1843-50 |
"On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.." F. Engels, 1894. Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec. |
Le parti de classe
Formation de l'Internationale
La conférence a décidé de convoquer un congrès public à Genève pour la fin mai [1]. Elle a préparé un programme des questions qui doivent y être débattues. Mais ne peuvent y participer que les membres de sociétés affiliées à l'Internationale et délégués par elles. Je te mets donc très sérieusement en demeure (je ferai faire la même chose à Stumpf de Mayence, et j'écrirai dans le même sens à Berlin) d'adhérer à l'Internationale avec quelques gens. Peu importe qu'ils soient nombreux ou non. Je t'enverrai des cartes que j'ai payées d'avance, si bien que tu peux les donner gratuitement. Mais agis maintenant ! Toute société (indépendamment du nombre de ses adhérents) peut devenir membre en bloc en payant 5 sh. Les cartes, en revanche, qui coûtent 1 sh, permettent d'être membre à titre individuel, ce qui est important pour tous les ouvriers qui vont à l'étranger. Mais considère ces questions d'argent comme tout à fait secondaires. L'essentiel, c'est de gagner des membres en Allemagne, des individus ou des sociétés...
Je viens de rouvrir cette lettre et, ce faisant, j'ai déchiré quelque chose. En effet, je voulais encore te dire que j'ai envoyé au printemps dernier au docteur Kugelmann une lettre avec des cartes d'adhésion de notre association [2]. Il ne m'a pas répondu.
Cher ami,
J'étais très content de recevoir de nouveau, par votre lettre du 28 septembre, un signe de vie des ouvriers de Rhénanie [3].
B. Becker ou M. Hess ? Je les connais tous deux : ce sont de vieux membres du mouvement. Tous deux sont honnêtes, mais ni l'un ni l'autre n'est capable de diriger un mouvement important. Becker est, au fond, un faible, et Hess un esprit confus. Il est donc difficile de décider entre les deux. Ainsi je pense qu'il est relativement indifférent de vous indiquer lequel des deux il faut choisir, car au moment décisif les hommes nécessaires se trouveront aussi [4].
Plusieurs lettres me sont parvenues, notamment de Berlin, pour me demander si je voulais accepter la présidence (de l'Association générale des ouvriers allemands). J'ai répondu que cela m'était impossible, parce qu'on m'interdit pour l'heure encore que je m'établisse en Prusse [5]. Cependant, je tiendrai pour une bonne démonstration de parti, à la fois contre le gouvernement prussien et contre la bourgeoisie, que le congrès ouvrier m'élise, à la suite de quoi je déclarerai, dans une réponse publique, pourquoi je ne suis pas en mesure d'accepter cette proposition. En outre, cette façon de procéder serait importante pour la raison suivante : le 28 septembre, il y eut ici à Londres un grand meeting public des ouvriers, réunissant des travailleurs anglais, allemands, français et italiens. En outre, les ouvriers parisiens y avaient dépêché spécialement une délégation, à la tête de laquelle se trouvait Tolain, un ouvrier que la classe ouvrière avait présenté à Paris, lors des dernières élections, comme candidat au Corps législatif.
Cette assemblée élut un comité ‑ un comité international pour représenter les intérêts ouvriers, qui se tient en liaison directe avec les ouvriers parisiens et dans lequel se trouvent les dirigeants des ouvriers londoniens. J'ai été choisi pour représenter les ouvriers allemands (et à mes côtés se trouve un vieil ami, le tailleur Eccarius). Ainsi donc, si j'étais élu par le congrès allemand ‑ bien que je dusse dans les conditions actuelles refuser ce choix ‑, cela équivaudrait à une démonstration de la part des ouvriers allemands aux yeux du comité, et donc des ouvriers londoniens et parisiens [6]. Le comité convoquera pour l'année prochaine un congrès ouvrier international à Bruxelles [7]. Je ne pourrai malheureusement y prendre part personnellement, puisque je reste toujours interdit de séjour dans l'État modèle de Belgique, aussi bien que de France et d'Allemagne.
Je vous ferai envoyer des exemplaires du Manifeste dès qu'il se présentera une occasion sûre.
Tout au long de l'année dernière, j'ai été malade (atteint de furonculose). Sinon mon ouvrage, Le Capital, sur l'économie politique serait déjà publié. J'espère pouvoir l'achever enfin d'ici quelques mois, afin de porter ainsi, sur le plan théorique, un coup à la bourgeoisie, dont elle ne se remettra plus.
Bien à vous, et soyez assuré que la classe ouvrière trouvera toujours en moi le fidèle militant de l'avant-garde.
Votre K. M.
Cher Siebel,
Tu as sans doute constaté qu'Engels et moi-même nous avons accepté de collaborer au Sozial-demokrat de Berlin [8]. Cependant ‑ entre nous soit dit ‑, ou bien ce journal devra cesser de porter aux nues les idées de Lassalle, ou bien nous devrons cesser de le soutenir. Néanmoins, pour l'heure, les pauvres diables se débattent dans de grandes difficultés.
Tu as sans doute reçu les exemplaires de l'Adresse inaugurale et des statuts de l'Internationale que je t'ai fait envoyer, et tu auras reconnu le rédacteur. À cause du mouvement d'ici, il est important pour nous que des organisations ouvrières allemandes envoient leurs adhésions au comité central de l'Internationale. Nous en avons déjà reçu de nombreuses d'Italie et de France. Liebknecht vient de me faire savoir que l'association des linotypistes de Berlin demande son adhésion, mais qu'en revanche celle de l'Association générale des ouvriers allemands est douteuse [9] à cause des intrigues de Monsieur Bernhard Becker, dont Lassalle a « découvert » qu'il était un personnage important. (Entre nous, c'est sans doute la seule découverte que Lassalle ait faite.) J'ai écrit aujourd'hui à la vieille Hatzfeld une sorte de mise en demeure, naturellement sub rosa.
Dans ces conditions, il serait hautement souhaitable que tu te rendes rapidement à Solingen pour prendre contact avec le coutelier Klings en mon nom et pour lui exposer combien il importe que l'Association allemande des ouvriers décide d'adhérer à l'Internationale ouvrière à l'occasion de son congrès du 27 décembre de cette année. Tu peux naturellement faire allusion en confidence que ce qui importe a des nullités telles que B. Becker et consorts, ce n'est pas, évidemment, la cause, mais l'infiniment petit, c'est-à-dire leur propre personne. Cependant, de telles allusions doivent être faites diplomatiquement, sans me mêler à l'affaire [10].
Tu comprendras que l'adhésion de l'Association générale des ouvriers allemands n'est utile que pour le commencement, face à nos adversaires d'ici. Plus tard, il faudra disloquer tout cet appareil qui repose sur des bases erronées.
Si tu ne m'écris pas enfin quelques lignes, j'en tirerai la conclusion que tu m'es devenu tout à fait infidèle, et je te lancerai l'anathème.
Ton K. M
Considérant :
il n'est pas simplement conseillé, mais proprement impératif de s'affilier à l'Association internationale afin de s'opposer aux empiètements capitalistes, et de déléguer notre président, Monsieur le docteur J. B. von Schweitzer, comme représentant de l'Association générale des ouvriers allemands au Congrès de l'Internationale qui se tient à Bruxelles du 6 au 11 septembre. Nous demandons donc au Congrès de bien vouloir prendre une décision en ce sens [11].
En conclusion des travaux préparatoires au Congrès de Bruxelles, il se tiendra une réunion de la commission exécutive du Conseil général de l'Association internationale des travailleurs le 22 août, ainsi qu'une réunion plénière du Conseil général le 25 août [12]. Comme je suis chargé de faire le compte rendu d'activité à ces deux réunions, je ne serai pas en mesure de donner suite à l'invitation flatteuse que vous m'avez faite de participer au Congrès de l'A. G. O. A. à Hambourg.
Je constate avec joie que le programme de votre congrès a fixé les points qui constituent en fait le point de départ de tout mouvement ouvrier sérieux : agitation pour une liberté entière, réglementation de la journée de travail, et coopération internationale systématique de la classe ouvrière en vue de la grande tâche historique qu'elle doit résoudre pour toute la société. Nous vous souhaitons bonne chance dans cette œuvre !
L'Association générale des ouvriers allemands a été dissoute non seulement sous le règne du suffrage universel, mais précisément parce que le suffrage universel règne [13]. Engels lui avait prédit qu'elle serait persécutée dès qu'elle deviendrait dangereuse. Dans sa dernière assemblée générale [14], l'Association avait décidé : 1. de faire de l'agitation pour une pleine liberté politique ; et 2. de collaborer avec l'Internationale. Ces deux résolutions signifient une rupture complète avec tout le passé de l'Association. En les prenant, l'Association abandonnait la position de secte qu'elle occupait jusque-là pour s'engager dans le vaste champ d'un grand mouvement ouvrier. Mais, en haut lieu, on semble s'être imaginé que cela heurtait d'une certaine manière les accords. En d'autres temps, cela n'aurait pas tiré vraiment à conséquence. Mais, depuis l'instauration du suffrage universel, on a voulu soigneusement préserver le prolétariat des campagnes et des petites villes de telles tentatives de subversion. Le droit au suffrage universel fut donc le dernier clou enfoncé dans le cercueil de l'Association générale des ouvriers allemands.
C'est un honneur pour l'Association d'avoir succombé précisément à la suite de cette rupture avec le lassalléisme borné. Quelle que soit l'organisation qui la remplacera, elle devra être fondée sur une base et des principes plus généraux que ceux que pouvaient offrir les bavardages lassalléens, éternellement rabâchés, à propos de l'aide de l'État. Dès l'instant où les membres de l'Association dissoute commencèrent à penser, au lieu de croire, disparaissait le dernier obstacle qui se trouvait sur le chemin de la fusion de tous les ouvriers social-démocrates allemands en un grand parti [15].
La cinquième conférence de l'Association des sociétés ouvrières allemandes déclare, dans les points suivants, son accord avec le programme de l'Association internationale des travailleurs :
Considérant en outre :
la cinquième conférence des sociétés ouvrières allemandes décide d'adhérer aux efforts de l'Association internationale des travailleurs.
Le citoyen Marx annonce qu'il a reçu une lettre d'Essen (Allemagne) l'informant d'une grève de 1 300 mineurs qui s'opposent à une réduction de leur salaire et demandent qu'on leur envoie un secours pécuniaire...
Eccarius fait, ensuite, un bref rapport sur sa mission à la Conférence de Nuremberg, disant qu'il avait été hautement satisfait du tact que les travailleurs allemands avaient acquis durant la courte période où ils ont été en possession de la liberté de réunion publique. La question de l'affiliation à l'Association internationale a été acquise par 68 voix contre 46, la minorité étant formée d'hommes que l'emploi de moyens politiques effrayent. Ayant été obligé de quitter la conférence pour aller à Bruxelles après que le vote eut été acquis, il ne peut dire quelles autres mesures ont été prises.
Le citoyen Marx dit qu'un comité de 16 membres a été mis en place ensuite, afin de faire appliquer la résolution et d'agir comme comité exécutif de l'Association internationale des travailleurs pour l'Allemagne, après avoir été investi du pouvoir d'agir en tant que tel [17].
Considérant
la cinquième conférence des sociétés ouvrières allemandes charge les membres de l'Association et notamment du comité d'agir énergiquement pour l'unification des travailleurs dans des syndicats centralisés.
On m'a appris que l'Association a décidé d'adresser une circulaire aux ouvriers allemands sur le thème « l'unification de masse des ouvriers d'Allemagne du Sud et du Nord à la suite du Congrès de Berlin du 26 septembre [19] ».
Cela étant, je me vois contraint de vous déclarer par la présente que je quitte votre association.
Une telle circulaire a manifestement pour but, ou implique, une prise de position ouverte et publique de l'Association allemande de formation des ouvriers, en faveur de Schweitzer et de son organisation, contre l'organisation du Congrès de Nuremberg qui embrasse la majeure partie de l'Allemagne du Sud ainsi que différentes parties du Nord. Étant donné qu'en Allemagne, je suis connu comme membre, en fait membre le plus vieux de l'Association, on pourrait me rendre responsable de cette démarche, malgré tous les démentis que je pourrais élever.
Vous devez comprendre que je ne puis endosser une responsabilité pareille.
Premièrement : Durant les polémiques entre l'organisation de Nuremberg, représentée par Liebknecht et Bebel, etc., et celle de Berlin, représentée par Schweitzer, les deux parties se sont adressées à moi par écrit. J'ai répondu que, comme secrétaire du Conseil général de l'Association internationale des travailleurs pour l'Allemagne, je devais adopter une position impartiale. J'ai conseillé aux deux parties que si elles ne voulaient ni ne pouvaient fusionner, elles devaient trouver la voie et les moyens d'œuvrer pacifiquement côte à côte en vue du but commun.
Deuxièmement : Dans une lettre à M. von Schweitzer, je lui ai expliqué en détail pourquoi je ne pouvais approuver ni la façon dont avait été organisé le Congrès de Berlin, ni les statuts qu'ils y avaient fait adopter [20].
Troisièmement : Le Congrès de Nuremberg s'est directement affilié à l'Association internationale des travailleurs. Le Congrès de Hambourg ‑ dont celui de Berlin n'a été qu'un prolongement ‑ n'a adhéré qu'indirectement par des déclarations de sympathie, à cause des obstacles que la législation prussienne est censée mettre sur son chemin. Mais, en dépit de ces obstacles, l'Association ouvrière démocratique nouvelle constituée à Berlin [] et appartenant à l'organisation de Nuremberg, s'est affiliée publiquement et officiellement à l'Association internationale des travailleurs.
Je répète que, dans ces conditions, la décision de l'Association ne me laisse pas d'autre choix que de vous annoncer par la présente que je la quitte. Veuillez être assez aimables pour communiquer ma lettre à l'Association.
Notes
[1] Cf. Marx à Wilhelm Liebknecht, 21
novembre 1865.
Le Congrès de Genève se tint, en fait, du 3 au 6
septembre 1866.
[2] Cf. Marx à Kugelmann 23 février 1865. Trad. fr. : Karl MARX, Lettres à Kugelmann (1862-1874), préface de Lénine, rééd. Anthropos, 1968 p. 43-50.
[3] Marx à Karl Klings, 4 octobre
1864.
Marx avait gardé le contact avec Klings, lié à
quelques anciens membres de la Ligue des communistes durant la
période de réaction. Klings avait demandé conseil à Marx à
propos d'un successeur éventuel de Lassalle ‑ tué
dans un duel, début septembre 1864 ‑ à la tête de
l'Association générale des ouvriers allemands, qui était à
cette époque l'unique organisation politique quelque peu
indépendante de la bourgeoisie. D'où les efforts de
Marx-Engels pour la rattacher à l'Internationale en vue de
la transformer en parti prolétarien révolutionnaire.
[4] L'un des effets de la longue
période d'incubation du mouvement ouvrier de 1849 à 1864 a
été d'écarter les dirigeants plus ou moins prestigieux et
capables de la période révolutionnaire de 1848 et
d'éveiller, chez les masses ouvrières en général et une
avant-garde d'ouvriers en particulier, une capacité
politique plus grande. Il semble qu'avec la maturation des
conditions économiques et sociales du capitalisme la classe
ouvrière soit de plus en plus en mesure de susciter elle-même
ses propres dirigeants. La création de la Ire
Internationale confirme cette tendance.
En ce qui concerne la question des « chefs »,
Marx-Engels s'efforcent toujours de la ramener à deux
principes : d'abord, le milieu et le mouvement produisent à
chaque fois les hommes de la situation (c'est par un tour
de passe-passe qu'on substitue la question des chefs à
celle ‑ véritable ‑ du parti qui doit être, dans
les conditions énoncées par Marx-Engels, structuré, hiérarchisé
et autoritaire pour remplir ses multiples fonctions). Ensuite,
c'est la continuité, la cohérence et le caractère militant
du parti en général qui forment les militants et aguerrissent
les dirigeants capables et expérimentés. Ce n'est pas
l'individualité, mais la fonction active qui constitue «
les chefs ».
Marx-Engels n'ont pas pensé qu'en prenant,
par exemple, la présidence de l'Association générale des
ouvriers allemands, ils eussent plus efficacement influé sur
l'orientation de cette organisation : celle-ci dépendait de
facteurs bien plus importants. Sans être jamais nommé
officiellement à la direction de l'Association
internationale des travailleurs, Marx pouvait néanmoins dire :
« L'Association internationale me prend énormément de
temps, étant donné que je suis en fait à la tête de cette
affaire. » (Marx à Engels, 13 mars 1865.) Pour des raisons de
circonstance, Engels sera moins actif que Marx dans les
affaires de l'Internationale. En revanche, il le sera plus
que lui à d'autres moments.
[5] Le gouvernement prussien avait
amnistié, le 12 janvier 1861, tous les émigrés politiques et
leur avait garanti qu'il ne ferait pas obstacle à leur
retour éventuel À la suite de quoi, au printemps 1861, durant
son séjour à Berlin, Marx entreprit des démarches pour
réintégrer sa nationalité prussienne. Celle-ci lui fut
néanmoins refusée.
Bernhard Becker, nommé par Lassalle dans son
testament pour lui succéder, fut « élu » à la présidence de
l'Association générale des ouvriers allemands.
À plusieurs reprises, Liebknecht avait demandé à Marx
de bien vouloir se faire élire à la présidence de
l'Association, en spécifiant que Bernhard Becker et J. R.
Schweitzer l'y avaient incité. Apparemment, Marx n'eût
voulu qu'une nomination symbolique.
[6] À côté de nombreux dirigeants des
syndicats londoniens, on trouvait, au début dans l'A. I.
T., de nombreux éléments petits-bourgeois venus des milieux de
l'émigration française et italienne. Marx s'attacha à
isoler et à neutraliser ces éléments et, pour cela,
s'appuya sur des organisations ouvrières, d'où son
désir de se voir choisi par les ouvriers allemands.
Par la suite, il se constitua un noyau prolétarien
révolutionnaire, sous l’impulsion de Marx. Il fut formé,
entre autres, par Robert Shaw, Hermann Jung, Eugène Dupont,
Auguste Serraillier, Paul Lafargue, Léo Frankel et les anciens
membres de la Ligue des communistes Friedrich Lessner, Johann
Georg Eccarius, Georg Lochner et Carl Pfänder.
[7] Contrairement à ce qui avait été prévu initialement, le premier congrès de l'Association internationale des travailleurs (A.I.T.) ne fut pas tenu à Bruxelles en 1865, mais eut lieu à Genève du 3 au 8 septembre 1866. À l'initiative de Marx, une conférence préparatoire de ce congrès fut convoquée à Londres du 25 au 9 septembre 1865.
[8] Marx à Carl Siebel, 21 janvier
1865.
Les textes que nous reproduisons témoignent de
l'action du « parti Marx » dans l'Internationale, sans
prétendre nullement faire l'historique de ce vaste
mouvement. Ils rendent compte plutôt de l'activité du parti
historique dans l'organisation du prolétariat
international, à partir de l'action et des écrits de
Marx-Engels. Ils n'ont donc rien d'académique et ne
font pas appel à l'érudition, mais s'efforcent de tirer
l'expérience pratique du mouvement communiste authentique,
avec les moyens disponibles et dans le cadre de ces
volumes.
[9] Dans sa lettre à Marx du 21 janvier 1865 Liebknecht informe Marx qu'à cause des diverses intrigues de M. Hess, B. Becker, etc., l’adhésion de l’A. G. O. A, était retardée et qu'elle ne pourrait sans doute pas s'effectuer par voie directe, parce que les lois prussiennes interdisaient l'affiliation à une organisation internationale.
[10] Dans sa lettre du I° février 1865, C.
Siebel relate les vives polémiques soulevées par Klings au
congrès de l'A. G. O. A., et écrit entre autres : « À
propos de l'affiliation à Londres, Klings a déclaré :
l'Association de formation des ouvriers de Solingen a
l'intention de faire scission et de s'affilier à
Londres. Mais elle veut d'abord s'efforcer d'épurer
toute l'organisation allemande, et c'est alors que le
moment serait choisi pour s'affilier. »
Tous les textes sur les rapports de Marx-Engels, au
nom de l'Internationale, avec le mouvement ouvrier allemand
sont extraits du volume intitulé Die I. Internationale in
Deutschland (1864-1872). Dokumente und
Materialien, Dietz Verlag, Berlin, 1964.
[11] Cf. Sozial-demokrat, 12 août
1868.
Ce projet fut présenté par Bornhorst. Le Congrès
adopta effectivement une motion sur la nécessité
d'œuvrer en commun avec tous les partis ouvriers des
pays civilisés à partir des mêmes principes, mais Schweitzer
parvint à éviter l’affiliation à l'Internationale,
ainsi que l'envoi d'un délégué au Congrès de
Bruxelles.
En revanche, la section de Leipzig, influencée par
Bebel et Liebknecht, décida d'envoyer un délégué à
Bruxelles et se prononça directement pour l'affiliation à
l'Internationale. C'était le point de départ du futur
programme du Congrès de Nuremberg de l'Association des
sociétés ouvrières allemandes (5-7 septembre 1868).
L'organisation du prolétariat allemand en parti
se fera en liaison directe avec l'Internationale de Marx,
et la pression spontanée de la base s'exercera d'abord
sur l'organisation lassalléenne et ne sera pas sans
influence sur le sort ultérieur de celle-ci. En outre,
c'est à partir de cette position fondamentale que se
formera le parti ouvrier allemand qui se donnera une
organisation autonome au Congrès d'Eisenach en août
1869.
[12] Cf. Marx. Sozial-demokrat, 28
août 1868.
J. B. Von Schweitzer, président de l'A. G. O. A.,
avait demandé à Marx d'assister, comme invité
d'honneur, à la réunion générale de l'Association à
Hambourg du 22 au 26 août 1868. Sous la pression du mouvement
ouvrier allemand, de l'agitation économique et des grèves,
les dirigeants lassalléens avaient de plus en plus de mal à
garder leur influence sur le mouvement, et ils durent composer
et manœuvrer. Les partisans de Marx ‑ et Marx
lui-même ‑ proposèrent un programme qui n'avait
pratiquement plus rien de commun avec celui de Lassalle. Pour
prévenir l’action de Bebel et de Liebknecht qui
travaillaient déjà à la constitution de syndicats, Schweitzer
et Fritzsche proposèrent de tenir à Berlin un congrès des
syndicats allemands. Le Congrès de Hambourg reconnut le
principe selon lequel il est nécessaire de travailler en commun
avec les travailleurs des autres pays. Mais, en pratique, les
dirigeants réussirent à empêcher l'affiliation de
l'Association à l'Internationale. Le texte ci-dessus de
Marx fut lu et applaudi à la séance publique du 21 août, puis
publié dans l'organe de l'Association.
En ce qui concerne l'aspect syndical de la
question des rapports avec l'A. G. O. A., cf. les textes
reproduits dans Marx-Engels, Le Syndicalisme, t. I, p.
87-94.
[13] Cf. Engels, « À propos de la dissolution de l'association ouvrière de Lassalle » Demokratisches Wochenblatt, 3-10-1868.
[14] Sous la pression des masses
et des partisans de Marx, la direction lassalléenne avait été
obligée d'adopter des résolutions en opposition flagrante
avec les principes lassalléens défendus jusque-là. Le 16
septembre 1868, la police de Leipzig ordonna la dissolution de
l’Association générale des travailleurs allemands, dont
le siège était à Leipzig, en même temps que la fermeture de sa
section berlinoise.
Néanmoins, trois semaines plus tard à peine,
l'Association fut reconstituée à Berlin sous le même nom,
par un groupe de lassalléens dirigés par Schweitzer. Dans les
statuts de la nouvelle Association, publiés le 1-10-1868 par le
Sozial-démokrat, la direction de l'Association
manifestait clairement son intention
d'agir strictement dans le cadre de la loi
prussienne, en s'en tenant aux moyens purement pacifiques
et légaux. La direction s'était inclinée devant l'État
prussien et se mit en devoir de dissoudre ses sections
locales.
Von Schweitzer s'engageait davantage encore dans
la collaboration avec Bismarck dont il soutint, de fait, la
politique d'unification de l'Allemagne sous hégémonie
prussienne : il s'opposa à l'affiliation des ouvriers
allemands à l'Internationale, et lutta contre le parti
ouvrier social-démocrate. Il fut finalement exclu de
l’Association générale des ouvriers allemands en 1872,
lorsque ses rapports avec le gouvernement prussien furent
rendus publics.
[15] Le parti ouvrier allemand se constituera en revendiquant les principes internationalistes, énoncés par Marx dans l'Adresse inaugurale et les statuts de l'A. I. T., et en luttant contre les éléments démocrates libéraux et les chefs lassalléens liés au socialisme d'État de Bismarck. À la séance du Conseil général du 28 juillet 1868, Marx lut une lettre de A. Bebel, accompagnée d'un mot de Liebknecht, invitant une délégation du Conseil général à assister à la conférence de l'Association des sociétés ouvrières allemandes de septembre 1868 dans laquelle devait se discuter la question de l'affiliation de cent sociétés ouvrières à l'Internationale. Voici le texte de l'adresse envoyée par Bebel au Conseil général de l'A. I. T., le 23 juillet 1868 : « Un événement considérable qui se passe dans la majeure partie des sociétés ouvrières allemandes nous incite à vous adresser cette missive. L'Association des sociétés ouvrières allemandes tiendra son congrès les 5, 6 et 7 septembre à Nuremberg. Entre autres, l'ordre du jour contient la question très importante du programme, qui décidera si l'Association continuera à l'avenir de travailler comme elle le fait actuellement sans aucun principe ni plan, ou si elle agira d'après une ligne directrice fondamentale, dans une orientation bien déterminée. Nous avons choisi cette dernière voie et sommes décidés à proposer l'adoption du programme de l'Association internationale des travailleurs tel qu'il est exposé dans le premier numéro du Vorbot, ainsi que l’affiliation à l'Internationale... »
[16] Aux yeux de Marx, la formation du
parti révolutionnaire allemand devait s'effectuer par
l'action directe des ouvriers eux-mêmes, en réaction non
seulement contre les chefs lassalléens, notamment von
Schweitzer et Fritzsche, plus ou moins liés au gouvernement
prussien, dont l'Internationale était l'ennemi numéro
un, mais encore de chefs tels que Eccarius et Liebknecht qui
voulaient régenter la classe ouvrière. C'est ce qui ressort
de la lettre de Marx à Engels du 26 septembre 1868 à propos des
Congrès de Hambourg et de Nuremberg.
« Je ne crois pas que Schweitzer ait eu un
pressentiment du coup qui vient de le frapper. Si cela avait
été le cas, il n'aurait pas glorifié avec tant d'ardeur
les vertus d'une ‘organisation qui marche au
pas’. Je crois que c'est l'Internationale qui a
poussé le gouvernement prussien à prendre cette mesure [la
dissolution de l'Association générale des ouvriers
allemands]. Ce qui explique la lettre ‘si chaudement
fraternelle’ que Schweitzer m'a adressée, c'est
tout simplement qu'il craint qu'après la décision de
Nuremberg je prenne parti publiquement pour Liebknecht et
contre lui. Après l'affaire de Hambourg (le bonhomme
m'avait écrit de bien vouloir venir moi-même Hambourg
‘pour que l'on me charge des lauriers tant
mérités’), une telle polémique serait périlleuse pour
lui.
« Mais ce qui est le plus nécessaire pour la classe
ouvrière allemande, c'est qu'elle cesse d'agir avec
l'autorisation préalable de ses hautes autorités. Une race
aussi bureaucratiquement éduquée doit suivre un cours complet
de formation en agissant d'après sa seule initiative. Au
reste, elle bénéficie d'un avantage absolu : elle commence
le mouvement dans des conditions de maturité d'une époque
bien plus avancée que les ouvriers anglais et, du fait de la
situation allemande, les ouvriers ont un esprit généralisateur
solidement ancré en eux. Eccarius (qui vient d'assister à
la Conférence de Nuremberg comme délégué de
l'Internationale) ne tarit pas d'éloges sur les bonnes
manières parlementaires et le tact avec lesquels les Allemands
ont dirigé le Congrès de Nuremberg et ce à la différence de
l'attitude des Français au Congrès de Bruxelles. »
[17] Dans sa lettre à Marx du 7 septembre 1868 Eichhoff précise : « La minorité qui a ensuite déposé une protestation contre les actes du comité a tenu aujourd'hui une réunion à part dans la salle de l'Association ouvrière de formation et n'a plus assisté à la réunion générale dans la salle de la mairie locale ; elle a donc fait scission dans toutes les formes, et se constituera sans doute en une nouvelle association... L'attitude des délégués de Saxe a été exemplaire à tous les points de vue et témoigne d'une préparation tout à fait remarquable : le mérite en revient essentiellement à Bebel et à Liebknecht. Nous leur devons la victoire remportée contre la plupart des sociétés d'Allemagne du Sud, notamment du Wurtemberg, du Hanovre, de Bielefeld, d'Oldenburg, de Hambourg et d'autres sociétés isolées d'Allemagne du Nord. »
[18] Le syndicalisme est par excellence le
terrain où s'exerce ce que Marx appelle l'activité
autonome du prolétariat, voulue et animée par les ouvriers
eux-mêmes, à la différence et en opposition à toutes les autres
classes, au niveau de leurs conditions réelles de vie et de
travail en vue de leurs intérêts immédiats et collectifs de
classe.
Nous ne reproduisons pas ici les textes de
Marx-Engels sur l'Internationale et les syndicats, ainsi
que leur action syndicale dans l'A. I. T., nous renvoyons
le lecteur au recueil de Marx-Engels, Le Syndicalisme,
vol. 1, 57-170.
L'initiative de la Conférence de Nuremberg
s'inscrit directement dans les préoccupations du Conseil
général de l'A. I. T. sur les syndicats, comme en témoigne
la résolution du troisième congrès de l'A. I. T. élaborée
par Marx et adoptée à Bruxelles en septembre 1868 : « En ce qui
concerne l’organisation des grèves, dans les branches de
production où il n'y a pas encore de syndicats, de sociétés
de résistance, de secours mutuel, il importe d'en créer,
puis de solidariser entre eux tous les syndicats de toutes les
professions et de tous les pays, en instituant, dans chaque
fédération locale, une caisse destinée à soutenir les
grévistes. En un mot, il faut continuer dans ce sens
l'œuvre entreprise par l'Association
internationale des travailleurs, et s'efforcer de
faire entrer le prolétariat en masse dans cette association...
Le Congrès sera nanti chaque année d'un rapport sur les
syndicats émanant de chaque groupe ou de chaque section, afin
de se rendre compte de leurs progrès. » (Ibid., p. 70-71.)
[19] Cette déclaration de Marx, datée du 23
novembre 1868, fait suite à la position adoptée par cette
association vis-à-vis du Congrès des lassalléens de Berlin.
Dans sa lettre à Engels du 25 novembre 1868, Marx
écrivait : « Les lassalléens importés de Paris et
d'Allemagne, en contact secret avec Schweitzer, ont utilisé
l'absence de Lessner [dirigeant de l'Association et
membre du Conseil central, après avoir été membre de la
Ligue des communistes] à la suite de la maladie de sa
femme, pour faire passer en douce un vote en faveur de
Schweitzer contre le Congrès de Nuremberg. »
En fait, l'Association allemande de formation des
ouvriers de Londres avait pris position par surprise en faveur
des syndicats créés par Schweitzer au Congrès de Berlin du 26
septembre 1868 (d'où les associations et syndicats de
l'organisation de Nuremberg avaient été écartés), et le
conflit fut finalement réglé par l'adoption de
modifications proposées par Marx à la circulaire.
L'Association allemande de formation des ouvriers demeura
une section allemande de l'Internationale à Londres.
[20] Cf. Marx-Engels, Le Syndicalisme, vol. I, p. 87-94, sur l'agitation de J. B. von Schweitzer en vue de la création de syndicats, ainsi que sur la position personnelle de Marx sur cette question.
[21] Cette association s'était formée en octobre 1868 à la suite d'une scission d'avec les éléments lassalléens. Elle se donna deux ouvriers pour dirigeants ‑ Wilcke et Kämmerer ‑ afin de marquer son caractère prolétarien. Elle conduisit une lutte sévère contre les lassalléens, et entra au parti ouvrier social-démocrate en 1869 au Congrès d'Eisenach.