1965 |
"(...) de toute l'histoire antérieure du mouvement ouvrier, des enseignements de toute cette première période des guerres et des révolutions, de 1914 à 1938, analysés scientifiquement, est né le programme de transition sur lequel fut fondée la IV° Internationale. (...) Il est impossible de reconstruire une Internationale révolutionnaire et ses sections sans adopter le programme de fondation de la IV° Internationale comme base programmatique, au sens que lui conférait Trotsky dans la critique du programme de l'I.C. : définissant la stratégie et la tactique de la révolution prolétarienne." |
Défense du trotskysme (1)
Économisme et lutte des classes
Cela suffisait pour démontrer qu'il n'y a pas de crise irréversible de l'impérialisme. Mais cette politique internationale de la bureaucratie du Kremlin rejoint celle qu'elle pratique en U.R.S.S., le tout ne pouvant être dissocié des rapports économiques de l'U.R.S.S., de la Chine et des pays d'Europe orientale avec l'impérialisme sur le marché mondial.
La domination par la bureaucratie du Kremlin des états ouvriers déformés d'Europe orientale constitue un obstacle majeur à l'édification d'une planification unifiée du développement économique de ces pays, à l'harmonisation de leur économie autrement dit. La bureaucratie de chacun de ces pays, et ceci d'autant plus que celle du Kremlin a dû, à la suite de la révolution hongroise, leur lâcher du lest, défend ses intérêts spécifiques (l'exemple roumain est démonstratif) et tend à nouer des relations pour son propre compte sur le marché mondial : la banque des pays de l'Est, après plusieurs années, en est encore à sa phase de gestation, la coordination économique reste extrêmement partielle. Le mur de Berlin est comme le symbole des forces centrifuges, expression des contradictions, économiques et sociales, qui déchirent l'Europe orientale. Les difficultés économiques de la Pologne, extrêmement dépendante du marché mondial pour ses exportations, sont révélatrices. Seule une planification commune, équilibrée, élaborée volontairement, sans contrainte, c'est-à-dire débarrassée du contrôle du Kremlin et de la gestion bureaucratique « locale », pourrait rendre cette dépendance moins lourde. Dans l'état actuel des choses, ici aussi se renforcent par suite des difficultés économiques les tendances pro-bourgeoises, et la bureaucratie les favorise consciemment.
La croissance des forces productives en U.R.S.S. exige leur liaison de plus en plus grande avec le marché mondial et leur participation à la division internationale du travail; cela n'est pas moins vrai en Europe orientale : autrement dit, le développement économique de l'U.R.S.S. et de l'Europe orientale entre en contradiction de plus en plus aiguë avec les frontières nationales. La barrière que constitue le monopole du commerce extérieur, la planification à l'échelle d'un pays, fût-il aussi vaste que l'U.R.S.S., entre en contradiction avec les forces productives. A plus ou moins long terme, ces obstacles doivent sauter. Mais qui les fera sauter, comment, et au profit de qui ?
Les tendances pro-bourgeoises, que favorise en U.R.S.S. la bureaucratie elle-même, parce qu'elle est devenue incapable de trouver d'autres régulateurs de l'économie que les lois « objectives » du marché, et qu'elle y voit un contre-poids à la classe ouvrière, tendront tôt ou tard à faire leur liaison directe avec le marché mondial dominé par l'impérialisme, et en même temps leur liaison politique avec celui-ci. La gestion bureaucratique y conduit.
L'autre terme de l'alternative c'est, en effet, que l'intégration économique de l'U.R.S.S. et de l'Europe orientale, leur participation directe à la division mondiale du travail, soient le fruit de la révolution prolétarienne victorieuse, de l'instauration du pouvoir des Conseils ouvriers et des Etats-Unis socialistes d'Europe; cette solution, répétons-le, la bureaucratie la combattra par tous les moyens, car elle signifie sa propre liquidation.
Que le régime bureaucratique de l'U.R.S.S. soit en crise, cela ne signifie nullement que la bureaucratie a cessé d'être et d'agir. Cette crise constitue au contraire, pour elle, une raison impérieuse de s'appuyer de plus en plus sur l'impérialisme contre la classe ouvrière mondiale, y compris la classe ouvrière de l'U.R.S.S., tout en s'efforçant de le contenir. La réciproque est également vraie. En pratique, l'impérialisme a soutenu la bureaucratie du Kremlin, en lui laissant les mains totalement libres contre la révolution hongroise, en la laissant atténuer les contradictions les plus explosives en U.R.S.S. même et en Europe orientale, en levant enfin partiellement les interdits qui pesaient sur ses échanges avec l'U.R. S.S. au cours de ces dix dernières années, tout en maintenant constamment sa pression sur l'U.R.S.S.
Mais il y a, ne loublions pas, une différence majeure entre la bureaucratie du Kremlin et la bourgeoisie mondiale : la bourgeoisie est une classe reposant sur un mode de production spécifique, sur des rapports de propriété spécifiques qui constituent ses assises historiques; la bureaucratie est une excroissance sociale, historiquement conjoncturelle, socialement parasitaire, ne s'appuyant ni sur un mode de production, ni sur des rapports de propriété spécifiques, n'ayant ni mission historique à remplir, ni idéologie qui lui soit propre. L'évolution « idéologique » de la bureaucratie et de ses agents internationaux, les dirigeants des P.C., présente le plus grand intérêt à cet égard. Le rejet des thèses de Lénine sur l'état, l'affirmation de la possibilité du passage pacifique du capitalisme au socialisme, la proclamation du « goulach » comme but du socialisme, la transformation de la « coexistence pacifique » stalinienne en coopération pacifique, le dialogue avec l'église catholique, etc., démontrent la puissance des forces pro-bourgeoises à l'intérieur de la bureaucratie. Par crainte de la révolution, par hantise de son propre prolétariat, la bureaucratie du Kremlin recule pas à pas devant l'impérialisme, accentue partout son action contre-révolutionnaire et développe les conditions de la liaison entre l'impérialisme et les forces restaurationnistes qui s'affirment ouvertement en U.R.S.S., sous son patronage. Le monopole du pouvoir politique qu'elle détient, l'importance de son intervention dans l'économie de l'U.R.S.S., ne permettent pas de la traiter comme quantité négligeable, comme un élément passif, qui est agi et qui n'agit point, ainsi que semble le faire Germain. Son rôle est considérable, au contraire, à la fois dans la lutte mondiale des classes et dans l'évolution intérieure, économique et sociale, de l'U.R.S.S.
Lorsque Germain affirme, nous l'avons vu, que « la restauration du capitalisme en U.R.S.S. peut être considérée comme exclue » parce que l'« évolution mondiale des rapports de forces - fonction autant de la victoire de la révolution chinoise et des progrès constants de la révolution coloniale, que des progrès économiques réalisés en U.R.S.S. » est pratiquement irréversible, c'est là une conception aussi foncièrement anti-marxiste que l'étude abstraite des processus économiques, indépendamment des rapports sociaux et de la lutte des classes, qu'il pratique à propos de l'U.R.S.S., en l'isolant en plus de l'économie mondiale.
L'histoire ne consiste pas dans un affrontement quasi-mythologique de « forces objectives » opérant dans l'empyrée de la « réalité objective tout court », sous l'il émerveillé, abasourdi ou consterné d'une humanité réduite au rôle d'observateur. Rien n'est plus éloigné du marxisme que cette conception fataliste. « Le ressort de l'histoire », aujourd'hui bien plus encore qu'à aucune autre époque, c'est « I'homme vivant et agissant », selon l'expression justement fameuse de Marx. « Les hommes font leur propre histoire », écrit-il au début de sa principale œuvre historique, « mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé ».
L'histoire est faite de l'affrontement de classes sociales qui luttent, agissent et pensent, et, dans cette lutte, par cette action, par ces pensées, modifient les « forces objectives » et les « rapports de forces » les mieux établis. Dans la lutte pour la révolution socialiste, la conscience qu'acquièrent les masses exploitées de leur fonction historique, le niveau atteint par cette conscience, c'est là, en dernière analyse, le facteur qui décidera du destin de l'humanité.
La conception d'une histoire qui, au moins dans les grandes lignes, serait écrite à l'avance, cette conception est profondément étrangère au marxisme.
« Ainsi, le régime de l'U.R.S.S. renferme en soi des contradictions menaçantes. Mais il continue à rester un régime d'ETAT OUVRIER DEGENERE. Tel est le diagnostic social. »
(« Programme de transition », nouvelle édition, p. 46.)
Cherchez bien dans les textes de Pablo et de Germain, vous y trouverez des régimes « anti-capitalistes » et, le plus souvent, des « états ouvriers », mais le qualificatif « dégénéré » a, en général, disparu : il s'est volatilisé, subtilisé par les prestidigitateurs en lutte de classes Pablo-Germain.
« Le pronostic politique a un caractère alternatif : ou la bureaucratie, devenant de plus en plus l'organe de la bourgeoisie mondiale dans l'état ouvrier, renversera les nouvelles formes de propriété et rejettera le pays dans le capitalisme; ou la classe ouvrière écrasera la bureaucratie et ouvrira une issue vers le socialisme...
Les déclarations publiques d'anciens agents du Kremlin à l'étranger, qui ont refusé de rentrer à Moscou, ont irréfutablement confirmé, à leur manière, qu'au sein de la bureaucratie il y a toutes les nuances de la pensée politique : depuis le véritable bolchévisme (I. Reiss) jusqu'au fascisme achevé (Th. Boutenko). Les éléments révolutionnaires de la bureaucratie, qui constituent une infime minorité, reflètent, passivement il est vrai, les intérêts socialistes du prolétariat. Les éléments fascistes contre-révolutionnaires en général, dont le nombre augmente sans cesse, expriment de façon de plus en plus conséquente les intérêts de l'impérialisme mondial. Ces candidats au rôle de compradores pensent, non sans raison, que la nouvelle couche dirigeante ne peut assurer ses positions privilégiées qu'en renonçant à la nationalisation, à la collectivisation et au monopole du commerce extérieur au nom de l'assimilation de la « civilisation occidentale », c'est-à-dire du capitalisme. »
(Idem, p. 46.)
N'en doutons pas, nos pablistes vont s'exclamer : « Mais justement, depuis la mort de Staline, la bureaucratie est engagée dans un "cours libéral" : dénonciation des crimes de Staline, du culte de la personnalité, de la violation de la légalité soviétique, etc. » Il ne faudrait pas oublier les limites politiques de ce libéralisme... Pour elle-même, pour assurer la sécurité de chacun de ses membres contre l'omnipotence du pouvoir que représentait Staline, pour tenter de dénouer les contradictions les plus criantes du régime, la bureaucratie s'est engagée dans un cours plus libéral et plus souple. Mais quelles sont les limites de ce cours « libéral » ? Les ouvriers hongrois, entre autres, les ont éprouvées ; et, aujourd'hui encore, il y a des travailleurs d'Allemagne orientale emprisonnés pour leur participation à juin 53. En U.R.S.S. même, les, barrières à ne pas franchir, y compris dans l'art et la littérature, sont tracées, et puis surtout ce « libéralisme » ne s'est nulle part traduit par la concession du moindre droit politique à la classe ouvrière. C'est le régime du paternalisme musclé, la trique est à la portée de la main, l'asile d'aliénés a remplacé, pour les opposants, le camp de concentration, et, à l'ombre du « libéralisme » bureaucratique, les mêmes tendances fondamentales de la bureaucratie se perpétuent et se développent.