1971

"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (2)

2

L'Impérialisme, la bureaucratie du Kremlin, les États-Unis Socialistes d'Europe


Lutte de classes en Europe et dans le monde.

Réécrire l'histoire, falsifier, est indispensable à tous les révisionnismes : les Germain‑MandelFrank et autres doivent également v avoir recours. L'une des caractéristiques principales de ces vingt‑cinq dernières années consiste justement en ce que jamais l'impérialisme n'est parvenu à infliger de défaites décisives aux prolétariats des pays économiquement développés et à modifier radicalement le rapport de force entre les classes à l'échelle mondiale tel que celui‑ci s'établit à la fin et à l'issue de la deuxième guerre mondiale.

De la première guerre impérialiste a surgi la première vague révolutionnaire mondiale. La révolution russe fut la première révolution prolétarienne victorieuse de la période historique de “ l'impérialisme, stade suprême du capitalisme ”, qui est également l'ère de la révolution prolétarienne mondiale. L'impérialisme résulte de la contradiction fondamentale entre les rapports sociaux de production, les frontières nationales, et le développement des forces productives. Ici prennent tout leur sens les définitions de Marx : “ les catégories de l'économie politique sont l'expression théorique des rapports sociaux ”, “ le capital n'est pas une chose, mais un rapport social ”, et son analyse de la loi de la valeur, rapport entre travail mort et travail vivant. Parce que “ le capital n'est pas une chose, mais un rapport social ” c'est sur le terrain de la lutte des classes entre prolétariat et bourgeoisie ‑ que se règlent les contradictions sociales qu'expriment théoriquement les catégories de l'économie politique. “ Le mort saisit le vif ”, à partir du maintien et du renforcement de la domination de classe de la bourgeoisie, la révolte des forces productives contre les rapports sociaux de production bourgeois se traduit par les crises et les guerres impérialistes, la destruction de la force productive par excellence, le travail vivant, la classe ouvrière. La révolution prolétarienne n'est rien d'autre que l'impérieuse nécessité qui est faite au travail vivant, à la principale force productive, de se soumettre le travail mort, de le débarrasser de son caractère de capital, et, pour ce faire, d'exproprier la bourgeoisie. Il le peut, et lui seul le peut, en raison de la socialisation du processus de production à l'échelle mondiale. La Ile guerre mondiale résulte de l'échec partiel de la première vague révolutionnaire, qui comprenait la défaite de la seconde révolution chinoise de 1925‑27 dans les pays économiquement arriérés, mais qui fut effective et consacrée par les défaites successives des principaux prolétariats européens ‑ défaites des révolutions allemandes de 1918 et 1923, du prolétariat hongrois, du prolétariat italien, autrichien, français (1936‑38), du prolétariat espagnol, sans omettre la défaite de la grève générale anglaise de 1926.

Les défaites du prolétariat au cours des années 1920 furent à l'origine de la constitution, du renforcement et de la victoire, en U.R.S.S, de la bureaucratie du Kremlin, qui une fois maître du pouvoir politique et ayant domestiquée l'Internationale Communiste à ses intérêts, causa par sa politique de nouvelles défaites au prolétariat, contribua à la victoire d'Hitler, de Franco : au bout ce fut la seconde guerre mondiale et la ruée hitlérienne sur l'U.R.S.S.

Que la première guerre impérialiste mondiale ait eu comme point de départ et champ de bataille l'Europe, que la deuxième guerre mondiale ait eu comme pré‑condition les écrasantes défaites du prolétariat européen entre 1918 et 1938, que la deuxième guerre mondiale se soit à nouveau jouée décisivement en Europe, que, à la fin et à l'issue de cette deuxième guerre mondiale, le système impérialiste mondial ait été au bord de l'effondrement en raison de la crise des impérialismes européens et de la vague révolutionnaire qui déferla sur l'Europe, ne doit rien au hasard. Le développement du capitalisme et son histoire ne sont pas des abstractions. L'Europe est le berceau du mode de production capitaliste, de l'impérialisme et de la lutte des classes entre bourgeois et prolétaires. Il est vrai que les antagonismes entre les impérialismes européens, la puissance croissante de l'impérialisme américain, et même celle de l'impérialisme japonais, ont eu comme conséquences de faire de l'impérialisme américain le pilier de l'impérialisme mondial. En dernière analyse le sort de l'humanité se jouera aux U.S.A., selon que le prolétariat américain sera ou non capable d'abattre le capitalisme américain, de prendre le pouvoir ou selon que l'impérialisme américain se survivra. Dans un cas le socialisme triomphera, dans l'autre cas la plus noire barbarie s'étendra en Amérique et sur le monde, l'hitlérisme ne semblera plus être, en comparaison, qu'une histoire d'enfants, avec en conclusion la destruction de l'humanité au cours de l'apocalypse atomique.

Mais les apologistes de la “ révolution coloniale ”, de la “ théorie ” de la “ zone des tempêtes ”, de “ l'épicentre de la révolution dans les pays économiquement arriérés ” torturent l'histoire en vue de justifier leurs falsifications.

La révolution chinoise, le développement de la révolution dans les pays économiquement arriérés, ont surgi par les fractures ouvertes, les vides béants, dans le système impérialiste mondial. La décadence des impérialismes européens, à la suite de la première guerre mondiale et entre les  deux guerres, leurs effondrements sous les coups de l'impérialisme allemand et de l'impérialisme japonais, ‑ l'effondrement à leur tour de ceux‑ci sous les coups de l'armée rouge et de l'impérialisme U.S., ont ruiné les anciens rapports du système impérialisme mondial, sans qu'ils puissent être reconstruits, réordonnés de façon stable par l'impérialisme américain sur ses propres bases. Aussi fut ouverte la voie à la révolution chinoise et aux mouvements dans les pays économiquement arriérés intégrés au système impérialiste mondial. Les impérialismes européens, confrontés à leurs propres classes ouvrières, nourries à la cuillère dans les premières années de l'après-­guerre par l'impérialisme américain, ont été obligés de réajuster leurs rapports coloniaux, sinon d'abandonner le terrain. L'impérialisme américain fut notoirement incapable d'affronter la révolution chinoise lorsqu'elle prit son victorieux essor. Obligé de soutenir à bout de bras les capitalismes défaillants d'Europe, menacés par la vague révolutionnaire issue de la deuxième guerre mondiale, il était hors d'état d'imposer à la classe ouvrière américaine les contraintes qu'exigeraient l'exercice plein et entier de son rôle de gendarme contre‑révolutionnaire mondial. Le prolétariat américain, surtout à ce moment, ne mettait pas en cause le régime capitaliste aux U.S.A., il ne posait pas la question du pouvoir politique, mais à peine la guerre était‑elle terminée que les G.I's exigeaient et imposaient au gouvernement américain leur rapatriement massif, d'Europe et d'Asie, et leur démobilisation. Le Japon traversait une série de convulsions sociales et une période d'organisation du mouvement ouvrier. La Révolution Chinoise se développa comme élément de cette lutte de classe mondiale, à un moment où l'impérialisme vacillait en Europe, était ébranlé au Japon, et même s il n'y avait pas de vague révolutionnaire aux U.S.A., était entravé, en Amérique du Nord, par la puissance de la classe ouvrière américaine. Loin de “ coïncider avec la défaite de la vague révolutionnaire en Europe Occidentale ”, la Révolution Chinoise en procéda, en même temps qu'elle fut une composante de cette vague révolutionnaire, qu'elle renforça la crise de l'impérialisme et l'alimenta.

D'autre part la Révolution Chinoise, comme les mouvements révolutionnaires dans les pays économiquement arriérés, ne sont pas nés spontanément, même si c'est avec bien des déformations et des vicissitudes; ils sont reliés à la tradition du mouvement ouvrier européen, à celle de la Révolution Russe, qui, de près ou de loin, furent à l'origine de la formation des organisations révolutionnaires de ces pays, tandis que rayonnait le grand exemple de l'Octobre rouge, et que plus tard la victoire de l'armée rouge sur l'impérialisme allemand retentissait ‑ malgré la politique de Staline ‑ comme un appel aux armes pour les ouvriers et les paysans de ces pays, contre l'impérialisme.

Situer la Révolution chinoise et les mouvements révolutionnaires dans les pays économiquement arriérés en dehors de ce développement concret de la lutte des classes mondiales, relève de la mystification intéressée, qui va aussi bien à l'encontre des luttes révolutionnaires des ouvriers et paysans de ces pays, que de celles des prolétariats des pays économiquement développés. Que dans cette entreprise de falsification on retrouve une fois de plus associés, pablistes de toutes nuances, staliniens, maoïstes, gauchistes et petits bourgeois de toutes sortes, situe très exactement le rôle et la fonction des renégats de la IV° Internationale.

La Révolution Chinoise et les mouvements révolutionnaires dans les pays coloniaux se développent en raison des relations sociales et politiques de ces pays, mais celles‑ci existent comme parties constituantes des relations sociales et politiques entre les classes à l'échelle mondiale. Elle s'intègrent et participent a la crise générale de l'impérialisme, dominée par la crise qui affecte les vieilles puissances impérialistes d'Europe, berceau du capitalisme et de l'impérialisme. De là justement leur importance capitale.


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