1965 |
"(...) de toute l'histoire antérieure du mouvement ouvrier, des enseignements de toute cette première période des guerres et des révolutions, de 1914 à 1938, analysés scientifiquement, est né le programme de transition sur lequel fut fondée la IV° Internationale. (...) Il est impossible de reconstruire une Internationale révolutionnaire et ses sections sans adopter le programme de fondation de la IV° Internationale comme base programmatique, au sens que lui conférait Trotsky dans la critique du programme de l'I.C. : définissant la stratégie et la tactique de la révolution prolétarienne." |
Défense du trotskysme (1)
Léconomisme et la théorie de l'état
Mais l'admirable théorie qui fait déterminer la nature de classe d'un état par l'évolution idéologique de ses dirigeants n'a pas été appliquée qu'à l'Algérie, et est aujourd'hui une des thèses les plus chères des révisionnistes. C'est sans doute dans la résolution du « 6° congrès mondial » pablo-germaniste intitulée « Bilans, problème et perspectives de la Révolution coloniale », qu'elle s'exprime le plus complètement. Rappelons, à toutes fins utiles, que ce document remarquable, adopté en janvier 1961, engage aussi bien Germain, Frank et les leurs que Pablo et les siens.
La notion même de « révolution coloniale » est directement contradictoire avec l'analyse marxiste de notre époque ; elle procède bien plutôt de la notion petite-bourgeoise d'un « tiers-monde » avec ses lois spécifiques, qui vient ainsi s'ajouter aux deux premiers mondes, ceux que Pablo appelle « régime capitaliste » et « monde stalinien ». Chacun de ces trois « mondes » juxtaposés ayant ses loi propres de développement. Cette conception triadique de notre époque préside aujourd'hui à toutes les analyses des divers théoriciens petits-bourgeois : elle est, en particulier, implicite dans le innombrables résolutions produites par le « S.I. » ou « S.U. » révisionniste.
Pour le « régime capitaliste », on y parle encore de révolution prolétarienne, à seule fin, il est vrai, d'en déplorer le retard et de faire porter aux masses la responsabilité de ce retard. Dans le « monde stalinien », nous l'avons vu, c'est la déstalinisation, « irréversible », « irrésistible », etc., etc., qui fait l'admiration générale sous le signe de l'auto-réforme de la bureaucratie, ou de son aile gauche, à laquelle est ainsi dévolu le rôle principal sur la scène de l'histoire dudit « monde stalinien ». Enfin, le tiers-monde est en proie à, la « révolution coloniale », objet d'un culte encore plus fervent, qui se manifeste par d'innombrables et fastidieuses litanies telles que
« La montée continue de la Révolution coloniale pendant la dernière décade a contrasté de manière frappante avec la stagnation prolongée du mouvement ouvrier révolutionnaire dans les pays capitalistes avancés. L'essor de la révolution coloniale, etc., etc. »
(« Quatrième Internationale », n° 12, p. 46.)
Mais y a-t-il trois mondes, ou un seul ? Pour Marx, la réponse n'était pas douteuse. Un des traits spécifiques de la société capitaliste est d'avoir créé un marché mondial, tendant ainsi à unifier le monde. La lutte de classe entre prolétariat et bourgeoisie est un phénomène mondial qui domine tous les aspects particuliers, notamment nationaux, de l'histoire de notre époque. La révolution prolétarienne est une perspective mondiale unique, bien loin d'être réservée à tel ou tel type de pays. Au stade impérialiste du capitalisme, cette réalité devient encore plus essentielle :
« A notre époque, qui est celle de l'impérialisme, c'est-à-dire de l'économie et de la politique MONDIALES dirigées par le capital financier, il n'est pas un seul parti communiste qui puisse établir son programme en prenant seulement ou principalement comme point de départ les conditions ou les tendances de l'évolution de son pays... Le parti révolutionnaire du prolétariat ne peut se baser que sur un programme international correspondant au caractère de l'époque actuelle, celle du couronnement et de l'écroulement du capitalisme. Un programme communiste n'est nullement une somme de programmes nationaux ou un amalgame de leurs traits communs. Il doit prendre directement pour point de départ l'analyse des conditions et des tendances de l'économie et de l'état politique du monde, prises comme un tout, avec leurs liens et leurs contradictions, c'est-à-dire avec la dépendance mutuelle opposant ses composantes entre elles. A l'époque actuelle, infiniment plus que pendant la précédente, le sens dans lequel se dirige le prolétariat du point de vue national doit se déduire et ne peut se déduire que de la direction prise dans le domaine international, et non pas vice-versa. C'est en cela que consiste la différence fondamentale qui sépare au point de départ l'internationalisme communiste des diverses variétés de socialisme national. »
(Trotsky, « L'I.C. après Lénine », édition française, pp. 95-96.)
Donc, pas de « révolution coloniale » : une perspective mondiale unique, la révolution prolétarienne, prenant dans chaque pays ou type de pays, notamment dans les colonies ou ex-colonies, une forme particulière, spécifique, mais qui revêt le même contenu de classe. Et un seul acteur sur la scène de l'histoire est apte à réaliser cette perspective : le prolétariat, les masses travailleuses et exploitées. « L'émancipation des travailleurs sera l'uvre des travailleurs eux-mêmes. » Voilà le point de vue du marxisme.
Mais pour les théoriciens révisionnistes de la « révolution coloniale », à quelle classe, à quel groupe social est dévolu le rôle principal dans cette « révolution » ? La résolution du « 6° congrès mondial », déjà citée plus haut, répond sans équivoque :
« ... En l'absence d'une structure de classe de type classique, d'une bourgeoisie et même d'une petite-bourgeoisie organiquement structurée, les élites restreintes qui existent, quelques intellectuels, quelques fonctionnaires, quelques cadres syndicaux, quelques commerçants et hommes d'affaires, constituent potentiellement, sinon déjà de fait, des couches nouvelles de compradores, sur lesquelles se base l'espoir de l'impérialisme de les voir se développer et se stabiliser en tant que telles.
Mais, d'autre part, la faiblesse économique et politique, encore extrême, de ces élites restreintes, face à un mouvement de masses puissant, avide de réformes et de solutions radicales, ainsi que la conscience de ces élites de leur possibilité de miser sur les rivalités des impérialistes et sur l'antagonisme Est-Ouest les poussent à un rôle SUI GENERIS non seulement politique, mais également social dans le sens plus précis suivant :
N'ayant pas encore pris forme et racine dans la société africaine en transformation rapide, ces élites constituent, à l'étape actuelle, plus que l'embryon d'une classe néo-bourgeoise : c'est l'embryon d'une BUREAUCRATIE D'ÉTAT...
Ce rôle social spécifique propre à la société africaine actuelle peut aussi bien évoluer vers un caractère nettement bourgeois que vers un caractère quasi-prolétarien, selon la force du mouvement des masses, et les rapports avec l'impérialisme et les Etats ouvriers. La Guinée de Sekou Touré est l'exemple le plus avancé à l'heure actuelle de ce phénomène. Le Kenya de Jomo Kenyatta peut s'avérer demain un exemple analogue, ainsi que le Kamerun, les territoires sous contrôle portugais, ET AUTRES (souligné par nous - tous les espoirs nous sont permis !)
Dans tous ces exemples, lELEMENT FONDAMENTAL DE L'ÉVOLUTION FUTURE EST L'ÉTAT ET LA COUCHE QUI L'ADMINISTRE (souligné par nous)...
D'où le rôle spécifique de la couche indigène restreinte qui accède au pouvoir et contrôle l'Etat...
Cette couche détient une FORCE EN SOI, L'ÉTAT (souligné par nous), sans subir l'influence précise ni le contrôle d'une classe dirigeante, dont elle serait le mandataire.
C'est par la gestion de lEtat que cette couche se développe et acquiert une importance sociale, et non pas par les besoins intrinsèques de la production ni par son rôle dans la production. »
(« Quatrième Internationale », n° 12, pp. 60-61.)
Quelle
prodigieuse contrée, l'Afrique noire !
- Qu'est-ce que l'état ?
- L'instrument d'une classe pour l'oppression d'une autre, répondent
les marxistes.
- Et les classes ?
- Le produit d'un mode de production déterminé. Elles
plongent donc leurs racines dans les conditions matérielles
d'existence des hommes qui les constituent, dans leurs rapports
sociaux de production.
- Qu'est-ce-que l'état ?
- Une force en soi, que détient l'élite, répondent les germano-pablistes.,
- Et l'élite ?
- Elle a un rôle « sui generis » . Elle est plus
que l'embryon d'une classe néo-bourgeoise : c'est
l'embryon d'une bureaucratie d'état. Elle se développe
en gérant l'état. Elle n'a pas de rôle
dans la production. Elle ne subit ni l'influence ni le
contrôle d'une classe dirigeante. Elle n'a encore pris ni
forme ni racine dans la société. Extrêmement
faible, elle constitue l'élément fondamental de
l'évolution future. Elle peut aussi bien devenir
bourgeoise (nettement) que quasi-prolétarienne
(confusément ?). Ce qui détermine son évolution,
elle ne peut le trouver à l'extérieur
d'elle-même, puisqu'étant l'élément
fondamental, non dans ses bases sociales objectives (elle
n'en a pas), mais dans son intériorité subjective.
- Qu'est-ce donc que l'histoire de notre époque ?
- L'histoire de la lutte de classe du prolétariat mondial contre
la bourgeoisie, répondent les marxistes.
- L'histoire de l'évolution spirituelle de l'élite,
répondent les germano-pablistes.
En Afrique noire, bien sûr. Rien qu'en Afrique noire.
Bien entendu, Boumedienne, avec ses « progrès idéologiques », est citoyen de l'Afrique noire; le « marxiste naturel » Castro aussi. Quant à Tito, il n'a tenu qu'à lui...
Oui, vraiment, prodigieuse contrée, contrée de prodiges que l'Afrique noire !
Le contenu concret, si l'on ose dire, n'est d'ailleurs que trop clair. La crise historique de lhumanité se réduisant à lévolution spirituelle de lélite qui gère létat, il suffit donc, pour résoudre la crise historique, que lélite choisisse ses conseillers au sein du « S.I. »-« S.U. ». Cest gagné davance – car qui oserait prétendre que Pablo ou Germain nappartienne pas à lélite ? Et Frank, donc !