1965 |
"(...) de toute l'histoire antérieure du mouvement ouvrier, des enseignements de toute cette première période des guerres et des révolutions, de 1914 à 1938, analysés scientifiquement, est né le programme de transition sur lequel fut fondée la IV° Internationale. (...) Il est impossible de reconstruire une Internationale révolutionnaire et ses sections sans adopter le programme de fondation de la IV° Internationale comme base programmatique, au sens que lui conférait Trotsky dans la critique du programme de l'I.C. : définissant la stratégie et la tactique de la révolution prolétarienne." |
Défense du trotskysme (1)
De la révolution-guerre à la coexistence pacifique
L'étrange façon dont Pablo posait la question de la préparation par l'impérialisme de la troisième guerre mondiale allait bientôt donner naissance à une théorie hystérique : celle de la « guerre-révolution », ou « révolution-guerre ».
Quelques mois plus tard, toujours dans « Où allons-nous ? » Pablo écrivait :
« C'EST LA PROGRESSION DES FORCES OPPOSÉES A L'IMPÉRIALISME QUI RAPPROCHE LA POSSIBILITÉ D'UNE RÉACTION DERNIERE ET DÉSESPÉRÉE DE GUERRE DE LA PART DE L'IMPÉRIALISME, à moins qu'on admette la disparition sans combat du régime capitaliste, y compris de sa citadelle encore extrêmement puissante que constitue l'impérialisme yankee...
... La question suivante qui se pose est : QUELLE PEUT ETRE LA NATURE D'UNE GUERRE DÉCLENCHÉE DANS DE TELLES CONDITIONS ?
Une telle guerre prendrait, dès le début, le caractère d'UNE GUERRE CIVILE INTERNATIONALE particulièrement en Europe et en Asie qui passeraient rapidement sous le contrôle de la bureaucratie soviétique, des partis communistes, ou des masses révolutionnaires.
La guerre, dans de telles conditions, dans un rapport de forces, tel que celui qui existe actuellement internationalement, serait essentiellement la RÉVOLUTION. La progression de la révolution anti-capitaliste dans le monde éloigne mais en même temps précise le danger de la guerre générale. La guerre serait cette fois la Révolution.
Les deux notions de la REVOLUTION et de la GUERRE, loin de s'opposer ou de se distinguer en tant que deux étapes considérablement différentes, de l'évolution, SE RAPPROCHENT ET SENTRELACENT AU POINT DE SE CONFONDRE PAR ENDROITS ET PAR MOMENTS. A leur place, c'est la notion de la RÉVOLUTION-GUERRE, de la GUERRE-RÉVOLUTION qui émerge, et sur laquelle doivent se fonder LES PERSPECTIVES ET L'ORIENTATION DES MARXISTES REVOLUTIONNAIRES DE NOTRE ÉPOQUE. »
« Un tel langage pourrait peut-être choquer les amateurs de rêve et de rodomontades « pacifistes », ou ceux qui se lamentent déjà sur le sort apocalyptique du monde, sort qu'ils prévoient à la suite d'une guerre atomique ou d'une expansion mondiale du stalinisme. Mais ces curs sensibles n'ont aucune place parmi les militants et surtout parmi les cadres marxistes révolutionnaires de cette époque, la plus terrible de toutes, où l'acuité de la lutte des classes est portée à son paroxysme. C'EST LA RÉALITE OBJECTIVE » (souvenons-nous : la réalité objective tout court, composée du régime capitaliste et du monde stalinien) « QUI POUSSE A LA PREMIÈRE PLACE CE COMPLEXE DIALECTIQUE DE LA REVOLUTION-GUERRE, QUI DETRUIT IMPLACABLEMENT LES REVES « PACIFISTES » ET QUI NE LAISSE AUCUN RÉPIT AU DÉPLOIEMENT SIMULTANÉ, GIGANTESQUE, DES FORCES DE LA REVOLUTION ET DE LA GUERRE ET A LEUR CONFLIT A MORT. »
« La tâche des révolutionnaires conscients de cette période et de ses possibilités consiste avant tout à S'APPUYER SOLIDEMENT SUR LES CHANCES OBJECTIVES GRANDISSANTES DE LA REVOLUTION, ET (PAR LES MOYENS LES PLUS APPROPRIES DE LA PROPAGANDE), A LES METTRE EN VALEUR COMME IL CONVIENT POUR L'ENSEMBLE DES MASSES TRAVAILLEUSES INTERESSEES A LA RÉVOLUTION. »
(Ouvrage cité, p. 43.)
Le rêve napoléonien emporte Pablo. Mais notre puissant dialecticien a une bien curieuse conception de la dialectique : la dialectique n'a jamais impliqué l'évasion hors du réel !
Fondamentalement, ce n'est pas « la progression des forces opposées à l'impérialisme qui rapproche la possibilité d'une réaction de guerre dernière et désespérée de l'impérialisme ». Cette vue est unilatérale. C'est le retard de la révolution prolétarienne au cur même du système impérialiste mondial qui donne à celui-ci la possibilité d'interventions militaires contre-révolutionnaires, et éventuellement la possibilité d'une guerre contre-révolutionnaire mondiale. Poser ainsi la question oblige à examiner pourquoi la révolution a pu s'étendre dans le monde et pourquoi, en même temps, l'impérialisme a réussi à survivre jusqu'à présent.
C'est comme produit de la lutte des classes mondiales, affectant, à des degrés divers, l'impérialisme dans les divers pays, que la révolution russe a triomphé; c'est comme produit de la crise qui a secoué l'impérialisme avec une acuité infiniment plus profonde dans les pays d'Europe où s'est développé le mode de production capitaliste et l'impérialisme, ainsi qu'au japon, que peuvent être comprises les conquêtes révolutionnaires de la fin ou du lendemain de la deuxième guerre mondiale. Nous ne sommes pas, pour autant, dispensés d'analyser par quels processus sociaux et politiques propres ont pu se réaliser les transformations économiques, sociales et politiques en Europe orientale et en Chine, mais nous disposons du cadre indispensable pour les comprendre.
L'impérialisme est une totalité organique; c'est parce qu'il était atteint, au lendemain de la guerre, dans ses organes essentiels, qu'ont pu être remportées d'importantes victoires révolutionnaires. Mais, en même temps, c'est parce que, dans ses organes essentiels, il n'a pas été détruit qu'il a pu subsister et menacer le monde d'une troisième guerre mondiale.
La possibilité objective de cette destruction de l'impérialisme, de la victoire de la révolution prolétarienne, existaient, C'est précisément ce dont témoignent les conquêtes révolutionnaires. Qu'a-t-il manqué ? Une direction révolutionnaire concevant la révolution prolétarienne comme un processus mondial. La stabilité même de l'impérialisme américain au lendemain de la guerre ne peut être comprise en elle-même, isolément. De toute évidence, celui-ci ne pouvait se maintenir que dans la mesure où la crise révolutionnaire que traversaient les vieilles puissances impérialistes d'Europe n'aboutissait pas à la prise du pouvoir par le prolétariat. Les Etats-Unis sont devenus l'impérialisme le plus puissant, le bastion de l'impérialisme mondial; ils ne sont pas, pour cela, en dehors de l'arène de la lutte mondiale entre les classes mondiales, bien au contraire. L'impérialisme n'a pu se survivre en Europe que grâce à l'appui économique des Etats-Unis. Mais l'impérialisme américain ne pouvait pas survivre longtemps à la chute du régime capitaliste en Europe. Est-ce à dire que la révolution victorieuse en Europe se transporterait mécaniquement aux U.S..A. ? Non ! Mais elle serait une telle défaite pour l'impérialisme américain qu'elle influencerait immédiatement les processus de la lutte des classes aux U.S.A. Nous n'avons pas à faire de spéculations abstraites sur la façon dont la lutte des classes s'y développerait alors.
Cependant, la « sollicitude » dont a fait preuve l'impérialisme américain à l'égard de l'économie croulante des pays capitalistes européens montre que la bourgeoisie américaine est pleinement consciente de l'exactitude de ce qu'affirmait Trotsky le 15 février 1926 :
« ... La puissance des Etats-Unis est précisément leur point vulnérable; elle implique leur dépendance croissante à l'égard des pays et des continents économiquement et politiquement instables. Les Etats-Unis sont contraints de fonder leur puissance sur une Europe instable, c'est-à-dire sur les révolutions prochaines de l'Europe et sur le mouvement national révolutionnaire de l'Asie et de l'Afrique. On ne saurait considérer lEurope comme un tout indépendant. Mais l'Amérique non plus n'est pas un tout indépendant. Pour maintenir leur équilibre intérieur, les Etats-Unis ont besoin d'une vue de plus en plus large vers l'extérieur; or, leur débouchement à l'extérieur introduit dans leur régime économique des éléments de plus en plus nombreux du désordre européen et asiatique. Dans ces conditions, la révolution victorieuse en Europe et en Asie inaugurera forcément une ère révolutionnaire pour les Etats-Unis. Et il est certain que la révolution, une fois commencée, se développera avec une vitesse véritablement américaine aux Etats-Unis. »
(« Europe et Amérique », édition française, Librairie de l'Humanité, 1926, p. 95.)
Les développements révolutionnaires qui se sont produits à la fin et à l'issue de la 2° guerre mondiale, pour si importants qu'ils soient, ne sont nullement décisifs, comme l'aurait été la victoire de la révolution en Europe.
L'impérialisme américain en a conscience, et cela l'oblige à une certaine prudence à l'égard des bourgeoisies européennes. Il n'est pas le seul. La bureaucratie en a également, et peut-être encore plus intensément conscience. Et s'il est un point sur lequel se réalisera constamment le « front unique » entre l'impérialisme américain et la bureaucratie du Kremlin, même au pire moment de leur antagonisme, c'est bien contre la révolution dans les pays économiquement développés d'Europe.
Critiquant la théorie du socialisme dans un seul pays, telle qu'elle se reflétait dans le projet de programme de l'I.C., Trotsky écrivait en 1928 :
« Le front impérialiste fut rompu (par la révolution de 1917) dans son CHAINON LE PLUS FAIBLE, dans la Russie tsariste. »
« C'est une magnifique formule léniniste qui est présentée ici. Au fond, elle signifie que la Russie était l'état impérialiste le plus arriéré et le plus faible au point de vue économique. C'est justement pour cela que les classes dominantes en Russie s'écroulèrent les premières pour avoir chargé les forces de production insuffisantes du pays d'un fardeau qu'elles ne purent supporter. L'évolution inégale, saccadée, obligea ainsi le prolétariat de la puissance impérialiste la plus arriérée à s'emparer le premier du pouvoir. Autrefois on nous enseignait que précisément pour cette raison la classe ouvrière du « chaînon le plus faible » rencontrera de plus grandes difficultés dans la voie d'accès au socialisme que le prolétariat des pays progressistes; celui-ci aura plus de difficultés à s'emparer du pouvoir, mais l'ayant conquis bien longtemps avant que nous n'ayons triomphé de notre retard, non seulement il nous dépassera, mais IL NOUS REMORQUERA (souligné par nous) dans la véritable construction du socialisme basée sur une technique mondiale supérieure et sur la division internationale du travail. »
(« L'I.C. après Lénine », édition française, pp. 149-150.)
Ce « il nous remorquera » a une importance capitale pour comprendre la politique de la bureaucratie du Kremlin à l'égard du prolétariat d'Europe occidentale. La bureaucratie du Kremlin, produit de l'isolement de la révolution russe, redoute la révolution dans les pays économiquement développés. La victoire de la révolution dans ces pays « remorquerait » le prolétariat de l'U.R.S.S. :
« La première victoire révolutionnaire en Europe fera aux masses soviétiques l'effet d'un choc électrique, les réveillera, relèvera leur esprit d'indépendance, ranimera les traditions de 1905 et 1917, affaiblira les positions de la bureaucratie et n'aura pas moins d'importance pour la IV° Internationale que n'en eut pour la III°, la victoire de la révolution d'Octobre. »
(« La Révolution trahie ». Voir « De la révolution », p. 628.)
Le prolétariat allemand devait éprouver le premier les effets de cette hantise de la bureaucratie du Kremlin. Le parti communiste allemand, totalement contrôlé par la bureaucratie du Kremlin, capitula sans combat devant Hitler, ce qui fit conclure à Trotsky que l'I.C. était définitivement passée du côté de l'ordre bourgeois à l'échelle internationale. Staline, et avec lui la bureaucratie, préféraient Hitler à la révolution allemande.
Tant que l'impérialisme sera l'impérialisme et la bureaucratie du Kremlin la bureaucratie du Kremlin, nous assisterons à la conjonction de leurs politiques contre la révolution en Europe, qui sonnerait le glas de l'un et de l'autre.
« La guerre dans ces conditions » exprimerait un recul considérable de la révolution. Une telle guerre ne serait pas la révolution : elle serait une guerre contre-révolutionnaire de l'impérialisme, dans laquelle le prolétariat mondial devrait défendre ses conquêtes historiques et son existence même dans des conditions extrêmement difficiles. Car la bureaucratie du Kremlin tenterait d'écraser tout développement révolutionnaire, y compris au détriment de la défense de l'U.R.S.S., qui se produirait au cours de la guerre. Car si, selon la formule fameuse, toute guerre n'est que « la continuation de la politique par d'autres moyens », cela signifie en particulier qu'aucune guerre ne peut changer la nature de la bureaucratie de l'U.R.S.S., ni sa fonction internationale contre-révolutionnaire dans la lutte des classes. La tâche du prolétariat, dans une telle guerre, serait de transformer, du côté de l'impérialisme, la guerre impérialiste en guerre civile, et de renverser au cours de la guerre même la bureaucratie du Kremlin tout en participant à la défense de l'U.R.S.S., de la Chine, et de l'Est de l'Europe, condition indispensable à la victoire, pour autant que le déchaînement atomique laisserait subsister les bases matérielles de la révolution socialiste. Cela n'a rien de précisément exaltant.
Les conceptions « napoléoniennes » de Pablo et de son S.I. substituaient une fois de plus la « réalité objective tout court » à la lutte des classes réelle. D'un côté, le capitalisme, représenté essentiellement et unilatéralement par l'impérialisme américain, sans lutte des classes organiquement liée à la lutte des classes mondiale; de l'autre, « le monde stalinien », incluant la « révolution sous toutes ses formes » ; « l'Europe et l'Asie passeraient rapidement sous le contrôle de la bureaucratie soviétique, des partis communistes, ou des masses révolutionnaires ».
Selon Pablo, la bureaucratie du Kremlin allait se décider enfin à faire preuve d'une « audace napoléonienne » ; elle devenait ainsi à ses yeux, la missionnaire armée de la révolution prolétarienne ; et la théorie de la guerre-révolution, ou révolution-guerre, venait à point fournir un camouflage « dialectique » à sa capitulation devant le Kremlin.
Pour brocher sur le tout, il ne restait plus « aux militants révolutionnaires conscients » qu'à se déconsidérer en prêchant « par les moyens de la propagande » la « guerre-révolution » « à ceux qui se lamentent déjà sur le sort apocalyptique du monde, sort qu'ils prévoient à la suite d'une guerre atomique ou d'une expansion mondiale du stalinisme ». Car tout le monde n'a pas, comme Napoléon-Pablo, un cur d'airain, en particulier les travailleurs n'ont qu'un goût modéré pour les situations « apocalyptiques ».
Le Programme de transition, pour sa part, oppose au pacifisme bourgeois le pacifisme des opprimés :
« Dans la question de la guerre, plus que dans toute autre question, la bourgeoisie et ses agents trompent le peuple par des abstractions, des formules générales, des phrases pathétiques : « neutralité », « sécurité collective », « armement pour la défense de la paix, « défense nationale », « lutte contre le fascisme », etc., etc. Toutes ces formules se réduisent, en fin de compte, à ce que la question de la guerre, c'est-à-dire du sort des peuples, doit rester dans les mains des impérialistes, de leurs gouvernements, de leur diplomatie, de leurs états-majors, avec toutes leurs intrigues et tous leurs complots contre les peuples...
... Le pacifisme et le patriotisme bourgeois sont de mensonges complets. Dans le pacifisme et même dans le patriotisme des opprimés, il y a des éléments qui reflètent, d'une part, la haine de la guerre destructrice et d'autre part, l'attachement à ce qu'ils croient être leur bien, qu'il faut savoir saisir pour en tirer les conclusions révolutionnaires nécessaires. Il faut savoir opposer hostilement l'une à l'autre ces deux formes de pacifisme et de patriotisme. »
(« Programme de transition », nouvelle édition, pp. 29-30.)
Il faut utiliser la haine qu'ont les masses de la guerre pour les mobiliser dans la lutte révolutionnaire; il faut opposer fondamentalement la révolution à la guerre impérialiste.
Ainsi, dans ce domaine encore, Pablo et les siens désavouaient la IV° Internationale au profit des staliniens. Ils leur abandonnaient le monopole de la lutte contre la guerre impérialiste, et les laissaient dévoyer les aspirations des masses vers le pacifisme petit-bourgeois. Ils rendaient impossible toute dénonciation valable de la « coexistence pacifique ». Ce que nous reprochons à la « coexistence pacifique », ce n'est pas qu'elle exprime la peur de la bureaucratie devant la guerre, c'est au contraire qu'elle désarme la classe ouvrière dans la lutte contre la guerre. C'est la bureaucratie du Kremlin qui fait tout ce qui est possible pour identifier la révolution et la guerre, et pour détourner ainsi les masses de la lutte révolutionnaire. Ce faisant, elle aboutit à créer, pour l'impérialisme, les meilleures conditions pour préparer ses entreprises contre-révolutionnaires et, éventuellement, une troisième guerre mondiale. Pablo y collaborait à sa façon par sa mystification « apocalyptique », abusivement baptisée « dialectique ».