1965 |
Naples, le 28 août 1965 |
Naples, le 28 août 1965
Cher Roger,
Ta lettre du 23 m'oblige à t'adresser une réponse privée sans la présence des ragazzi qui viendront demain, et je me réfère aussi à celle du 14 qui a reçu une réponse style n'appuyons pas. Sans faire des copies sauf l'annexe qui peut être reservé à Oscar, je touche certains points delicats.
Il me semble que dans la lecture de la lettre transcrite de Bruno tu t'es trompé. Il ne fait pas de confusion entre la circulaire 1850 (sur la révolution permanente en Allemagne) et l'adresse 1870 parce qu'elle ne se rapporte du tout à la Commune. Il dit tout simplement, en passant et sans faire de théorie, à Elio de s'occuper, avant tout le reste, de la situation allemande 1850 (où il n'y avait pas l'interférence de guerre entre états, mais plan de double guerre civile; c'est moi qui formule, et Bruno ne pense pas à 1870) et il ne donne aucune instruction sur la manière d'exposer la Commune et la guerre franco-allemande.
Par défaut de matière, il n'y a pas lieu à faire une critique de la distinction entre une utilisation historique, où de bataille : après tout c'est exactement le plan 1850 qui, pour nous seulement (France, Italie), à un pur intérêt historique, bien que comme règle pratique il était le cas de l'invoquer pour la révolution russe 1917, et peut de même l'être pour les guerres des peuples arriérés d'aujourd'hui. En somme, je ne justifie pas ton alerte, et je te prie de considérer rassurante ma promesse de régler moi-même de tels points, y compris Babeuf.
Je vois les trois questions, qui appartiennent à l'histoire comme à la dynamique de classe du prolétariat (où l'alternative ?) comme toi : je dois ajouter que ce n'est qu'après Lénine que nous avons vu clairement dans la position formidable de Marx au cours du déroulement des faits. Avant les socialpatriotes nous avaient embêtés pas mal avec l'histoire de Marx qui dit : la guerre de la Prusse est une guerre de défense. Il nous fallait de mettre hors la loi toute guerre de défense nationale (en août 1870). Mais Marx, qui haïssait Boustrapa et Bismarck de même force, pose la question que l'Allemagne est en retard avec une lutte propre d'indépendance bourgeoise révolutionnaire, ce qui forme une entrave à la révolution sociale européenne, parallèle à la ménace russe. Lénine explique que Marx avait vu et senti (en mars 1871) l'histoire sauter, et dit ce qui ne pouvait être dit une heure avant : la coalition de toutes les armées des états contre le prolétariat, ce à quoi la seule réponse sera le défaitisme de chaque patrie nationale.
Ni Bruno ni Elio n'auront l'affreuse responsabilité de déranger une telle construction, tout donc marche bien. Nous suivrons tout de près.
Maintenant tes tendances à trop de pessimisme demandent que je souligne certains points que j'eus à formuler après Naples.
1. Thèse exposée oralement sur le critère typique de l'opportunisme de préférer la voie courte et rapide à la voie difficile et épineuse : tu eus le mérite de déclarer sur-le-champ d'avoir compris et de t'engager sur ce point qui ne te visait pas.
2. Autre méthode exquise de l'opportunisme : admirer les thèses (quel orateur, quel écrivain !) et en même temps s'atteler à les violer. Ça visait les maniaques de l'exécution sommaire.
3. Encore une ligne déplorable : imposer les confessions, les abjurations, la reconnaissance de ses fautes... Dans l'admirable protocole de 1926 on a enregistré un passage dont je te fais cadeau pour te faire rire :
– Semard. Tu dis que les fractions ont leur cause dans les erreurs de la direction des partis. Mais la fraction de droite en France s'est formée justement au moment où la Centrale reconnaissait et corrigeait ses erreurs.
– Bordiga. Camarade Semard, si tu veux te présenter au bon dieu avec le seul mérite d'avoir reconnu tes erreurs, tu auras fait trop peu pour le salut de ton âme !
4. C'est à présent que tu me fais songer à ce point (un supplément aux thèses n'est pas en cours de rédaction). Le bon marxiste ne doit pas du tout être atteint de "mania di persecuzione" (obsession persécutive). Dans ta lettre du 14 tu répètes trop doléances. Le verbe interdire est pour toi un vrai spectre. Comment avoir un parti sans interdire quelque chose de temps à autres ? Les thèses ont reçu la dernière... vernis après des telles énormes bêtises que peut être sur la philosophie du vital centralisme j'ai peu dit. Pour toi il suffit d'un clin d'oeil. Il n'est pas grand mal si au centre quelqu'un a bu avant d'écrire les instructions. Le vrai mal est si chacun de la périphérie même sans boire se trace des instructions à son goût. Alors c'est l'anarchie. Sur cela la plus grande netteté ! La ressource vitale et que la même instruction arrive partout. C'est bien simple.
Quelques notes à peine. Chapitre VI. Tes craintes n'étaient pas fondées et on travaillera comme tu dis. Formes qui précèdent. Le texte a été donné en italien, il ne faut pas y revenir. Le donner en français est une bonne idée, mais en ce moment-ci nous en avons un grand nombre, et tu connais la liste. On pourra y revenir, c'est là réellement un texte qui manquait au parti. Les ordres et "contre-ordres" ont pu constituer une vraie salade, possible. Mais soyons calmes et tâchons de faire de mieux. Pas d'obsessions, comme pas d'ostracismes.
À rassembler et traduire la question militaire il faut même songer. On le fera sagement. Je prie le bon dieu de Semard qu'il ne me soit pas suggéré davantage de points pathologiques !!!
Cordialement.