"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale." |
Défense du trotskysme (2)
Hégémonie du prolétariat, Front Unique Ouvrier, question du pouvoir
Sans comprendre profondément que le mouvement de la lutte des classes dans chaque pays et à l'échelle mondiale pose le dilemme : dictature du prolétariat - par le système souple et clair des soviets des conseils ouvriers, dans le cadre de la démocratie prolétarienne - ou forme de domination politique de la bourgeoisie la plus barbare qu'incarnent les différents types de fascismes, il est impossible d'orienter l'intervention, le combat politique quotidien, d'ouvrir une perspective aux luttes de la classe ouvrière. Ce serait cependant rester sur le plan d'une propagande purement abstraite que de répéter à tous propos et hors de propos : vive le pouvoir des soviets, tout le pouvoir aux soviets.
Quels soviets, quels conseils ouvriers ? Avant 1934 et surtout avant 1933, afin de donner un cachet « révolutionnaire » à la politique des P.C., tout en affirmant que la social démocratie était la sœur jumelle du fascisme, le Kremlin imposait aux P.C. le mot d'ordre : « les soviets partout ». C'était juste historiquement. Un inconvénient : il n'y avait ni en France, ni en Allemagne, ni ailleurs, de « soviets », et, qui plus est, Staline les détruisait en U.R.S.S. afin d'asseoir le pouvoir de la bureaucratie. Le radicalisme de la phrase précédait et annonçait la politique des « fronts populaires ». Il était tout aussi contre révolutionnaire. Par ce moyen, les données concrètes du développement de la lutte des classes étaient niées. Au nom de « tout le pouvoir aux soviets », un barrage était dressé contre la politique du front prolétarien, du front unique de classe, et par conséquent, contre la formation de « soviets »; les conseils ouvriers surgissent à un très haut niveau du combat de la classe ouvrière, comme instrument de son organisation et de sa centralisation comme classe. Ils sont l'unité de front du prolétariat devenue organique. La politique révolutionnaire exprime consciemment le processus par lequel le prolétariat d'une classe en soi devient une classe pour soi. Elle part de la réalité historique concrète du prolétariat et l'élève, sans artifices, au niveau de la réalisation de ses tâches historiques. Elle « n'invente » pas des revendications. Elle ne peut faire abstraction des organisations qui la constituent comme classe, qui sont nées de ses luttes, autant qu'elles conditionnent, influencent, orientent ou dévient son combat, ni de la conscience politique acquise et de ses limites. La méthode a été explicitée par les quatre premiers congrès de l'Internationale Communiste, surtout les III° et IV° congrès ; c'est la méthode du Programme de Transition.
Cette méthode est rejetée aussi bien par les « gauchistes », les « Spontanéistes », que par les renégats de la IV° Internationale. En mai juin 68, il fut beaucoup question des « revendications qualitatives » opposées aux « revendications quantitatives ». Rappelons que Janus-Germain-Mandel souligne que :
« A la crise de la propriété et à la crise de l'Etat bourgeois national et de l'économie capitaliste « nationale » s'ajoute la crise des rapports hiérarchiques du travail. Ce n'est pas par hasard si ce sont les étudiants et les chercheurs qui ont été sensibles les premiers au caractère mystificateur de la justification de ces rapports par l'argument de la compétence ».
Weber et Ben Saïd affirment :
« En butte aux difficultés de recyclage, aux incertitudes de l'emploi dans les professions où l'offre est limitée à quelques entreprises, ils avancent plus que des revendications de salaires, des revendications qualitatives et des exigences idéologiques élevées ». (Idem page 167).
L'éclectisme foncier des renégats de la IV° Internationale leur permet maintes cabrioles, et à l'occasion ils se prononcent pour les revendications élémentaires de la classe ouvrière (mais qui peut être contre ? ), ce qui ne les empêche pas d'écrire :
« Chaque crise (révolutionnaire) étouffée apporte son contingent de réformes amorcées dans la montée révolutionnaire, récupérées lors du reflux par la bourgeoisie à son profit (utilisation des conquêtes sociales de 36 comme technique d'intégration idéologique : utilisation des secteurs nationalisés en 45, au service des industries privées ». (Idem page 172).
La filiation artificielle entre les « conquêtes sociales de 36 » et les « nationalisations de 45 » démontre déjà la confusion « idéologique » de nos « théoriciens ». Les « nationalisations de 45 » furent indispensables au capitalisme français; sans elles il n'aurait pu reconstituer un minimum d'infrastructure économique en utilisant l'Etat bourgeois. Il faut d'ailleurs dire qu'en 1938 des nationalisations furent également faites celles de la S.N.C.F., de la Banque de France, de certaines industries d'armements - qui répondaient également aux besoins du mouvement de la bourgeoisie. Les « conquêtes sociales » de 36 (augmentation des salaires 40 h congés payés contrats collectifs délégués d'ateliers) ont été cédées par une bourgeoisie qui craignait de tout perdre. Elle ne les a pas « récupérées » au sens qu'attribuent à ce terme Weber et Ben Saïd (moyens d'intégration au système de la classe ouvrière). Autant qu'il fut en son pouvoir, elle les a rognées et détruites. Weber et Ben Saïd reprennent les affirmations de Pierre Frank qui écrivait dès 1962 :
« Nous devons réajuster notre programme à la situation nouvelle qui s'esquisse... Il est très douteux qu'il se soit produit dans toute l'histoire du capitalisme des changements aussi importants pendant une durée malgré tout aussi limitée... A présent, il n'y a plus de chômeurs, mais le plein emploi ; cependant, les travailleurs ressentent que ce qui se passe dans les entreprises et l'économie, à l'exception de bagatelles qui relèvent des comités d'entreprises, est en dehors de leur décision, à commencer même par les salaires ».
Et il s'agit de problèmes qui :
« Pour recourir à un langage philosophique (ne sont) pas seulement les problèmes de la seule aliénation économique ». (IV° Internationale, n° 16 juillet 1962 pages 45 et suivantes).
Il est bien normal que, rejetant l'appréciation de base du Programme de Transition :
« La prémisse économique de la révolution prolétarienne est arrivée depuis longtemps au point le plus élevé qui puisse être atteint sous le capitalisme. Les forces productives de l'humanité ont cessé de croître. Les nouvelles inventions et les nouveaux progrès techniques ne conduisent plus à un accroissement de la richesse matérielle », les renégats de la IV° Internationale rejettent sa méthode, fût ce avec des précautions de langage, et le programme lui même. Ils sont à la recherche de revendications « qualitativement » différentes. Elles porteront sur les « problèmes de l'aliénation en général ». Au pire, cette méthode idéaliste aboutit aux fameuses « réformes de structures », à «l'autogestion », à la lutte pour les « pouvoirs ». Au mieux, lorsque la «recherche » est animée par une véritable volonté révolutionnaire, à des revendications qui devront « surdéterminer » la lutte des classe du prolétariat. Il s'agira de trouver des recettes qui empêcheront le capitalisme, la bourgeoisie, d'utiliser les revendications matérielles de la classe ouvrière afin de « l'intégrer idéologiquement ». La folle du logis mise en branle, les idées les plus étranges peuvent fleurir mais, dans tous les cas, ce sera une poignée d'idéologues qui substitueront aux processus de la lutte des classes leurs « idées ». La révolution n'est que secondairement l'affaire de la classe ouvrière. On retrouve le fameux cycle provocation-répression mobilisation sous une autre forme. Derrière se devinent en pointillés les « analyses » et l'idéologie d'Althusser, entrelacées à celles de Marcuse : la révolution russe fut surdéterminée par le Parti Bolchevique, lequel fut lui même surdéterminé par Lénine. La révolution n'est plus la révolte de la principale force productive, la classe ouvrière, contre les rapports de production bourgeois, elle dépend de la rencontre conjoncturelle de différentes composantes sans lien entre elles. Le « programme » devient un artifice ou une série d'artifices.
« Les partis communistes ne peuvent se développer que dans la lutte. Même les plus petits partis communistes ne doivent pas se borner à la simple propagande et à l'agitation. Ils doivent constituer, dans toutes les organisations de masse du prolétariat, l'avant garde qui montre aux masses retardataires, hésitantes, en formulant pour elles des buts concrets de combats, en les incitant à lutter pour relancer leurs besoins vitaux, comment il faut mener la bataille et qui, par là, leur révèle la traîtrise des partis non communistes. C'est seulement à condition de savoir se mettre à la tête du prolétariat dans tous ses combats et de provoquer ces combats, que les partis communistes peuvent gagner effectivement les grandes masses prolétariennes à la lutte pour la dictature (du prolétariat)...
... Seul le renversement de la bourgeoisie et la destruction de l'Etat capitaliste permettront de travailler à améliorer la situation de la classe ouvrière et à restaurer l'économie nationale ruinée par le capitalisme. Mais ce sentiment ne doit pas nous faire renoncer à combattre pour les revendications actuelles et immédiates du prolétariat, en attendant qu'il soit en état de les défendre par la dictature...
... Non seulement le capitalisme, pendant la période de sa dislocation, n'est pas capable d'assurer aux ouvriers les conditions d'existence quelque peu humaines, mais encore les social-démocrates, les réformistes, (les staliniens) de tous les pays n'ont pas la moindre intention de mener le moindre combat pour la plus modeste revendication contenue dans leur programme...
... Si les revendications répondent aux besoins des larges masses prolétariennes, si ces masses sont pénétrées du sentiment que sans la réalisation de ces revendications leur existence est impossible, alors la lutte pour ces revendications sera le point de départ de la lutte pour le pouvoir. A la place du programme minimum des réformistes et des centristes, l'I.C. met en avant la lutte pour les besoins concrets du prolétariat, pour un système de revendications qui, dans leur ensemble, démolissent la puissance de la bourgeoisie, organisent le prolétariat et constituent les étapes de la lutte pour la dictature prolétarienne et dont chacune en particulier donne son expression à un besoin des larges masses, même si ces masses ne se placent pas encore consciemment sur le terrain de la dictature du prolétariat.
Dans la mesure où la lutte pour ces revendications embrasse et mobilise des masses de plus en plus grandes, dans la mesure où cette lutte oppose les besoins vitaux des masses aux besoins vitaux de la société capitaliste, la classe ouvrière prendra conscience de cette vérité que si elle veut vivre, le capitalisme doit mourir ».
Il faudrait citer entièrement ces « thèses sur la tactique » du III° congrès de l'I.C. qui disent encore :
« La nature révolutionnaire de l'époque actuelle consiste précisément en ceci que les conditions d'existence les plus modestes des masses ouvrières sont incompatibles avec l'existence de la société capitaliste et que pour cette raison la lutte même pour les revendications les plus modestes prend les proportions d'une lutte pour le communisme ».
La méthode utilisée et celle qui servira à l'élaboration du Programme de Transition (L'agonie du capitalisme et les tâches de la IV° Internationale) qui à son tour écrit :
« Chaque revendication sérieuse du prolétariat et, même chaque revendication progressive de la petite bourgeoisie conduisent inévitablement au delà des limites de la propriété capitaliste et de l'Etat bourgeois...
... La IV° Internationale ne repousse pas les revendications du vieux programme « minimum » dans la mesure où elles ont conservé quelques forces de vie. Elle défend inlassablement les droits démocratiques des ouvriers et leurs conquêtes sociales. Mais elle mène ce travail de tous les jours dans le cadre d'une perspective concrète, réelle, c'est à dire révolutionnaire. Dans la mesure où les vieilles revendications partielles « minimum » des masses se heurtent aux tendances dégradantes du capitalisme décadent et cela se produit à chaque pas la IV° Internationale met en avant un système de revendications transitoires dont le sens est de se diriger de plus en plus ouvertement et résolument contre les bases mêmes du pouvoir bourgeois. Le vieux « programme commun » est constamment dépassé par le Programme de Transition dont la tâche consiste en une mobilisation systématique des masses pour la révolution prolétarienne ».
Rien qui ne soit artificiel, tout doit exprimer consciemment les besoins objectifs des masses. La tâche des communistes n'est pas d'inventer mais de formuler les besoins des masses, d'avancer les revendications, les mots d'ordre politiques, comme organiquement liés aux revendications les plus élémentaires des masses, comme une nécessité pour la défense des droits, garanties, arrachés par le prolétariat et pour sa défense en tant que classe. Les conditions objectives du capitalisme pourrissant sont en contradiction avec les besoins les plus vitaux des masses. Il ne peut plus y avoir de séparation entre programme minimum et programme maximum. Les mots d'ordre du Programme de Transition réalisent la liaison parce qu'ils découlent des exigences de la lutte des classes et les expriment. Mais elles doivent être exprimées consciemment, les mots d'ordre et revendications doivent être introduites consciemment dans le combat et pour le combat. Ce sont les travailleurs qui feront leur propre histoire. Ils ne peuvent la maîtriser que s'ils sont conscients de ses nécessités et là est la tâche du Parti, de l'organisation révolutionnaire.
Chaque moment de la lutte des classes a vérifié la justesse de la méthode et du programme de fondation de la IV° Internationale, et de façon grandiose, la grève générale de mai juin 68 et le processus de révolution en Tchécoslovaquie. Alors que « gauchistes », « spontanéistes », renégats de la IV° Internationale, étaient à la recherche de « mots d'ordre », de « revendications », d'« actions », sensationnels et exemplaires, ceux formulés par la grève générale revendications « élémentaires » s'il en fut d'apparence « économique », soulevaient la question du pouvoir et servaient de ciment à l'ensemble de la classe ouvrière. Lorsque Salini affirme que « la grève était essentiellement revendicative », qu'il fallait « mettre en avant ce qui les unissait (les travailleurs), les revendications immédiates », il opère une rupture entre « programme minimum » et « programme maximum ». Exact : les travailleurs étaient attachés à leurs revendications. Ils voulaient qu'elles soient satisfaites. Et tous le voulaient. C'est pourquoi les mots d'ordre politiques étaient nécessaires à la grève. Ils étaient organiquement liés à la satisfaction des revendications. Obtenir pas de salaires inférieurs à 1 000 F par mois, les 40 h sans diminution de salaires, une véritable échelle mobile des salaires reposant sur le contrôle des prix par les travailleurs, l'abrogation des ordonnance, soulevait la question du pouvoir, celle d'un gouvernement expression des travailleurs en lutte et organisés par les comités de grève fédérés jusqu'au C.C.N. de grève. Si ces revendications, nourrissaient des illusions quant à la grève générale se suffisant à elle même, c'est qu'ils croyaient qu'elle suffirait à faire tomber le gouvernement. Mais ils savaient parfaitement que cette grève générale était politique. Ils associaient lutte pour les revendications et lutte contre le gouvernement, défenseur des intérêts du capital financier. L'obstacle n'était pas en bas, il était en haut. Pour preuve, il suffit de rappeler que les « négociateurs » de Grenelle durent trahir les revendications et démanteler la grève générale pour un plat de lentilles. Le très habile Salini vend la mèche en citant un extrait du communiqué de la C.G.T. publié après que les travailleurs de chez Renault aient repoussé le « constat » de Grenelle :
« Ce que le gouvernement et le C.N.P.F. n'ont pas consenti à l'échelle nationale interprofessionnelle, il faut leur imposer aux autres niveaux dans le cadre des négociations, qu'il faut exiger immédiatement par branches d'industries et secteurs professionnels et qui se poursuivent dans les secteurs nationalisés publics » . (Idem page 5 1).
Les « gauchistes », les « spontanéistes », les renégats de la IV° Internationale, en méprisant les « revendications alimentaires », en partant à la recherche de « revendications qualitatives » ont rendu service aux appareils des centrales syndicales, au P.C.F., au P.S. A leur façon, ils ont trahi la grève générale. Toutes les revendications importantes de la jeunesse et de la classe ouvrière posent la question du pouvoir. La bourgeoisie dispensait une formation professionnelle et un enseignement mesurés et limités à ses besoins. Si insuffisants, si limités que soient cette formation professionnelle et cet enseignement, leur maintien est devenu contradictoire avec les besoins du mode de production capitaliste décadent. Défendre le droit à la formation professionnelle, à l'enseignement, fait surgir la revendication de la nationalisation de l'enseignement, et le problème du gouvernement, du pouvoir. Les revendications de salaires, celles de la garantie de l'emploi et de la qualification, l'incapacité du capital à les satisfaire durablement, se lient à celles de l'expropriation des grandes sociétés capitalistes, de l'élaboration et de la réalisation d'un plan économique sous le contrôle des travailleurs. Mais toutes ces revendications sont inséparables d'une perspective politique de lutte pour le pouvoir, pour un gouvernement qui soit l'expression de la classe ouvrière.
Les mêmes conclusions découlent de la lutte pour la défense des libertés démocratiques. Les appareils syndicaux, le P.S., le P.C.F. ont refusé de mobiliser la classe ouvrière contre la loi scélérate. Ils ont dénoncé comme une aventure, comme une provocation, la proposition de l'Organisation Trotskyste, de l'Alliance Ouvrière, de l'Alliance des jeunes pour le Socialisme, reprise par de nombreuses sections syndicales, d'organiser le jour de la discussion du projet de loi une manifestation massive, à l'appel des centrales et des partis ouvriers, devant l'Assemblée Nationale. Cette manifestation soulevait face au parlement bourgeois, au gouvernement bourgeois, pour la défense des libertés démocratiques, la question du pouvoir, de la lutte pour un gouvernement représentant les travailleurs.
Le mouvement des prolétariats de l'Europe de l'Est, de l'U.R.S.S., de Chine, vers la révolution politique, procède aussi de leurs profonds besoins. Tous les militants des pays de l'Europe de l'Est, qui lurent la Révolution Trahie, le Programme de Transition, après être passés par l'expérience de la Révolution Hongroise, du processus de la révolution politique en Tchécoslovaquie, des mouvements universitaires de Pologne et de Yougoslavie, furent étonnés de la correspondance entre les mots d'ordre et revendications que formulent ces textes et ceux que mirent en avant les travailleurs et les étudiants, ceux qui cristallisent leurs luttes « contre l'inégalité sociale et l'oppression politique ». Les mots d'ordre de lutte pour les libertés politiques fondamentales sont particulièrement importants dans ces pays. Partout le prolétariat doit nécessairement revendiquer et combattre pour les libertés politiques. Elles lui sont indispensables pour organiser ses syndicats et ses partis, défendre ses intérêts les plus élémentaires, se constituer et s'organiser comme classe. Mais, en U.R.S.S., dans les pays de l'Europe de l'Est, en Chine, les bureaucraties parasitaires défendent leurs privilèges par la monopolisation par l'appareil de la vie politique. Les rapports sociaux de production sont tels que lorsqu'est brisé le monolithisme de l'appareil et mis en cause son monopole politique, la classe ouvrière surgit comme la force sociale principale. La question gouvernementale est inéluctable. Elle doit rapidement se résoudre.
Bien entendu, toute la vie économique, sociale, politique, fait surgir des mots d'ordre et revendications qui doivent être formulés; et autour desquels la classe ouvrière, la jeunesse et la plus grande partie des intellectuels, se cristallisent et qui les mettent en mouvement : la défense des salaires, de l'emploi, de la qualification, des avantages sociaux, du droit à l'enseignement et à la culture, la planification, etc. L'expérience révèle que, dès que la classe ouvrière se met en mouvement, elle exige l'indépendance des syndicats, les P.C. se disloquent, elle tend à reconstituer ses partis, et à s'organiser elle même comme classe au sein des conseils. Par là, elle pose implicitement la question du pouvoir, du gouvernement.
Dans les pays de l'Europe de l'Est, mais aussi en U.R.S.S. et sans doute en Chine, l'indépendance de classe du prolétariat, la lutte pour ses droits et libertés, sont indissociables de la lutte pour les droits des peuples à disposer d'eux mêmes, à l'indépendance nationale. L'opposition bureaucratique accentue l'importance de cette question. Le pillage éhonté par la bureaucratie du Kremlin de l'économie de l'Europe de l'Est, et également des nationalités de l'U.R.S.S., l'oppression politique, ont renforcé les sentiments nationaux et l'importance de la question nationale. La perspective des Etats Unis Socialistes d'Europe, à laquelle s'intègre celle de la Fédération des Etats Unis Socialistes de l'Europe de l'Est, est indispensable comme solution aux questions nationales. Mais de la lutte des peuples opprimés par la bureaucratie du Kremlin pour leurs droits nationaux surgissent des revendications transitoires qui soulèvent la question du pouvoir. On ne peut ignorer que le pacte de Varsovie, le C.O.M.E.C.O.N. sont des moyens d'oppression politique des peuples et des prolétariats de l'Europe de l'Est entre les mains de la bureaucratie du Kremlin, de subordination et de pillage de leurs économies.
Ainsi, aussi bien dans les pays capitalistes que dans ceux sous le contrôle de la bureaucratie du Kremlin et les bureaucraties satellites, les revendications et mots d'ordre de lutte, qui mobilisent le prolétariat et posent la question du pouvoir, résultent des conditions d'existence, de la situation historique, de sa propre réalité comme classe. Ils ne peuvent être « inventés ». Ils doivent être formulés. Le Programme de Transition synthétise le procès de mobilisation des masses, qu'il exprime en mots d'ordre, tâches et perspectives. Il résulte de l'expérience révolutionnaire de plus d'un siècle de lutte des classes du prolétariat, et particulièrement depuis que s'est ouverte l'ère de la révolution prolétarienne, analysée scientifiquement au moyen de la méthode marxiste.
Comment ne pas relever, une fois encore, ces lignes qui reviennent constamment dans les textes pablistes :
« Pour élaborer aujourd'hui un programme d'action et un programme de transition (dont une ébauche devra rapidement être rédigée et mise en circulation dans toute l'organisation et enrichie), il faut développer et systématiser notre implantation » (Cahiers Rouges, n° 10 11, page 12 6).
La confusion est faite entre le programme de transition et sa concrétisation circonstanciée : un programme d'action. Pas d'étonnement les pablistes, en rompant avec le programme de la IV° Internationale, ont rompu avec ce qu'elle incarne : la continuité historique de la lutte de classe du prolétariat. Le programme de la IV° Internationale résulte des plus grands mouvements de masse compris dans leur continuité historique, où chaque lutte, chaque combat, chaque victoire, chaque défaite ont leur place, sont liés les uns aux autres. En ce sens, le programme de la IV° Internationale est le condensé de la plus grande expérience de masse qui soit. A défaut, comme Soubise cherchait son armée, les renégats de la IV° Internationale cherchent un « programme ». Selon les vents et les marées ils veulent « surdéterminer » la lutte des classes ou se traînent à la remorque des appareils bureaucratiques ou des « spontanéistes ».
Les revendications et mots d'ordre du Programme de Transition ne forment pas un catalogue, chaque revendication et mot d'ordre succédant chronologiquement à l'autre. Les luttes ouvrières, les grands combats de classe ne passent pas nécessairement d'abord par tel ou tel stade, auquel serait applicable tel ou tel mot d'ordre et revendication, et ensuite tel ou tel autre. Tout dépend de la situation politique concrète et l'on ne peut exclure une situation où le seul mot d'ordre mobilisateur immédiat soit la lutte pour le pouvoir. Le Programme est l'expression véritable et consciente de l'expérience des masses, des lois de la lutte des classes, à l'époque de l'impérialisme et de la révolution prolétarienne. L'intervention et le combat politique n'attend pas « une mobilisation des masses », il est indispensable à sa préparation, à son développement. L'application par l'avant garde révolutionnaire, fût elle faible et peu enracinée, du programme par son intervention politique participe du mouvement des masses, est un de ses éléments constituants. Il faut simplement qu'elle ne soit pas arbitraire mais corresponde au mouvement réel de la lutte de classe du prolétariat. Les mots d'ordre et revendications, les combats, l'organisation des masses ne jaillissent pas nécessairement spontanément et dans tous les cas. La « spontanéité » a ses limites. Ainsi, de façon constante, aussi bien dans les périodes de calme relatif qu'au cours de luttes grandioses, la lutte politique guidée par le programme de l'organisation révolutionnaire est la plus haute expression de « l'expérience des masses ». La lutte politique passe par différentes phases mais elle est ininterrompue.