"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale." |
Défense du trotskysme (2)
L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme ou nouvelle époque historique ?
Mandel‑Germain, qui n'en est pas à une variation près, semble en convenir lorsqu'il écrit :
« Cette expansion était provoquée par une rénovation technologique accélérée, stimulée par des dépenses d'armement d'un niveau exceptionnellement élevé maintenues en permanence, pendant deux décennies (aux Etats‑Unis pendant près de trois décennies ), phénomène sans précédent dans l'histoire du capitalisme ‑ ce qui a entraîné une industrialisation plus systématique de la plupart des pays impérialistes eux‑mêmes ; la France, l'Italie, le Japon ou l'Espagne, avec le déclin rapide du poids de la paysannerie dans la population et dans l'économie. Cette expansion était protégée contre une rechute périodique dans de graves crises économiques de surproduction par l'organisation systématique et délibérée de l'inflation permanente du crédit et de la masse monétaire. Le « boom » était porté par un endettement énorme et sans précédent, la surproduction n'était pas supprimée ; elle était, d'une part voilée par la création inflationniste de pouvoir d'achat, d'autre part, « congelée » par l'apparition de phénomènes de capacité de plus en plus excédentaire dans de nombreuses branches industrielles (charbon, construction navale, acier, textile, pétrochimie, demain sans doute, automobile). » (rapport déjà cité page 19).
Une fois de plus, Janus‑Germain‑Mandel truque et ruse. Une fois de plus, il nous sert une soupe éclectique et se sert d'une méthode anti‑marxiste. Personne ne nie (comment faire ? ) l'importance des dépenses d'armements. Personne ne nie (comment faire ? ) que les découvertes scientifiques et techniques ont été utilisées pour la production d'armements. Mais une fois de plus, la méthode pabliste se révèle : tout est partiellisé, morcelé. D'un côté, il y a les dépenses d'armement ; de l'autre « l'expansion provoquée par une rénovation technologique accélérée « simplement stimulée » (quelques cachets afin de stimuler la digestion, ou dissiper les maux de tête après une nuit d'insomnie) par les dépenses d'armements ; enfin, d'une autre part encore, « l'inflation permanente du crédit et de la masse monétaire ». Après le morcellement de la lutte des classes mondiales en une multitude de « secteurs », le morcellement du mode de production capitaliste en une infinité de « secteurs ». Selon la même méthode éclectique, Paul Boccara, nous l'avons vu, découvre que le secteur d'Etat ne fonctionne plus selon la loi du profit, en quoi il devient le moteur du développement des « forces productives ».
L'économie capitaliste est une totalité organique différenciée et contradictoire, mais qu'il faut analyser et caractériser dans son ensemble. Avec les méthodes d'analyse pablistes et staliniennes, proches parentes l'une de l'autre, jamais Marx n'aurait pu faire l'analyse d'ensemble du mode de production capitaliste. « Le Capital » n'est rien d'autre que la grande aventure de la loi de la valeur. L'analyse commence, et ne pouvait commencer que par l'analyse de la marchandise et de la loi de la valeur dans sa forme la plus générale. Elle se poursuit par l'analyse des multiples formes de la loi de la valeur telles qu'elles s'expriment dans les différentes catégories de l'économie politique, et le procès d'ensemble de la production capitaliste. Celui‑ci se ramène au procès de la production, de la réalisation, de la transformation en capital élargi, de la plus‑value et de ses contradictions. Mais la loi de la valeur est l'expression abstraite des rapports sociaux de production du mode de production capitaliste. « Le Capital » analyse le développement des rapports sociaux de production du mode de production capitaliste et comment ils parviennent à leur propre négation. « L'impérialisme stade suprême du capitalisme » est le stade du développement de ces contradictions où elles sont parvenues à un tel point que les moyens de production se changent en forces destructives. Le procès d'accumulation du capital depuis la fin de la deuxième guerre impérialiste mondiale est conditionné par quoi ? A cette question, pablistes de tous poils et staliniens répondent : par un nouveau développement des forces productives. C'est pourquoi, il leur faut pour le même plan, pêle‑mêle, en vrac, énumérer : rénovation technologique, armements, inflation. Non ! Tout le procès d'accumulation du capital, les progrès technologiques et scientifiques, l'inflation, ont leur origine, ont pour moteur : l'économie d'armement. Elle conditionne et entraîne l'ensemble du procès de production capitaliste, d'accumulation du capital.
La reconstitution du marché mondial, la nouvelle division du travail internationale, la reconstruction des économies européennes et japonaise, eurent été impossibles sans l'ampleur prise par l'économie d'armements aux U.S.A. depuis trois décennies, en Europe et au Japon depuis deux décennies. L'intervention des Etats bourgeois dans l'économie, la croissance des moyens de production se réalisent dans ce cadre. Autrement dit, la destruction constante et infiniment plus massive de forces productives qu'avant la deuxième guerre impérialiste sous la forme de l'économie d'armement est indispensable, conditionne le fonctionnement de l'économie capitaliste dans son ensemble. Les progrès de la science et de la technologie sont animés par les recherches à des fins militaires. Ensuite, et comme conséquence, ils s'étendent aux branches de la production, bien que relativement, lentement. Encore ne faut‑il pas perdre de vue que ces branches ne fonctionneraient pas sans l'énorme volant de l'économie d'armement.
L'inflation de crédit et monétaire a comme origine essentielle le financement de l'économie d'armement. Le financement du crédit à l'achat d'automobiles, de frigidaires, de machines à laver, d'appartements etc. s'intègre dans un procès de production, animé, conditionné par l'économie d'armement.
Marx démontre que la circulation des marchandises règle la circulation de la monnaie, des moyens de crédits, de moyens de paiement et non l'inverse.
« Dans un système de production où tout l'édifice complexe de reproduction repose sur le crédit, si le crédit cesse brusquement et que seuls aient cours des paiements en espèces, on voit bien qu'une crise doit alors se produire, une ruée sur les moyens de paiement. A première vue donc, toute crise se présente comme une simple crise de crédit et d'argent. Et, en fait, il ne s'agit que de la convertibilité des effets de commerce en argent. Mais dans leur majorité, ces traites représentent des achats et des ventes réels, dont le volume dépasse de loin les besoins de la société, ce qui est, en définitive, à la base de toute crise. Mais, parallèlement, une quantité énorme de ces effets ne représente plus que des affaires spéculatives, qui venant à la lumière du jour, y crèvent comme des bulles; ou encore, ce sont des spéculations menées avec le capital d'autrui, mais qui ont mal tourné ; enfin, des capitaux marchandises qui se sont dépréciés ou même totalement invendables, ou des rentrées d'argent qui ne peuvent plus avoir lieu. (souligné par moi). Tout ce système artificiel d'extension forcée du procès de reproduction ne saurait naturellement être remis sur pieds parce qu'une banque, par exemple la Banque d'Angleterre, s'avise alors de donner à tous les spéculateurs, spéculateurs en papier monnaie émis par elle, le capital qui leur manque, d'acheter à leur ancienne valeur nominale la totalité des marchandises dépréciées.
« Du reste, tout ici est à l'envers, car dans ce monde de papier n'apparaissent nul part le prix réel et ses éléments concrets : il n'est question que de lingots, d'espèces métalliques, de billets de banques, d'effets de commerce, de titres. C'est surtout dans les centres comme Londres, où se concentrent toutes les manifestations financières de la nation, que se manifeste ce renversement des notions : toute l'affaire devient incompréhensible ; elle l'est déjà moins dans les centres de production. » « Le Capital » ‑ Livre troisième, tome II, pages 151‑152).
L'extension prodigieuse du crédit semble reculer sans limite l'élasticité du marché. Cependant s'il est un secteur où les limites ne sauraient être de trop loin dépassées c'est celui du crédit à la consommation courante. La consommation de la classe bourgeoise est considérable mais faible en regard de la production. La consommation des travailleurs, celle des masses populaires, est limitée parce qu'ils sont la source de la plus‑value, et que c'est en vue de la production et de la réalisation de la plus‑value que le procès de la production fonctionne. Ecrasant du point de vue de leurs ressources, le crédit n'est consenti à la classe ouvrière, aux masses populaires, qu'autant qu'elles disposent de salaires et de revenus et dans les limites de ces salaires et de ces revenus. Ce qui signifie qu'autant qu'elles produisent de la plus‑value et que celle‑ci est réalisable. L'extension du crédit prend son essor et son ampleur en vue de la réalisation de la plus‑value et de sa transformation en capital élargi (et dans cette mesure pour autant que les salaires payés par le capitaliste sont pour lui du capital variable) donc principalement de la production des moyens de production. Mais à ceux‑ci, il faut un marché : en même temps que le développement du crédit à l'économie, l'Etat le fournira. Malgré les nationalisations ou le financement par d'autres moyens de secteurs produisant des moyens de production, ce ne seront pas les secteurs principaux qui fourniront les débouchés ouverts par l'Etat au capital privé. Les dépenses productives de l'Etat, de l'Etat bourgeois, sont nécessairement déterminées, par le besoin qu'en a le capital dans son ensemble. Y compris en France, au lendemain de la deuxième guerre impérialiste, les nationalisations, le financement de secteurs publics ou semi‑publics, eurent comme fin la reconstitution de l'infrastructure de l'appareil de production, mais le tout dépendait de la reconstitution du marché mondial, de la division internationale du travail, des marchés intérieurs et extérieurs qui s'ouvraient au capital français dans son ensemble, donc des besoins du capitalisme français. L'intervention de l'Etat allait dans ce sens. S'il n'en avait pas été ainsi, elle se serait traduite par une crise économique, sociale et politique, qui eut posé la question du régime. Le capital français, trop faible pour prendre en charge la reconstitution de l'infrastructure économique, avait besoin que l'Etat la prenne à charge. Les nationalisations eurent cette origine. De plus, elles avaient, compte tenu de la situation politique, de la politique du P.S., du P.C.F. et de la C.G.T., alors unifiée, l'avantage de mystifier les travailleurs. Au nom de nationalisations « du patrimoine national », ils étaient appelés à « gagner la bataille de production », à « retrousser leurs manches », la grève était décrétée « l'arme des trusts » qui voulaient « saboter l'économie nationale ».
Il est impossible d'en conclure : « L'Etat par ses techniques anticycliques... », « l'organisation systématique et délibérée de l'inflation permanente du crédit et de la masse monétaire » empêchait la « rechute de surproduction ». Procéder ainsi a comme but de masquer l'essentiel. Pendant près de vingt ans, la capacité des Etats bourgeois européens à impulser l'économie dépendît de la capacité de l'Etat bourgeois américain de les financer plus ou moins directement. L'impulsion des dépenses productives faites par les Etats bourgeois se développaient parce que le capital pouvait en faire « une consommation productive » de son point de vue. Pour ce faire, il fallut que l'ensemble des Etats bourgeois maintiennent à un niveau et sur une échelle jamais atteinte précédemment, les dépenses parasitaires et surtout les dépenses militaires.
La transformation des banques centrales en banque d'Etat, l'organisation du crédit à l'échelle internationale sur la base de l'étalon dollar ont permis le financement de cette conjoncture d'armement sans précédent. Là est le secret de la « longue période de prospérité ». Mais pas plus que le processus ne pouvait être sans fin en Allemagne sous la botte nazi, il ne peut se poursuivre sans fin aujourd'hui malgré la puissance du capital américain. La conjoncture mondiale d armement a été financée « par un monde de papier » où tout paraît « à l'envers », où l'ensemble des Etats bourgeois se « sont avisés de donner aux spéculateurs le capital qui leur manque, d'acheter (sinon) à leur valeur nominale la totalité des marchandises dépréciées », en tout cas, une masse de marchandises d'un type spécial : des armements de plus en plus nombreux, de plus en plus scientifiques, d'une technologie toujours plus complexe et raffinée (et aussi une bonne quantité de « marchandises dépréciées »). L'inflation de crédit et de monnaie résulte avant tout du financement de l'économie d'armement.