1921

Article traduit de l’anglais par Maurice Andreu. Source : Bulletin of the Executive Commitee of the Communist International, n°4, Petrograd, December 23, 1921, pp. 89 à 91.

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N.I. Boukharine

 

La base économique de la révolution prolétarienne

(Sur les perspectives révolutionnaires)

Décembre 1921


La crise où se trouve maintenant le mouvement ouvrier international et l’insolence manifeste toujours croissante de la clique militaire, des requins de la Bourse et des « capitaines d’industrie » patentés, leur pression sur la classe ouvrière et en même temps la « soumission » de cette dernière – tout cela autorise aussi bien la vraie bourgeoisie que les escrocs sociaux-démocrates à prédire une nouvelle période de prospérité capitaliste. Le capitalisme, semblait-il, s’écroulait déjà sous la pression de contradictions internes et sous les coups du déferlement de la marée du mouvement ouvrier ; il leur semble maintenant se rétablir et ils rêvent sérieusement d’un nouveau millénaire de capitalisme. Mais ces rêves ne sont qu’une illusion des capitalistes optimistes les moins réalistes et les plus faibles d’esprits. Les idéologues de la bourgeoisie qui pensent le plus sérieusement ont au contraire le pressentiment de sa ruine inévitable, qui leur semble être la ruine de toute la culture. Voilà la cause du profond désespoir et de la tristesse qui domine les esprits « philosophisants » de la bourgeoisie. Désormais, (en Allemagne) on passe du mot d’ordre de la capacité (Tüchtigkeit) économique au mysticisme, au bouddhisme et à l’exaltation de la philosophie hindoue ancienne. Désespérant de la terre, les idéologues bourgeois lèvent leurs yeux « aux cieux » dans l’espoir d’y trouver une consolation future. Pendant ce temps les « praticiens » actifs et les chauvins essaient de brider [dompter] la classe ouvrière et de trouver un moyen de sortir de l’impasse. Tel est le tableau du « monde capitaliste » en l’an du Seigneur 1921.


Nous essaierons de donner quelques exemples qui illustreront la situation. Naturellement la décision finale dépend du domaine de l’économie politique. Et quels que soient les événements superficiels qui peuvent être observés dans les autres sphères de la vie, c’est seulement dans ce domaine que peuvent être trouvées les réponses à la question du « destin du capitalisme international ». De ce point de vue, il est spécialement intéressant d’étudier quelques uns des résultats de l’année en cours, celle qui est caractérisée, d’un côté, par une insolence croissante de la bourgeoisie et, de l’autre, par la crise du mouvement ouvrier.


La production de charbon en Allemagne s’est « développée » comme suit :

En 1920 (pour les six premiers mois, en millions de tonnes) nous lisons :

Janvier-Février

20,5

Mars

10,15

Avril-Mai

20,24

Juin

11,0

 

En 1921 les chiffres correspondants sont : 24,0 (+), 11,5 (+), 16,7 (-), 8,9 (-).

La production de charbon en Angleterre


Janvier 1920

19,16

Février 1920

19,44

Mars 1920

19,5

 

Pour les premiers mois de 1921 les chiffres correspondants sont 18,5 (-), 17,13 (-), 17,4 (-).

La production de fonte en Angleterre

La diminution, en raison des grèves, est catastrophique. Pour les six premiers mois de 1920 nous avons : 0,67 ; 0,65 ; 0,70 ; 0,67 ; 0,74. Pour les six premiers mois de 1921 nous avons des chiffres simplement impossibles : 0,64 (-) ; 0,46 (-) ; 0,39 (-) ; 0,06 (- !) ; 0,014 (- !!) ; 0,0008 (- !!!).

La production de fonte en Amérique montre aussi une diminution incessante :

Ici les chiffres pour les trois premiers mois et le cinquième mois de la première moitié de l’année sont les suivants :

En 1920 - 3,0 ; 3,0 ; 3,38 ; 2,99.

En 1921 - 2,4 (-) ; 1,9 (-) ; 1,6 (-) ; 1,22 (-).

(chiffres tirés de Frankfurter Zeitung, Août[1921]).

Selon des données supplémentaires nous avons les chiffres suivants : juin 1,065 (-) ; juillet 0,865 (-) ; août et septembre présentent une petite croissance (0,954 et 0,98).

(New York Times, 6 octobre).

En France, le plus grand des pillards européens, la production de charbon ne donne aucun signe d’amélioration, à savoir : en janvier 1921 – 2 427 588 tonnes, en juin – 2 408 381 tonnes.

Il serait possible de donner de nombreux exemples dans d’autres branches de l’industrie. Quoique l’on puisse dire, il n’y a nulle part d’amélioration sérieuse, la base de la production ne se développe pas. Il n’y a pas de « restauration du capitalisme ».

Mais peut-être le commerce international est-il croissant ? Peut-être l’économie mondiale, mise en pièce pendant la guerre, est-elle maintenant en train de restaurer rapidement ses relations économiques externes, sur la base des quelles on peut attendre dans un futur proche une expansion sans précédent des forces industrielles dans les économies nationales capitalistes ? Peut-être le capitalisme est-il ainsi en train d’accumuler de colossales forces internes afin de faire plus tard un bond en avant décisif ?

Nous verrons. Voici les chiffres pour 1920 et 1921 :


Janv

Févr

Mars

Avril

Mai

Juin

Janv

Févr

Mars

Avril

Mai

Juin

Amérique

(millions de dollars)













Importations

209

215

252

255

208

198

474

468

524

496

431

553

Exportations

655

489

384

340

330

340

722

645

820

684

746

631

Solde (E – I)

446

274

132

85

122

142

248

177

296

188

315

78

Angleterre

(Millions de Livres)













Importations

117,0

96,9

93,7

89,9

86,2

88,2

183,3

170,4

176,6

167,1

166,4

170,5

Exportations

102,7

76,2

75,7

68,4

50,3

38,2

131,3

108,6

130,7

126,7

139,6

136,5

Solde (I – E)

14,4

20,7

18,0

21,6

36,0

50,0

51,9

61,9

45,8

40,5

26,8

24,0


Que montrent ces chiffres ? Tout d’abord le déficit de la balance commerciale des pays européens. Deuxièmement, ils réfutent l’idée d’une croissance du commerce international. C’est juste le contraire. Les relations internationales en 1921 n’ont pas été croissantes mais décroissantes, comme on peut le voir clairement d’après les chiffres ci-dessus, calculés par les rédacteurs du Frankfurter Zeitung (une autorité qui ne peut pas être accusée de déloyauté). Il en résulte que nous n’avons pas même un symptôme d’une accumulation de forces qui pourrait être réalisée après un certain temps. Les statistiques de faillites, que le F. Z. cite comme un signe de « l’aggravation générale de la crise dans l’économie mondiale » sont très caractéristiques. En Allemagne il y a eu 347 faillites dans les six premiers mois de 1920 ; et 1 573 pendant les mêmes mois de 1921 ; - en Grande Bretagne, les chiffres correspondants pour les mêmes mois sont 310 et 753 ; en Amérique 2 927 et 9 010 et ainsi de suite.

Nous n’avons pas assez de place pour donner les chiffres extraordinaires de la croissance du chômage, qui est une conséquence inévitable des conditions existantes. Rappelons que ces données ont été à plusieurs reprises publiées dans notre presse. Nous ne pouvons pas non plus donner ici quelques uns des chiffres les plus intéressants sur les taux de change, les prix, etc. Mais nous pensons que les éléments cités sont suffisants pour nous permettre de soutenir que l’économie capitaliste n’est pas en train de sortir de l’impasse.

En attendant, ceci est la raison fondamentale qui garantit l’inévitabilité de la révolution prolétarienne. La crise du mouvement ouvrier n’est pas une conséquence du rafistolage des déchirures du capitalisme et de l’amélioration de l’économie capitaliste. C’est la réaction psychologique d’une armée battue dans les premiers combats désespérés. Par conséquent l’affaiblissement de l’énergie révolutionnaire du prolétariat ne peut pas durer très longtemps. « Les armées vaincues apprennent bien ». Et cet « apprentissage », quoique imperceptible pour le spectateur, conduira, avec l’approfondissement de la désintégration du capitalisme, à un résultat inévitable : la victoire de la révolution prolétarienne internationale.


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