1908

Traduit de l'allemand par Gérard Billy, 2015, d'après la réédition en fac-similé publiée par ELV-Verlag en 2013

Karl Kautsky

Karl Kautsky

Les origines du christianisme

IIIème partie. Le judaïsme.
1. Israël

i. La première destruction de Jérusalem

1908

Du peuple d'Israël, il ne restait plus comme vestiges que Jérusalem et son district, la Judée. Il pouvait sembler que, ainsi réduits à peu de chose, ils allaient eux aussi subir le sort de la grande masse et que le nom d'Israël allait être effacé de la carte du monde. Mais il ne fut pas donné aux Assyriens de prendre et de détruire Jérusalem.

Lorsque des troubles à Babylone obligèrent l'armée de l'Assyrien Sanhérib, qui était en route vers Jérusalem (701), à rebrousser chemin, et que du même coup, Jérusalem fut sauvée, cela signifiait seulement que la partie était remise. La Judée restait un État vassal de l'Assyrie qui pouvait être rayé de la carte à tout moment.

Mais à partir de l'époque de Sanhérib, l'attention des Assyriens se porta de plus en plus sur le nord, où des guerriers nomades, des Cimmériens, des Mèdes, des Scythes, approchaient en se faisant de plus en plus menaçants, ce qui imposait d'engager de plus en plus de forces pour les repousser. Les Scythes envahirent l'Asie Mineure vers 625, arrivèrent en pillant et saccageant tout sur leur passage jusqu'à la frontière égyptienne, mais finirent au bout de 28 ans par se disperser sans avoir fondé un royaume qui fût leur. Ils disparurent, mais les conséquences de cette incursion n'en demeurèrent pas moins. Elle avait ébranlé la monarchie assyrienne dans ses fondements. Les Mèdes pouvaient maintenant l'attaquer avec plus de succès, Babylone fit sécession, cependant que les Égyptiens profitèrent de de la situation pour imposer leur souveraineté sur la Palestine. Le roi de Juda Josias fut battu et tué par les Egyptiens à Meggido (609), et le pharaon Nékao installa Joachim comme son vassal à Jérusalem. En 606, enfin, Ninive fut détruite par l'alliance des Babyloniens et des Mèdes. L'empire des Assyriens avait vécu.

Mais cela ne signifiait en aucune façon le salut pour le royaume de Juda. La Babylonie suivit maintenant les traces d'Assur et entreprit aussitôt de s'emparer de la route menant en Égypte. Ce faisant, les Babyloniens emmenés par Nabuchodonosor se heurtèrent à Nékao qui s'était avancé jusque dans le nord de la Syrie. Les Égyptiens furent battus à la bataille de Karkemish (605) et le royaume de Juda devint peu après un État vassal de Babylone. On voit comment il passait de main en main, ayant perdu toute autonomie. Poussé par les Égyptiens, le royaume de Juda refusa en 597 de payer tribut aux Babyloniens. La rébellion s'effondra sans presque livrer combat. Jérusalem fut assiégée par Nabuchodonosor et se rendit sans conditions.

« Quand Nabuchodonosor, le roi de Babylone, arriva devant Jérusalem pendant que ses serviteurs l'assiégeaient, Joachim, roi de Juda, sortit à la rencontre du roi de Babylone, lui, sa mère, ses serviteurs, ses chefs et ses courtisans. Et le roi de Babylone le fit prisonnier dans la huitième année de son règne. Et il emporta tous les trésors du temple de Yahvé et les trésors du palais royal, et fracassa tous les vases en or que Salomon, le roi d'Israël, avait confectionnés pour le temple de Yahvé, comme Yahvé avait dit. Et il déporta comme prisonniers tout Jérusalem, tous les chefs et tous les hommes valides, au nombre de 10 000, et en plus tous les forgerons et tous les serruriers ; il ne resta rien que les petites gens de la population des campagnes. Et il emmena Joachim à Babylone, et la mère du roi et les femmes du roi et ses courtisans et les puissants, il les emmena captifs à Babylone ; et en plus tous les gens capables de combattre, au nombre de 7000, et les forgerons et les serruriers, au nombre de 1000 ; des hommes vaillants. » 65

Babylone reprenait donc l'ancienne méthode des Assyriens ; mais ici non plus, ce n'est pas tout le peuple qui fut déporté, mais seulement la cour royale, les aristocrates, les hommes de guerre et les citadins possédants, en tout 10 000 hommes. Les « petites gens de la campagne », en tout cas aussi ceux de la ville, restèrent sur place. Et sans doute également une partie des classes dominantes. Pourtant, le royaume de Juda ne fut pas purement et simplement effacé. Le maître de Babylone lui donna un nouveau roi. Et le même petit jeu reprit de plus belle, mais pour la dernière fois. Les Égyptiens poussèrent le nouveau roi, Sédécias, à tourner le dos à Babylone.

Alors, Nabuchodonosor arriva devant les murs de Jérusalem, la conquit, et mit définitivement fin à cette ville si indocile et qui était une source permanente de difficultés en raison de sa situation qui la rendait maître de la route qui reliait Babylone à l’Égypte (586).

« Nébuzaradan, le chef de la garde personnelle, le serviteur confident du roi de Babylone, entra dans Jérusalem. Il brûla le temple de Yahvé et le palais du roi et toutes les maisons de Jérusalem; il livra au feu toutes les maisons de quelque importance. Toute l'armée des Chaldéens, qui était avec le chef des gardes, démolit les murailles formant l'enceinte de Jérusalem. Nebuzaradan, le chef des gardes, emmena captifs ceux du peuple qui étaient demeurés dans la ville, et les transfuges qui s'étaient ralliés au roi de Babylone, et le reste de la population. Et parmi les petites gens du pays, le chef des gardes en laissa quelques-uns comme vignerons et cultivateurs. » 66

De même chez Jérémie 39, 9, 10 : « Le reste de la population, ceux qui étaient restés dans le ville et les transfuges qui étaient passés de son côté, et le reste du peuple, les autres, Nébuzaradan, le chef de la garde, les emmena captifs à Babylone. Mais des petites gens qui n'avaient rien à eux, Nébuzaradan, le chef de la garde, en laissa quelques-uns dans le pays de Juda, et leur donna des vignobles et des champs. »

Il resta donc une série d'éléments de la paysannerie. Il aurait effectivement été absurde de vider complètement le pays, sans personne pour le cultiver. Il n'aurait pas pu payer d'impôts. Les Babyloniens voulaient manifestement, comme cela était leur pratique habituelle, surtout éloigner la partie de la population qui était en état de maintenir la cohésion de la nation et de la diriger et ainsi de représenter un danger pour la tutelle des Babyloniens. Le paysan livré à lui-même a rarement su se libérer d'une domination étrangère.

Le 39ème chapitre de Jérémie est parfaitement clair si l'on veut bien se rappeler la formation des latifundia, un processus qu'avait aussi connu le royaume de Juda. Une mesure paraissait presque évidente : démanteler maintenant les latifundia et les répartir entre les paysans expropriés, ou bien transformer les esclaves pour dettes et les tenanciers en libres propriétaire du sol qu'ils cultivaient. Leurs tyrans avaient précisément été les chefs de la lutte de Juda contre Babylone.

Selon le rapport établi par les Assyriens, le population du royaume de Juda sous Sanhérib comptait 200 000 personnes, sans compter les habitants de Jérusalem, estimés à 25 000. Le nombre des propriétaires terriens d'une certaine importance est évalué à 15 000. Nabuchodonosor en déporta 7000 après la première conquête de Jérusalem. 67 Il en laissa donc 8000. Pourtant, le Livre des Rois, 2, 24, 14, rapporte que ne seraient restés que « les petites gens de la population rurale ». Ces 8000 furent donc déportés après la deuxième destruction. Ce sont sûrement leurs vignobles et leurs champs qui furent donnés aux « petites gens qui n'avaient rien à eux. »

Dans tous les cas, on ne déporta pas non plus cette fois tout le peuple, mais bien toute la population de Jérusalem. Les gens de la campagne restèrent au moins en grande partie sur place. Mais ceux qui restaient cessèrent de constituer une entité politique juive particulière. Toute la vie nationale du judaïsme se concentra désormais chez les citadins contraints à l'exil.

Mais cette vie nationale prit alors une coloration très particulière due à la situation hors du commun de ces Juifs citadins. Jusqu'alors, rien, chez les Israélites, ne les distinguait des peuples qui les entouraient, rien qui ait attiré spécialement l'attention, mais maintenant, ce qui restait de ce peuple, et qui continuait à avoir une vie nationale, devint un peuple à nul autre pareil. La situation anormale du judaïsme, qui en fait un phénomène seul en son genre dans l'histoire, commence non pas avec la destruction de Jérusalem par les Romains, mais avec la destruction de Jérusalem par Nabuchodonosor.

 

Notes de K. Kautsky

65 2. Rois 24, 12 à 16

66 2. Rois 25, 8 à 12

67 cf. F. Buhl, Tableau des rapports sociaux chez les Israélites, p. 52, 53

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