1903

Article attribué à Rosa Luxembourg [art. 234. du catalogue de Kaczanowska *] de "Czerwony Sztandar" (Le Drapeau Rouge), organe du parti SDKPiL numéro 2, 1903.
Première publication en ligne : Matière et Révolution.
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* Première tentative de bibliographie de l’ensemble de l’héritage de Rosa Luxemburg (1962)

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Rosa Luxemburg

Que voulait le parti "Prolétariat" ?

1903

 

La classe ouvrière polonaise vénère dans les grands dirigeants du « Prolétariat » non seulement ses héros, qui ont sacrifié leur vie au socialisme, mais aussi ses apôtres et ses maîtres, qui nous ont montré la voie à suivre pour parvenir à la libération socialiste. Le testament que Warynski, Kunicki, Bardowski et leurs camarades nous ont laissé, les lecteurs le découvriront en lisant leur programme, reproduit dans notre journal.

Seule une révolution sociale, c’est-à-dire l’établissement d’un système socialiste, peut être l’objectif du prolétariat polonais, ainsi que du prolétariat de tous les autres pays. Ce grand enseignement a été prêché par nos apôtres et nos martyrs, que nous commémorons à l’occasion des anniversaires de leur exécution, en un jour mémorable pour l’ensemble du prolétariat polonais. Et quel chemin nous mène à la révolution sociale ? La lutte des classes, qui doit être avant tout une lutte politique, dirigée dans nos conditions contre le tsar. C’est la voie que le parti social-révolutionnaire, le « Prolétariat », a indiquée aux ouvriers polonais. C’est le programme que notre parti a repris des héros du prolétariat polonais, qu’il a développé et qu’il continue à diffuser parmi les travailleurs. Ainsi, les mots d’ordre pour lesquels nos grands combattants sont allés jusqu’à une mort héroïque, jusqu’au pénitencier, n’ont pas disparu. Leurs idées se perpétuent dans la social-démocratie et, à travers elle, dans la classe ouvrière.

Notre classe ouvrière vit dans le même État capitaliste, sous la même emprise que la classe ouvrière russe. Les tâches politiques des travailleurs polonais doivent donc être les mêmes que celles des travailleurs russes. C’est ce qu’ont affirmé nos héros, auxquels toute la Pologne ouvrière consciente rend hommage. Et la première tâche du prolétariat polonais et russe doit être, comme l’explique aujourd’hui la social-démocratie, de renverser l’autocratie tsariste, de gagner une constitution démocratique et les plus grandes libertés politiques possibles. Notre plus grand ennemi est le gouvernement autocratique ; il interdit aux travailleurs polonais, russes et autres d’élever leur niveau de conscience, de connaître leurs besoins, de s’unir, de lutter pour un meilleur sort. Sans liberté politique, la classe ouvrière ne peut développer ses forces, ne peut lutter efficacement contre l’exploitation capitaliste, ne peut aspirer au socialisme.

Inculquer aux ouvriers polonais les idées de la lutte contre le tsar, de la lutte politique dans l’Etat de la Russie, leur inculquer les idées d’une lutte solidaire, d’objectifs communs avec le prolétariat de toute la Russie, telle fut la première tâche politique de nos grands héros. Et cette tâche, ils l’ont complètement remplie. Aujourd’hui, le travailleur polonais conscient sait que dans une lutte solidaire et sous une bannière commune avec le prolétariat de toute la Russie, il doit s’efforcer de renverser le gouvernement tsariste et de gagner la liberté politique.

La deuxième grande tâche de nos héros était de montrer au prolétariat polonais quelle position adopter sur la question nationale. Le gouvernement russe persécute notre nationalité, la langue, la littérature et la science polonaises. Le gouvernement russe étouffe notre développement national, le développement de la civilisation polonaise. Et la question de la civilisation polonaise, la question nationale, est aussi une question pour le prolétariat polonais. Comment le prolétariat polonais va-t-il défendre notre cause nationale ? Par la tâche de l’indépendance de la Pologne ? Non ! répondirent les héros du « Prolétariat ». Le slogan de l’indépendance est le slogan de la vieille szlachta [noblesse] polonaise et ne peut pas être le slogan de la classe ouvrière polonaise. La lutte des travailleurs polonais doit être une lutte de classe, car l’exploitation et l’oppression sont également des luttes de classe, même si elles se cachent sous un masque national. Seule la lutte de classe conduit les travailleurs à la libération de toute oppression, et donc de l’oppression nationale. Et la lutte de classe exige que les travailleurs polonais aient une aspiration politique commune, un programme commun avec les travailleurs de toute la Russie contre le capitalisme polonais et russe et contre le tsar. Par conséquent, le prolétariat polonais dans l’État russe ne peut avoir un programme différent de celui du prolétariat russe, ne peut lutter pour l’indépendance de la Pologne, tout comme, inversement, le prolétariat russe ne peut avoir un programme qui ne correspond pas à tous les besoins du travailleur polonais.

C’est pourquoi l’une des tâches les plus importantes des héros du « Proletarjat » a été de lutter contre ceux qui voulaient imposer le slogan de l’indépendance de la Pologne aux travailleurs polonais, contre ceux qui disaient : nous ne voulons pas d’une Pologne de la noblesse, mais d’une république polonaise démocratique et populaire. Les militants du « Prolétariat » ont répondu : une Pologne de la noblesse ou une Pologne démocratique, peu importe ! Il s’agira toujours d’un État polonais de classe dans lequel les classes possédantes gouverneront et exploiteront les classes laborieuses. Le prolétariat, en revanche, ne crée pas et ne peut pas créer un État de classe, mais mène la lutte de classe pour la liberté politique dans l’État dans lequel il se trouve, et ne peut créer que sa propre révolution, une révolution sociale. Cela signifie que le prolétariat polonais ne peut créer qu’une seule Pologne : une Pologne socialiste, ayant lancé le slogan du socialisme international, basé sur la lutte de classe économique et politique.

Aujourd’hui, il ne fait plus aucun doute pour tout travailleur conscient que les militants du « Proletarjat » ont indiqué le meilleur moyen de libérer la classe ouvrière et le moyen le plus efficace de défendre nos intérêts nationaux. Aujourd’hui, il est déjà clair que l’État polonais de classe, capitaliste, est une impossibilité, c’est-à-dire une utopie. Les classes bourgeoises de Pologne ne veulent pas elles-mêmes d’un État polonais. Après 1864, la szlachta a renoncé à son slogan d’une Pologne indépendante. Et la classe capitaliste moderne n’a jamais reconnu ce slogan et ne le reconnaît pas. En effet, l’indépendance de la Pologne n’est pas dans l’intérêt du développement capitaliste, et les classes capitalistes polonaises s’unissent aux exploiteurs russes de notre pays pour régner avec eux en Russie sur les peuples polonais et russe. En Galicie, la noblesse polonaise règne indivisiblement sur les peuples polonais et russe et aide le gouvernement autrichien à opprimer tous les autres peuples d’Autriche. Sous le sceptre prussien, la noblesse polonaise s’unit aux exploiteurs allemands pour piller avec eux les peuples polonais et allemands. Les classes capitalistes dirigent aujourd’hui la société polonaise et ne veulent pas d’une Pologne indépendante. Ainsi, si le prolétariat polonais voulait créer une Pologne indépendante de classe, il devrait déjà être si conscient et si fort qu’il pourrait vaincre les classes capitalistes polonaises, vaincre le capitalisme. Mais alors, le prolétariat polonais, en tant que vainqueur du capitalisme, n’aurait pas pu créer une Pologne capitaliste, mais aurait fait une révolution sociale, aurait créé une Poslka socialiste...

Il convient donc de constater que ce ne sont pas ceux qui ont défendu et défendent la cause nationale qui demandent à la classe ouvrière de créer une Pologne capitaliste sous la forme d’une république démocratique. Certes, notre cause nationale ne peut attendre que le prolétariat polonais prenne le pouvoir et fasse une révolution sociale. C’est pourquoi la social-démocratie défend déjà notre nationalité en exigeant l’autonomie nationale et une constitution démocratique. Car ce n’est qu’avec l’autonomie et une constitution que la classe ouvrière polonaise pourra développer ses forces, s’organiser, prendre conscience de l’incessante lutte des classes et enfin libérer la nation polonaise, en se libérant du joug du capitalisme.

La social-démocratie polonaise, qui a reçu le principe fondamental de son programme du « Prolétariat », désigne fièrement les plus grands héros de la classe ouvrière polonaise comme ses prédécesseurs et ses maîtres.