1843-50

"On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.." F. Engels, 1894.

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


Le parti de classe

K. Marx - F. Engels

Préparation de la révolution (1847-1848)

Discours de Friedrich Engels sur la Pologne


Messieurs,

L'insurrection dont nous célébrons aujourd'hui l'anniversaire a échoué [1] Après quelques jours de résistance héroïque, Cracovie a été prise, et le spectre sanglant de la Pologne, qui s'était dressé un instant devant les yeux de ses assassins, redescendit dans la tombe.

C'est par une défaite que s'acheva la révolution de Cracovie, une défaite bien déplorable. Rendons les derniers honneurs aux héros tombés, plaignons leur échec, vouons nos sympathies aux vingt millions de Polonais dont cet échec a resserré les chaînes.

Mais, Messieurs, est-ce là tout ce que nous avons à faire ? Est-ce assez de verser une larme sur le tombeau d'un malheureux pays et de jurer à ses oppresseurs une haine implacable, mais jusqu'à présent peu puissante ?

Non, Messieurs ! L'anniversaire de Cracovie n'est pas un jour de deuil seulement, c'est pour nous, démocrates, un jour de réjouissance ; car la défaite même renferme une victoire, victoire dont les fruits nous restent acquis, tandis que les résultats de la défaite ne sont que passagers.

Cette victoire, c'est la victoire de la jeune Pologne démocratique, sur la vieille Pologne aristocratique [2].

Oui, la dernière lutte de la Pologne contre ses oppresseurs étrangers a été précédée par une lutte cachée, occulte, mais décisive au sein de la Pologne même  [3], lutte des Polonais opprimés contre les Polonais oppresseurs, lutte de la démocratie contre l'aristocratie polonaise.

Comparez 1830 et 1846, comparez Varsovie et Cracovie. En 1830, la classe dominante en Pologne était aussi égoïste, aussi bornée, aussi lâche dans le corps législatif qu'elle était dévouée, enthousiaste et vaillante sur le champ de bataille.

Que voulait l'aristocratie polonaise en 1830 ? Sauvegarder ses droits acquis, à elle, vis-à-vis de l'empereur. Elle bornait l'insurrection à ce petit pays qu'il a plu au congrès de Vienne d'appeler le royaume de Pologne ; elle tenait l'élan des autres provinces polonaises ; elle laissait intactes le servage abrutissant des paysans, la condition infâme des juifs. Si l'aristocratie, dans le cours de l'insurrection, a dû faire des concessions au peuple, elle ne les a faites que lorsqu'il était déjà trop tard, lorsque l'insurrection était perdue.

Disons-le hautement : l'insurrection de 1830 n'était ni une révolution nationale (elle excluait les trois quarts de la Pologne) ni une révolution sociale ou politique ; elle ne changeait rien à la situation antérieure du peuple : c'était une révolution conservatrice [4].

Mais, au sein de cette révolution conservatrice, au sein du gouvernement national même, il y avait un homme qui attaquait vivement les vues étroites de la classe dominante. Il proposa des mesures vraiment révolutionnaires et devant la hardiesse desquelles reculèrent les aristocrates de la Diète. En appelant aux armes toute l'ancienne Pologne, en faisant ainsi de la guerre pour l'indépendance polonaise une guerre européenne, en émancipant les juifs et les paysans, en faisant participer ces derniers à la propriété du sol, en reconstruisant la Pologne sur la base de la démocratie et de l'égalité, il voulait faire de la cause nationale la cause de la liberté ; il voulait identifier l'intérêt de tous les peuples avec celui du peuple polonais [5]. L'homme dont le génie conçut ce plan si vaste et pourtant si simple, cet homme, ai-je besoin de le nommer ? C'était Lelewel.

En 1830, ces propositions furent constamment rejetées par l'aveuglement intéressé de la majorité aristocratique. Mais ces principes mûris et développés par l'expérience de quinze ans de servitude, ces mêmes principes nous les avons vus écrits sur le drapeau de l'insurrection cracovienne de 1846. À Cracovie, on le voyait bien, il n'y avait plus d'hommes qui avaient beaucoup à perdre ; il n'y avait point d'aristocrates ; toute décision qui fut prise portait l'empreinte de cette hardiesse démocratique, je dirais presque prolétaire, qui n'a que sa misère à perdre, et qui a toute une patrie, tout un monde à gagner. Là point d'hésitation, point de scrupules ; on attaquait les trois puissances à la fois ; on proclamait la liberté des paysans, la réforme agraire, l'émancipation des juifs, sans se soucier un instant si cela pût froisser tel ou tel intérêt aristocratique [6].

La révolution de Cracovie ne se fixa pas pour but de rétablir l'ancienne Pologne, ni de conserver ce que les gouvernements étrangers avaient laissé subsister des vieilles institutions polonaises : elle ne fut ni réactionnaire ni conservatrice. Non, elle était le plus hostile à la Pologne elle-même, barbare, féodale, aristocratique, basée sur le servage de la majorité du peuple. Loin de rétablir cette ancienne Pologne, elle voulut la bouleverser de fond en comble, et fonder sur ses débris, avec une classe toute nouvelle, avec la majorité du peuple, une nouvelle Pologne, moderne, civilisée, démocratique, digne du XIXe siècle, et qui fût, en vérité, la sentinelle avancée de la civilisation.

La différence de 1830 et de 1846, le progrès immense fait au sein même de la Pologne malheureuse, sanglante, déchirée, c'est : l'aristocratie polonaise séparée entièrement du peuple polonais et jetée dans les bras des oppresseurs de sa patrie ; le peuple polonais gagné irrévocablement à la cause démocratique ; enfin, la lutte de classe (…), cause motrice de tout progrès social, établie en Pologne comme ici. Telle est la victoire de la démocratie constatée par la révolution cracovienne ; tel est le résultat qui portera encore ses fruits quand la défaite des insurgés aura été vengée.

Oui, Messieurs, par l'insurrection de Cracovie, la cause polonaise, de nationale qu'elle était, est devenue la cause de tous les peuples ; de question de sympathie qu'elle était, elle est devenue question d'intérêt pour tous les démocrates. Jusqu'en 1846, nous avions un crime à venger, dorénavant nous avons à soutenir des alliés — et nous le ferons.

Et c'est surtout l'Allemagne qui doit se féliciter de cette explosion des passions démocratiques de la Pologne. Nous sommes, nous-mêmes, sur le point de faire une révolution démocratique [7] ; nous aurons à combattre les hordes barbares de l'Autriche et de la Russie. Avant 1846, nous pouvions avoir des doutes sur le parti que prendrait la Pologne en cas de révolution démocratique en Allemagne. La révolution de Cracovie les a écartés. Désormais, le peuple allemand et le peuple polonais sont irrévocablement alliés: Nous avons les mêmes ennemis, les mêmes oppresseurs, car le gouvernement russe pèse aussi bien sur nous que sur les Polonais. La première condition de la délivrance et de l'Allemagne et de la Pologne est le bouleversement de l'état politique actuel de l'Allemagne, la chute de la Prusse et de l'Autriche, le refoulement de la Russie au-delà du Dniestr et de la Dvina.

L'alliance des deux nations n'est donc point un beau rêve, une charmante illusion ; non. Messieurs, elle est une nécessité inévitable, résultant des intérêts communs des deux nations, et elle est devenue une nécessité par la révolution de Cracovie. Le peuple allemand, qui pour lui- même jusqu'à présent n'a presque eu que des paroles, aura des actions pour ses frères de Pologne ; et de même que nous, démocrates allemands, présents ici, offrons la main aux démocrates polonais, présents ici, de même tout le peuple allemand célèbrera son alliance avec le peuple polonais sur le champ même de la première bataille gagnée en commun sur nos oppresseurs communs [8].


Notes

[1] Marx et Engels tinrent, le 22 février 1848, un discours en l'honneur de l'insurrection de Cracovie de février 1846 au meeting organisé par l'Association démocratique de Bruxelles.
L'activité du parti se greffe sur des événements de portée révolutionnaire véritablement historique, et c'est à l'occasion de manifestations suscitées par eux que se nouent des rapports de solidarité entre révolutionnaires, voire que se créent les organisations ouvrières.
Les deux discours que nous reproduisons ci-après expliquent l'intérêt — aussi bien théorique que pratique — porté par Marx et Engels aux mouvements nationaux démocratiques, même bourgeois, tant qu'ils sont progressifs et préparent les conditions de la lutte du prolétariat.
La I° Internationale fut précisément créée dans de telles conditions. Comme on le sait, la réunion inaugurale de l'A. I. T. fut convoquée pour proclamer la solidarité des ouvriers européens avec les Polonais (à la suite d'une circulaire des ouvriers anglais aux français) et avec les Arméniens opprimés par la Russie. De fait, la révolte des Polonais en 1863-1864 fut le point de départ des luttes qui aboutirent à la systématisation des nations modernes d'Europe centrale et méridionale en 1870 et au renversement du bonapartisme, donc à la glorieuse Commune de Paris.
La pleine solidarité ouvrière avec la revendication d'indépendance nationale de la Pologne opprimée par le tsarisme et les oligarchies autrichienne et prussienne a donc une importance primordiale : elle n'exprime pas seulement un jugement historique formulé dans des écrits théoriques, mais encore un véritable déploiement politique des forces pour la future Ire Internationale. En offrant à la Pologne l'appui total des classes ouvrières européennes, la révolte polonaise devenait le levier pour une situation révolutionnaire internationale : la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie (Commune de Paris). Cf. « Facteurs de race et de nation dans la théorie marxiste », p. 130- 139 : « La Question polonaise ; l'Internationale et la question des nationalités », Fil du temps, no 5.
Pour relier la révolte polonaise à la création de l'Internationale ouvrière, il ne suffisait pas aux chefs du parti ouvrier d'avoir du flair. Il leur fallait aussi un sens révolutionnaire exceptionnellement aigu, puis — surtout une connaissance scientifique de l'histoire européenne, des mécanismes qui relient les bouleversements de la base économique aux phénomènes de volonté d'une classe qui doit s'organiser pour intervenir dans les rapports sociaux. Il fallait, par exemple, connaître le poids de la contre-révolution du tsarisme russe dans l'équilibre conservateur de toute l'Europe, et l'importance de toute révolte contre cet ennemi numéro un des révolutions du XIX° siècle. Cf. Marx-Engels, La Russie, 10/18, 1973.
De nos jours, le mouvement d'émancipation des peuples coloniaux joue le même rôle de détonateur pour le mouvement ouvrier : cf. Marx-Engels, La Chine, 10/18, p. 187-188, note 19.

[2] Tant que la lutte se fait pour des objectifs « démocratiques », le parti communiste utilise une tactique « indirecte » qui s'applique aussi longtemps que les tâches bourgeoises restent progressives dans un pays. Dans tous les textes de cette période que nous reproduisons, le parti adopte cette tactique « indirecte ». Au chapitre final du Manifeste, Marx-Engels formulent de manière concise cette tactique valable pour les communistes des pays attardés, par exemple la Pologne et l'Allemagne : « Chez les Polonais, les communistes soutiennent le parti qui voit dans une révolution agraire la condition de l'émancipation nationale, c'est-à-dire le parti qui déclencha, en 1846, l'insurrection de Cracovie.
« En Allemagne, le parti communiste lutte ensemble avec la bourgeoisie, sitôt que celle-ci agit révolutionnairement contre la monarchie absolue, la propriété féodale et la petite bourgeoisie. Mais il ne néglige à aucun moment de dégager chez les travailleurs une conscience aussi claire que possible de l'antagonisme radical de la bourgeoisie et du prolétariat, afin que, l'heure venue, les ouvriers allemands sachent tourner aussitôt, en autant d'armes contre la bourgeoisie, les conditions sociales et politiques que la bourgeoisie doit introduire en même temps que sa domination : ainsi dès la chute des classes réactionnaires en Allemagne, la lutte pourra s'engager contre la bourgeoisie elle-même.
« C'est sur l'Allemagne que les communistes concentrent surtout leur attention. Ce pays se trouve à la veille d'une révolution bourgeoise. Cette révolution, l'Allemagne l'accomplit donc dans des conditions plus avancées de civilisation européenne en général et avec un prolétariat plus développé que l'Angleterre et la France n'en possédaient aux XVIIe et XVIIIe siècles. Par conséquent, en Allemagne, la révolution bourgeoise sera nécessairement le prélude de la révolution prolétarienne.
« Bref, les communistes y appuient partout les mouvements révolutionnaires contre les institutions sociales et politiques existantes. »
Ces mots d'ordre, tirés de longues études et luttes militantes dans des cercles restreints, se transformeront à l'heure de la crise révolutionnaire (de 1848-1849) : la théorie deviendra une réalité brûlante, et les discours des coups de fusil !

[3] Souligné par nous.

[4] Le stratège militaire qu'est Engels ne manque jamais de considérer les attitudes de classes les unes vis-à-vis des autres au sein d'une nation pour déterminer les chances d'un soulèvement : « Les Piémontais — après les Espagnols, les Allemands, etc. — ont commis d'emblée une grave erreur en opposant uniquement une armée régulière aux Autrichiens, c'est-à-dire dire en voulant mener contre eux une honnête et traditionnelle guerre bourgeoise. Un peuple qui veut conquérir son indépendance ne doit pas s'en tenir aux moyens de guerre conventionnels. Soulèvement en masse, guerre révolutionnaire, guérilla générale, voilà les seuls moyens dont dispose un petit peuple pour vaincre une grande nation, les seuls moyens permettant à une armée moins forte de tenir tête à une armée plus forte et mieux organisée. (« La Défaite des Piémontais ». La Nouvelle Gazette rhénane. 1-4-1849. trad. fr. : Marx-Engels, Écrits militaires, p. 243-244.)

[5] Les grandes expériences tirées d'une crise révolutionnaire ne sont jamais perdues pour les pays parvenus au même stade de leur histoire, si le parti — dont c'est l'une des fonctions premières — a su les accumuler pour en faire son programme d'action : « La guerre magyare de 1849 a beaucoup de traits communs avec la guerre polonaise de 1830-1831. Mais elle s'en distingue en ce qu'elle a maintenant pour elle toutes les chances qui manquaient alors aux Polonais. On sait qu'en 1830 Lelewel réclama avec force, mais sans succès : l. que l'on enchaînât à la révolution la grande masse de la population en émancipant les paysans et les juifs ; 2. que l'on transformât en guerre européenne [qui relancerait la révolution prolétarienne de Paris en 1850] la révolution de la vieille société polonaise, en impliquant dans une guerre les trois puissances qui se partageaient le pays. Ce qui s’imposa en 1831 aux Polonais alors qu'il était trop tard, c'est par quoi commencent aujourd'hui les Magyars. La révolution sociale à l'intérieur et la destruction du féodalisme, telle fut la première mesure en Hongrie ; l'implication de la Pologne et de l'Allemagne dans la guerre, telle fut la seconde mesure : dès lors, c'était la guerre européenne. Celle-ci est un fait accompli avec l'entrée du premier corps d'armée russe en territoire allemand. » (La Hongrie, La Nouvelle Gazette rhénane, 19-5-1849, trad. fr. : Marx- Engels, Écrits militaires, p. 261-262.)

[6] L'un des secrets de l’échec de la bourgeoisie allemande dans sa révolution nationale démocratique, c'est son incapacité de coordonner son action avec celle de la paysannerie asservie par les puissances féodales afin de la gagner à sa cause. La bourgeoisie française avait magistralement su mener à bien cette alliance politique, en engageant massivement les paysans dans les rangs de l'armée révolutionnaire.
En politique prolétarienne, c'est Lénine qui a compris toute l'ampleur du potentiel révolutionnaire paysan, et a su l'utiliser. Il a su ainsi renouer avec Marx-Engels, qui n'ont jamais sous-estimé l'importance de la question agraire pour le mouvement révolutionnaire. Engels, auteur de La Guerre des paysans (1850), ouvrage souvent incompris des marxistes ultérieurs, analyse comme suit la défaillance politique de la bourgeoisie allemande en 1848-1850 : « En Prusse, la paysannerie avait profité de la révolution, tout comme en Autriche, bien qu'elle fît preuve d'une énergie moindre — puisqu'elle se trouvait en général un peu moins opprimée par le féodalisme—, pour se débarrasser d'un seul coup de toutes les entraves féodales. Mais la bourgeoisie se tourna aussitôt contre elle, sa plus vieille et sa plus indispensable alliée. Les démocrates — aussi épouvantés que la bourgeoisie par ce qu'on appelait des attentats contre la propriété privée — se gardèrent également de la soutenir, et c'est ainsi qu'après trois mois d'émancipation, après des luttes sanglantes et des expéditions militaires, notamment en Silésie, le féodalisme fut rétabli par les propres mains de la bourgeoisie, hier encore antiféodale. Ce faisant, elle s'est condamnée elle-même de la façon la plus définitive et la plus rigoureuse. Une trahison semblable de ses meilleurs alliés, de soi-même, jamais aucun parti dans l'histoire ne l'a commise. Quelles que soient les humiliations, quels que soient les châtiments réservés au parti bourgeois par ce seul acte, il les aura mérités tous sans exception. »
Au cours des événements eux-mêmes, Wilhelm Wolff — à qui Marx dédia plus tard Le Capital — traita longuement de cette question dans La Nouvelle Gazette rhénane. Ces articles furent publiés sous le titre « Les Milliards silésiens », avec une introduction d'Engels.
En général, on n'attribue pas la place qui lui revient à la paysannerie, dont dépendit le sort de la révolution de 1848 aussi bien que de la Commune de 1871 : cf. « Le Marxisme et la question agraire », in Fil du temps, no 7, p. 81. Sur les neuf numéros parus de la collection Fil du temps, trois sont consacrés à la question agraire, d'importance vitale non seulement dans l’économie et la vie sociale, mais encore dans la théorie et la politique du parti révolutionnaire.

[7] Cette phrase est une variante de celle du Manifeste qui prescrit les tâches à accomplir dans la révolution qui approche : « C'est sur l'Allemagne que les communistes concentrent surtout leur attention. Ce pays se trouve à la veille d'une révolution bourgeoise », démocratique et bourgeoise étant synonymes. Il n'est pas contradictoire pour un communiste de souhaiter une révolution bourgeoise tant qu'elle est progressive, car elle se heurte à l'ordre établi, bouleverse les conditions existantes et permet sur sa lancée de continuer la lutte pour le socialisme. C'est pourquoi d'ailleurs les bourgeoisies des pays déjà capitalistes se liguent systématiquement contre une révolution bourgeoise dans un pays nouveau, comme l'a démontré de manière classique la Révolution française de 1789 qui vit naître la Sainte-Alliance de tous les États déjà établis.

[8] L'initiative de fonder une Internationale des travailleurs devait s'appuyer sur le prolétariat le plus avancé de l'époque, celui de l’Angleterre, très préoccupé des questions impérialistes.
En février 1846, le chartiste Harney déclara dans une réunion de l'Association de Londres des communistes allemands : J'en appelle aux classes opprimées de tous les pays pour s'unir pour la cause commune. La libération du joug russe et autrichien ne suffit pas à elle seule. Nous n'avons pas besoin d'un royaume d'Italie. Nous avons besoin de la souveraineté du peuple de ces pays. Et de préciser que cette cause du peuple, c'est « la cause du travail, du travail asservi et exploité », car les revendications et la misère ne sont-elles pas les mêmes chez les ouvriers de toutes les nations ? Par conséquent, pourquoi leur bonne cause ne le serait-elle pas ? Un coup porté à la liberté sur le Tage est un coup porté contre les amis de la liberté sur la Tamise ; un succès du républicanisme en France signifierait la fin de la tyrannie dans d'autres pays ; et la victoire des chartistes démocratiques anglais signifierait la libération de millions d'hommes dans toute l'Europe.
C’est en se fondant sur la lutte pour la libération du joug absolutiste que fut créé un comité international, embryon de la future I° Internationale.
En novembre 1847, Schapper, au nom de l'organisation de Bruxelles, fut mandaté pour discuter de la convocation en 1848 d’un « congrès des travailleurs de toutes les nations pour  instaurer la liberté dans le monde entier ». Il proclama : « Ouvriers anglais ! Remplissez cette mission, et vous serez estimés comme émancipateurs de toute l'humanité. » Les organisateurs anglais répondirent : « La conjuration des rois, la Sainte-Alliance, doit être combattue par celle des peuples. Nous sommes persuadés que l'on doit se tourner vers le vrai peuple, les prolétaires qui, chaque jour, versent leur sang et leur sueur sous la pression du système social actuel, pour qu'il réalise la fraternité. »


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