1870-71 |
Marx et Engels face au premier gouvernement ouvrier de l'histoire... |
La Commune de 1871
Combats d'arrière-garde
« Le Conseil général est fier du rôle éminent que les sections parisiennes de l'Internationale ont assumé dans la glorieuse révolution de Paris. Non point, comme certains faibles d'esprit se le figurent, que la section de Paris, ni aucune autre branche de l'Internationale, ait reçu un mot d'ordre d'un centre. Mais, comme dans tous les pays civilisés la fleur de la classe ouvrière adhère à l'Internationale et est imprégnée de ses principes, elle prend partout, à coup sûr, la direction des actions de la classe ouvrière. » (K. Marx, Deuxième. ébauche de la Guerre civile en France.)
Dimanche, le 26 mai 1872
Mon cher Library,
... Vous ne pouvez avoir idée de ce que nous avons enduré ici à Londres, depuis la chute de la Commune. Toute cette misère indescriptible et ce malheur infini. Et en plus le travail presque insoutenable pour l'Internationale ! Toute la racaille s'est tue, tant que notre Maure a réussi à grand-peine par son travail, sa diplomatie et ses louvoiements, à tenir ensemble - aux yeux du monde et de la multitude de nos ennemis - les éléments récalcitrants, à sauver l'Association du ridicule et à inspirer crainte et terreur à la masse de ceux qui tremblaient, tout en ne participant à aucun congrès officiel et en prenant sur lui toute la peine sans en avoir l'honneur. À présent que nos ennemis l'ont tiré de l'ombre et l'ont placé à l'avant-scène en pleine lumière, la meute se rassemble, et policiers et démocrates clament le même refrain à propos de son « despotisme, de son autoritarisme et de son ambition » ! Certes, il se fût infiniment mieux porté s'il avait continué tranquillement son travail et élaboré pour les combattants la théorie de la lutte à mener. Mais il n'a eu ni trêve ni repos, jour et nuit ! Et pour nos affaires privées, ce fut ruineux: la gêne - et quelle gêne - s'est installée chez nous. Précisément au moment où nos filles avaient besoin d'aide...
Jenny MARX
Londres, le 30 juin 1871
Depuis que Londres existe, aucun imprimé n'a eu un retentissement aussi profond que l'Adresse du Conseil général de l'Internationale. La grande presse a éprouvé pour commencer son moyen de prédilection: tuer une idée en faisant le silence le plus complet sur elle. Mais il suffit de quelques jours pour établir que cette méthode ne convenait pas. Le Telegraph, le Standard, le Spectator, la Pall Mall Gazette et le Times durent se résoudre les uns après les autres à parler dans leurs éditoriaux de ce « remarquable document ». Ensuite, ce furent les lettres de lecteurs aux journaux pour souligner tel ou tel point particulier. Puis de nouveau des éditoriaux, et ce weekend les hebdomadaires revinrent une fois de plus sur ce sujet. Toute la presse unanime a dû reconnaître que l'Internationale était une grande puissance européenne, avec laquelle il fallait compter et que l'on ne pouvait éliminer, en faisant le silence sur elle. Tout le monde a dû reconnaître la maîtrise de style de l'Adresse - une langue aussi puissante que celle de William Cobbett, à en croire le Spectator.
Il fallait s'attendre à ce que cette presse bourgeoise dans sa quasi-unanimité tombe à bras raccourcis sur un exposé aussi radical des positions prolétariennes et sur une justification aussi éclatante de la Commune de Paris. De même, on pouvait s'attendre à ce que la presse policière de Paris fabrique des faux sur le modèle de Stieber et que Jules Favre exhibe les écrits de l'Alliance de la démocratie socialiste de Bakounine (qui n'a rien à voir avec notre Association) pour nous les attribuer, malgré les dénégations publiques du Conseil général. Cependant, tout ce tapage finit par agacer les philistins eux-mêmes. Le Daily News commença à se modérer, et l'Examiner, la seule feuille qui se comporta vraiment comme il faut, prit nettement parti pour l'Internationale dans un article de fond.
Deux membres anglais du Conseil général, dont l'un - Odger - entretenait depuis longtemps des rapports trop étroits avec la bourgeoisie, et l'autre - Lucraft - se montrait bien plus compréhensif aux idées des gens « respectables » depuis son élection au conseil scolaire de Londres, se laissèrent aller, par suite de tout le tapage de la presse, à déclarer qu'ils quittaient le Conseil, ce dont il prit acte à l'unanimité. Ils sont déjà remplacés par deux autres ouvriers anglais - J. Roach et A. Taylor - et ils se rendront bientôt compte des conséquences de leur trahison à l'heure de la décision pour le prolétariat.
Un curé anglais - Llewellyn Davies - pleurnicha dans le Daily News sur les accusations portées par l'Adresse contre Jules Favre et Cie; il estimait qu'il serait souhaitable de faire constater ce qui est vrai ou faux, en organisant par exemple un procès du gouvernement français contre le Conseil général. Dès le lendemain, Karl Marx déclara, dans la même feuille, qu'il se tenait personnellement pour responsable de ces accusations,- mais, il semble que l'ambassade française n'ait donné aucun ordre d'engager une action en diffamation. À la fin, la Pall Mall Gazette déclara qu'elle ne s'imposait pas, la personne privée d'un homme d'État étant sacrée et ses actes publics seuls pouvant être attaqués. Bien sûr, il suffirait de mettre à la lumière du jour la vie privée des hommes d'État anglais pour que ce monde oligarchique et bourgeois vive sa dernière heure.
Un article de et sur la fripouille de Netchaeïv dans le Wanderer de Vienne a fait le tour de la presse allemande, qui magnifie ses œuvres en même temps que celles de Serebrenikof et d'Elpidine. Pour l'heure, il suffit de remarquer que cet Elpidine est notoirement un espion russe.
Marx attire l'attention du Conseil sur les mensonges éhontés, répandus par la presse anglaise sur la Commune: ces mensonges sont fabriqués par la police française et prussienne, qui redoutent que la vérité n'arrive à la lumière du jour. On affirme que Millière a été l'un des membres les plus fanatiques de la Commune. Or, il n'a jamais fait partie de celle-ci; cependant, comme il était député de Paris, il a fallu trouver un prétexte pour le faire fusiller.
La presse anglaise accomplit pour Thiers un rôle de policier et de chien de chasse sanguinaire. Pour justifier la politique répressive de Thiers, elle invente des calomnies sur la Commune et l'Internationale. Pourtant, les buts et les principes de l'Internationale sont bien connus de la presse. Elle a beaucoup écrit sur les persécutions auxquelles l'Internationale fut soumise à Paris sous l'Empire. Des correspondants de presse ont assisté aux différents Congrès de l'Association et ont rendu compte de leurs débats. Tout cela ne l'empêche pas de faire circuler des rumeurs selon lesquelles la fraternité des Fenians, les carbonari, Marianne [1] et d'autres sociétés secrètes appartiennent à l'Association; Elle s'adresse au colonel Henderson pour lui demander s'il sait où se trouve le Conseil général, quel est son siège à Londres et quel est sa dénomination. Tout est inventé à seule fin de justifier n'importe quelle mesure prise à l'encontre de l'Internationale. Les « classes supérieures » ont peur des principes de l'Internationale.
Marx attire, en outre, l'attention sur le fait que Mazzini a publié, dans Contemporary Review, un article où il calomnie la Commune. On ne sait pas assez que Mazzini a toujours été hostile au mouvement ouvrier. Mazzini a diffamé les insurgés de juin 1848, au point que Louis Blanc - jadis plus courageux qu'aujourd'hui - l'attaqua à son tour. C'est Mazzini qui dénonça Pierre Leroux, père d'une nombreuse famille, lorsqu'il trouva du travail à Londres.
Le fait est que Mazzini, avec son républicanisme de style ancien n'a rien compris et n'a jamais obtenu le moindre résultat. Son mot d'ordre tapageur de nationalité a contribué à la formation en Italie d'un despotisme militaire. L'état forgé par son imagination est tout pour lui, tandis que la société réelle n'est rien. Plus vite le peuple se débarrassera d'un tel homme, mieux cela vaudra.
Londres, 17 juin 1871
Monsieur,
Le 6 juin 1871, monsieur Jules Favre a adressé une circulaire [2] à toutes les puissances européennes, pour les sommer de faire une chasse à mort à l'Association internationale des travailleurs. Quelques mots suffisent à caractériser ce document.
Comme l'indique déjà le Préambule de nos Statuts, l'Internationale a été fondée le 28 septembre 1864, lors d'un meeting public tenu à St. Martin's Hall, Long Acre, Londres. Pour des motifs qui lui sont tout personnels, Jules Favre reporte cette date en 1862.
Pour expliquer nos principes, il prétend mentionner la feuille (de l'Internationale) du 25 mars 1869. Et que cite-t-il ? La feuille d'une société qui n'est pas l'Internationale. Il utilisa déjà ce tour de passe-passe au commencement de sa carrière d'avocat, lorsqu'il défendit le National, journal de Paris, poursuivi par Cabet pour diffamation. Il glissa des passages de son propre cru dans les extraits de pamphlets de Cabet qu'il lut au tribunal. Toutefois, ce petit jeu fut découvert en pleine séance du tribunal et Favre aurait été radié du barreau, sans l'indulgence de Cabet. De tous les documents qu'il cite comme pièces à conviction contre l'Internationale, aucun n'appartient à l'Internationale. Il dit, par exemple:
« L'Alliance se proclame athée, comme le dit le Conseil général constitué à Londres, en juillet 1869. »
Le Conseil général n'a jamais publié de pareil document. Au contraire, il a publié un document qui s'oppose aux statuts créant l' « Alliance » - l'Alliance de la Démocratie Socialiste de Genève - citée par Jules Favre.
De bout en bout de sa circulaire, dont il prétend qu'elle est dirigée aussi contre l'Empire, Jules Favre ne fait que répéter contre l'Internationale les inventions policières des procureurs impériaux, inventions qui se sont écroulées lamentablement même devant les tribunaux de l'Empire.
Chacun sait que le Conseil général de l'Internationale a dénoncé les visées de conquête prussiennes aux dépens de la France, dans ses deux Adresses de juillet et septembre dernier. Par la suite, M. Reitlinger, secrétaire personnel de Jules Favre, s'adressa - naturellement en vain - à quelques membres du Conseil général pour organiser une manifestation de masse hostile à Bismarck et favorable au gouvernement de la Défense nationale, en les priant de ne jamais y mentionner la République. On mit en train les préparatifs d'une manifestation, à l'occasion de l'arrivée attendue de Jules Favre à Londres - certainement avec les meilleures intentions du monde, mais contre la volonté du Conseil général qui, dans son Adresse du 9 septembre, avait expressément mis en garde les ouvriers de Paris contre Jules Favre et ses collègues.
Que dirait Jules Favre, si l'Internationale adressait à son tour une circulaire sur Jules Favre à tous les cabinets européens pour attirer tout particulièrement leur attention sur les documents publiés à Paris par feu M. Millière ?
Je demeure, Monsieur, votre dévoué serviteur.
John Hales
Secrétaire du Conseil général de l'Association internationale des travailleurs
Londres, le 26 juin 1871
Monsieur,
Un Conseil formé de plus de 30 membres ne peut évidemment rédiger directement ses propres documents. Aussi doit-il confier ce soin à tel ou tel de ses membres, en se réservant le droit de repousser ou de compléter le projet. L'Adresse sur la Guerre Civile en France que j'ai rédigée a été adoptée à l'unanimité par le Conseil général de l'Internationale et est, en conséquence, l'expression officielle de sa pensée. Toutefois, il en va autrement des accusations personnelles portées contre Jules Favre et Cie. Sur ce point, la grande majorité du Conseil a dû faire confiance à ma parole. C'est exactement pour cette raison que je soutins un autre membre du Conseil, qui proposa que Mr John Hales indique dans sa réponse à Mr Holyoake, que je suis l'auteur de l'Adresse. Je me déclare personnellement responsable pour ces accusations, et je somme, par la présente, Jules Favre et Cie de m'intenter une action en diffamation. Mr Llewelly Davies affirme dans sa lettre: « Il est triste de lire les accusations personnelles d'infamie que les Français se lancent à la face les uns les autres. »
Cette phrase n'évoque-t-elle pas ce philistinisme propre à certains Britanniques, comme William Cobbett l'a dit avec humour ? Nous demandons à Mr Llewellyn Davies: la petite presse française de boulevard, qui est au service de la police contre les communards - qu'ils soient morts, emprisonnés ou qu'ils se cachent - et qui fabrique les plus odieuses calomnies, est-elle pire que la presse anglaise, qui, malgré son prétendu mépris pour cette presse, en reprend chaque jour les mensonges ? Est-ce une marque d'infériorité des Français, si des accusations aussi graves que celles par exemple qu'un homme comme Mr David Urquhart a soutenues pendant tout un quart de siècle contre feu lord Palmerston, ont pu être passées totalement sous silence en Angleterre, et non en France.
Karl Marx
Publié dans The Eastern Post du 8 juillet 1871
Monsieur,
J'ai écrit au Daily News - et vous l'avez reproduit dans votre Pall Mall - que je me déclarai personnellement responsable pour les accusations que j'ai portées contre Jules Favre et Cie.
Dans votre édition d'hier, vous prétendez que ces « accusations » sont des « calomnies ». Or, je déclare que c'est vous le calomniateur. Ce n'est pas de ma faute, si vous êtes aussi ignorant qu'arrogant. Si nous vivions sur le continent, je vous en demanderais raison de toute autre manière.
Votre dévoué
Karl Marx
Attendu que le Conseil général possède la preuve irréfutable que Gustave Durand de Paris - ouvrier orfèvre, ex-délégué des ouvriers orfèvres au comité de la chambre fédérale des Sociétés ouvrières de Paris, ex-chef de bataillon de la Garde nationale, ex-caissier-chef du ministère des Finances sous la Commune, actuellement réfugié à Londres - s'est mis au service de la police française pour moucharder le Conseil général de l'Association internationale des travailleurs, de même qu'il a servi et sert encore d'indicateur de police contre les anciens communards réfugiés à Londres, et qu'il a touché la somme de 725 frs pour les basses besognes;
Gustave Durand est stigmatisé comme traître et exclu de l'Association internationale des travailleurs.
Toutes les sections de l'Association internationale des travailleurs doivent être informées de cette décision.
Londres, le 9 octobre 1871
Au nom du Conseil général:
Karl Marx, secrétaire pour l'Allemagne
Der Volkstaat, le 1er novembre 1871
La Conférence des délégués de l'A.I.T. tenue à Londres du 17 au 23 septembre 1871 a chargé le Conseil général de déclarer publiquement:
Londres, le 25 octobre 1871
Au nom du Conseil général:
Karl Marx, Secrétaire pour l'Allemagne et la Russie
The Eastern Post, le 5 août 1871
Le citoyen Marx dit qu'il lui reste à parler d'un autre sujet. Il se trouve que, dans une réunion de la Land and Labour League, un certain Mr Shipton, - un illustre inconnu, mais qui passe pour être le bras droit de Mr Odger - a critiqué l'Adresse sur la Guerre civile en France et a déclaré qu'il [le Dr Marx] aurait répudié toute attache avec le Conseil général. Une telle remarque montre simplement l'ignorance de Mr Shipton et n'est pas signe de son intelligence, même s'il agit peut-être en tant qu'homme de paille d'Odger. En effet, comment Marx se serait-il désolidarisé du Conseil, alors qu'il a pris sur lui toute la responsabilité des accusations formulées dans l'Adresse ? Qui plus est, le Conseil général a approuvé cette initiative, afin que des individus tels que Mr Odger, qui chantent les louanges de MM. Thiers et Favre, ne puissent plus dire que les accusations formulées dans l'Adresse sont sujettes à caution. En effet, dans la lettre où Marx déclara qu'il était l'auteur de l'Adresse, il mit les personnes incriminées en demeure d'engager contre lui un procès en diffamation afin qu'un tribunal éclaircisse les faits. Mais, cela ne les intéresse pas, car elles savent fort bien quel serait le résultat.
Il est facile de comprendre pourquoi Mr Odger n'est pas content. Dans les affaires de politique extérieure, il a fait preuve d'une ignorance qu'un simple lecteur des journaux ne pourrait avoir. Odger a dit que Jules Favre est un homme irréprochable, alors que l'on sait fort bien qu'il a été, toute sa vie durant, un ennemi acharné de la classe ouvrière française et de tout ce qui est ouvrier. Il a été le principal instigateur du bain de sang de Juin 1848 et de l'expédition contre Rome en 1849. C'est lui qui réussit à faire expulser Louis Blanc de France, et c'est l'un de ceux qui ont contribué à ramener Bonaparte sur le trône. Malgré tout, Mr Odger a proclamé sans sourciller: « On ne peut rien reprocher à Jules Favre, dans tout ce qu'il a fait. »
Si Mr Odger qui prétend avoir été l'un des membres les plus actifs de l'Internationale, avait simplement fait son devoir, il saurait qu'une telle déclaration est dénuée de tout fondement. Ou bien c'est un mensonge, ou bien Odger témoigne d'une ignorance impardonnable. Au cours des cinq dernières années, Mr Odger a complètement ignoré l'Internationale et n'a jamais rempli les devoirs de sa charge. Le poste de président du Conseil général a été supprimé par le Congrès, parce qu'il était inutile et purement fictif. Mr Odger a été le premier et le seul président de l'Internationale [4]. Il n'a jamais rempli ses devoirs, et le Conseil général a très bien pu agir sans lui, c'est pourquoi le poste de président a été supprimé. *
Londres, le 20 juin 1871
Monsieur,
En réponse à la lettre de Mr Georges Jacob Holyoake [5] publiée dans l'édition de mardi du Daily News le Conseil général de l'Association internationale des travailleurs m'a chargé de vous faire la déclaration suivante:
Je demeure, Monsieur, votre dévoué serviteur, John Hales Secrétaire du Conseil général de l'Association internationale des travailleurs
The Daily News, le 29 juin 1871
Monsieur,
Le Conseil général de l'Association internationale des travailleurs m'a chargé de répondre comme il convient aux lettres de MM. G.J. Holyoake et B. Lucraft que vous avez publiées dans votre édition de lundi dernier. En relisant le protocole du Conseil général, je constate qu'on a autorisé Mr Holyoake à assister à une réunion du Conseil, le 16 novembre 1869 et qu'il y formula le vœu d'appartenir au Conseil et de participer au Congrès général de l'Internationale qui devait avoir lieu en septembre 1870 à Paris. Après son départ, Mr John Weston présenta cette candidature aux membres du Conseil qui lui firent un tel accueil que Mr Weston n'insista pas et retira sa proposition.
En ce qui concerne l'affirmation de M. Lucraft, selon laquelle il n'était pas présent lors du vote sur l'Adresse, on peut constater qu'il assista à la réunion du Conseil du 23 mai 1871, où l'on annonça officiellement que le projet d'Adresse sur la Guerre Civile en France serait lu et discuté à la prochaine session ordinaire du Conseil, le 30 mai. Mr Lucraft put donc décider en connaissance de cause s'il voulait ou non être présent à cette occasion. En outre, non seulement il savait que le Conseil avait pour règle d'apposer les noms de tous ses membres, présents ou non, au bas des documents officiels, mais encore il avait été l'un des défenseurs les plus zélés de cette règle, et il s'opposa, à plusieurs occasions - par exemple le 23 mai - aux tentatives pour l'abolir. À cette occasion, il informa de son propre chef le Conseil que « toutes ses sympathies allaient à la Commune de Paris ». Lors d'une réunion du Conseil, mardi soir le 20 juin, Mr Lucraft fut obligé d'admettre qu'il n'avait même encore lu l'Adresse, et qu'il tenait toutes ses opinions des nouvelles de la presse.
En ce qui concerne le démenti de M. Odger, tout ce qu'on peut dire, c'est qu'on lui a rendu visite pour l'informer personnellement de l'intention du Conseil de publier une Adresse et pour lui demander également s'il était opposé à ce que son nom y figure.
Il répondit que non. Le public en jugera. Je voudrais ajouter que l'exclusion de MM. Lucraft et Odger a été approuvé à l'unanimité.
Je demeure, Monsieur, votre dévoué serviteur
John Hales
Secrétaire du Conseil général de l'Association internationale des travailleurs.
Le citoyen Marx dit qu'un personnage tel que le Pape lui-même [Pie IX] s'est préoccupé de l'Internationale. En réponse à une délégation de la Suisse qui lui adressait ses vœux lors d'une audience, il répondit: « Votre pays jouit de grandes libertés, mais il donne refuge à beaucoup d'hommes mauvais. Je pense aux membres de l'Internationale, qui veulent subvertir tout l'ordre et toutes les lois, et s'efforcent d'instaurer dans toute l'Europe cela même que l'on s'est efforcé de réaliser à Paris. Oui, ces messieurs de l'Internationale - qui ne sont pas des messieurs - sont l'incarnation du Mal, et la seule chose que nous puissions faire pour eux, c'est de prier pour eux. »
Le citoyen Engels dit qu'après le pape, c'est le tour de l'anti-pape. Il tient à informer le Conseil que Giuseppe Mazzini a attaqué l'Internationale dans les colonnes de son journal. Mazzini y a décrété que le peuple italien l'aimait, et qu'à son tour il aimait le peuple. Ensuite, il a poursuivi:
« Il s'est formé une Association qui menace de détruire l'ordre tout entier » (le Pape a tenu le même langage). « Elle a été fondée il y a quelques années, et j'ai refusé dès le début d'y participer. Elle est dirigée par un Conseil, dont le siège se trouve à Londres et dont l'âme est Karl Marx, esprit doué, mais destructeur comme Proudhon, nature dominatrice, jalouse de son influence sur autrui. Le Conseil lui-même, formé d'hommes de différentes nationalités, est incapable, dans le traitement des maux dont souffre la société, de poursuivre un but collectif et d'avoir une conscience commune des moyens pour éliminer ces maux. C'est pourquoi, j'ai quitté l'Internationale, comme l'a fait ensuite la section italienne de l'Alliance démocratique (Londres). Les trois principes essentiels de l'Internationale sont: 1° la négation de Dieu, c'est-à-dire de toute morale; 2° la négation de la patrie, qu'elle veut dissoudre en un conglomérat de communes, dont le destin fatal serait d'entrer en conflit les unes avec les autres; 3° la négation de la propriété, c'est-à-dire le dépouillement de chaque travailleur des fruits de son travail, car le droit à la propriété personnelle n'est rien d'autre que le droit de chacun sur ce qu'il a produit. »
Après qu'il se soit étendu en long et en large sur ces points, Mazzini a décidé de conseiller à la classe ouvrière italienne de se grouper sous sa bannière pour former une ligue contre l'Internationale, en faisant confiance aux lendemains de l'Italie, en oeuvrant pour l'avenir et la gloire de la patrie et en créant ses propres magasins de consommation (pas même des coopératives de production), afin que tout le monde puisse obtenir le plus grand profit possible.
Voyons maintenant comment Mazzini se contredit lui-même sur un point important: d'abord, il dit qu'il a « refusé dès le début de participer à l'Internationale »; puis qu'il s'en est retiré par la suite. Or, comment peut-il quitter une organisation à laquelle il n'a jamais appartenu ? Le public des lecteurs de Mazzini peut toujours se casser la tête pour imaginer comment il a pu réaliser ce tour de force. Le fait est que Mazzini n'a jamais fait partie de l'Internationale, mais qu'il a tenté d'en faire son instrument. Il a rédigé un projet de programme qui a été soumis au Comité provisoire, mais rejeté. Il y eut ensuite l'échec de plusieurs tentatives dans le même sens du major Wolff, qui, dans l'intervalle, a été démasqué comme mouchard de police. Depuis lors et jusqu'à l'incident le plus récent, Mazzini s'est abstenu de toute immixtion dans l'Internationale.
Quant à ses accusations contre l'Internationale, elles sont, ou bien fausses ou bien absurdes. La première, à savoir que l'Internationale voudrait rendre l'athéisme obligatoire, est un mensonge, qui a déjà été réfuté dans la réponse du secrétaire du Conseil général à la circulaire de Jules Favre. La seconde accusation est absurde: en ne reconnaissant aucune patrie, l'Internationale tend à l'unité de l'humanité, et non à sa dissolution. Elle est contre le mot d'ordre de la nationalité, parce que cette formule tend à diviser les peuples et est exploitée par les tyrans pour créer des préjugés et semer la haine; la rivalité entre les races latine et germanique a conduit à la récente guerre catastrophique et a été invoquée aussi bien par Napoléon que par Bismarck.
La troisième accusation révèle que Mazzini ignore jusqu'aux questions les plus élémentaires d'économie politique. L'Internationale n'a nullement l'intention d'abolir la propriété personnelle qui garantit à chacun les fruits de son travail, mais elle veut au contraire l'instaurer. Actuellement, les fruits du travail des masses vont dans la poche de quelques individus, et ce système de la production capitaliste, Mazzini entend le laisser inchangé, alors que l'Internationale s'efforce de le détruire. L'Internationale veut que les ouvriers reçoivent le produit de leur travail. Les lettres d'Italie démontrent que les ouvriers Italiens marchent dans le sillage de l'Internationale et ne se laissent pas fourvoyer par les sophismes creux de Mazzini.
Il Libero Pensiero, le 31 août 1871
Dans son manifeste aux ouvriers italiens, Mazzini affirme:
« Cette Association fondée à Londres voilà des années et à laquelle j'ai refusé dès le début ma collaboration... Un petit noyau d'individus qui a la prétention de gouverner directement une multitude considérable d'hommes divers par la patrie, les tendances, les conditions politiques, les intérêts économiques, les moyens d'action, en viendra finalement à devenir tout à fait impuissant ou à devoir opérer de manière tyrannique. C'est pourquoi je me suis retiré et la section ouvrière italienne m'a suivi peu après, etc. »
Venons-en maintenant aux faits. Après l'assemblée inaugurale de l'Association internationale des travailleurs le 28 septembre 1864, le Conseil provisoirement élu tint une réunion, où le major L. Wolff proposa un Manifeste et un projet de Statuts, rédigés tous deux par Mazzini. Dans son Projet, non seulement il ne craignait pas de « gouverner directement une multitude considérable », mais il n'envisageait, même pas que « ce petit noyau d'individus en viendrait finalement à devenir tout à fait impuissant ou à devoir opérer de manière tyrannique ». Au contraire, ses statuts étaient établis dans l'esprit d'une conspiration centralisée qui attribuait des pouvoirs tyranniques à l'organe central. Le manifeste était dans le style habituel de Mazzini: démocratie bourgeoise qui offre des droits politiques aux ouvriers dans le but de maintenir les privilèges sociaux des classes moyennes et supérieures.
Ce manifeste et ce projet de statuts furent évidemment rejetés. Les Italiens restèrent membres jusqu'à ce que certains bourgeois français qui voulaient utiliser l'Internationale à leurs fins, eurent soulevés une nouvelle fois certaines questions. Après qu'on leur eût infligé une défaite, Wolff d'abord puis les autres se retirèrent. C'est ainsi que l'Internationale en finit avec Mazzini. Quelque temps après, le Conseil central provisoire, répondant à un article de Vésinier dans le Journal de Liège, déclara que Mazzini n'avait jamais été membre de l'Association internationale des travailleurs et que son projet de manifeste et de statuts avait été rejeté.
Mazzini a furieusement attaqué la Commune de Paris, jusque dans la presse anglaise. Il a toujours agi ainsi, lorsque les prolétaires se sont soulevés. Après l'insurrection de juin 1848, il s'est mis aussitôt à dénoncer les ouvriers révoltés, et de manière si infâme que Louis Blanc, qui pourtant avait déclaré à diverses reprises que l'insurrection de juin avait été fomentée par des agents bonapartistes, lui répondit par un pamphlet.
Mazzini appelle Marx « un esprit doué... dissolvant, un tempérament dominateur », etc. C'est sans doute parce que Marx s'est entendu fort bien à déjouer la cabale ourdie par Mazzini aux dépens de l'Internationale, en surclassant, par son tempérament dominateur, la soif de pouvoir mal refrénée du vieux conspirateur, en sorte qu'il le rendit inoffensif. L'Internationale ne peut donc que se féliciter de posséder dans ses rangs un homme assez « doué », « dissolvant » et « dominateur » pour la tenir sur pied pendant sept ans et pour oeuvrer sans relâche - plus que quiconque - pour la hausser à sa fière position actuelle.
À propos du démembrement de l'Association qui, selon Mazzini, aurait déjà commencé en Angleterre, il s'agit tout simplement de ce que deux des membres anglais du Conseil qui étaient devenus trop intimes avec la bourgeoisie, ont trouvé que notre Adresse sur la Guerre civile était trop radicale et nous ont quittés pour ces raisons. Nous les avons remplacés par quatre nouveaux membres anglais et un irlandais, et le Conseil général s'estime renforcé en conséquence.
Au lieu de se désagréger, l'Internationale est pour la première fois reconnue publiquement par toute la presse anglaise comme une grande puissance européenne, et jamais à Londres un petit opuscule n'a fait aussi grosse impression que l'Adresse du Conseil général sur la Guerre civile en France, qui en est déjà à sa troisième édition.
Il importe que les ouvriers italiens prennent conscience de ce que le grand conspirateur et agitateur Mazzini ne leur adresse jamais qu'un seul conseil: Éduquez-vous, instruisez-vous aussi bien que vous le pouvez (comme si c'était réalisable sans moyens)..., employez-vous à créer des coopératives de consommation (pas même de production) - et faites confiance à l'avenir !
Londres, le 20 juin 1871
Au Directeur du Standard,
Vous affirmez dans votre éditorial (du 19 juin) sur l'Internationale: « Des deux programmes (l'un de Londres, l'autre de Paris) qui viennent d'être publiés, celui de la section parisienne de l'Association a le mérite d'être plus honnête et plus sincère. »
Malheureusement pour vous, le manifeste « parisien » n'a pas été publié par notre section de Paris, mais par la « police versaillaise ».
Vous affirmez: « Les Internationalistes de Londres expriment pour le moins aussi fermement que leurs frères de Paris « la volonté et la nécessité de détruire la vieille société ». Ils parlent d'incendier les édifices publics et de fusiller les otages en tant que « gigantesque effort pour abattre la société » - et, même après un échec, ils entendent poursuivre cela jusqu'à ce que le but soit atteint. »
Le Conseil général de cette Association vous met au défi de nous indiquer dans notre Adresse la page et les lignes exactes où l'on trouve les mots que vous nous attribuez.
K. M.
Londres, le 21 juin 1871
Monsieur,
Le Conseil général de l'Association internationale des travailleurs vous serait très obligé de bien vouloir informer le public que tous les prétendus manifestes et autres publications de l' « Internationale » de Paris, dont la presse anglaise fourmille en ce moment (et qui tous ont d'abord été publiés par le fameux Paris-Journal) sont, sans exception aucune, l'œuvre de la police versaillaise.
Votre dévoué
F. E.
Londres, le 13 juillet 1871
Monsieur,
Dans votre éditorial d'aujourd'hui, vous citez une série de phrases telles que: « Londres, Liverpool et Manchester en effervescence contre le Capital honni », etc. et vous m'en attribuez généreusement la paternité.
Permettez-moi de vous déclarer que toutes les citations sur lesquelles repose votre article, sont de bout en bout des faux. Vous avez sans doute été induit en erreur par les inventions de la police parisienne que l'on fait passer quotidiennement sous mon nom dans les journaux, afin d'obtenir des pièces à conviction contre les Internationaux emprisonnés à Versailles.
Je demeure votre...
Karl Marx
Londres, le 7 août 1871
Monsieur,
La lettre ci-jointe ne manquera pas d'intéresser vos lecteurs puisque le Journal Officiel français s'inscrit en faux contre l'article du Times sur les procédés dilatoires employés par les Versaillais pour juger les Communards, article largement commenté par la presse du continent. La lettre en question provient d'un avocat chargé de la défense de certains emprisonnés.
Je demeure, Monsieur, votre respectueux
Karl Marx
Les observations du Times sur les continuels reports du procès des prisonniers communistes à Versailles ont indubitablement porté juste et exprimé les sentiments de l'opinion française. La note rageuse du Journal Officiel en réponse à ces observations ne fait que confirmer encore cette évidence. L'article du Times a suscité de nombreuses protestations de lecteurs aux journaux parisiens. Or, elles n'eussent eu aucune chance d'être portées devant le public dans d'autres conditions. J'ai devant les yeux la lettre d'un Français, dont la charge fait qu'il connaît bien les actes qu'il relate et dont le témoignage devrait vous éclairer sur les motifs de l'invraisemblable atermoiement du procès. En voici quelques extraits:
« Personne ne sait, à ce jour, quand la troisième cour martiale commencera à siéger. Il semble que la raison en soit le remplacement du capitaine Grimal, le commissaire de la République (accusateur public), par quelqu'un de plus docile; à la dernière minute, en relisant attentivement l'acte d'accusation qu'il devait lire à la cour, on s'aperçut qu'il avait l'air d'être un peu celui d'un républicain qui avait servi sous Faidherbe, etc. dans l'armée du Nord, etc. Quoi qu'il en soit un autre officier se présenta subitement; le pauvre capitaine en fut si surpris qu'il en fut tout retourné...
Monsieur Thiers a la prétention de tout faire lui-même; il pousse cette manie jusqu'à heurter toutes les règles de la convenance, en convoquant les juges d'instruction dans son cabinet; qui plus est, il va jusqu'à exiger de fixer lui-même la composition du public admis à assister aux séances de la cour. Il fait distribuer les cartes d'admission par monsieur de Saint-Hilaire...
Entre-temps, les prisonniers meurent comme des mouches à Satory - l'implacable mort travaille plus vite que la justice du mesquin homme d'État... Dans la prison cellulaire de Versailles, on a enfermé un gros homme qui ne parle pas un mot de français, on suppose que c'est un aliéné. Comment il est tombé dans cette misère reste un mystère. Parmi les emprisonnés il y a un monsieur très honorable, nommé... Il se trouve depuis deux mois déjà en cellule, et n'a toujours pas été interrogé. C'est infâme. »
Je demeure, Monsieur, votre respectueux serviteur,
Justitia
Londres, le 7 août 1871.
Les exploits de la Chambre versaillaise des ruraux et des Cortès espagnols qui cherchent à détruire l'Internationale, n'ont pas manqué de susciter une noble émulation dans les cœurs des représentants des dix mille privilégiés aux Communes britanniques. Le 12 avril 1872, dans cet esprit, l'un des personnages les plus représentatifs pour ce qui est de l'intellect des classes supérieures, Mr Cochrane attira l'attention de l'Assemblée sur les paroles et les actions de notre terrible Association. Comme notre homme fait peu de cas de la lecture, il se mit en devoir l'automne dernier d'effectuer une tournée d'inspection dans les quartiers généraux de l'Internationale sur le continent, et à son retour il se ménagea aussitôt, grâce à une lettre au Times, une sorte de réservation temporaire de priorité pour traiter de ce thème. Son discours au Parlement témoigne de ce qu'on appellerait chez tout autre une ignorance consciente et préméditée du sujet qu'il traite. Toutes les publications officielles de l'Internationale, à l'exception d'une seule, lui sont inconnues. À la place de celles-ci, il cite un mélange d'extraits de publications insignifiantes d'individus privés de Suisse, pour lequel l'Internationale, en tant qu'organisation, est aussi peu responsable que le Cabinet britannique pour le discours de Mr Cochrane.
Celui-ci déclare: « L'immense majorité de ceux qui appartenaient à cette Association en Angleterre - il s'agit de 180 000 personnes - se trouvait dans l'ignorance complète des principes que cette organisation s'efforçait de réaliser et qu'elle leur tenait soigneusement cachés au moment de l'adhésion. »
En fait, les principes que l'Internationale entend réaliser se trouvent énoncés dans le préambule aux Statuts généraux, et Mr Cochrane ignore béatement que nul ne peut adhérer à l'Association s'il ne reconnaît pas expressément ses principes.
Puis, il prétend : « Cette Association reposait à l'origine sur les principes des trade-unions et n'avait alors aucun caractère politique. »
Non seulement le préambule aux Statuts provisoires ont un caractère nettement politique, mais les tendances politiques de l'Association sont formulées expressément dans l'Adresse inaugurale qui a été publiée en 1864 en même temps que ces Statuts.
Une autre découverte étonnante est que Bakounine fut « chargé » de répondre, au nom de l'Internationale, aux attaques de Mazzini, ce qui est purement et simplement faux. Citant la brochure de Bakounine, Cochrane poursuit: « Ces absurdités tonitruantes prêteraient à rire; cependant, lorsque ces écrits partirent de Londres (d'où ne sont-ils pas partis !), faut-il s'étonner de ce que les gouvernements étrangers se mirent à être inquiets ? »
Faut-il s'étonner de ce que Mr Cochrane s'en fasse le porte-parole en Angleterre ? Une autre accusation tout aussi fausse est que l'Internationale a commencé, à Londres précisément, de publier un « journal ». Mais que Mr Cochrane se console: l'Internationale possède un grand nombre d'organes en Europe et en Amérique, dans les langues de la plupart des pays civilisés.
Néanmoins, c'est dans le passage suivant que l'on trouve le noyau de tout son discours: Il est en mesure de montrer que la Commune et l'Association internationale sont en réalité une et que l'Association internationale de la Commune qui se trouve à Londres (!), a donné à la Commune l'ordre de brûler tout Paris et d'assassiner l'archevêque de cette ville.
En voici les preuves: Eugène Dupont, président du Congrès de Bruxelles en septembre 1868, a affirmé de manière authentique que l'Internationale se proposait la révolution sociale. Et quel est le maillon secret entre cette constatation d'Eugène Dupont en 1868 et les actes de la Commune ? « Eugène Dupont a été arrêté la semaine dernière seulement à Paris, où il s'était rendu par des voies secrètes. Or, ce monsieur Eugène Dupont a été membre de la Commune aussi bien que de l'Association Internationale. »
Il est regrettable pour cette façon si convaincante d'établir une preuve que Anthime Dupont, membre de la Commune, qui vient d'être arrêté à Paris, n'a jamais fait partie de l'Internationale, et qu'Eugène Dupont, membre de l'Internationale, n'a jamais fait partie de la Commune.
La seconde preuve, c'est que Bakounine a affirmé que « le Congrès a proclamé son athéisme, lorsqu'il s'est réuni sous sa présidence à Genève, en juillet 1869 ».
Or, il n'y a jamais eu de Congrès international à Genève en juillet 1869. Bakounine n'a jamais présidé un quelconque Congrès international et n'a jamais été chargé de faire des déclarations en son nom.
La troisième preuve est extraite de Volksstimme, l'organe de l'Internationale à Vienne: « Bien que le drapeau rouge soit le symbole de l'amour universel, que nos ennemis prennent garde à ce que ce symbole ne se transforme en terreur universelle. » Qui plus est, le même journal affirma à plusieurs reprises que le Conseil général de Londres est effectivement le Conseil général de l'Internationale, c'est-à-dire son organe d'administration central et mandaté.
Quatrième preuve: Lors des débats d'un tribunal français contre l'Internationale, Tolain s'est moqué de l'affirmation du procureur selon laquelle « il suffirait au président de l'Internationale » (fonction qui n'existe pas) « de lever le petit doigt pour s'assujettir le monde entier ». L'esprit confus de Mr Cochrane fait d'une négation de Tolain une affirmation.
Cinquième preuve: De l'Adresse du Conseil général sur la Guerre civile en France, Mr Cochrane cite le passage justifiant les représailles contre des otages et l'utilisation du feu comme mesure de guerre nécessaire dans les circonstances données. Comme Mr Cochrane approuve les massacres commis par les Versaillais, devons-nous en conclure qu'il a donné l'ordre de les entreprendre, bien qu'il soit établi qu'il n'a jamais trempé dans une affaire quelconque d'assassinat, si ce n'est de gibier ?
Sixième preuve: « Avant l'incendie de Paris, il y eut une réunion entre les chefs de l'Internationale et de la Commune. » Cela est tout aussi vrai que la nouvelle qui a circulé récemment dans la presse italienne, à savoir que le Conseil général de l'Internationale a envoyé son très cher et honnête ami Alexandre Baillie Cochrane en tournée d'inspection sur le continent et que celui-ci lui a envoyé des rapports tout à fait satisfaisants sur le développement de l'organisation, ayant constaté qu'elle comptait 17 millions de membres.
Preuve finale: « Dans le décret de la Commune ordonnant la destruction de la colonne de la place Vendôme, il est fait état de l'approbation de l'Internationale. » Le décret ne fait mention de rien de semblable, bien que la Commune ait su indubitablement que, dans le monde entier, toute l'Internationale approuverait cette mesure.
Telles sont donc, pour le Times, les preuves irréfutables de l'affirmation de Cochrane selon laquelle l'archevêque de Paris a été tué et Paris incendié sur ordre direct du Conseil général de l'Internationale à Londres. Si l'on compare ce flux de paroles incohérentes avec le rapport de monsieur Sacaze à Versailles sur la loi contre l'Internationale, on s'apercevra de la distance qui continue de séparer un authentique rural français et un dogberry britannique.
Du fidèle compagnon de Mr Cochrane, Mr Eastwick, il suffit de dire, comme Dante: « Suis ton chemin et laisse-le dire. » Il reste l'affirmation absurde selon laquelle l'Internationale est responsable pour le Père Duchêne de M. Vermersch, que le très cultivé Mr Cochrane appelle Vermouth.
Si c'est un vrai plaisir d'avoir un adversaire comme Mr Cochrane, il est affligeant de jouir de la bienveillance de Mr Fawcett, pour autant qu'on puisse parler de bienveillance. En effet, s'il pousse l'audace jusqu'à défendre l'Internationale contre des mesures de répression que le gouvernement britannique ne prendra pas, soit parce qu'il n'ose pas aller si loin, soit par ce qu'il n'est pas de son intérêt de le faire, il possède néanmoins un sens du devoir et un courage moral si élevés qu'il se sent obligé de prononcer contre l'Internationale un jugement professoral de condamnation sans appel. Hélas, les prétendus enseignements de l'Internationale qu'il prend pour cible ne sont que des inventions de son pauvre esprit.
Ainsi, il affirme: « l'État devrait s'efforcer par tous les moyens de rassembler de l'argent pour exécuter tous les projets de l'Internationale. Le premier point de ce programme demande à l'État de racheter toutes les terres ainsi que tous les instruments de production pour les affermer ensuite au peuple contre un prix raisonnable et honnête. »
Pour ce qui est de l'achat des terres par l'État dans certaines conditions et leur affermage au peuple à un prix juste et raisonnable, que Mr Fawcett se mette d'accord avec son maître théorique Mr John Stuart Mill et son chef politique Mr John Bright.
Le second point « propose que l'État doit réglementer le temps de travail ». L'étude historique de notre professeur brille de tous ses feux, lorsqu'il attribue à l'Internationale la paternité de la législation de fabrique et l'atelier, et ses capacités scientifiques sautent aux yeux lorsqu'il se déclare favorable à l'établissement de telles lois.
Troisième point: « l'État devrait permettre l'éducation gratuite. » Que sont des faits aussi généralement connus que l'existence d'un enseignement gratuit aux États-Unis et en Suisse par rapport aux sombres prophéties du professeur Fawcett ?
Quatrième point: « l'État devrait avancer du capital aux coopératives. » Il y a ici une petite erreur: Mr Fawcett confond les principes de l'Internationale avec les revendications de Lassalle, qui est mort avant la fondation de l'Internationale. C'est lui l'initiateur des prêts de l'État que les grands propriétaires fonciers se sont si généreusement octroyés au Parlement anglais sous prétexte d'améliorations agricoles de leurs terres.
Cinquième point: « Pour couronner le tout, on propose que tous les revenus du pays proviennent d'un impôt hiérarchisé sur la propriété. » il est trop affreux de faire des propositions de Robert Gladstone et de ses réformateurs financiers tous bourgeois de Liverpool la « couronne » de l'Internationale !
Tout le mérite et la gloire du grand représentant de l'économie politique qu'est Mr Fawcett est de vulgariser pour les enfants des écoles le manuel d'économie politique de Mr John Stuart Mill, et il confesse que « les prédictions faites il y a 25 ans par les libre-échangistes ont été contredites par les faits ».
En même temps, il s'estime en état d'endiguer le gigantesque mouvement prolétarien actuel, en répétant sous une forme de plus en plus affadie les lieux communs sur lesquels reposent les prédictions faites il y a vingt-cinq ans et démenties aujourd'hui. Il faut espérer que son hypocrite défense de l'Internationale - il veut en réalité se faire pardonner ses prétendues sympathies d'antan pour les classes laborieuses - ouvrira les yeux des ouvriers anglais, s'ils se laissent encore toucher par le sentimentalisme sous lequel Mr Fawcett s'efforce de cacher sa médiocrité scientifique.
Si aux Communes Mr B. Cochrane représente l'intelligence politique et Mr Fawcett la science économique, que faut-il dès lors penser de ce « club londonien le plus agréable de tous », si on le compare avec la Chambre des représentants américaine, qui a adopté le 13 décembre 1871 une loi instituant un Bureau statistique du travail [6] et a déclaré que cette loi a été promulguée conformément au souhait exprès de l'Association internationale des travailleurs, ce que l'Assemblée considérait comme l'un des faits les plus importants de notre époque ?
Londres, le 17 avril 1872
Signature de tous les membres du Conseil général
Monsieur,
Dans votre édition d'aujourd'hui, vous traduisez un article publié par la National-Zeitung de Berlin, l'organe bien connu de Bismarck. Il contient des calomnies d'une bassesse insigne sur l'Association internationale des travailleurs, et notamment le passage suivant:
« Le Capital - aux dires de Karl Marx - fait commerce de la force et de la vie des travailleurs. Mais, ce nouveau Messie a été incapable de faire mieux: il tire de la poche de l'ouvrier l'argent que le capitaliste lui a payé pour son travail et lui donne en échange une traite sur un État qui sans doute n'existera même pas encore d'ici mille ans. Chacun a été édifié par les Congrès et les journaux de ce parti: affaires scandaleuses sur la basse corruption des agitateurs socialistes; détournements éhontés des fonds qu'on leur confie, et accusations réciproques des pires malversations. De tout cet immense volcan d'ordures il ne pouvait rien sortir d'autre qu'une Commune de Paris. »
En réponse à l'auteur stipendié de la National Zeitung, il suffit de déclarer que je n'ai jamais demandé ni reçu le moindre centime de la classe ouvrière de quelque pays que ce soit.
À l'exception du secrétaire général qui touche un salaire de 10 shillings par semaine, tous les membres du Conseil général de l'Internationale accomplissent leur travail gratuitement. Le rapport financier du Conseil général, présenté chaque année devant le Congrès général de l'Association, a toujours été approuvé à l'unanimité, sans jamais susciter la moindre discussion.
Je demeure, monsieur, votre respectueux
Karl Marx
Haverstock Hill, 19 août 1871.
Monsieur,
Dans l'Evening Standard du 2 septembre, votre correspondant berlinois publie la «traduction d'un article intéressant de la Gazette de Cologne sur l'Internationale », où l'on m'accuse de vivre aux frais de la classe ouvrière. Or, jusqu'au 30 août, date de la lettre de votre correspondant, la Gazette de Cologne n'avait pas publié un tel article. En conséquence, votre correspondant était bien empêché de le traduire. En revanche, l'article en question fut publié il y a déjà plus de quinze jours dans la National-Zeitung de Berlin, et une traduction anglaise - qui correspond mot pour mot à celle de votre correspondant - en a été publiée dès le 19 août dans l'hebdomadaire anglais Public Opinion. Le numéro suivant de Public Opinion contenait ma réponse à ces crachements, et je vous mets en demeure par la présente de la publier dans le prochain numéro de votre journal. Vous en trouverez une copie ci-inclus. Le gouvernement prussien a des raisons évidentes pour obtenir par tous les moyens dont il dispose que la presse anglaise diffuse de telles calomnies. Ces articles ne sont que l'annonce des persécutions que les gouvernements ont l'intention de faire subir bientôt à l'Internationale. Je demeure, Monsieur, votre dévoué
Karl Marx
HaverstockHill,
4 septembre 1871.
Notes
[1] Marianne, nom d'une société secrète républicaine, fondée en 1850 pour combattre Napoléon III.
[2] Le 6 juin 1871, Jules Favre adressa à tous les gouvernements européens une circulaire leur demandant de participer à l'action contre l'Internationale. Le sous-comité du Conseil général évoqua ce problème dans sa séance du 11 juin. Marx et Engels furent chargés de répondre à Favre, et, après ratification du Conseil général, la déclaration fut publiée en Angleterre et dans la presse ouvrière du continent.
[3]
Netchaïev entra en liaison avec Bakounine en 1869 et obtint de celui-ci un certificat de pleins
pouvoirs pour représenter une prétendue « Alliance révolutionnaire européenne »
qui cherchait à s'identifier avec l'Internationale, provoquant des malentendus
et une grave confusion.
Lorsque l'organisation de Netchaïev fut détruite en Russie, ses membres passèrent en
jugement à St. Pétersbourg, en été 1871. Les méthodes de l'organisation
(chantage, provocation, escroquerie) y furent évoquées, mais la presse
bourgeoise falsifia sciemment les documents du procès pour compromettre
l'Internationale, avec laquelle Netchaïev n'avait rien de commun.
[4] Le Congrès de Bâle de septembre 1869 ratifia la décision de supprimer le poste de président du Conseil général. En effet, Marx avait soumis cette proposition au Conseil général dès le 24 septembre 1867.
* À la Conférence de Londres, Marx ajoute: « Le travail du Conseil est devenu immense. Il est obligé de faire face aux questions générales et aux questions nationales. Il s'est opposé jusqu'ici à l'organisation nationale, parce qu'il faut obliger les Anglais à venir s'inspirer de l'esprit socialiste international. Au Conseil général, actuellement, cette éducation est faite. Le Conseil général craint, en outre, que la bourgeoisie s'empare du mouvement; aujourd'hui, il y a un soi-disant mouvement en faveur de la République à la tête duquel il y a Odger et Bradlaugh qui sont payés par des membres du Parlement et qui veulent devenir présidents de la République. La République sera bleue. Nous sommes contents de ce mouvement, mais ne le serions pas s'il s'emparait du pouvoir ». Séance du 22 septembre 1871.
[5] Le Daily News du 20 juin 1871 publia une lettre de Holyoake, ex-chartiste et représentant du mouvement coopératif, qui attaquait l'Adresse sur la guerre civile en France, afin de discréditer la Commune aux yeux des ouvriers anglais. Holyoake dit le plus grand bien des chefs trade-unionistes, en faisant notamment allusion à Odger et Lucraft, qui finirent par prendre position contre l'Adresse de l'Internationale.
[6] Afin de gagner des voix pour assurer sa réélection, le président américain Grant promit qu'en cas de succès, il prendrait des mesures radicales pour améliorer le sort des ouvriers. Le 13 décembre 1871, il déposa un projet de loi sur la création d'une Commission statistique du travail auprès de la Chambre des représentants, en affirmant que l'Internationale avait expressément demandé cette mesure. La Chambre des représentants adopta le projet, mais le Sénat le rejeta.