"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale." |
Défense du trotskysme (2)
Pour la reconstruction de la IV° Internationale
Document adopté par l'Organisation trotskyste (pour la reconstruction de la IV° Internationale)
« La Vérité » n°545 - oct.1969.
La chute du bonapartisme gaulliste transcrit sous une forme particulière à la France l'échec des tentatives de domestication du prolétariat des pays capitalistes avancés d'Europe par la simple utilisation des appareils bureaucratiques et la voie froide. La destruction des capacités de combat du prolétariat français, tout autant que le fait qu'elle se réalise par la voie froide, avait naturellement une importance majeure pour la bourgeoisie française. Le bonapartisme gaulliste donnait au grand capital français l'espoir de résoudre « rationnellement » les problèmes de sa décadence, c'est‑à‑dire de sauvegarder au maximum ses positions internationales, en sacrifiant d'une part, des secteurs entiers de la petite et même de la grande bourgeoisie, en contraignant, d'autre part, la jeunesse et la classe ouvrière à subir sans réagir la surexploitation, la déqualification, la mobilité de la main‑d'œuvre, le chômage, la déchéance, la destruction des positions économiques et politiques conquises, en évitant enfin la guerre civile à l'issue incertaine et qui, en tout cas, ne pourrait que précipiter la décadence de l'impérialisme français. Mais la réussite de l'entreprise dont était chargé de Gaulle n'avait pas moins d'importance pour l'impérialisme mondial et la bureaucratie du Kremlin que pour la bourgeoisie française. La défaite politique subie par la classe ouvrière en juin 1958 laissait espérer au capital international que s'ouvrait un processus de défaites successives à infliger au prolétariat européen. Il fallait néanmoins que le recul de la classe ouvrière française se transforme en écrasement. Les bourgeoisies d'Angleterre, d'Allemagne, de Belgique, de Hollande, d'Italie, n'ont , pas moins que la bourgeoisie française, un pressant besoin de discipliner le prolétariat de ces pays. Les prolétariats de ces pays subissent naturellement l'influence du cours de la lutte des classes en France et inversement. Il était donc particulièrement important que le prolétariat français ait subi cette défaite politique. Cependant, en Angleterre, en Allemagne, en Belgique, en Italie, la bourgeoisie était obligée d'avoir recours à une forme politique classique afin d'imposer une politique nullement classique : l'intégration des syndicats à l'Etat, la destruction des positions économiques et politiques conquises par la classe ouvrière. En Angleterre, le Labour Party prenait la direction du gouvernement. En Allemagne , en Belgique, en Italie, les partis socialistes participaient aux gouvernements. La nuance entre la solution politique qu'incarnait de Gaulle et le type de gouvernement à direction ou à participation socialiste n'était pas mince. Elle traduisait un rapport politique différent entre les classes, à l'avantage de la classe ouvrière, là où la bourgeoisie gouvernait par partis ouvriers interposés. Le coup d'Etat militaire en Grèce allait dans le sens d'une modification de ce rapport en faveur de la bourgeoisie européenne. De Gaulle au pouvoir en France, le coup d'Etat militaire en Grèce contribuaient à soutenir les dictatures fascistes de Franco et Salazar confrontées à un bouillonnement constant du prolétariat de ces pays.
La chute de De Gaulle est une catastrophe politique pour les bourgeoisies d'Europe. Sa signification la plus générale consiste en ceci : même le bonapartisme gaulliste n'est pas parvenu à froid à discipliner la classe ouvrière, à la plier aux exigences de la survie de l'impérialisme français décadent, à la détruire comme force sociale et politique organisée et combattante. Les gouvernements à direction ou à participation socialistes sont nécessaires afin de contenir la classe ouvrière , à la limite, ils peuvent mettre en place certaines structures et une législation anti-ouvrières telles que les lois sur l'état d'urgence en Allemagne, la législation Wilson‑Barbara Castle en Grande‑Bretagne, qui limite le droit de grève et la législation sur la politique des « revenus ». Mais ils sont encore moins capables que le bonapartisme gaulliste d'édifier l'Etat fort, l'Etat corporatiste dont toutes les bourgeoisies d'Europe ont besoin. L'impérialisme mondial ne peut fondamentalement inverser les rapports de forces entre les classes dans les principaux pays d'Europe, tels qu'ils sont issus de la vague révolutionnaire contenue de la fin de la deuxième guerre mondiale, que par la guerre civile, détruisant le prolétariat des principaux pays d'Europe occidentale, France, Angleterre, Italie, Allemagne, comme force sociale organisée.
La chute de De Gaulle, malgré l'apparence de continuité de la V° république, est une victoire politique de la classe ouvrière française, elle est inséparable de la grève générale de mai‑juin qu'elle prolonge. L'initiative politique est ressaisie par la classe ouvrière française qui réclamera, en s'engageant à plus ou moins long terme dans le combat, que cette victoire politique soit honorée. Des luttes de classe d'une ampleur inégalée sont à l'ordre du jour en France. Inéluctablement, elles se recouperont avec les luttes des classes ouvrières anglaise, allemande, italienne, belge, etc. Elles se répercuteront sur la classe ouvrière espagnole.
La chute du bonapartisme gaulliste est un facteur de radicalisation du prolétariat européen dans son ensemble, tandis que, déjà, se dessine en Angleterre la marche de la classe ouvrière vers des luttes politiques de grande ampleur contre le gouvernement Wilson et contre le retour à un gouvernement tory, que se succèdent en Italie des affrontements de classe, véritables embryons de guerre civile, qui annoncent une explosion du prolétariat italien dans son ensemble, qu'en Espagne ne cessent de fermenter la jeunesse et la classe ouvrière que le régime franquiste ne parvient plus à briser par la répression. Elle aggrave sur tous les plans la crise de l'impérialisme en Europe et dans le monde. La bourgeoisie française est naturellement la première frappée, mais la chute de De Gaulle est un facteur qui accélère la crise du système monétaire international, qui pousse à la dislocation du marché mondial et, par conséquent, du marché commun. Elle intervient au moment précis où l'impérialisme américain doit recourir de plus en plus au soutien financier de l'Allemagne fédérale, au marché de l'euro‑dollar, pour soutenir le dollar, à un moment où la livre vacille à nouveau. Elle se produit alors que l'impérialisme américain modifie sa stratégie mondiale, et a le plus urgent besoin que soient refoulés et broyés les prolétariats des pays capitalistes économiquement développés, dont celui de l'Europe en particulier.
L'instabilité des rapports entre les classes ne se limite pas à l'Europe occidentale. Au cœur même de la puissance impérialiste, qui est le pilier de l'impérialisme mondial, de grandes grèves éclatent ; la fraction la plus explosive du prolétariat américain, le prolétariat noir, cherche la voie de son émancipation. Sans nourrir aucune illusion sur la maturité politique du prolétariat américain en général, et du prolétariat noir en particulier, il faut souligner que le prolétariat américain et sa fraction noire possèdent une puissance à la mesure de la puissance économique de l'impérialisme américain. La dislocation de l'économie capitaliste mondiale déchaînerait inéluctablement aux Etats‑Unis des luttes de classes d'une ampleur et d'une violence inégalées a l'échelle américaine La maturation politique du prolétariat américain pourrait alors se développer à une vitesse sans précédent dans l'histoire de la lutte des classes. L'influence du cours de la lutte des classes en Europe, Europe de l'Est et U.R.S.S. comprises, serait déterminante sur le prolétariat américain ‑ blanc et noir ‑ comme facteur de sa maturation politique.
Mais la chute du bonapartisme gaulliste, les développements de la lutte des classes en Europe occidentale dont elle est une expression, avec laquelle elle se combine, et qu'elle accélère, doivent être intégrés à la crise du stalinisme. La bureaucratie du Kremlin est confrontée à des problèmes qu'elle ne peut résoudre à son propre compte.