1965 |
"(...) de toute l'histoire antérieure du mouvement ouvrier, des enseignements de toute cette première période des guerres et des révolutions, de 1914 à 1938, analysés scientifiquement, est né le programme de transition sur lequel fut fondée la IV° Internationale. (...) Il est impossible de reconstruire une Internationale révolutionnaire et ses sections sans adopter le programme de fondation de la IV° Internationale comme base programmatique, au sens que lui conférait Trotsky dans la critique du programme de l'I.C. : définissant la stratégie et la tactique de la révolution prolétarienne." |
Défense du trotskysme (1)
Le stalinisme et la IV° Internationale
Trotsky, en même temps qu'il constatait que la bureaucratie du Kremlin était passée définitivement du côté du maintien de l'ordre bourgeois à l'échelle internationale, affirmait la nécessité de construire la IV° Internationale.
Elle fut proclamée, en 1938, sur la base du programme de transition : « L'agonie du capitalisme et les tâches de la IV° Internationale ». A ceux qui estimaient que les conditions n'étaient pas mûres pour la proclamation de la IV° Internationale, le programme de transition lui-même répondait :
« Des sceptiques demandent : mais le moment est-il venu de créer une nouvelle Internationale ? Il est impossible, disent-ils, de créer une Internationale « artificiellement » ; seuls, de grands événements peuvent la faire surgir, etc. Toutes ces objections démontrent seulement que les, sceptiques ne sont pas bons à créer une nouvelle Internationale. En général, ils ne sont bons à rien.
La IV° Internationale est déjà surgie de grands événements : les plus grandes défaites du prolétariat dans l'histoire. La cause de ces défaites est la dégénérescence et la trahison des vieilles directions. La lutte des classes ne tolère pas d'interruption. La III° Internationale après la II° est morte pour la révolution. Vive la IV° Internationale !
Mais les sceptiques ne se taisent pas : « Est-ce déjà le moment de la proclamer maintenant ? ». « La IV° Internationale, répondrons-nous, n'a pas besoin d'être proclamée. ELLE EXISTE ET ELLE LUTTE. Elle est faible ? Oui, ses rangs sont encore peu nombreux, car elle est encore jeune. Ce sont jusqu'à maintenant des cadres. Mais ces cadres sont le gage de l'avenir. En dehors de ces cadres, il n'existe pas, sur cette planète, un seul courant révolutionnaire qui mérite réellement ce nom. Si notre Internationale est encore faible en nombre, elle est forte par la doctrine, le programme, la tradition, la trempe incomparable de ces cadres. »
(Programme de transition, nouvelle édition, pp. 56-57.)
En effet, la IV° Internationale surgissait de grands événements. Toute la période de l'entre-deux guerres impérialistes manifestait l'impasse historique du capitalisme, mettait à l'ordre du jour la révolution prolétarienne dans le monde entier; cette période ouvrait l'ère des guerres et des révolutions. Elle prenait fin précisément en 1938, après de gigantesques luttes révolutionnaires, qui, inaugurées par la révolution russe, se terminaient toutes, à l'exception de celle-ci, par des défaites. Elle avait montré la profonde unité dialectique de la lutte des classes mondiales, et posé tous les problèmes de la révolution socialiste : celui du rôle décisif de la direction révolutionnaire, des partis et de l'Internationale révolutionnaire, agissant à partir d'une conception unique, à l'échelle mondiale, de la révolution socialiste; ceux de la révolution dans les pays économiquement développés, bastions de l'impérialisme, comme ceux de la révolution dans les pays économiquement arriérés dominés par l'impérialisme; ceux d'une révolution victorieuse, mais isolée, dans un pays, en outre, économiquement arriéré, et de sa dégénérescence; ceux de l'avenir de l'humanité, préfiguré par l'hitlérisme, au cas où le prolétariat ne parviendrait pas à accomplir la révolution socialiste, mais aussi les possibilités immenses de développement économique et culturel qu'ouvrirait la société socialiste, organisant à l'échelle mondiale les forces productives et libérant l'humanité toute entière de l'humiliante contrainte, de la hantise des besoins quotidiens à satisfaire; ceux de la stratégie et de la tactique de la révolution prolétarienne mondiale. Cette période fut une sorte de répétition générale de la révolution prolétarienne.
Dès lors que la IV° Internationale était capable de synthétiser toute cette vivante expérience du mouvement ouvrier, de la concentrer dans son « programme de transition », programme de lutte pour la révolution socialiste, elle démontrait par là-même son existence. « Elle existe et lutte. »
Mais les sceptiques sont de tous les temps. La IV° Internationale n'a pas réussi à s'implanter dans les masses, elle a connu de terribles crises, dont la dernière l'a désarticulée, l'a détruite en tant qu'organisation mondialement constituée et intervenant politiquement comme un tout : cela ne prouve-t-il pas qu'il était « artificiel » de la « proclamer » en 1938, que « les conditions n'étaient pas réunies » ?
Ne peuvent parler ainsi que ceux qui se situent en dehors de la lutte vivante pour la construction de la direction révolutionnaire. Ils « attendent » que se construisent les partis et l'Internationale dont la classe ouvrière a besoin pour mener à bien la révolution socialiste. « La lutte des classes ne tolère pas d'interruption. » L'élaboration du programme de transition prouvait assez que la IV° Internationale existait, mais, organisationnellement et politiquement elle était faible, ce qui signifie qu'elle n'était pas construite, donc que s'engageait la lutte pour sa construction, avec tout ce qu'implique une telle lutte comme avances, reculs, crises et dépassement de ces crises.
La « proclamation » de la IV° Internationale en 1938 pouvait paraître formelle, mais son existence même au cours de la guerre était le garant de la continuité historique du mouvement ouvrier. Elle signifiait que la tradition internationaliste demeurait vivante, justement à la veille et au cours de la deuxième guerre impérialiste, en pleine dégénérescence théorique et politique du mouvement ouvrier, alors eue l'expérience des vingt-cinq années qui venaient de s'écouler confirmait le caractère international de la révolution socialiste. C'est son existence, quelles que soient ses faiblesses (et nous ne songeons pas à les nier), qui donnait un sens à la lutte d'une couche de militants révolutionnaires, peu nombreux certes, mais qui, en combattant pour sa construction, sauvegardaient le patrimoine théorique et politique de 150 ans de mouvement ouvrier. Si même, au cours des années cinquante, la IV° Internationale s'est politiquement disloquée sous la pression de forces sociales ennemies, il reste que c'est en se basant sur son programme, sur la ligne de son redressement, puis de sa reconstruction, qu'ont pu survivre et se renforcer les organisations regroupées au sein du Comité International.
La lutte fut beaucoup plus longue et dure qu'il n'était possible de le prévoir. Mais la perspective qui était celle de Trotsky en fondant la IV° Internationale se confirme actuellement sous nos yeux :
« L'orientation des masses est déterminée, d'une part par les conditions objectives, du capitalisme pourrissant; d'autre part, par la politique de trahison des vieilles organisations ouvrières. De ces deux facteurs le facteur décisif est bien entendu le premier : les lois de l'histoire sont plus puissantes que les appareils bureaucratiques. Quelle que soit la diversité des méthodes des social-traîtres - de la législation « sociale » de Léon Blum aux falsifications judiciaires de Staline ~ ils ne réussiront pas à briser la volonté révolutionnaire du prolétariat. De plus en plus, leurs efforts désespérés d'arrêter la roue de l'histoire démontreront aux masses que la crise de la direction du prolétariat, qui est devenue la crise de la civilisation humaine, ne peut être résolue que par la IV° Internationale. »
(Programme de transition, nouvelle édition, p. 10.)
Le formidable appareil politico-policier stalinien s'est fissuré sous l'effet de la lutte des classes. Trotsky, au moment où il fondait la IV° Internationale, annonçait que la deuxième guerre mondiale se terminerait par une puissante crise révolutionnaire. Ses prévisions furent totalement confirmées. C'est de cette crise, qui secoua l'impérialisme et mit en cause le régime capitaliste là où il est né, en Europe occidentale, que sont issues les transformations révolutionnaires de l'Europe orientale. C'est elle aussi qui, en liaison avec l'effondrement de l'impérialisme japonais, joua un rôle déterminant dans le processus révolutionnaire en Asie, qui aboutit à la 3° révolution chinoise.
Mais, grâce à l'appui total des appareils staliniens et réformistes et à l'aide économique de l'impérialisme américain, la bourgeoisie d Europe occidentale réussit à reconstituer ses appareils d'état et à restructurer son économie. L'équilibre des forces de classe qui avait donné naissance à la bureaucratie du Kremlin n'en était pas moins profondément modifié. En même temps qu'elle donnait naissance à de puissants mouvements révolutionnaires, la guerre liquidait la division de l'impérialisme en deux puissants groupes rivaux, elle assurait la prédominance, sur tous les autres impérialismes, de l'impérialisme américain, sans pour cela résoudre la crise historique du régime capitaliste. L'ancien rapport des forces était détruit, d'autant plus que, nulle part, le prolétariat, en dépit de ses reculs, ne subissait de défaites comparables à celles qu'il avait connues avant la deuxième guerre mondiale, et qu'en U.R.S.S. même le prolétariat croissait en nombre et en puissance. La crise du stalinisme devait résulter de cette nouvelle disposition des forces de classes à l'échelle mondiale.