie. (Programme cité et approuvé par Trotsky, Voir: « Où va la France ? ).
Le Parti Révolutionnaire formule ce programme pour l'ensemble de la classe ouvrière et pour son gouvernement.
Nous ne disons pas: « Appliquez notre programme » . Nous disons: « Un gouvernement véritablement ouvrier, qui a effectivement rompu avec la bourgeoisie commencera à appliquer ce programme » et nous faisons une propagande inlassable autour des revendications transitoires qui constituent ce programme et qui seules peuvent concrétiser pour les masses ce que veut dire, rompre effectivement avec la bourgeoisie.
La formule de « gouvernement ouvrier et paysan » est une conséquence inévitable de la tactique du front unique, mais non pas d'un front unique entre syndicats sur une base minima des revendications économiques, mais sur une base beaucoup plus élevée, politique et économique à la fois, qui embrasse le domaine le plus élevé de l'action ouvrière, celui du pouvoir.
Un « gouvernement P.C., P.S., C.G.T. » parlementaire appliquant son programme est un gouvernement bourgeois, même si l'ensemble de ses membres appartient à un Parti ouvrier, comme c'est le cas de l'actuel Labour Party anglais.
Le Parti Révolutionnaire ne soutient pas, ne défend pas ces gouvernements, pas même pour un instant, mais au. contraire doit « démasquer impitoyablement devant les masses le véritable caractère de ces faux « gouvernements ouvriers » . (Résolution sur la tactique du IV° Congres de l’I.C.).
La revendication adressée aux Partis traditionnels : « Rompez avec la bourgeoisie, prenez le pouvoir » ne doit pas seulement s'accompagner de la propagande autour des revendications transitoires qui doivent constituer le programme du « gouvernement ouvrier » , mais aussi de la propagande de l’idée suivante : un gouvernement de ce genre n’est possible qu'en sortant des cadres de la démocratie bourgeoise, qu’en appelant les masses à l'action révolutionnaire, qu'en les organisant dans des formations aptes à appliquer le programme ouvrier (Comités de contrôle ouvrier sur la production, le ravitaillement) et à combattre la résistance de la bourgeoisie (milices).
Qu’un « gouvernement ouvrier », dans des conditions exceptionnelles puisse naître d'une combinaison parlementaire, cela n'est pas exclu.
Mais ce qui lui donnera son caractère effectivement ouvrier et anticapitaliste, c'est le programme, l’appel aux masses, l'organisation des masses.
En même temps le Parti Révolutionnaire explique clairement aux masses que la formation d'un tel gouvernement, ne serait que le premier pas dans la voie du renversement total de l’État de la bourgeoisie qui ne s'accomplira que sous le régime de la dictature du prolétariat.
Le Parti Révolutionnaire entend mener la lutte pour la formule de « gouvernement ouvrier et paysan » en tant que mot d'ordre de politique actuelle concrétisé dans chaque pays d'une telle ou telle façon, dans ce sens et exclusivement dans ce sens.
Notes
[1] Résolution sur la tactique du IV° Congrès de l'I.C. Le programme transitoire justifie l'emploi de ce mot d'ordre par des arguments analogues : « Le mot d'ordre tout à fait général suit la ligne du développement politique de notre époque (banqueroute et désagrégation des vieux procédés bourgeois, faillite de la démocratie, montée du fascisme, aspiration croissante des travailleurs à une politique plus active et plus offensive) » .
[2] Au Premier Congrès Pan-Russe des Soviets, du 16 juin, dominé par les délégués menchevicks, les bolchevicks représentaient à peine 13 %. D'autre part, au Premier Congrès Pan-Russe des délégués paysans tenu à Pétrograd du 17 mai-11 Juin, la fraction bolchevique était insignifiante.
[3] « Sur les compromis » sept. 14-16 1917.
[4] Article de Lénine : « la situation politique », 23 juillet 1917.
[5] Ibid.
[6] « Rumeurs de conspiration », 31 août-1er sept. 1917.
[7] Lettre sur la révolution espagnole, 24 juin 1931.
[9] Whither France ?, Éditions Pioneer Publishing, N.-Y., p. 44. Édition française : Où va la France ?
[10] Ibid.
[11] Ibid. p.44.
[12] Ibid. p.45.
[13] Pour les revendications de ce programme transitoire telles que les entendaient Trotsky, voir le programme de 1934 des bolchevicks-léninistes français.
[14] Ibid. p. 47.
[15] Critiquant cette conception développée dans notre section française, nous avons surtout en vue les arguments présentés par le C. Severin, membre du C.C. du P.C.I. [Parti Communiste Internationaliste, la section française d'alors de la IV° Internationale - NR], dans son article « Pour une politique conséquente sur le mouvement P.C., P.S., C.G.T. » publiée dans le B.I. n°23 du P.C.I.
[16] On lit dans le même article de ce camarade : « Le Gouvernement Ouvrier et Paysan est à l'ordre du jour lorsque le Parti Révolutionnaire entrainant avec lui une fraction importante du prolétariat se prépare à la dictature » .
[17] Notre auteur conçoit en effet que cet emploi du mot d'ordre du « Gouvernement P.C., P.S., C.G.T. » est la conséquence d'une politique de front unique avec les communistes et socialistes, sur la base de leur programme et le terrain parlementaire.