"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale." |
Défense du trotskysme (2)
Pour la reconstruction de la IV° Internationale
Document adopté par l'Organisation trotskyste (pour la reconstruction de la IV° Internationale)
« La Vérité » n°545 - oct.1969.
Mais il s'agit précisément d'Etats ouvriers qui, même dégénérés ou déformés, sont néanmoins fondés sur des rapports sociaux qui font du prolétariat la classe sociale décisive, dont la puissance écrasante se révèle dès qu'il se met en mouvement. Le prolétariat russe n'est plus le prolétariat épuisé d'après la guerre civile, le prolétariat saigné d'après la seconde guerre mondiale. Le prolétariat de l'Europe de l'Est a un poids infiniment plus considérable que celui qu'il avait avant la guerre. La politique de la bureaucratie du Kremlin et des bureaucraties satellites met son existence en question. Ainsi que le démontre le cours des réformes économiques en Yougoslavie, les réformes économiques en U.R.S.S. et dans les pays de l'Europe de l'Est, même si elles ne vont pas encore aussi loin que la réforme yougoslave, mettent en cause les conditions d'existence de centaines de millions de travailleurs, leur garantie d'emploi, leur qualification, leurs avantages sociaux. Les réformes économiques menacent les travailleurs d'U.R.S.S. et de l'Europe de l'Est d'être réduits au chômage. La jeunesse étudiante et ouvrière est particulièrement menacée par les réformes des systèmes d'enseignement, par la déqualification, par le chômage. Le carcan bureaucratique est devenu insupportable aux nouvelles générations d'intellectuels, scientifiques, écrivains, artistes, professeurs. En d'autres termes, la politique de la bureaucratie du Kremlin menace toutes les forces sociales qui accomplissent des fonctions nécessaires à la société, à la croissance des forces productives, au développement de la culture.
Mais la politique de la bureaucratie du Kremlin et des bureaucraties satellites, en même temps qu'elle est indispensable à la défense de leurs privilèges, les disloque. Le bloc avec l'impérialisme américain contre la Chine, l'accord avec l'impérialisme afin de briser le prolétariat des pays capitalistes avancés, les réformes économiques mettent en cause les rapports sociaux établis en U.R.S.S. et en Europe de l'Est, sources des privilèges de la bureaucratie. La pression de l'impérialisme en est renforcée. La nécessité pour la bureaucratie d'engager le combat ouvert contre la classe ouvrière, la jeunesse, les intellectuels d'U.R.S.S. et des pays de l'Europe de l'Est , aboutit inéluctablement à la guerre civile contre ces couches et détruit, au profit de l'impérialisme mondial et des forces pro-bourgeoises en U.R.S.S. et en Europe de l'Est les rapports sociaux établis dans ces contrées. Les bureaucraties satellites de l'Europe de l'Est s'efforcent chacune selon ses intérêts spécifiques de réaliser cette politique, de nouer des liens directs, économiques et politiques avec les différentes bourgeoisies. Tout cela disloque les bureaucraties parasitaires, la bureaucratie du Kremlin en premier, parce que cela revient, afin de défendre les privilèges bureaucratiques, à remettre en cause la base sociale de ces privilèges.
Les contradictions internes et les déchirements au sein de la bureaucratie du Kremlin et entre elles, sont d'une importance décisive du point de vue politique. Par les failles ouvertes dans l'appareil international du stalinisme s'est précipitée la révolution politique en Tchécoslovaquie. L’intervention militaire a fini de détruire l'appareil bureaucratique. Il est à reconstruire entièrement. Mais, en même temps, la crise interne de la bureaucratie du Kremlin en a été aggravée. En effet, pour briser le prolétariat tchécoslovaque, la bureaucratie n’a qu’un moyen : l'épuration sanglante, la répression la plus brutale du prolétariat tchécoslovaque. Cependant ce cours ne peut être limité à la seule Tchécoslovaquie, il doit être étendu à tous les pays d’Europe orientale et à l’U.R.S.S. elle-même. Le stalinisme de Staline doit être repris, avec toutefois cette différence fondamentale : les rapports politiques entre l’impérialisme et la bureaucratie du Kremlin, entre la bureaucratie du Kremlin et le prolétariat mondial ne sont plus les mêmes. Les méthodes de Staline ne peuvent plus être utilisées que comme instrument de la restauration capitaliste. La lutte fait rage au sein de la bureaucratie du Kremlin et des bureaucraties satellites. En U.R.S.S., c’est en utilisant ces contradictions et en s’appuyant sur la poussée élémentaire de la classe ouvrière que parvint à s’exprimer tout un courant d’opposition à la bureaucratie qui s’est opposé à l’intervention en Tchécoslovaquie et l’a condamnée, qui continue la lutte en posant les problèmes des libertés démocratiques, des nationalités, du prolétariat de l’U.R.S.S. et parvient, malgré la répression, à maintenir et peut-être à amplifier une activité organisée.
Cette crise entrave l'action répressive de la bureaucratie du Kremlin en Tchécoslovaquie. La résistance, pied à pied, du prolétariat tchécoslovaque s’alimente de la lente maturation des prolétariats des autres pays de l'Europe de l'Est et de l’U.R.S.S. et des contradictions au sein des bureaucraties, et elle les renforce. En ce sens, le prolétariat tchécoslovaque n'est pas isolé.
La conférence de Moscou des P.C. porte de nouveau témoignage de cette situation. Nécessaire à la bureaucratie du Kremlin afin de faire condamner la Chine, de jeter un voile sur son intervention militaire en Tchécoslovaquie, d’accentuer sa politique de coopération avec l’impérialisme contre les prolétariats des pays économiquement développés, de resserrer son contrôle sur son appareil international, cette conférence a, au contraire, souligné les contradictions qui disloquent cet appareil international et la déchirent elle-même jusqu’en ses sommets. L’intervention du plus grand parti communiste d’Europe occidentale, le parti communiste italien, a consacré les cassures qui s’opèrent au sein de l'appareil international du stalinisme et qui recoupent celles qui se creusent dans les sommets de la bureaucratie du Kremlin. Berlinguer, au nom du P.C.I. s’est élevé contre ce qu’il a appelé le bipartisme américano‑soviétique, la discipline mécaniquement imposée de Moscou aux différents P.C., la condamnation sans appel de la Chine. Suivi par plusieurs P.C. de moindre importance, il a soulevé la question de la Tchécoslovaquie. Ces prises de positions n'ont rien à voir avec une prétendue « démocratisation » de l’appareil international du stalinisme. Elles ne veulent pas plus dire que les P.C. et le P.C.I. entre autres rompent leurs liens avec le Kremlin. Elles sont le fait de P.C. qui, sans aucun doute, sont gênés par la politique du Kremlin en fonction de leurs positions dans la lutte des classes dans leur pays. Mais elles ne prennent toute leur importance qu’autant qu'elles sont en corrélation avec les luttes politiques qui se déroulent au Kremlin même. La publication « objective » dans la Pravda des interventions des délégations qui s’opposent à la ligne officielle prouvent qu’elles sont les porte-parole de cette aile de la bureaucratie du Kremlin qui jusqu’au sommet de l’appareil est effrayée par le cours politique de ces dernières années et par son accentuation. La Tchécoslovaquie ressemble à un bouchon que l’on immerge de force et qui, à chaque moment, remonte à la surface. S’il en est ainsi, cela vient de ce que la Tchécoslovaquie concentre tous les problèmes qui confrontent la bureaucratie du Kremlin et la brisent : ses relations avec l’impérialisme d’une part, celles avec le prolétariat mondial de l’autre. Tout mouvement fait dans un sens ou dans l’autre aggrave les brisures, les déchirures au sein de la bureaucratie du Kremlin, et cependant l’immobilisme est impossible.
Toute l'habileté manœuvrière de la bureaucratie du Kremlin revient à faire face à la classe ouvrière en isolant les prolétariats des pays de l’Europe de l’Est les uns des autres, les prolétariats de l’Europe de l’Est du prolétariat de l’U.R.S.S., les prolétariats de l’Europe de l’Est et de l’U.R.S.S. des prolétariats du reste de l’Europe et du monde. Ainsi, elle a contribué à contenir la vague révolutionnaire qui est née, au cours de la deuxième guerre mondiale, elle a écrasé les mouvements révolutionnaires des années 53 et 56 en Allemagne de l'Est et en Pologne et finalement la révolution hongroise des conseils, elle ne parvient pas à isoler le prolétariat tchécoslovaque. Certes, la liaison entre le prolétariat tchécoslovaque et les autres prolétariats n'est pas directe et organisée, elle est « objective », mais néanmoins immédiate, en raison des développements dans les relations de classe qui se sont produites au cours de ces dernières années. Engager la répression sanglante et brutale contre le prolétariat tchécoslovaque revient à franchir un stade décisif , ce serait la première phase de la guerre civile contre les prolétariats de l'Europe de l'Est et l'U.R.S.S. Ne pas engager cette répression aurait comme conséquence une maturation plus ou moins rapide mais inéluctable de la révolution politique dans tous les pays de l'Europe de l'Est et en U.R.S.S. Dans les deux cas, l'appareil international du stalinisme et la bureaucratie du Kremlin se brisent. Or l'une des leçons les plus importantes des luttes de ces quinze dernières années consiste en ce que, compte tenu des rapports sociaux établis par la révolution d'Octobre, le prolétariat est la force sociale décisive qui s'impose dès que les appareils bureaucratiques craquent. Il en fut ainsi en Pologne et en Hongrie en 1956. Il en fut encore ainsi en Tchécoslovaquie en 1968.