1843-50

"On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.." F. Engels, 1894.

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


Le parti de classe

K. Marx - F. Engels

Introduction par R. Dangeville

Sans prévision, pas de parti ni de direction révolutionnaire


La prévision dans le temps de la crise révolutionnaire est liée aux cycles économiques d'environ dix années, avec la succession de la reprise, de la croissance, de la prospérité, de la stagnation et de la crise. Cependant, l'expérience  historique a montré qu'en raison de l'imbrication des économies nationales ces phases sont décalées d'un pays (ou groupe de pays) à l'autre, et qu'en général il s'établit une courbe moyenne. En outre, par l'effet des guerres qui détruisent dans une mesure effrayante le potentiel des forces de production vivantes et matérielles, ainsi que, dans une mesure moindre, par l'action des superstructures politiques (concentration du pouvoir d'État et interventions dans l'économie  plus  ou  moins dirigée, etc.), les phases de crise économique ne provoquent pas à chaque fois une crise politique et révolutionnaire à l'échelle de la société tout entière. Le cycle de ces crises révolutionnaires générales a même tendance à s'allonger, englobant plusieurs cycles économiques successifs : 1848- 1870-1917 (1975, selon les prévisions de l'Internationale communiste révolutionnaire)  [1]. Ces déductions correspondent à la distinction établie par le marxisme entre crise économique et crise politique, entre crises locales et crise générale, bref, entre base économique et superstructures politiques.

En ce qui concerne la prévision dans l'espace, toutes les longues études et recherches de Marx-Engels au cours des cycles où triomphait la contre-révolution tendent à déterminer la nature et l'orientation générale du champ de forces de la société et de l'économie, et ce afin de situer à chaque fois le centre de gravité du mouvement révolutionnaire — Angleterre jusqu'en 1848, puis France jusqu'en 1871, enfin Allemagne et Russie, et Orient  [2]. Sans cette analyse concrète de l'actuel mouvement économique et social dans sa marche vers la crise et la révolution, il n'est pas de direction consciente des forces révolutionnaires, il n'est pas de parti communiste.

Les partis qui n'ont pas de perspective scientifique basée sur cette analyse, ont pour ligne politique directive — consciente ou inconsciente, peu importe — le présent.  Autrement dit, ce sont des partis conservateurs, opportunistes ou réformistes, autant de synonymes quand il s'agit de partis ouvriers.


Notes

[1] Cf. Dialogue avec les morts, éd. Programma Communista, Paris, 1957, p. 131-135. En ce qui concerne l'évolution des phases économiques dans les divers grands pays du monde, cf. ibid., 127.
Le fait que le révolutionnaire voit la révolution plus proche qu'elle ne l'est n'a rien de grave ; les marxistes l'ont attendue bien des fois en vain  : en 1848,1871, 1919, et même, dans certaines visions déformées, en 1945. Ce  qui est grave, en revanche, c'est l'attitude de l'opportunisme qui n'a aucune vision précise du cours historique qui mène à la révolution et pour lequel la révolution et l'instauration du communisme ne sont qu'un but lointain irréel, une parole, un idéal sans lien avec le présent.
Quoi qu'il en soit, prévoir l'éclatement d'une crise à tel ou tel moment historique n'implique pas que la révolution qui peut s'ensuivre triomphera, mais que les conditions d'une intervention révolutionnaire du prolétariat s'offrent à l'action.

[2] Le décalage entre superstructures politiques et base économique joue également dans l'espace. L'expérience historique a montré — et Marx l'a noté à plusieurs reprises (lettre à Engels, 13 février 1863) — que la révolution n'éclate pas en premier dans le pays où le capitalisme est le plus développé : en Occident, puisque c'est là où il est le plus fort, la métropole du capital exploitant tous les autres pays par les méthodes impérialistes (violence colonialiste, exportation de capitaux, échanges inégaux sur le marché mondial, etc.) et disposant donc de réserves supérieures pour corrompre son prolétariat et résister à l'assaut prolétarien. Elle éclate bien plutôt au maillon le plus faible dans les pays de développement productif moindre, à l'Est (au milieu du siècle dernier, la France par rapport à l'Angleterre, puis l'Allemagne par rapport à l'Angleterre et la France, et la Russie par rapport à l'Europe occidentale, comme le prévit Marx dans la préface russe de 1882 du Manifeste. Cf. aussi Marx-Engels, La Chine, 10/18, Paris, 1973.
Le marxisme est théorie de la révolution (période où éclate la crise économique et politique) aussi bien que de la contre-révolution (période d'essor général de la production en même temps que de reflux de la vague révolutionnaire). Le travail théorique de taupe de Marx-Engels (ou de restauration du marxisme et de polémique de Lénine) au cours des longues périodes contre-révolutionnaires coïncide avec le développement des forces  productives  au  sein de  la base  économique  :  la jonction  du  travail  théorique  de  préparation  avec  l'activité révolutionnaire des masses se fait aux périodes qui précèdent la  crise, mais  jamais  l'activité de parti ne se  relâche.  Il  n'y a jamais rupture de continuité chez Marx-Engels, comme il n'y a pas la moindre discordance entre le Lénine rigide et implacable des années de discussion et de préparation, et celui des multiples  réalisations  révolutionnaires.


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