Article paru dans « Kommunist » n°1-2, Genève, 1915. WH 25. Traduction par le Collectif Smolny d'une traduction en anglais publié par l'éditeur Pathfinder dans le recueil Lenin’s struggle for a revolutionary international.
|
|
A propos du slogan du droit des nations à l’autodétermination
L’époque impérialiste est une période d’absorption des petits États par les grands États et un continuel retracé de la carte politique du monde en vue d’une meilleure homogénéité étatique. Dans ce processus d’absorption, plusieurs nations sont incorporées dans le système étatique des nations victorieuses.
La politique étrangère capitaliste moderne est intimement liée à la suprématie du capital financier, qui ne peut abandonner la politique de l’impérialisme sans mettre en danger ses propres intérêts. En conséquence il serait hautement utopiste d’avancer des revendications anti-impérialistes dans le champ de la politique étrangère tout en restant dans le cadre des relations capitalistes.
La réponse à la politique impérialiste de la bourgeoisie doit être la révolution socialiste du prolétariat ; la Social-démocratie ne doit pas avancer de revendications minimales sur le terrain de la politique étrangère actuelle.
Il est donc impossible de lutter contre l’asservissement des nations autrement que par une lutte contre l’impérialisme. Ergo une lutte contre l’impérialisme ; ergo une lutte contre le capital financier ; ergo une lutte contre le capitalisme en général. Se détourner de cette voie de quelque façon que ce soit et avancer des tâches « partielles » de « libération des nations » dans les limites de la société capitaliste détourne les forces prolétariennes de la véritable solution du problème et les unit aux forces de la bourgeoisie des groupes nationaux correspondants.
Le slogan de l’« autodétermination des nations » est avant tout utopique puisqu’il ne peut être réalisé au sein des limites du capitalisme. Il est aussi nuisible car c’est un slogan qui sème des illusions. À cet égard, il ne se distingue pas des slogans de tribunaux d’arbitrage, de désarmement, et ainsi de suite, qui présupposent la possibilité d’un soit-disant capitalisme pacifique.
Nous ne devons pas nous laisser emporter par la dimension agitatrice de la question et oublier sa connexion à d’autres questions. Avancer le slogan de l’« autodétermination » afin de lutter contre le « chauvinisme des masses laborieuses » serait faire exactement le même genre d’erreur que Kautsky, quand il avance le slogan de « désarmement » pour lutter contre le militarisme. Dans les deux cas l’erreur réside dans un examen de la question sous un seul angle qui sous-estime la gravité spécifique d’un « fléau social » donné ; en d’autres termes il examine la question d’un point de vue entièrement rationnel et utopique et pas du point de vue de la dialectique révolutionnaire.
Les cas principaux d’application concrète du slogan du « droit des nations à l’autodétermination » au travers de l’indépendance ou de la sécession sont en premier lieu, l’annexion d’un territoire « étranger » suite à une guerre impérialiste et, en second lieu, la désintégration d’une unité étatique déjà formée.
Dans le premier cas le slogan d’« autodétermination » est seulement une formulation différente du slogan de « défense de la patrie » car à moins qu’un appel ne soit lancé pour la défense physique des frontières d’État correspondantes, le « slogan » reste une phrase vide. Dans le second cas nous avons essentiellement les mêmes conséquences néfastes qu’avec le slogan de « défense de la patrie ». L’attention des masses prolétariennes est déplacée sur un autre plan ; le caractère international de leur action disparaît ; les forces du prolétariat sont divisées ; la ligne tactique toute entière se déplace en direction de la lutte nationale et non de classe. De plus, le slogan inclut aussi implicitement dans ce cas celui de « défense » pour après la réalisation de la sécession, et le slogan de « droit à l’autodétermination » présuppose bien entendu une telle possibilité : n’est-il pas nécessaire de « défendre » l’indépendance ? Sinon, compte-tenu des perpétuels dangers de l’époque impérialiste, pourquoi tout simplement la « demander » ?
Lutter contre le chauvinisme des masses laborieuses d’une nation qui est une grande puissance en reconnaissant le « droit des nations à l’autodétermination » revient à lutter contre le chauvinisme en reconnaissant le droit des « patries » opprimées à se défendre.
Le détournement de l’attention du prolétariat en faveur de la solution de problèmes « nationaux » devient extraordinairement préjudiciable, particulièrement maintenant que la question de la mobilisation des forces du prolétariat à l’échelle mondiale dans la lutte internationale pour renverser le capitalisme a été posée pour l’action.
La tâche de la Social-démocratie en ce moment présent est la propagande pour une attitude d’indifférence à la « patrie », à la « nation », etc. Ceci ne présuppose en aucun cas une formulation « étatique » de la question (protestations contre le « démembrement »), mais au contraire, pose cette question dans un sens révolutionnaire distinctement marqué, en prenant en considération le pouvoir d’État et le système capitaliste global.
Par conséquent, il s’en suit qu’en aucun cas et dans aucune circonstance nous ne devons soutenir le gouvernement d’une grande puissance qui réprime l’insurrection ou la rébellion d’une nation opprimée. Dans le même temps, nous ne mobilisons pas les forces prolétariennes sous le slogan du « droit des nations à l’autodétermination ». Notre tâche dans ce cas est de mobiliser les forces du prolétariat des deux nations (conjointement aux autres) sous le slogan de guerre civile de classe et faire de la propagande contre la mobilisation des forces sous le slogan du « droit des nations à l’autodétermination ».
Dans le cas de pays non-capitalistes ou de pays avec un capitalisme embryonnaire (par exemple les colonies), nous pouvons soutenir le soulèvement des masses populaires comme quelque chose qui affaiblit les classes dirigeantes du continent européen et qui ne divise pas les forces prolétariennes.
Il en est ainsi car dans ce cas : (a) il n’est pas question de socialisme ; et (b) les forces mobilisées là-bas ne sont pas celles du prolétariat international mais les forces nationales de la bourgeoisie, qui aident objectivement le prolétariat du continent européen.
De plus, le slogan du « droit des nations à l’autodétermination » ne peut répondre concrètement à la question concernant une nation donnée.
Une identité fondamentale (« aide à l’impérialisme ») ne découle pas d’une similarité formelle entre la position développée dans ces thèses et la position de Cunow et Cie. Fonder une objection sur l’« aide », dans ce cas, signifie descendre la route pavée par Kautsky.
P.S. : Incidemment, est-il possible que toutes les extrême-gauches qui ont une théorie correctement élaborée soient toutes des « traîtres » ?