1924 |
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BORDIGA (Italie). — Je trouve quà ce Congrès, une discussion générale sur la tactique était nécessaire. Autre chose est de discuter sur la ligne tactique de lInternationale en général, autre chose de discuter seulement sur la tactique appliquée depuis le dernier Congrès.
Autre observation. En réalité on ne fait pas ici le procès du Comité Exécutif, mais le Comité Exécutif fait le procès des Partis. (Applaudissements et rires.) Chaque orateur répond seulement à ce que Zinoviev a dit de son Parti et reste dans les limites bornées de ses affaires nationales.
Zinoviev nous a donné un aperçu de la situation mondiale sur laquelle, dune manière générale, on est daccord. Momentanément, le monde semble sorienter en effet vers une politique bourgeoise de gauche, mais je ne trouve pas que loffensive du capital ait cessé ou soit ralentie. Le capital peut user de moyens très différents. Il a un moyen de droite, la réaction ouverte, létat de siège, la terreur. Il a des méthodes de gauche, le mensonge démocratique, lillusion de la collaboration de classe. Mais ces deux méthodes visent au même but.
Nous devons nous attendre à ce que toutes deux fusionnent.
Quelle conséquence tirer de là ? Luvre des Partis Communistes — et là nous sommes complètement daccord —, ne consiste pas seulement à faire la propagande de notre programme maximum, de notre idéologie marxiste, mais à étudier, à suivre tous les épisodes particuliers de la vie ouvrière, à participer à des conflits, à profiter de ces conflits pour apprendre au prolétariat à lutter et pour le conduire vers la révolution.
Front unique par en bas et par en haut ; voilà une assez bonne formule ; union de la classe ouvrière tout entière, et non coalition des états-majors. Si nous ne voulons pas compromettre tout notre travail de préparation révolutionnaire, nous ne devons pas même laisser supposer quil y a un autre parti révolutionmiaire en dehors du Parti Communiste, ou que les partis social-démocrates et les Partis Communistes soient des fractions parallèles séparées par hasard, mais qui peuvent marcher et lutter ensemble.
Cependant Zinoviev nexclut pas complètement le front unique par en haut.
Dans quel sens peut-on accepter cela ? À mon point de vue, le front unique ne doit jamais être un bloc de partis politiques. Sa base peut être trouvée dans dautres organisations de la classe ouvrière, susceptibles dêtre conquises par une direction communiste, dêtre rendues révolutionnaires.
Aujourdhui la situation nous déconseille la tactique de coalition avec les social-démocrates. Mais rien ne nous garantit que demain on ne voudra pas recommencer lexpérience. Nous différons de Zinoviev en ce que nous croyons quune tactique dalliance avec les partis opportunistes nest jamais utile, ni quand la situation est révolutionnaire et quil est évident que le Parti Communiste peut jouer un rôle autonome, ni quand elle est défavorable et que lheure de laction finale semble éloignée.
On nous dit que le IVe Congrès a commis certaines erreurs que lon rectifie. Nous prenons acte de cette rectification, certainement avec plaisir (Rires), mais nous voyons aussi que ces erreurs ont été des erreurs de la direction de lInternationale et, il faut le dire, du IVe Congrès tout entier.
La tactique du front unique, dans son sens révolutionnaire, doit être maintenue, on ne peut pas y renoncer. Mais nous demandons des textes qui liquident nettement la tactique du gouvernement ouvrier.
Dire que le gouvernement ouvrier est le pseudonyme de la dictature du prolétariat ne nous semble pas heureux. On nous affirme : si nous disons « dictature du prolétariat », les masses ne comprennent pas, si nous disons « gouvernement ouvrier », elles comprendront et nous gagnerons des adhésions parmi les éléments que nous navons pas encore pu atteindre par notre propagande théorique.
On réduit à cela le rôle de cette formule. Or, je conteste même cela. Les mots « dictature du prolétariat » ont suscité de tels événements, ont tellement intéressé les masses que mème hors de la Russie soviétiste on sait très bien ce que cest que la dictature du prolétariat et on la demande par instinct, en dépit des chefs social-démocrates.
Mais que peut comprendre au « gouvernement ouvrier » un simple travailleur, un simple paysan, quand, depuis trois ans, nous, les chefs du mouvement ouvrier, nous ne sommes pas arrivés à en donner une définition satisfaisante ? (applaudissements).
Je demande un enterrement de troisième classe et pour la tactique et pour le mot du « Gouvernement Ouvrier ».
On nous dit : lInternationale va à gauche, et vous nêtes pas encore contents !
Admettons que lInternationale aille à gauche. Mais si je me reporte au discours que jai prononcé au IVe Congrès, je vois que ce que nous avons critiqué, cest précisément cette oscillation tantôt à droite, tantôt à gauche, selon quon croit interpréter le développement des événements. Une oscillation à gauche en provoque une plus forte à droite.
Ce nest pas la déviation à gauche, dans la conjoncture présente, que nous demandons, cest la rectification générale de lInternationale.
Avant de continuer, je dois corriger une opinion que Zinoviev ma prêtée. Jaurais dit : ou le Congrès acceptera mes idées, cest-à-dire celles de la gauche italienne, ou bien nous organiserons dans lInternationale une fraction de gauche. Je nai pas dit cela. Jai dit que dans le cas où se vérifierait une déviation vers un révisionnisme de droite, il faudrait répondre par la constitution dune fraction de gauche. Cest une chose tout à fait différente et je prie Zinoviev den prendre acte. Ainsi le fameux dilemme tombe. Il était même ridicule de le poser. Il était davance résolu contre le pauvre individu que je suis, en faveur de lInternationale.
Nous voulons une vraie centralisation, une vraie discipline. Pour cela, il faut de la clarté dans la direction tactique et de la continuité dans la position de nos organisations vis-à-vis des autres partis.
Cest pourquoi, je le dis à nouveau, nous sommes contre la fusion avec dautres partis, contre le noyautage et aussi contre linstitution de partis sympathisants qui se trouveraient dans la situation très commode de profiter du drapeau de lInternationale, de nêtre engagés à rien, et de pouvoir préparer, sous notre « contrôle », la trahison du prolétariat.
On nous dit : « Vous navez pas confiance dans lInternationale. Votre langage signifie que vous nêtes pas sûrs que lInternationale restera toujours révolutionnaire. Lexistence à sa tête du Parti bolchévik est cependant une suffisante garantie que lInternationale nira pas à droite. »
Limportance de la contribution que le bolchévisme a donnée au mouvement daffranchissement du prolétariat mondial consiste justement dans la situation tout à fait spéciale dans laquelle le Parti russe se trouvait. Il ne se trouvait pas en présence dun capitalisme développé et dun prolétariat nombreux. Il a puisé sa théorie révolutionnaire là où existait le grand capitalisme et il la appliquée dune manière grandiose, là où elle avait des probabilités déchouer.
Si le Parti bolchévik a pu réaliser cette synthèse du développement particulier de la Russie avec lexpérience révolutionnaire mondiale, cest parce que ses chefs ont été forcés démigrer et de vivre au milieu du capitalisme occidental. Lénine est mondial et pas seulement russe. Il nous appartient à tous.
Dans la situation présente, lInternationale doit rendre au Parti russe une partie des nombreux services quelle en a reçus.
Le grand danger dun révisionnisme de droite menace le Parti russe, les autres partis doivent le soutenir, lappuyer. Cest dans lInternationale quil doit trouver le surplus de forces dont il a besoin pour traverser cette situation, vraiment difficile. La véritable garantie repose sur le problème revolutionnaire du monde entier.
Les masses dOccident sont plus révolutionnaires quon ne le croit. Naturellement, pour réaliser les conditions qui permettent le développement triomphal de la révolution dans les autres pays, il doit se produire certaines circonstances, et il faut que, de notre côté, nous soyons à la hauteur de la situation.
Une situation favorable politiquement peut déjà se constater dans le prolétariat dOccident. Nous avons vu des élections au Parlement dans trois grands pays. Nous avons essayé partout de faire ces élections en coalition avec dautres partis. Mais partout nous avons dû les faire seuls, sous le drapeau communiste. Devant les groupements bourgeois de droite et de gauche, nous avons affiché notre programme communiste intégral et appelé le prolétariat à y répondre. Presque en même temps dans trois grands pays un nombre considérable douvriers sest montré prêt à suivre le Parti Communiste. Cela a une importance dix fois plus grande que si, dans un pays, nous avions suivi la tactique de la collaboration, dans un autre, celle de la coalition, dans un autre, la tactique autonome.
Nous avons confiance dans lInternationale, parce que lInternationale, cest le prolétariat du monde entier luttant pour son affranchissement de lexploitation capitaliste ; parce que lInternationale, cest la révolution russe, cest la victoire russe, cest la tradition merveilleuse du mouvement de libération du prolétariat russe, cest la tradition révolutionnaire de tous les autres pays.