1976

La marche à la révolution et son développement seront faits d'alternances, de flux et de reflux, qui s'étendront vraisemblablement sur une longue période. Il y aura des situations confuses. des formes confuses. (...) C'est la conséquence de la contradiction entre la maturité des conditions objectives, et le retard accentué à la solution de la crise de l'humanité qui "se réduit à celle de la direction révolutionnaire". Résoudre cette contradiction est la tâche des organisations qui se réclament de la IV° Internationale, de ses origines, de son programme.


A propos des « 25 thèses sur "La révolution mondiale" » d'E. Mandel

Stéphane Just


Les impérialismes décadents d’Europe

Etrange situation que celle du capitalisme en Europe aujourd'hui. La longue décadence de l'impérialisme britannique parvient au seuil d'une transformation qualitative. La crise de la livre témoigne du point où cette décadence est arrivée. Certes, depuis la Première Guerre mondiale, l'impérialisme anglais a cédé aux USA la place de plus grande puissance impérialiste. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, ce n'est plus qu'une puissance de second ordre. Son empire s'est disloqué. Pourtant, le présent contient le passé et repose sur lui. La place occupée, le rôle joué par l'impérialisme anglais dans le développement du mode de production capitaliste lui donnent une place et une importance mondiales, qui ne se mesurent pas à sa puissance actuelle. Il reste une des pièces maîtresses, un des organes indispensables du système. Tous les rapports bourgeois, les « valeurs » bourgeoises seraient atteints, aux USA en particulier, mais plus directement encore en Europe, en cas d'effondrement du capitalisme anglais. La décadence du capitalisme anglais est l'une des expressions les plus avancées de la décadence générale du mode de production capitaliste. Elle illustre et concrétise plus particulièrement celle du capitalisme européen. Les grandes puissances capitalistes sont aux prises avec d'insurmontables contradictions qui les tenaillent. Elles portent néanmoins aide et assistance à l'impérialisme anglais jusqu'à l'extrême limite parce qu'elles savent les conséquences que l'effondrement du capital anglais aurait en raison de leurs propres contradictions.

Le cas de l'impérialisme allemand n'est pas identique, mais il s'inscrit dans le processus de dégénérescence du mode de production capitaliste en Europe. Il en est un autre cas particulier. Superficiellement, il semble qu'ayant reconquis la première place en Europe et une des premières places dans le monde, il est fort et stable. Il dispense d'importants crédits aux autres puissances capitalistes d'Europe, et également aux pays de l'Europe de l'Est et à l'URSS. Il étend ses réseaux commerciaux et financiers à travers le monde. Il a même apporté une contribution considérable au soutien du dollar. Il est une des locomotives du capitalisme en Europe. Mais cette locomotive s'essouffle rapidement.

Le capitalisme allemand a toujours eu quelque chose de monstrueux. A la suite des deux guerres mondiales, de la dernière en particulier, il est devenu plus monstrueux encore. Tard venu parmi les grandes puissances impérialistes, il n'a obtenu, avant la Première Guerre mondiale, qu'une portion congrue dans le partage du monde entre grandes puissances. Sa base a toujours été beaucoup trop étroite par rapport à sa puissance, à sa force d'expansion. C'était un besoin organique du capitalisme allemand de dominer l'Europe, d'en faire sa zone économique. Par deux fois, il a échoué. Sa défaite en 1945, la coupure de l'Allemagne, la perte de la Silésie, de la Prusse orientale ont terriblement aggravé ses tares héréditaires. La coupure de l'Europe en deux modes de production antagonistes lui est, plus qu'à tout autre pays capitaliste d'Europe, une mutilation. L'impulsion qu'a donnée l'impérialisme américain dans la reconstruction du capitalisme en Europe a puissamment aidé le capital allemand. Il est très étroitement lié au capital US. La baisse, quasi au niveau de son entretien physiologique, de la valeur de la force de travail en Allemagne au lendemain de la guerre, a permis au capitalisme allemand de réaliser d'énormes surprofits. Elle lui a donné une capacité concurrentielle fantastique sur le marché mondial, et lui a permis de réaliser des investissements considérables, de se doter des moyens de production qui lui assurent un haut degré de productivité. La constitution du Marché commun européen a facilité la pénétration des marchandises et des capitaux allemands en Europe de l'Ouest. Tout cela n'a fait que masquer, et finalement renforcer ses faiblesses congénitales catastrophiques, qu'une crise économique internationale profonde révélera brutalement. Le capitalisme US défaillant, une tâche au‑dessus des moyens du capital allemand lui revient : devenir le banquier de l'Europe, être le moteur qui entraîne la machine économique.

Faire de longs commentaires en ce qui concerne l'impérialisme français n'est pas nécessaire. Sa décadence a été beaucoup plus rapide que celle de l'impérialisme anglais. La victoire de 1918 lui a donné une position européenne disproportionnée à sa force, à ses ressources, déjà profondément entamées par la guerre. Il ne disposait plus que de beaux restes. La Deuxième Guerre mondiale a achevé ce que la première avait commencé. La capitalisme français exsangue, cramponné à son empire, était totalement incapable d'occuper en Europe la place que l'Allemagne laissait momentanément vide. Les injections de crédits américains lui ont permis de survivre, et de s'accrocher au « boom » des décennies d'après‑guerre. La liquidation de l'empire s'est accompagnée d'une plus profonde insertion du capital financier français, que l'État aidait, à la division du travail européenne et internationale. L'accumulation du capital à l'échelle internationale a profité au capitalisme français, mais loin de s'accroître, son poids relatif dans le monde et en Europe s'est au contraire réduit. En France, le parasitisme a atteint un niveau impressionnant. La structure sociale de la France s'est modifiée de façon importante, mais le capitalisme n'y a pas non plus surmonté ses faiblesses congénitales. Au contraire, elles se sont aggravées. Le capitalisme français est un des anneaux les plus faibles du capitalisme en Europe, après peut‑être le capitalisme italien.

La croissance économique en Italie n'a pu faire de ce pays un pays capitaliste puissant. Pas plus qu'aucun autre, le capitalisme italien n'a surmonté ses tares héréditaires. Le puissant essor de certaines industries dans le Nord doit beaucoup à la possibilité de disposer d'une main‑d'œuvre nombreuse à bon marché venant du Sud, lequel reste tout aussi arriéré. Si bien que la structure économique et sociale de l'Italie est plus difforme et déséquilibrée encore que par le passé. La crise financière et économique actuelle ne fait qu'annoncer vers quels abîmes roule le capitalisme italien.

Mais que n'a‑t‑on pas dit et écrit, non seulement à propos des miracles économiques allemand, italien, mais espagnol. La relative industrialisation de l'Espagne a une très grande importance pour la lutte des classes. Elle n'en est pas moins subordonnée au capital financier des grandes puissances européennes, et des USA.


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