1976

La marche à la révolution et son développement seront faits d'alternances, de flux et de reflux, qui s'étendront vraisemblablement sur une longue période. Il y aura des situations confuses. des formes confuses. (...) C'est la conséquence de la contradiction entre la maturité des conditions objectives, et le retard accentué à la solution de la crise de l'humanité qui "se réduit à celle de la direction révolutionnaire". Résoudre cette contradiction est la tâche des organisations qui se réclament de la IV° Internationale, de ses origines, de son programme.


A propos des « 25 thèses sur "La révolution mondiale" » d'E. Mandel

Stéphane Just


Actualité de la révolution politique

La Thèse 20 est formellement l'inverse de celles concernant la révolution sociale dans les pays capitalistes avancés d'Europe, elle n'en est pas pour autant plus juste : la révolution politique en Europe de l'Est, la lutte contre l'oppression nationale en ces pays ne serait pas possible tant qu'elles ne seraient pas mûres et sur le point d'éclater en URSS. A suivre la logique du camarade Ernest Mandel, qu'il abrite derrière les sentiments prêtés aux masses des pays de l'Europe de l'Est, il faudrait même qu'elles commencent en URSS. Hélas, du double point de vue subjectif et objectif, on en serait loin : « le manque de conscience et de perspectives politiques chez le prolétariat soviétique » ( ... ) « l'augmentation lente mais régulière du niveau de vie des ouvriers en URSS » s'y opposent.

L'omission à propos de l'impasse économique, sociale et politique de la bureaucratie du Kremlin et des bureaucraties satellites n'est pas une omission : cette impasse n'existe pas, nous laisse supposer le camarade Ernest Mandel. Il ne voit pas les causes objectives qui poussent à la révolution politique en URSS et dans les pays de l'Europe de l'Est.

Insistons à nouveau : une des caractéristiques de la nouvelle période de la révolution qui s'est ouverte est la conjonction, la fusion de la révolution sociale et de la révolution politique, leurs liens puissants et étroits d'une très grande vitalité. Les événements qui se déroulent en Pologne depuis 1970 le confirment. La flamme de la révolution brille en Pologne. Son feu couve en Europe de l'Est et en URSS.

La bureaucratie du Kremlin le sait et le craint plus que quiconque. Pour tenter de détendre les contradictions économiques, sociales et politiques en Pologne, elle vient d'accorder 1 milliard de roubles de prêt à la bureaucratie polonaise. Les grandes puissances impérialistes le savent et le craignent également ; la bureaucratie polonaise leur doit déjà 8 milliards de dollars, elles lui accorderont d'autres crédits. La Pologne est la partie la plus visible, en raison de l'activité révolutionnaire ouverte du prolétariat ‑ les contradictions insolubles de la bureaucratie polonaise y sont exposées au grand jour ‑ d'une situation qui affecte tous les pays de l'Europe de l'Est et de l'URSS. L'économie de tous ces pays dépend des crédits que l'impérialisme leur accorde. Partout les mêmes antagonismes sociaux et politiques se tendent.

Il faut totalement inverser la proposition du point a) de la Thèse 20 et écrire :

« L'attitude de plus en plus prudente de la bureaucratie du Kremlin vis‑à‑vis du prolétariat polonais est la preuve que dans les pays de l'Europe de l'Est les mêmes processus sociaux et politiques sont à l'œuvre et peuvent, brutalement surpris, se manifester au grand jour. La possibilité d'isoler la révolution politique à tel ou tel pays et de l'écraser devient incertaine. La bureaucratie du Kremlin est particulièrement alarmée parce qu'en URSS le prolétariat oppose sa force d'inertie à sa politique. Très rapidement. sous l'effet du souffle de la révolution politique se développant en Allemagne de l'Est, en Pologne, en Hongrie, en Tchécoslovaquie, la résistance du prolétariat peut se transformer en lutte active contre la bureaucratie de l'URSS. De même, la résistance des nationalités de l'URSS, de l'Ukraine notamment, mais aussi des autres nationalités opprimées, peut également s'activer rapidement. Ce sont là des causes fondamentales de crise et de déchirement de la bureaucratie du Kremlin, des bureaucraties satellites, et entre elles. »

La dictature de fer de la bureaucratie du Kremlin, des bureaucraties satellites, le monopole du pouvoir et des moyens politiques qu'elles exercent, obligent à cheminer souterrainement les processus politiques. Par conséquent, il est plus difficile d'en rendre compte que dans les pays capitalistes d'Europe où ils s'expriment au grand jour. Cela ne veut pas dire qu'ils n'existent pas. Ce sont les bureaucraties qui, par leur politique, par les contradictions qu'elles laissent apparaître, en rendent compte. Mais une fois les premières brèches ouvertes, les premiers craquements au sein des bureaucraties, l'expérience prouve que les masses déferlent rapidement.

Lorsque le camarade Ernest Mandel invoque l'Europe de l'Ouest, il cantonne la révolution prolétarienne à quelques pays, et cela pour une période apparemment relativement longue. Mais pour lui, en Europe de l'Est, la révolution politique doit être globale ou ne pas être, sans quoi elle serait écrasée. Dans les deux cas, on ne peut être d'accord. La révolution prolétarienne commencera en un pays déterminé aussi bien à l'Ouest qu'à l'Est. Elle interférera avec la lutte des classes dans les autres pays ; elle s'étendra plus ou moins rapidement aux autres pays. En outre, la bureaucratie du Kremlin, les bureaucraties satellites, l'appareil international du Kremlin subissent une crise profonde qui provient de leur incapacité à définir une politique efficace contre la révolution montante en Europe. Cette crise ne peut que s'accentuer au feu de la révolution sociale et politique, déchirer plus profondément les bureaucraties parasitaires et contre‑révolutionnaires, les PC, rendre plus difficile (a répression brutale. L'attitude du Kremlin vis‑à‑vis de la Pologne le prouve. Naturellement, rien n'est joué d'avance : l'affrontement des forces vivantes décidera. De plus, il n'est pas exclu que la révolution politique ne commence dans un pays de l'Europe de l'Est et s'étende, avant que la révolution sociale ne commence en Espagne, en Italie, en France. Il se peut que simultanément la révolution sociale et la révolution politique explosent dans un pays de l'Europe de l'Ouest et un pays de l'Europe de l'Est.

De nombreuses combinaisons et rapports sont possibles. Il ne sert à rien de spéculer. L'important est de savoir qu'il s'agit en tous les cas de la révolution européenne.

Cet ensemble de raisons font que le prolétariat allemand dans son ensemble se trouve au cœur de la révolution prolétarienne en Europe. Le mot d'ordre des États‑Unis socialistes d'Europe est d'actualité parce qu'il traduit très strictement la nature de la révolution européenne qui s'avance, les tâches qu'elle a à réaliser, son unité organique.

Faut‑il rappeler que Trotsky écrit quelque part :

« Le mot d'ordre des États‑Unis socialistes d'Europe est un mot d'ordre transitoire, de la même façon que celui du gouvernement ouvrier‑paysan ».

En d'autres termes, ce mot d'ordre est central, capital, tout comme celui du GOP. Le rapport entre le mot d'ordre du GOP et celui des États‑Unis socialistes d'Europe que Trotsky établit rend compte du caractère national et international de la révolution européenne.


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