"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale." |
Défense du trotskysme (2)
Pour la reconstruction de la IV° Internationale
Document adopté par l'Organisation trotskyste (pour la reconstruction de la IV° Internationale)
« La Vérité » n°545 - oct.1969.
En U.R.S.S., dans les pays d'Europe de l'Est, en Chine, la construction du parti révolutionnaire n'est pas moins une nécessité pressante que dans tous les pays capitalistes avancés et dans tous ceux dominés par l'impérialisme. Les bureaucraties parasitaires, pas plus que les partis dits communistes et ouvriers, ne peuvent être redressés. Ces partis sont les partis des bureaucraties parasitaires et nullement des partis « plus ou moins communistes ». La stratégie de la lutte pour le pouvoir dans ces pays n'est pas différente dans ses principes de celle de la lutte pour le pouvoir dans les pays capitalistes avancés : elle tend à mobiliser, à organiser, à centraliser la classe ouvrière comme classe contre les bureaucraties parasitaires. Dans la mesure où ils sont des Etats ouvriers dégénérés ou déformés, les Etats des pays de l'Europe de l'Est, de l'U.R.S.S., de Chine ne peuvent être « régénérés progressivement ». L'action révolutionnaire du prolétariat, son organisation comme classe dominante, la destruction des instruments répressifs des bureaucraties parasitaires, le bouleversement des organes de l'Etat et de gestion de l'économie sont indispensables.
La lutte pour la révolution politique part des besoins les plus élémentaires, en même temps que les plus profonds, du prolétariat, de la jeunesse, des intellectuels, des paysans kolkhoziens et autres. La défense des revendications « économiques » des garanties d'emploi, de qualification, des avantages sociaux, du droit de la jeunesse aux études et aux garanties pour son avenir, la lutte pour l'égalité sociale, les revendications de la démocratie ouvrière : droit de s'organiser, de former des tendances dans les organisations existantes, de former de nouvelles organisations parmi les travailleurs, la jeunesse ouvrière et des écoles, parmi les intellectuels et la paysannerie, la liberté de la presse, de la littérature, de l'art, ont une importance décisive. Parallèlement, la lutte pour l'indépendance des syndicats par rapport à l'Etat et aux partis de la bureaucratie, pour leur rénovation de fond en comble comme organisation exprimant les revendications et aspirations de l'ensemble des travailleurs, pour l'éviction des bureaucrates, pour leur fonctionnement démocratique est une lutte sans laquelle il est impossible de combattre pour le renversement des bureaucraties parasitaires. Le droit de grève, le droit de manifestation, ne sont pas moins importants.
Toute lutte de classes, toute lutte politique – que ce soit dans les pays capitalistes avancés, dans ceux dominés par l'impérialisme ou dans ceux sous le contrôle de la bureaucratie du Kremlin ou des bureaucraties satellites ‑ requiert ces instruments que sont les droits à l'organisation, à l'exercice des libertés démocratiques. Les récents exemples de la montée de la révolution politique en Tchécoslovaquie confirment l'importance de la lutte pour les libertés démocratiques dans la marche vers la révolution politique. L'appareil contre-révolutionnaire du Kremlin a décidé d'intervenir militairement dès lors que la liberté d'expression, de la presse, de la littérature , de l'art s'affirmait, mais surtout lorsque le droit à l'organisation s'affirma décisivement par la reconnaissance des tendances au sein du P.C.T., ainsi que le proposait le projet de nouveaux statuts soumis au XIV° congrès du P.C.T. Les violentes attaques et la répression qu'elle a déclenchées contre les intellectuels qui revendiquaient la liberté d'expression, ne serait‑ce qu'en littérature et en art, proviennent de ce que par la liberté littéraire et artistique passe la critique de sa gestion, de ce qu'elle est un embryon, un élément des libertés démocratiques et du droit à l'organisation non soumis au contrôle rigoureux de la bureaucratie. L'expérience démontre que la lutte des intellectuels pour le droit à la liberté d'expression en littérature et en art débouche rapidement sur la lutte politique contre la bureaucratie. Ainsi, en U.R.S.S., le lien apparaît directement : Daniel, Siniavski, et ceux qui les ont suivis ont ouvert la voie à Pavel Litvinov et à Larissa Daniel, qui dénoncent l'intervention militaire de la bureaucratie du Kremlin en Tchécoslovaquie ; cette lutte se prolonge dans la dénonciation de l'oppression des nationalités en U.R.S.S., les prises de positions du général Grigorenko et de tant d'autres.
La reconnaissance des organisations et des partis qui se situent sur le terrain du socialisme ne saurait être, d'une quelconque façon, confiée aux soins des bureaucraties parasitaires. Les courants, tendances, organisations, partis se définiront et se décanteront politiquement dans la lutte politique elle-même qui affirmera leur contenu social et politique.
La bureaucratie du Kremlin et les bureaucraties satellites ne sont pas des classes sociales, mais des excroissances parasitaires, des agences ‑ en dernière analyse ‑ de la bourgeoisie au sein de l'Etat ouvrier. Cela se manifeste notamment en ce que, contrairement à la bourgeoisie, dont la forme de domination politique, tout au moins dans les principaux pays capitalistes, a été la plus simple lorsqu'elle s'exerçait par le truchement de la démocratie bourgeoise qui permettait à la classe ouvrière de s'organiser comme classe, la bureaucratie du Kremlin et les bureaucraties satellites ne peuvent maintenir leur pouvoir, défendre leurs privilèges que par l'omnipotence de l'appareil ; qu'en comprimant dans un corset de fer le jeu des forces sociales et politiques, qu'en supprimant tous les droits et toutes les garanties démocratiques. C'est uniquement le monopole politique qui maintient au pouvoir les bureaucraties parasitaires. La théorie démontre et l'expérience prouve que la structure sociale de l'U.R.S.S. et des pays de l'Europe de l'Est est telle que, dès que craque le corset bureaucratique et que s'effondre l'appareil, la classe ouvrière surgit comme force sociale dominante. Dans le processus de décomposition de l'appareil bureaucratique, les forces sociales pro‑bourgeoises proviennent toujours de l'appareil. La bureaucratie du Kremlin intervient comme force répressive tentant de reconstruire l'appareil contre la classe ouvrière, c'est‑à‑dire au profit de la bourgeoisie et de l'impérialisme mondial. La Tchécoslovaquie, le plus récent et le plus démonstratif exemple, confirme l'expérience de la Hongrie de 1956. C'est pourquoi la lutte pour les libertés démocratiques en U.R.S.S. et en Europe orientale a un contenu de classe prolétarien. Elle est révolutionnaire et débouche directement sur la révolution politique, dont elle est une composante.
La stratégie du Front unique de classe est tout aussi indispensable à la révolution politique en Europe orientale et en U.R.S.S. qu'elle l'est à la révolution sociale dans les pays capitalistes avancés ou sous la domination impérialiste. Il s'agit d'unifier la classe ouvrière comme classe dans le combat politique contre la bureaucratie du Kremlin, les bureaucraties satellites et la bureaucratie chinoise. La désagrégation des bureaucraties parasitaires fait apparaître, comme ce fut le cas en Hongrie et en Tchécoslovaquie, des courants et organisations divers. Elle s'exprime par l'apparition de tendances au sein des P.C., tendances qui préfigurent de nouveaux partis, et par la renaissance de partis à tendances social‑démocrates.
Combattre pour que ces tendances, ces partis réalisent le Front unique sur un programme de démocratie ouvrière, qui donne satisfaction aux revendications des travailleurs, de la jeunesse, des intellectuels, des paysans, dans le cadre de la défense et de la régénération des conquêtes du type socialiste, en chassant la bureaucratie, en détruisant ses privilèges, combattre pour qu'ils construisent les organes de classe du prolétariat, les comités, pour qu'ils luttent afin de conquérir le pouvoir et de constituer un gouvernement qui s'appuie sur la classe ouvrière organisée comme classe au sein de ses comités fédérés à tous les échelons, telle est la tâche des militants révolutionnaires. Soutenir tout pas allant dans ce sens, toute lutte contre les bureaucraties parasitaires et même, au cours des conflits inévitables au sein des appareils, tout acte politique qui favorise l'intervention du prolétariat, l'expression des libertés démocratiques s'insère dans la stratégie du Front unique ouvrier.
Mais il s'agit de détruire l'appareil bureaucratique installé dans tous les organes du pouvoir ouvrier, il s'agit de régénérer l'Etat ouvrier, il s'agit d'asseoir le pouvoir politique sur les comités ouvriers fédérés à tous les échelons. Les P.C. restent les instruments du pouvoir bureaucratique. Ils ne cessent de l'être que lorsqu'ils éclatent, c'est‑à‑dire sont détruits. La stratégie du Front unique de classe ne se substitue pas à la construction du parti révolutionnaire, elle est indispensable à sa construction, et la construction du parti révolutionnaire est indispensable à la lutte pour le Front unique de classe. Pas plus que dans les pays capitalistes, il ne peut y avoir de substitut au parti révolutionnaire. Les militants qui luttent pour la construction du parti révolutionnaire doivent se constituer en organisation indépendante, formuler leur programme, leur politique, dont découleront leur stratégie et leur tactique. Leur organisation, en toutes circonstances, doit garder son indépendance organisationnelle et politique, combattre pour sa politique et son programme. Elle doit combattre pour le Front unique et conquérir, au cours de cette lutte, la direction politique de la classe ouvrière, et se préparer ainsi à revendiquer le pouvoir, à le prendre et à l'exercer elle‑même.