1843-50 |
"On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.." F. Engels, 1894. Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec. |
Le parti de classe
Activités de classe du parti
Nous avons réfléchi à ta proposition, et nous pensons que le moment n'est pas encore venu de la mettre en exécution, mais qu'il approche [1].
Premièrement, une nouvelle Internationale, formellement réorganisée, ne ferait que susciter de nouvelles persécutions en Allemagne, Autriche, Hongrie, Italie et Espagne, et ne nous laisserait finalement que le choix entre laisser tomber l'affaire bientôt ou l'entreprendre secrètement. Ce dernier procédé serait un malheur à cause des inévitables velléités de conspiration ou de putsch, ainsi que les inévitables mouchards qui s'infiltreraient dans nos rangs. Même en France, il n'est pas impossible que la loi contre l'Internationale, qui n'a nullement été abolie, entre de nouveau en application.
Deuxièmement, étant donné les actuelles chamailleries entre L'Égalité et Le Prolétaire, il n'est pas possible de compter sur les Français. Il faudrait, en effet, se déclarer pour l'un des partis, ce qui a aussi ses méchants côtés. En ce qui nous concerne personnellement, nous sommes du côté de L'Égalité, mais nous nous gardons bien d'intervenir publiquement en ce moment, ne serait-ce que, malgré nos avertissements exprès, parce qu'elle fait gaffe sur gaffe sur le plan tactique.
Troisièmement, moins que jamais on ne saurait actuellement entreprendre quelque chose avec les Anglais. Durant cinq mois, j'ai tenté, par le truchement du Labour Standard, dans lequel j'ai écrit une série d'éditoriaux, de renouer avec le vieux mouvement chartiste et de diffuser nos idées, afin de voir s'il y a quelque écho. Absolument rien ! Cependant, comme le directeur [2] plein de bonne volonté, mais faible, une véritable savate ! finit tout de même par prendre peur des doctrines « hérétiques » provenant du continent que j'écrivais dans sa feuille, je dus renoncer.
Il ne resterait donc plus qu'une Internationale qui en dehors de la Belgique se limiterait à la seule émigration, puisqu'à l'exception de Genève et de ses environs on ne pourrait pas compter non plus sur les Suisses vois la Arbeiterstimme et Bürckli.
Au demeurant, l'Internationale continue effectivement de subsister. La liaison entre les ouvriers révolutionnaires de tous les pays, pour autant qu'elle puisse être efficace, est là. Chaque journal socialiste est un centre socialiste ; de Genève, Zurich, Londres, Paris, Bruxelles, Milan, les fils courent et se croisent dans toutes les directions, et je ne vois vraiment pas en quoi le regroupement de tous ces petits centres autour d'un grand centre principal pourrait donner une force nouvelle au mouvement, cela ne ferait qu'augmenter les frictions. Néanmoins, lorsque le moment sera venu où il importera de rassembler les forces, pour toutes ces raisons, il ne faudra pas une longue préparation.
Les noms de tous ceux qui forment l'avant-garde militante d'un pays sont connus de tous les autres, et un manifeste dans lequel tous seraient représentés et que tous signeraient ferait une impression colossale, toute différente de celle que fit celui où figuraient les noms, pour la plupart inconnus, de l'ancien Conseil général. Mais, précisément pour toutes ces raisons, il faut ne pas galvauder une telle manifestation tant qu'elle ne peut avoir un effet percutant, autrement dit tant que des événements européens ne la provoqueront pas. Sinon, on gâche l'effet pour l'avenir et on ne donne qu'un coup d'épée dans l'eau.
Or, de tels événements se préparent en Russie, où l'avant-garde de la révolution trouvera à frapper un grand coup. Cela et son contre-coup inévitable en Allemagne, il faut savoir l'attendre, et à notre avis le moment sera venu alors aussi pour une grande manifestation et la reconstitution d'une Internationale formelle, officielle, qui justement ne saurait plus être une simple société de propagande, mais un parti pour l'action. C'est pourquoi nous sommes décidément de l'avis qu'il ne faut pas affaiblir un organe de lutte aussi remarquable, en en usant (et en abusant) à une époque encore relativement tranquille, mais à la veille de la révolution.
Je pense que si tu réfléchis une nouvelle fois à la chose, tu te rangeras à notre avis. Jusque-là, je vous souhaite à tous deux un bon rétablissement, et j'espère avoir bientôt des nouvelles de toi m'annonçant que tu es à nouveau tout à fait en forme.
Ton fidèle F. E.
L'essentiel [dans la création de la II° Internationale], et cela a été pour moi le motif pour entrer dans le jeu, c'est que réapparaît la vieille coupure de l'Internationale, la vieille bataille de La Haye [3]. Les adversaires sont les mêmes, sauf que l'enseigne anarchiste est changée pour l'enseigne possibiliste : commerce des principes avec la bourgeoisie contre des concessions de détail, et surtout contre des postes bien payés pour les chefs (conseillers municipaux, bourses du travail, etc.). La tactique est tout à fait la même. Le manifeste de la Social Democratic Federation, évidemment écrit par Brousse, est une réédition de la circulaire de Sonviliers. Brousse le sait fort bien : il attaque le marxisme autoritaire, toujours avec les mêmes mensonges et calomnies, et Hyndman l'imite ses sources principales concernant l'Internationale et l'action politique de Marx, ce sont les mécontents de l'ancien Conseil général, Eccarius, Jung et Cie...
Il m'a coûté des peines infinies pour faire comprendre même à Bebel de quoi il s'agit véritablement, alors que les possibilistes le savent très bien et le proclament tous les jours. Au milieu de toute cette agitation, j'avais peu d'espoir de voir les choses prendre une bonne tournure, que la raison immanente qui se développe peu à peu en conscience puisse vaincre maintenant.
Je me réjouis d'autant plus d'avoir la preuve que, tout de même, des choses comme celles qui sont arrivées en 1873 et 1874 ne sont plus possibles. Les intrigants sont d'ores et déjà battus, et l'importance du congrès qu'il attire l'autre à lui ou non réside en ce que l'unanimité des partis socialistes d'Europe est manifeste aux yeux du monde entier et que quelques brouillons qui ne se soumettent pas resteront à la porte, au frais.
Au demeurant, le congrès ne doit guère avoir d'importance. Je n'y assisterai pas naturellement ; je ne puis continuellement me relancer dans l'agitation. Mais les gens veulent maintenant recommencer à jouer aux congrès et alors il vaut mieux qu'ils ne soient pas dirigés par Brousse et Hyndman. Il était tout juste encore temps de leur mettre des bâtons dans les roues...
[2] Engels fait allusion à G. Shipton. Cf. infra, la correspondance d'Engels avec ce dernier.
[3] Cf.
Engels à F. A. Sorge,
8 juin 1889.
La position d'Engels à propos de la création de la
nouvelle Internationale ne s'explique qu'en fonction de la
conception matérialiste générale, qui n'a rien
à voir avec le fanatisme de la « condition subjective
», ni de la condition absolue (que Staline lui-même a
d'ailleurs reniée, en dissolvant la III°
Internationale) sous la pression des réalités
matérielles (en échange du prêt et bail de son
allié américain au cours de la dernière guerre
impérialiste).