1960 |
Source : «Il Programma Comunista» n. 3 de 1960. Traduction MIA. |
Il semble qu’une question se profile à l’horizon, à laquelle le marxisme classique fournit immédiatement des réponses incontestées, encadrées dans la théorie de la race et de la nation. Il suffit pour l'instant de rappeler quelques repères, et surtout pour les jeunes à qui cela suggère quelque chose de nouveau, et pour cette Italie où l'on n'a jamais parlé de guerre raciale contre les juifs, même pas - sinon pour des raisons... officielles - sous le fascisme.
Marx était juif, qui ne le sait ? Mais les Juifs s'empresseront de le classer parmi les renégats de la race, alors qu'ils ont la coquetterie de s'attribuer tous les grands génies de l'humanité : Moïse, Christ, Paul, Marx, Einstein.
Mais Marx a mis fin à la vogue des doctrines sur le peuple élu de Dieu, sur les hommes envoyés par Dieu. Marx a introduit la clé des intérêts économiques et des classes sociales, et dans le nouveau cadre de l'histoire, la fonction des races et des nationalités n'a pas disparu, mais a été transportée dans une lumière polarisée. Le jeune Marx se trouvait au milieu d'une démocratie bourgeoise pas encore complètement détruite, qui, s'opposant à l'Église chrétienne en tant que fantôme contre-révolutionnaire, avec la jeunesse juive anticléricale, maçonnique et athée. Mais dans sa brillante "Judenfrage" [la question juive] , le Juif dans la société moderne perd l'apparence suggestive du révolutionnaire et se réfracte en bourgeois, l'ennemi de notre nouvelle révolution.
Les sympathies des Juifs ne s'arrêtèrent pas là et beaucoup d'entre eux suivirent leur maître et furent de vaillants compagnons de route du communisme prolétarien. La haine de l'Église et des chrétiens à leur encontre ne prit pas fin, et même, à la fin du siècle, la question de l'antisémitisme, toujours brûlante dans toute l'Europe centrale et orientale sous la malédiction tsariste - bête noire du marxisme - a explosé en France dans la célèbre Affaire Dreyfus, un officier innocent condamné comme espion par la folie cléricale et chauvine.
Les massacres de la contre-révolution russe étaient en grande partie des massacres de combattants juifs héroïques, dont le centre de gravité était l’épique ghetto de Varsovie. Durant la Première Guerre mondiale, la question des relations entre les juifs et le socialisme est apparue sur le devant de la scène. Pourquoi, disions-nous, nous socialistes latins, mais surtout internationalistes et étrangers à la notion de race, faudrait-il qu'il y ait un "Bund", un parti prolétarien juif ?
Bientôt, les marxistes juifs se rallièrent tous aux bolcheviks. Nous nous contenterons de fournir les noms de Trotsky, Zinoviev, Kamenev et Radek à côté de bien d’autres, et en dehors de la Russie, le nom de Liebknecht suffit. Dans tous les partis, il y avait des camarades juifs courageux et en première ligne. Et en Italie ? S'il y en avait, on ne le savait pas, au grand étonnement des camarades étrangers. La distinction n'était pas perçue, et ce n'est que dans la papesse Rome qu'un certain imbécile a su qui étaient les « élus ». Uniquement soucieux de sa notoriété, nous n'irons pas jusqu'à citer le camarade Terracini. D'ailleurs, il ne devait pas se soucier d'être d'origine catholique ou israélite, tout comme nous tous s'en moquaient : aujourd'hui, je ne sais pas, peut-être qu'il ne se soucie même plus d'être surnommé camarade.
Tout bon camarade juif traitait la question comme... un non-juif. Lors d'un rassemblement de camarades juifs à Berlin, Karl Radek a pris la parole uniquement en tant que marxiste. C’était si radical qu’un Juif présent dans le public en fut indigné. Il n'était pas facile de ne pas prendre Radek pour un Israélite, son visage brillant d'ingéniosité aurait pu être prêté au Shylok de Shakespeare. Mais il lui a crié : tu n'es pas juif ! Radek arbora son sourire et eut un geste qu'on ne peut pas dire. Ah oui? Passez tout de suite dans le couloir, et je vous montrerai que je suis juif !
Ce n’est pas la critique de la théorie historique du peuple élu que nous souhaitons esquisser maintenant. Dans la série de leurs épreuves, les Juifs ont payé le prix d'avoir fait de cette théorie leur étendard. Si avec les catholiques ils sont équivalents en termes de déisme, ils ont perdu le match historique avec le cosmopolitisme catholique romain. Même lors de la récente vague d’hitlérisme, la grandeur de Rome s’est manifestée dans la non-discrimination de ses ennemis millénaires de Sion.
Le nazisme s’est drapé dans le rôle du peuple élu, un rôle idiot et néfaste. En Italie, il y avait la Rome païenne et non chrétienne à exploiter. Mais en Allemagne, on recourut à l’idole incolore de la race aryenne. Qui est aryen ? Ça peut être un Celte ou un Indien, comme vous voulez. La définition devait être négative et était tristement célèbre : est aryen quelqu'un qui n'est pas juif. La chose se réduisait, dans des persécutions bestiales, à passer dans le couloir de Radek.
Reste-t-il quelque chose de cette doctrine raciale aryenne ? Peut-on la repeindre d'une manière ou d'une autre ? Quel substrat social représente-t-elle ?
Le marxisme n’a aucune difficulté à liquider ce problème avec ses armes intactes et brillantes après un siècle de grande histoire. Les Juifs ont résolu leur question historique, après l’écrasement d’Hitler, en obtenant une terre et un État. Et derrière eux se trouve le système capitaliste et mercantile habituel.
Mais qu’y aurait-il de différent et de meilleur derrière le misérable antisémitisme d’aujourd’hui, en 1960 ? Peut-il y avoir un tissu conjonctif entre ces petits groupes à Bonn, à Londres, en Amérique ?
Pour l’instant, une seule comparaison suffira. Rome protégeait particulièrement les juifs parmi tous les autres antifascistes, plus ou moins réfractaires au couvent.
Moscou a-t-il fait, fait ou fera quelque chose pour eux ? Vérifions sur pièces ! Nous ne rappelerons pas qui a tué les grands bolcheviks cités ci-dessus. Mais il reste qu’il ne faut pas oublier les noms de trois villes et trois années correspondantes. Varsovie 1945, Berlin 1953, Budapest 1956. Dans tous ces épisodes tragiques de l’histoire d’après-guerre, il y avait des Juifs contre les Moscovites. La même origine raciale ne coïncide pas toujours avec la même position de classe. Mais particulièrement, en 1945, devant Varsovie, les Russes attendirent le temps nécessaire pour que les dernières forces hitlériennes noient le ghetto dans le sang. Moscou savait que cela lui bénéficierait énormément. Varsovie n'était pas, à ce moment-là, juive ou non juive, elle n'était pas moins contre Moscou que contre Berlin ; elle est tombée dans les filets de la révolution prolétarienne sans race et sans drapeau ! Elle est tombée amoureuse d’une autre Commune glorieuse. Allons-nous assister, dans la honte de cette époque de proxénétisme, à une campagne des serviteurs de Moscou pour conjurer le monstre de l’antisémitisme ? C’est tout à fait prévisible et plausible.
Les Juifs sont victimes d’une illusion millénaire, mais ils ont l’intelligence de l’histoire dans le sang. Interrogés sur les souvenirs atroces de l'extermination nazie et les mesures à prendre contre la renaissance du monstre, ils refuseront un salut qui pourrait leur venir du Kremlin, où, dans la voie du nazisme, est nourri le mythe d’un autre peuple élu et où la mission du peuple russe est recherchée dans la tradition nationale de Pierre le Grand.