1918 |
Article de la « Pravda » n° 38, 1er mars 1918 |
Lénine Sur le terrain pratique |
Nous assistons à un essor révolutionnaire suscité par l’attaque perfide des gardes blancs allemands contre la révolution russe. Des télégrammes affluent de toutes parts, exprimant la volonté de défendre le pouvoir des Soviets et de se battre jusqu’au dernier. On ne pouvait d’ailleurs s’attendre à une autre attitude des travailleurs envers leur pouvoir ouvrier et paysan.
Mais l’enthousiasme seul ne suffit pas pour faire la guerre contre un adversaire tel que l’impérialisme allemand. Il serait de la plus grande naïveté, il serait même criminel de traiter à la légère cette guerre véritable, tenace et sanglante.
Il faut faire la guerre sérieusement ou ne pas la faire du tout. Pas de milieu. Du moment que les impérialistes allemands nous l’imposent, notre devoir sacré est de juger avec lucidité notre situation, de mesurer nos forces, de vérifier le mécanisme économique. Tout cela doit s’effectuer avec la rapidité du temps de guerre, car dans notre situation actuelle tout retard est véritablement « synonyme de mort ». Annibal est à nos portes ! Nous ne devons pas l’oublier un seul instant.
Pour faire la guerre sérieusement, il faut un arrière solidement organisé. L’armée la meilleure, les hommes les plus dévoués à la cause de la révolution seront aussitôt exterminés par l’ennemi s’ils sont insuffisamment armés, ravitaillés et instruits. Cela se passe de commentaires.
Dans quelle situation se trouve l’arrière de notre armée révolutionnaire ? Dans la situation la plus lamentable, pour ne pas dire plus. La guerre précédente a définitivement désorganisé nos transports et perturbé les échanges entre la ville et la campagne, ce qui a pour conséquence directe et immédiate la famine dans les grandes villes.
Sous la menace de l’ennemi notre armée se réorganise de la façon la plus radicale. L’ancienne armée qui connaissait les conditions de la guerre moderne n’existe plus. Absolument épuisée par la guerre précédente, mortellement lasse après trois années et demie de séjour dans les tranchées, elle ne représente plus au point de vue valeur militaire qu’une grandeur réduite à zéro. L’Armée Rouge est incontestablement un magnifique matériel de combat, mais un matériel à l’état brut, pas encore travaillé. Si l’on ne veut pas en faire de la chair à canon pour l’artillerie allemande, il est indispensable de l’instruire, de la discipliner.
Nous sommes aux prises avec d’énormes difficultés. Tous les Soviets locaux doivent immédiatement, à la suite du télégramme attestant leur volonté de se battre contre l’ennemi extérieur, nous faire savoir combien de wagons de blé ils ont expédié à Pétrograd, quelle quantité de troupes ils peuvent envoyer sans délai au front, combien de soldats rouges apprennent le maniement des armes. Toutes les armes et toutes les munitions doivent être recensées, il faut se remettre immédiatement à la fabrication d’armes et de munitions. Les chemins de fer doivent être débarrassés des trafiquants du marché noir et des voyous. La discipline révolutionnaire la plus sévère doit être partout rétablie. Ce n’est qu’en observant toutes ces conditions qu’on pourra parler sérieusement de la guerre. Sinon, tous les propos sur « la guerre la plus révolutionnaire » ne seront que des phrases. Or, la phrase est toujours nuisible ; elle peut, en ce moment critique, jouer un rôle fatal.
J’ai la profonde conviction que notre révolution viendra à bout des difficultés colossales du moment présent. Elle a déjà fait un effort grandiose, mais pour mener notre tâche à bien, il faut centupler notre énergie.
Alors seulement nous vaincrons.
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