1922
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Source : du point 1 à 47 "Rassegna Comunista", 30 janvier 1922 à partir du point 48 "Bilan", novembre - décembre 1935 |
Thèses de Rome
Amadeo Bordiga - Umberto Terracini
Thèses sur la tactique du Parti communiste d'Italie
Janvier 1922
Préambule
Les présentes thèses ont pour objet le problème général des
critères auxquels le Parti communiste doit obéir dans son action
pour réaliser son programme et atteindre son but, de la méthode
qu'il doit suivre pour déterminer les initiatives à prendre
et la direction à donner à ses mouvements.
Dans les différentes sphères de l'action du Parti
(question parlementaire, syndicale, agraire, militaire, nationale
et coloniale, etc.), ce problème revêt des aspects particuliers,
qui ne seront pas traités ici séparément car ils font l'objet
d'autres discussions et résolutions des congrès
internationaux et nationaux.
Les présentes thèses partent du programme que le Parti
communiste d'Italie a adopté à Livourne et qui est
l'expression et le fruit de la doctrine et de la méthode
propres à l'Internationale Communiste et au Parti. Ce
programme déclare:
Le Parti communiste d'Italie (Section de
l'Internationale Communiste) est constitué sur la base des
principes suivants:
- Une contradiction toujours croissante
entre les forces productives et les rapports de production va se
développant dans la société capitaliste actuelle, entraînant
l'antagonisme d'intérêts et la lutte de classe entre le
prolétariat et la bourgeoisie dominante.
- Les rapports de production actuels sont
protégés et défendus par le pouvoir de l'État bourgeois qui,
fondé sur le système représentatif de la démocratie, constitue
l'organe de défense des intérêts de la classe
capitaliste.
- Le prolétariat ne peut ni briser ni
modifier le système des rapports Capitalistes de production dont
son exploitation dérive sans abattre le pouvoir bourgeois par la
violence.
- L'organe indispensable de la lutte
révolutionnaire du prolétariat est le parti politique de
classe.
Le Parti communiste, groupant dans ses rangs la partie la plus
avancée et la plus consciente du prolétariat, unifie les efforts
des masses travailleuses en les amenant de la lutte pour des
intérêts de groupes et pour des résultats contingents à la lutte
pour l'émancipation révolutionnaire du prolétariat.
Le Parti a pour rôle de répandre dans les masses la conscience
révolutionnaire, d'organiser les moyens matériels
d'action et de diriger le prolétariat dans le développement
de la lutte.
- La guerre mondiale a été causée par les
contradictions internes incurables du régime capitaliste qui ont
engendré l'impérialisme moderne. Elle a ouvert une crise dans
laquelle la société capitaliste va se désagrégeant et où la lutte
de classe ne peut aboutir qu'à un conflit armé entre les
masses travailleuses et le pouvoir des différents États
bourgeois.
- Après le renversement du pouvoir
bourgeois, le prolétariat ne peut s'organiser en classe
dominante qu'en détruisant le vieil appareil État et en
instaurant sa propre dictature, c'est-à-dire en fondant les
organismes représentatifs de État sur la seule classe productive
et en privant la bourgeoisie de tout droit politique.
- La forme de représentation politique dans
État prolétarien est le système des conseils de travailleurs
(ouvriers et paysans) déjà en vigueur dans la Révolution russe,
commencement de la Révolution prolétarienne mondiale et première
réalisation stable d'une dictature du prolétariat.
- La défense nécessaire de État prolétarien
contre toutes les tentatives contre-révolutionnaires ne peut être
assurée qu'en enlevant à la bourgeoisie et aux partis ennemis
de la dictature prolétarienne tout moyen d'agitation et de
propagande politique et en dotant le prolétariat d'une
organisation armée pour repousser toute attaque intérieure ou
extérieure.
- Seul État prolétarien pourra intervenir
systématiquement dans les rapports de l'économie sociale en
réalisant toutes les mesures successives qui assureront le
remplacement du système capitaliste par la gestion collective de
la production et de la distribution.
- Cette transformation de l'économie et
par conséquent de toutes les activités de la vie sociale aura
pour effet, une fois éliminée la division de la société en
classes, d'éliminer aussi peu à peu la nécessité de État
politique, dont l'appareil se réduira progressivement à celui
de l'administration rationnelle des activités humaines.
1. Nature organique du parti communiste
- Parti politique de la classe
prolétarienne, le Parti communiste se présente dans l'action
comme une collectivité opérant selon une orientation unitaire.
Les mobiles initiaux qui poussent les éléments et les groupes de
cette collectivité à s'organiser pour une action unitaire
sont les intérêts immédiats que la situation économique suscite
dans les différents groupes de la classe ouvrière. Le rôle du
Parti communiste se caractérise essentiellement par
l'utilisation des énergies ainsi encadrées en vue
d'atteindre des objectifs qui, pour être communs à toute la
classe travailleuse et situés au terme de toutes ses luttes
successives, dépassent, en les intégrant, les intérêts des
groupes particuliers et les revendications immédiates et
contingentes que la classe ouvrière peut poser.
- L'intégration de toutes les poussées
élémentaires dans une action unitaire se manifeste à travers deux
facteurs principaux: l'un est la conscience critique dont le
Parti tire son programme; l'autre est la volonté qui
s'exprime dans l'organisation disciplinée et centralisée
du Parti, instrument de son action. Il serait faux de croire que
cette conscience et cette volonté peuvent être obtenues et
doivent être exigées de simples individus, car seule
l'intégration des activités de nombreux individus dans un
organisme collectif unitaire peuvent permettre de les
réaliser.
- Les déclarations programmatiques des
Partis et de l'Internationale communiste contiennent une
définition précise de la conscience théorico-critique du
mouvement. A cette conscience, comme à cette organisation
nationale et internationale, on est parvenu et on parvient par
une étude de l'histoire de la société humaine et de sa
structure à l'époque capitaliste actuelle conduite sur la
base des données et des expériences de la lutte prolétarienne
réelle et dans une participation active à celle-ci.
- La proclamation de ce programme et la
désignation des hommes aux différentes fonctions de
l'organisation résulte en apparence d'une consultation
démocratique des délégués du parti. En réalité, elles sont le
produit du processus réel qui, accumulant les éléments
d'expérience, préparant et sélectionnant les dirigeants,
permet au programme de prendre forme et à la structure du Parti
de se hiérarchiser.
2. Processus de développement du parti communiste
- Le Parti prolétarien s'organise et se
développe dans la mesure où la maturité et l'évolution de la
société permet à une conscience des intérêts généraux et suprêmes
de la classe ouvrière d'apparaître et à une action collective
et unitaire de se développer dans ce sens.
D'autre part, le prolétariat n'apparaît et n'agit
comme classe dans l'histoire que lorsque se dessine en lui la
tendance à se donner un programme et une méthode commune
d'action, c'est-à-dire à s'organiser en parti.
- Le processus de formation et de
développement du parti prolétarien ne présente pas un aspect
continu et régulier, mais peut passer, sur le plan national et
international, par des phases très complexes et des périodes de
crise générale.
Bien souvent, les Partis prolétariens ont subi une
dégénérescence qui a privé leur action de son unité et de sa
conformité aux buts révolutionnaires suprêmes, ou du moins a
atténué ces caractères indispensables de leur activité au lieu de
les accentuer. Celle-ci s'est alors fragmentée dans la
poursuite d'avantages limités à tel ou tel groupe ouvrier ou
de résultats contingents (réformes), adoptant dés méthodes qui
compromettaient le travail révolutionnaire et la préparation du
prolétariat à la réalisation de ses finalités de classe. Par
cette voie, les Partis prolétariens en sont souvent arrivés à
ouvrir leurs rangs à des couches et des éléments qui ne pouvaient
pas encore se placer sur le terrain de l'action collective
unitaire pour les buts suprêmes. Cela s'est toujours
accompagné d'une révision et d'une déformation de la
doctrine et du programme, et d'un relâchement de la
discipline intérieure: ainsi, au lieu de donner au mouvement
prolétarien un état-major de chefs aptes et décidés à la lutte,
on l'a livré aux mains d'agents larvés de la
bourgeoisie.
- Sous l'influence de situations nouvelles, sous la
pression des événements provoquant la classe ouvrière à
l'action, il est possible de sortir d'une pareille
situation et de retourner au véritable Parti de classe. Ce retour
s'effectue sous forme d'une scission de la partie de
l'organisation qui, en défendant le programme, en critiquant
les expériences défavorables de la lutte et en formant une école
et une fraction organisée au sein du vieux parti, a rétabli cette
continuité indispensable à la vie d'un organisme unitaire qui
se fonde sur la possession d'une conscience et d'une
discipline. C'est de cette conscience et de cette discipline
que naît le nouveau Parti. Tel est généralement le processus qui
a conduit des Partis faillis de la II° Internationale à la
naissance de l'Internationale Communiste.
- Le développement du Parti communiste après
le dénouement d'une telle crise peut être défini comme
“normal” pour la commodité de l'analyse, ce qui
n'exclut pas le retour de phases critiques dans des
situations nouvelles. C'est en offrant le maximum de
continuité dans la défense du programme et dans la vie de la
hiérarchie dirigeante (par-delà le remplacement individuel de
chefs infidèles ou usés) que le Parti assure également le maximum
de travail efficace et utile pour gagner le prolétariat à la
lutte révolutionnaire. Il ne s'agit pas seulement
d'édifier les masses, et moins encore d'exhiber un Parti
intrinsèquement pur et parfait, mais bel et bien d'obtenir le
meilleur rendement dans le processus réel. Comme on le verra
mieux plus loin, il s'agit, par un travail systématique de
propagande et de prosélytisme et surtout par une participation
active aux luttes sociales, d'obtenir qu'un nombre
toujours croissant de travailleurs passe du terrain des luttes
partielles pour des intérêts immédiats au terrain de la lutte
organique et unitaire pour la révolution communiste. Or c'est
uniquement lorsqu'une semblable continuité dé programme et de
direction existe dans le Parti qu'il lui est possible non
seulement de vaincre la méfiance et les réticences du prolétariat
à son égard, mais de canaliser et d'encadrer rapidement et
efficacement les nouvelles énergies conquises dans la pensée et
l'action communes, pour atteindre à cette unité de mouvement
qui est une condition indispensable de la révolution.
- Pour les mêmes raisons, on doit considérer
comme un processus tout à fait anormal l'agrégation au Parti
d'autres partis ou fractions détachées de Partie. Un groupe,
qui se distinguait jusqu'à un moment donné par une position
programmatique différente et par une organisation indépendante,
n'apporte pas au Parti communiste des éléments utilement
assimilables, mais altère la fermeté de sa position politique et
la solidité de sa structure: dans ce cas, l'accroissement des
effectifs, loin de correspondre à un accroissement des forces et
des capacités du Parti, pourrait bien paralyser son travail
d'encadrement des masses, au lieu de le faciliter.
Il est souhaitable que l'Internationale Communiste déclare
au plus tôt qu'elle n'admet pas la moindre dérogation à
deux principes fondamentaux d'organisation: il ne peut y
avoir dans chaque pays qu'un seul Parti Communiste, et on ne
peut adhérer à l'Internationale que par admission
individuelle au Parti Communiste du pays donné.
3. Rapport entre le parti communiste et la classe
prolétarienne
- La délimitation et la définition des
caractères du Parti de classe, qui fondent sa structure
constitutive d'organe de la partie la plus avancée de la
classe prolétarienne, n'empêchent pas, mais au contraire
exigent qu'il soit rattaché par des liens étroits au reste du
prolétariat.
- La nature de ces rapports se déduit de la
dialectique régissant la formation de la conscience de la classe
et de l'organisation unitaire du Parti. Cette formation se
traduit par le déplacement d'une avant-garde du prolétariat
du terrain des mouvements spontanés suscites par dés intérêts
partiels de groupe sur le terrain d'une action prolétarienne
générale. Mais, bien loin de le faire en niant ces mouvements
élémentaires, il assure leur unification et leur dépassement dans
l'expérience vivante, en poussant à leur réalisation, en y
prenant une part active, en les suivant avec attention dans tout
leur développement.
- L'œuvre de propagande
idéologique et de prosélytisme continuellement accomplie par le
Parti est donc inséparable de l'action réelle et du mouvement
prolétarien sous toutes ses formes. Ce serait une erreur banale
de juger que la participation à la lutte pour des résultats
contingents et limités entre en contradiction avec la préparation
à la lutte révolutionnaire finale et générale. La seule existence
de l'organisation unitaire du Parti, avec son indispensable
clarté de programme et sa non moins indispensable solidité et
discipline d'organisation, garantirait déjà par elle-même
que, loin d'attribuer jamais aux revendications partielles la
valeur d'une fin en soi, on considère la lutte pour les faire
triompher comme un moyen d'acquérir l'expérience et
l'entraînement indispensables à une réelle préparation
révolutionnaire.
- Le Parti communiste participe donc à
toutes les formes d'organisation économique prolétarienne
ouvertes à tous les travailleurs sans distinction de convictions
politiques (syndicats, conseils d'entreprise, coopératives,
etc.). Sa position fondamentale à l'égard des organismes de
cette nature est qu'ils doivent comprendre tous les
travailleurs se trouvant dans une situation économique donnée, et
c'est en la défendant constamment qu'il y développera le
plus utilement son action. Pour cela, le Parti organise ceux de
ses militants, qui sont membres de ces organisations, en groupes
ou cellules dépendant de lui. Au premier rang dans les actions
déclenchées par les associations économiques où ils militent,
ceux-ci attirent à eux et donc dans les rangs du Parti les
éléments qui, au cours de la lutte, auront suffisamment mûri pour
y entrer.
Ils tendent à entraîner derrière eux la majorité des
travailleurs de ces associations et à conquérir les charges
directrices, devenant ainsi le véhicule naturel des mots
d'ordre du Parti. Le travail qu'ils accomplissent ne se
limite pas à la propagande, au prosélytisme et aux campagnes
électorales au sein des _ assemblées prolétariennes: c'est un
travail de conquête et d'organisation qui se développe dans
le vif de la lutte et qui aide les travailleurs à tirer les plus
utiles expériences de leur action.
- Tout le travail et l'encadrement des
groupes communistes tend à donner au Parti le contrôle. définitif
des organes dirigeant “les associations économiques. Les
centrales syndicales nationales, en particulier, apparaissent
comme le plus sûr moyen de diriger les mouvements du prolétariat
non organisé vers le Parti. Celui-ci considère qu'il a le
plus grand intérêt à éviter la scission des syndicats et des
autres organisations économiques. C'est pourquoi il ne
saurait s'opposer à l'exécution des mouvements décidés
par leurs directions sous prétexte qu'elle est dans les mains
d'autres partis. Cela ne l'empêchera pas de faire la
critique la plus ouverte tant de l'action elle-même que de
l'œuvre des chefs.
- Non seulement le Parti communiste participe, comme il
vient d'être dit, à la vie des organisations prolétariennes
que les intérêts économiques réels engendrent naturellement; non
seulement il favorise leur extension et leur renforcement, mais
il s'efforce de mettre en évidence par sa propagande les
problèmes qui intéressent réellement les ouvriers et qui, dans le
développement de la situation, peuvent donner naissance à de
nouveaux organismes de lutte économique. Par tous ces moyens, le
Parti élargit et renforce l'influence qu'il exerce sur le
prolétariat par mille canaux, en mettant à profit toutes les
manifestations et possibilités de manifestations dans la vie
sociale.
- Ce serait une conception complètement
erronée du Parti que d'exiger de chacun de ses adhérents
considéré isolément une parfaite conscience critique et un total
esprit de sacrifice, et de limiter la sphère d'influence du
Parti à des unions révolutionnaires de travailleurs constituées
dans le domaine économique selon un critère scissionniste, et ne
comprenant que les prolétaires qui acceptent des méthodes
d'action données. D'autre part, on ne peut exiger
qu'à une date donnée ou à la veille d'entreprendre des
actions générales, le partie ait réalisé la condition
d'encadrer la majorité du prolétariat sous sa direction, ni à
plus forte raison dans ses propres rangs. Un tel postulat ne peut
être posé à priori sans tenir compte du déroulement dialectique
du processus de développement du Partie. Cela n'a aucun
sens,. même abstrait, de comparer le nombre des ouvriers encadrés
dans l'organisation disciplinée et unitaire du Parti ou
contrôlés par lui, et celui des ouvriers inorganisés et dispersés
ou affiliés à des organismes corporatifs incapables de les unir
organiquement. Les conditions auxquelles doivent répondre les
rapports entre le Parti et la classe pour que les actions données
soient possibles et efficaces, ainsi que les moyens de les
réaliser, vont être définis dans la suite de cet exposé.
4. Rapports du parti communiste avec les autres
mouvements politiques prolétariens
- La fraction du prolétariat qui est
organisée dans d'autres partis politiques ou qui sympathise
avec eux est particulièrement récalcitrante à un regroupement
dans les rangs et sous l'influence du Parti communiste. Tous
les partis bourgeois ont des adhérents prolétariens, mais ceux
qui nous intéressent ici sont surtout les partis
sociaux-démocrates et les courants syndicalistes et
anarchistes.
- Le Parti doit développer une critique
incessante du programme de ces mouvements et démontrer leur
insuffisances pour l'émancipation du prolétariat. Cette
polémique théorique sera d'autant plus efficace que le Parti
pourra mieux démontrer que l'expérience confirme les
critiques programmatiques anciennement formulées par lui contre
ces mouvements. C'est pourquoi, dans les polémiques de cette
nature, on ne doit jamais masquer les divergences de méthode, non
seulement au sujet des problèmes du moment, mais au sujet des
développements ultérieurs de l'action du prolétariat.
- Par ailleurs, ces polémiques doivent se
refléter dans le domaine de l'action. Participant aux luttes
des organisations économiques prolétariennes même quand elles
sont dirigées par les socialistes, les syndicalistes ou les
anarchistes, les communistes ne se refuseront pas à en suivre
l'action, à moins que la masse entière se rebelle
spontanément contre elle. Ils n'en démontreront pas. moins
que la méthode erronée de ces chefs condamne cette action à
l'impuissance ou à l'utopisme, à un point donné de son
développement, alors que la méthode communiste aurait conduit à
de meilleurs résultats, aux fins du mouvement révolutionnaire
général. Dans la polémique, les communistes distingueront
toujours entre les chefs et les masses, laissant aux premiers la
responsabilité des erreurs et des fautes. Ils ne manqueront pas
de dénoncer tout aussi vigoureusement l'œuvre des
dirigeants qui, malgré un sincère sentiment révolutionnaire,
préconisent une tactique dangereuse et erronée.
- Le Parti communiste a pour objectif
essentiel de gagner du terrain au sein du prolétariat,
accroissant ses effectifs et son influence aux dépens des
courants et partis politiques prolétariens dissidents. A
condition qu'on ne compromette jamais la physionomie
programmatique et organisationnelle du Parti, cet objectif sera
atteint par une participation à la lutte prolétarienne réelle,
sur un terrain qui peut être simultanément d'action commune
et d'opposition réciproque avec ceux-ci.
- Pour attirer à lui les prolétaires
adhérant à d'autres mouvements politiques, le Parti
communiste ne peut appliquer la méthode consistant à organiser en
leur sein des fractions communistes ou de sympathisants
communistes. Il est normal d'employer cette méthode pour
pénétrer dans les syndicats d'où l'on ne cherche pas à
faire sortir des groupes communistes organisés; mais appliquée à
des mouvements politiques, elle compromettrait l'unité
organique du Parti, pour les raisons dites plus haut à propos du
développement de son organisation.
- Dans la propagande et la polémique, il ne
faudra pas oublier que de nombreux travailleurs déjà mûrs pour la
conception unitaire et révolutionnaire de la lutte ne se sont
fourvoyés dans les rangs syndicalistes et anarchistes qu'en
réaction à la dégénérescence des vieux partis sociaux-démocrates.
La vigueur de la polémique et de la lutte communistes contre ces
derniers sera un facteur de premier ordre pour ramener ces
travailleurs sur le terrain révolutionnaire.
- On ne peut évidemment appartenir en même
temps au Parti communiste et à un autre parti politique.
L'incompatibilité s'étend à tous les mouvements qui, sans
être ni s'intituler partis, ont un caractère politique, et à
toutes les associations dont les conditions d'admission sont
des thèses politiques, en particulier la franc-maçonnerie.
5. Éléments de la tactique du parti communiste tirés de
l'examen des situations
- Dans les points précédents, les critères
généraux qui règlent les rapports entre le Parti communiste et
les autres organisations du prolétariat ont été établis en
fonction de la nature même du Parti. Avant d'en arriver à la
tactique proprement dite, il faut examiner quels éléments
l'étude de la situation du mouvement peut apporter à sa
détermination. Le programme du Parti communiste prévoit qu'au
cours du développement qu'on lui attribue généralement
celui-ci accomplira une série d'actions correspondant à des
situations successives. Il y a donc une étroite connexion entre
directives programmatiques et règles tactiques. L'étude de la
situation apparaît donc comme un élément complémentaire de la
solution des problèmes tactiques, puisque dans sa conscience et
son expérience critiques, le Parti avait déjà prévu un certain
développement des situations, et donc délimité les possibilités
d'action correspondant à chacune d'elles. L'examen de
la situation permettra de contrôler l'exactitude de la
perspective de développement que le Parti a formulée dans son
programme; le jour où cet examen imposerait une révision
substantielle de celle-ci le problème ne pourrait se résoudre par
une simple volte-face tactique: c'est la vision
programmatique elle-même qui subirait inévitablement une
rectification, non sans conséquences graves pour
l'organisation et la force du Parti. Celui-ci doit donc
s'efforcer de prévoir le développement des situations, afin
de déployer dans chacune d'elles tout le degré
d'influence qu'il sera possible d'exercer; mais les
attendre et se laisser indiquer et suggérer par elles des
attitudes éclectiques et changeantes est une méthode
caractéristique de l'opportunisme social-démocrate. Si les
Partis communistes se la laissaient jamais imposer, ils
souscriraient à la ruine du communisme en tant qu'idéologie
et action militantes.
- Le Parti communiste ne possède
d'unité, ne tend à réaliser le développement prévu dans son
programme qu'autant qu'il groupe dans ses rangs la
fraction du prolétariat qui a surmonté la tendance à se mouvoir
uniquement sous l'impulsion immédiate de situations
économiques particulières. Ce dépassement se réalise précisément
par la voie de l'organisation politique. Si la conscience
critique et l'initiative volontaire n'ont qu'une
valeur très limitée pour les individus, elles se trouvent
pleinement réalisées dans la collectivité du Parti, d'autant
plus que celui-ci se présente comme un précurseur de ces formes
d'association humaine qui, au lieu de subir passivement la
loi des faits économiques, seront réellement en mesure de les
diriger rationnellement, parce qu'elles auront dépassé
l'informe organisation économique actuelle. C'est
pourquoi les mouvements d'ensemble du Parti, au lieu
d'être immédiatement déterminés par la situation, lui sont
liés par une dépendance rationnelle et volontaire.
- La volonté du Parti ne peut toutefois pas
s'exercer de façon capricieuse, ni son initiative
s'étendre dans des proportions arbitraires. Les limites
qu'il peut et doit fixer à l'une comme à l'autre lui
sont données précisément Par son programme et par
l'appréciation de la possibilité et de l'opportunité
d'engager une action qu'il déduit de l'examen des
situations contingentes.
- C'est en examinant la situation
qu'on jugera des forces respectives du Parti et des
mouvements adverses. Le premier souci du Parti doit être
d'apprécier correctement l'importance de la couche du
prolétariat qui le suivrait s'il entreprenait une action ou
engageait une lutte. Pour cela, il devra se faire une idée exacte
de l'influence de la situation économique sur les masses et
des poussées spontanées qu'elle détermine en leur sein, ainsi
que du développement que les initiatives du Parti communiste et
l'attitude des autres partis peuvent donner à ces
poussées.
Qu'il s'agisse d'une période de prospérité croissante
ou au contraire de difficultés et de crises, l'influence que
la situation économique exerce sur la combativité de classe du
prolétariat est très complexe. Elle ne peut être déduite d'un
simple examen de cette situation à un moment donné, car il faut
tenir compte de tout le déroulement antérieur, de toutes les
oscillations et variations des situations qui ont précédé. Par
exemple, une période de prospérité peut donner vie à un puissant
mouvement syndical qui, si celle-ci est suivie d'une période
de crise et d'appauvrissement, peut se porter rapidement sur
des positions révolutionnaires, faisant jouer en faveur de la
victoire le large encadrement des masses qu'il aura conservé.
Par contre, une période d'appauvrissement progressif peut
désagréger le mouvement syndical au point que, dans une période
ultérieure de prospérité, il n'offre plus matière suffisante
à un encadrement révolutionnaire. Ces exemples (qui pourraient
d'ailleurs être inversés) prouvent que “les courbes de
la situation économique et de la combativité de classe sont
déterminées par des lois complexes, la seconde dépendant de la
première, mais ne lui ressemblant pas dans la forme”. A la
montée de la première peut correspondre indifféremment, dans des
cas donnés, la montée ou la descente de la seconde, et
inversement.
- Les éléments intégrants de cette
recherche sont très variés. Il faudra examiner non seulement la
tendance effective du prolétariat à constituer et développer des
organisations de classe, mais toutes les réactions,
psychologiques y compris, déterminées en son sein d'une part
par la situation économique, d'autre part par les attitudes
et initiatives sociales et politiques de la classe dominante
elle-même et ses partis. Sur le plan politique, l'examen de
la situation se complète par celui des positions des différentes
classes et partis à l'égard du pouvoir État, et par
l'appréciation de leurs forces. De ce point de vue, les
situations dans lesquelles le Parti communiste peut être amené à
agir et qui, dans leur succession normale, le conduisent à
augmenter ses effectifs et en même temps à préciser toujours
davantage les limites de sa tactique peuvent être classées en
cinq grandes phases qui sont: 1. Pouvoir féodal
absolutiste. 2. Pouvoir démocratique bourgeois.
3. Gouvernement social-démocrate.
4. Période intermédiaire de guerre civile dans
laquelle les bases de État sont ébranlées. 5.
Pouvoir prolétarien de la dictature des Conseils. En un certain
sens, le problème tactique consiste non seulement à choisir la
bonne voie pour une action efficace, mais aussi à éviter que
l'action du Parti ne sorte des limites opportunes pour
revenir à des méthodes qui, répondant à des phases dépassées,
arrêteraient le développement du Parti et, bien pis, lui feraient
perdre sa préparation révolutionnaire. Les considérations qui
suivent se réfèrent à l'action du Parti dans la seconde et
troisième phases politiques susmentionnées.
- Pour vivre d'une vie organique, le
Parti communiste doit posséder une méthode critique et une
conscience le portant à formuler un programme propre. C'est
précisément pour cette raison que le Parti et
l'Internationale communiste ne peuvent accorder la plus
grande liberté et élasticité de tactique aux centres dirigeants
et remettre la détermination de celle-ci à leur seul jugement
après examen de la situation. Le programme du Parti n'a pas
le caractère d'un simple but que l'on pourrait atteindre
par n'importe quelle voie, mais celui d'une perspective
historique dans laquelle les voies suivies et les objectifs
atteints sont intimement liés. Dans les diverses situations, la
tactique doit donc être en harmonie avec le programme et, pour
cela, les règles tactiques générales pour les situations
successives doivent être précisées dans certaines limites, sans
doute non rigides, mais toujours plus nettes et moins fluctuantes
à mesure que le mouvement se renforce et approche de la victoire
finale. C'est seulement ainsi qu'on parviendra au
centralisme maximum dans les Partis et l'Internationale,
c'est-à-dire que les dispositions prises centralement pour
l'action seront acceptées et exécutées sans résistances non
seulement par les Partis communistes, mais même par une partie
des mouvements de masse qu'ils sont parvenus à encadrer. On
ne doit en effet pas oublier qu'à la base de
l'acceptation de la discipline organique du mouvement, il y a
non seulement l'initiative d'individus et de groupes
résultant des développements de la situation, mais une
progression continue et logique d'expériences les amenant à
rectifier leur vision de la voie à suivre pour obtenir la plus
grande efficacité dans la lutte contre les conditions de vie que
l'organisation sociale actuelle impose au prolétariat.
C'est pourquoi, avant d'appeler leurs adhérents et ceux
des prolétaires qui les suivent a l'action et au sacrifice
d'eux-mêmes, les Partis et l'Internationale doivent
exposer de façon systématique l'ensemble de leurs règles
tactiques générales et démontrer qu'elles sont la seule voie
de la victoire. Si le Parti doit donc définir les termes et les
limitent de sa tactique, ce n'est pas par désir de théoriser
et de schématiser les mouvements complexes qu'il pourra être
amené à entreprendre, mais en raison d'une nécessité pratique
et organisationnelle. Une telle définition peut sembler
restreindre ses possibilités d'action, mais elle seule
garantit la continuité et l'unité de son intervention dans la
lutte prolétarienne, et c'est pour ces raisons tout à fait
concrètes qu'elle doit être décidée.
6. Action tactique “indirecte” du parti
communiste
- Les conditions n'existent pas
toujours pour une action tactique qu'on peut appeler
“directe”, puisqu'elle a le caractère d'un
assaut au pouvoir bourgeois par le Parti communiste et les forces
dont il dispose. Loin de se limiter au prosélytisme et à la
propagande purs et simples, le Parti peut et doit alors exercer
son influence sur les événements en réglant ses rapports avec les
autres partis et mouvements sociaux et politiques et en exerçant
sur eux sa pression de façon à déterminer un développement de la
situation favorable à ses propres buts et à hâter le moment où
l'action révolutionnaire décisive sera possible. Les
initiatives et attitudes à adopter en pareil cas constituent un
problème délicat. Pour qu'il soit résolu, la première
condition est qu'elles ne soient et ne puissent sembler
aucunement en contradiction avec les nécessités ultérieures de la
lutte propre du Parti, selon le programme qu'il est le seul à
défendre et pour lequel le prolétariat devra lutter au moment
décisif. La propagande du Parti n'a pas seulement une valeur
théorique; elle résulte surtout de positions que le Parti prend
quotidiennement dans la lutte prolétarienne réelle, et elle doit
continuellement mettre en évidence la nécessité pour le
prolétariat d'embrasser le programme et les méthodes
communistes. Toute attitude qui causerait ou comporterait le
passage au second plan de l'affirmation intégrale de cette
propagande et qui ferait de l'obtention de tel ou tel
résultat contingent une fin en soi, et non pas un moyen de
poursuivre plus avant, conduirait à un affaiblissement de la
structure du Parti et à un recul de son influence dans la
préparation révolutionnaire des masses.
- Dans la phase plus haut définie comme
celle du pouvoir démocratique bourgeois, les forces politiques
sont généralement divisées en deux courants ou
“blocs”: la droite et la gauche, qui se disputent la
direction de État
Les partis sociaux-démocrates coalitionnistes par principe,
adhèrent plus ou moins ouvertement, an bloc de gauche. Le Parti
communiste n'est pas indifférent aux développements de cette
lutte, que ce soit parce qu'elle soulève des points et des
revendications qui intéressent les masses prolétariennes et
concentrent leur attention, ou parce que sa conclusion par une
victoire de la gauche peut réellement aplanir la voie à la
révolution prolétarienne. Quant au problème de l'opportunité
tactique de coalitions avec les éléments politiques de gauche, il
faut l'examiner sans apriorisme faussement doctrinal ou
sottement sentimental et puritain. On doit partir du fait que le
Parti communiste ne dispose d'une initiative de mouvement
qu'autant qu'il est capable de poursuivre avec continuité
le travail d'organisation et de préparation d'où lui
vient l'influence qui lui permet d'appeler les masses à
l'action. Il ne peut donc se proposer une tactique répondant
à un critère occasionnel et momentané, quitte à prévoir une
brusque volte-face au moment où elle apparaîtrait dépassée, et un
changement de front qui transformerait en ennemis les alliés de
la veille. Si le Parti ne veut pas compromettre sa liaison avec
les masses et la possibilité de la renforcer au moment où cela
sera le plus nécessaire, toutes ses déclarations et attitudes
publiques devront traduire sa continuité de méthode et
d'intentions, c'est-à-dire être en parfaite harmonie avec
la propagande pour la lutte finale et la préparation à
celle-ci.
- Une des tâches essentielles du Parti
communiste pour préparer idéologiquement et pratiquement le
prolétariat à la prise révolutionnaire du pouvoir. est de
critiquer sans pitié le programme de la gauche bourgeoise et tout
programme qui voudrait se servir des institutions démocratiques
et parlementaires bourgeoises pour résoudre les problèmes
sociaux. La plupart du temps, c'est seulement par des
falsifications démagogiques que la droite et la gauche
bourgeoises parviennent à intéresser le prolétariat à leurs
divergences. Les falsifications ne peuvent évidemment être
démontrées par la seule critique théorique: c'est dans la
pratique et le vif de la lutte qu'elle seront démasquées.
Le but de la gauche n'est nullement de faire un pas en
avant pour atteindre un quelconque échelon intermédiaire entre le
système économique et politique capitaliste et le système
prolétarien. En général, ses revendication politiques tendent à
créer de meilleures conditions de fonctionnement et de défense du
capitalisme moderne, tant par leur contenu propre que par
l'illusion qu'elles donnent aux masses de pouvoir faire
servir les institutions présentes à leur émancipation de classe.
Cela vaut pour les revendications d'élargissement du droit de
vote et autres garanties et perfectionnement du libéralisme,
comme pour la politique anticléricale et l'ensemble de la
politique franc-maçonne. Cela vaut également pour les réformes
d'ordre économique et social: ou bien elles ne seront pas
réalisées, ou elles ne le seront qu'à la condition et dans le
but de faire obstacle à la poussée révolutionnaire des
masses.
- Si l'avènement d'un gouvernement
de la gauche bourgeoise ou même d'un gouvernement
social-démocrate peut être considéré comme un pas vers la lutte
finale pour la dictature du prolétariat, ce n'est pas dans le
sens qu'il fournit des bases économiques ou politiques
utiles, et moins encore accorde au prolétariat une plus grande
liberté d'organisation, de préparation et d'action
révolutionnaires. Le Parti communiste a le devoir de proclamer ce
qu'il sait grâce non seulement à la critique marxiste, mais à
une sanglante expérience: de tels gouvernements pourraient bien
laisser sa liberté de mouvement au prolétariat aussi longtemps
qu'il les considérerait et les appuierait comme ses propres
représentants, mais ils répondraient par la réaction la plus
féroce au premier assaut des masses contre les institutions de
État démocratique bourgeois.
C'est donc dans un tout autre sens que l'avènement de
tels gouvernements peut être utile, à savoir dans la mesure où
leur œuvre constituera pour le prolétariat une expérience
réelle lui permettant de conclure que seule sa propre dictature
peut provoquer la défaite du capitalisme. Il est évident que le
Parti communiste ne sera en mesure d'utiliser efficacement
cette expérience qu'autant qu'il aura dénoncé par avance
la faillite de ces gouvernements et conservé une solide
organisation indépendante autour de laquelle le prolétariat
pourra se regrouper lorsqu'il se verra contraint
d'abandonner les groupes et les partis dont il avait
initialement soutenu l'expérience gouvernementale.
- Une coalition du Parti Communiste avec
les partis de la gauche bourgeoise ou de la social-démocratie
nuirait donc à la préparation révolutionnaire du prolétariat et
rendrait l'utilisation d'une expérience gouvernementale
de la gauche difficile. En outre, elle retarderait pratiquement
beaucoup la victoire du bloc de gauche sur celui de droite. En
effet, si la clientèle du centre bourgeois que ces deux blocs se
disputent s'oriente à gauche, c'est parce qu'elle est
à bon droit convaincue que la gauche n'est pas moins
conservatrice et ennemie de la révolution que la droite.
Elle sait que les concessions proposées par elle sont en majeure
partie apparentes, et que lorsqu'elles sont effectives, elles
visent à freiner la montée révolutionnaire contre les
institutions que la gauche accepte aussi bien que la droite. Par
conséquent, la présence du Parti Communiste dans la coalition de
gauche ferait perdre à celle-ci une grande partie de sa
clientèle, surtout électorale, perte que l'appui des
communistes ne pourrait compenser. Une telle politique
retarderait probablement l'expérience au lieu de
l'accélérer.
- Il est indéniable que le bloc de gauche
agite des revendications intéressant les masses et correspondant
souvent, dans leur formulation, a leurs exigences réelles. Le
Parti communiste ne négligera pas ce fait et ne soutiendra pas la
thèse superficielle que de telles concessions sont à refuser, car
seules les conquêtes finales et totales de la révolution méritent
les sacrifices du prolétariat. Pareille proclamation n'aurait
aucun sens, car son seul résultat serait de rejeter ce dernier
sous l'influence des démocrates et sociaux-démocrates
auxquels il resterait inféodé. Le Parti communiste invitera donc
les travailleurs à accepter les concessions de la gauche comme
une expérience sur l'issue de laquelle il exprimera les
prévisions les plus pessimistes, insistant sur la nécessité pour
le prolétariat de ne pas mettre en jeu son indépendance politique
et d'organisation, s'il ne veut pas sortir ruiné de
l'expérience. Il incitera les massés à exiger des partis
sociaux-démocrates qu'ils tiennent leurs engagements,
puisqu'ils se portent garants de la possibilité de réaliser
les promesses de la gauche bourgeoise. Par sa critique
indépendante et ininterrompue, il se préparera à recueillir les
fruits du résultat négatif de ces expériences, dénonçant le front
unique de toute la bourgeoisie contre le prolétariat
révolutionnaire et la complicité des partis soi-disants ouvriers
qui, soutenant la coalition avec une partie de la bourgeoisie, se
font les agents de celle-ci.
- Les partis de gauche et en particulier
les sociaux-démocrates affichent souvent des revendications
d'une nature telle qu'il est utile d'appeler le
prolétariat à l'action directe pour les obtenir. En effet, si
la lutte était engagée, l'insuffisance des moyens proposés
par les sociaux-démocrates pour réaliser leur programme de
mesures ouvrières apparaîtrait immédiatement. A ce moment, le
Parti communiste pourra agiter ces mêmes revendications en les
précisant, en faire un drapeau de lutte de tout le prolétariat
qu'il portera en avant pour forcer les partis qui en parlent
par simple opportunisme à s'employer à leur réalisation.
Qu'il s'agisse de revendications économique” ou
mémé de caractère politique, le Parti communiste les proposera
comme objectif d'une coalition des organisations syndicales.
Il évitera cependant la constitution de comités directeurs de
lutte et d'agitation dans lesquels il serait représenté et
engagé aux côtés d'autres partis, afin de retenir
l'attention des masses sur le programme spécifique du
communisme et de conserver sa propre liberté de mouvement pour le
moment où il devra élargir la plate-forme d'action en
débordant les autres partis, abandonnés par les masses après la
démonstration de leur impuissance. Le front unique syndical ainsi
compris offre la possibilité d'actions d'ensemble de
toute la classe travailleuse. De telles actions, la méthode
communiste ne peut sortir que victorieuse, car elle est la seule
capable de donner un contenu au mouvement unitaire du
prolétariat, et la seule qui ne partage pas la moindre
responsabilité dans l'œuvre des partis qui affichent un
appui verbal à la cause du prolétariat par opportunisme et avec
des intentions contre-révolutionnaires.
- La situation que nous envisageons peut
prendre l'aspect d'une attaque de la droite bourgeoise
contre un gouvernement démocratique ou socialiste. Même dans ce
cas, le Parti communiste ne saurait proclamer la moindre
solidarité avec des gouvernements de ce genre: s'il les
accueille comme une expérience à suivre pour hâter le moment où
le prolétariat se convaincra de leurs buts
contre-révolutionnaires, il ne peut évidemment les lui présenter
comme une conquête à défendre.
- l pourra arriver que le gouvernement de
gauche laisse des organisations de droite, des bandes blanches de
la bourgeoisie mener leur action contre le prolétariat et, bien
loin de réclamer l'appui de ce dernier, lui refuse le droit
de répondre par les armes. Dans ce cas, les communistes
dénonceront la complicité de fait, la véritable division du
travail entre le gouvernement libéral et les forces irrégulières
de la réaction, la bourgeoisie ne discutant plus alors des
avantagea respectifs de l'anesthésie démocratico-réformiste
et de la répression violente, mais les employant toutes les deux
à la fois.
Dans cette situation, le véritable, le pire ennemi de la
préparation révolutionnaire est le gouvernement libéral: il fait
croire au prolétariat qu'il le défendra pour sauver la
légalité afin que le prolétariat ne s'arme ni ne
s'organise. Ainsi, le jour où par la force des choses
celui-ci sera mis dans la nécessité de lutter contre les
institutions légales présidant à son exploitation, le
gouvernement pourra l'écraser sans mal en accord avec les
bandes blanches.
- Il peut aussi se produire que le
gouvernement et les partis de gauche qui le composent invitent le
prolétariat à participer à la résistance armée contre
l'attaque de la droite. Cet appel ne peut que cacher un
piège. Le Parti communiste l'accueillera en proclamant que
l'armement des prolétaires signifie l'avènement du
pouvoir et de État prolétarien, ainsi que la destruction de la
bureaucratie étatique et de l'armée traditionnelle, puisque
jamais celle-ci n'obéiraient aux ordres d'un gouvernement
de gauche légalement instauré dès le moment où il appellerait le
peuple à la lutte armée, et que seule la dictature du prolétariat
pourrait donc remporter une victoire stable sur les bandes
blanches. En conséquence, le Parti communiste ne pratiquera ni ne
proclamera le moindre “loyalisme” à l'égard du
gouvernement libéral menacé. Il montrera au contraire aux masses
le danger de consolider son pouvoir en lui apportant le soutien
du prolétariat contre le soulèvement de la droite ou la tentative
de coup État, c'est-à-dire de, consolider l'organisme
appelé à s'opposer à l'avance révolutionnaire du
prolétariat au moment où celle-ci s'imposera comme la seule
issue, en laissant le contrôle de l'armée aux partis
gouvernementaux, c'est-à-dire en déposant les armes sans les
avoir employées au renversement des formes politiques et
étatiques actuelles, contre toutes les forces de la classe
bourgeoise.
7. Action tactique “directe” du parti
communiste
- Dans le cas ci-dessus considéré, les
revendications présentées par les partis bourgeois de gauche et
social-démocrate comme les objectifs à atteindre ou à défendre
retenaient l'attention des masses, et le Parti communiste les
proposait à son tour avec plus de clarté et d'énergie, tout
en critiquant de façon ouverte les moyens proposés par les autres
pour les obtenir.
Mais il est d'autres cas où les besoins immédiats et
urgents de la classe ouvrière ne rencontrent qu'indifférence
auprès des partis de gauche ou sociaux-démocrates, qu'il
s'agisse de conquêtes ou de simple défense. S'il ne
dispose pas de forces suffisantes pour appeler directement les
masses à l'action en raison de l'influence
social-démocrate sur elles, le Parti communiste posera ces
revendications et en appellera pour leur conquête au front-unique
des syndicats prolétariens, en évitant d'offrir une alliance
aux sociaux-démocrates, et même en proclamant qu'ils
trahissent même les intérêts contingents et immédiats des
travailleurs. La réalisation d'une action unitaire trouvera à
leur poste les communistes qui militent dans les syndicats, tout
en laissant au Parti la possibilité d'intervenir au cas où la
lutte prendrait un autre cours, dressant inévitablement contre
elle les sociaux-démocrates, et parfois même les syndicalistes et
les anarchistes. Si les autres partis prolétariens refusent de
réaliser le front unique syndical pour ces revendications, le
Parti communiste ne se contentera pas de les critiquer et de
démontrer leur complicité avec la bourgeoisie. Pour détruire leur
influence, il devra surtout participer en première ligne aux
actions partielles du prolétariat que la situation ne manquera
pas de susciter et dont les objectifs seront ceux pour lesquels
le Parti communiste avait proposé le front unique de toutes les
organisations locales et de toutes les catégories. Cela lui
permettra de démontrer concrètement qu'en s'opposant à
l'extension des mouvements, les dirigeants sociaux-démocrates
en préparent la défaite. Naturellement, le Parti communiste ne se
contentera pas de rejeter sur les autres la responsabilité
d'une tactique erronée. Avec toute la sagacité et toute la
discipline nécessaires, il guettera le moment favorable pour
passer outre aux résistances des contre-révolutionnaires,
c'est-à-dire l'apparition d'une situation telle dans
les masses au cours du développement de la lutte que rien ne les
empêcherait plus de suivre un appel du Parti communiste à
l'action. Une telle initiative ne peut être prise que
centralement, et en aucun cas localement par des organisations du
Parti communiste ou par des syndicats contrôlés par les
communistes.
- Plus spécialement, l'expression
“tactique directe” désigne l'action du Parti
quand la situation l'incite à prendre, indépendamment de
tous, l'initiative d'attaquer le pouvoir bourgeois afin
de l'abattre ou de lui porter un coup grave. Pour pouvoir
entreprendre une pareille action le Parti doit disposer d'une
organisation intérieure assez solide pour lui donner la certitude
absolue que les directives du centre seront parfaitement suivies.
Il doit en outre pouvoir compter sur la discipline des forces
syndicales contrôlées par lui afin d'être sûr qu'une
grande partie des masses le suivra. Il a en outre besoin de
formations militaires d'une certaine efficacité et, afin de
conserver à coup sûr la direction du mouvement au cas probable où
il serait mis hors-la-loi par des mesures d'exception, de
tout un appareil d'action illégale, et spécialement d'un
réseau de communications et de liaisons que le gouvernement
bourgeois ne puisse contrôler.
Dans une action offensive, c'est le sort d'un très
long travail de préparation qui peut se décider. Avant de prendre
une si lourde décision, le Parti devra donc étudier à fond la
situation. Il ne suffira pas qu'elle lui permette de compter
sur la discipline des forces directement encadrées et contrôlées
par lui, ni qu'elle l'autorise à prévoir que les liens
l'unissant à la fraction la plus vivante du prolétariat ne se
briseront pas au cours de la lutte. Il devra également avoir
l'assurance que son influence sur les masses et la
participation du prolétariat iront croissant au cours de
l'action, car le développement de celle-ci réveillera et
rendra effectives des tendances naturellement répandues dans les
couches profondes de la masse.
- Il ne sera pas toujours possible de
proclamer ouvertement que le mouvement d'ensemble déclenché
par le Parti communiste a pour but de renverser le pouvoir
bourgeois. Sauf en cas de développement exceptionnellement rapide
de la situation. révolutionnaire, le Parti pourra engager
l'action sur des mots d'ordre qui ne soient pas encore la
prise révolutionnaire du pouvoir, mais ne puissent dans une
certaine mesure être réalisés que grâce à elle, bien que les
masses ne les considèrent que comme des exigences immédiates et
vitales. Dans la mesure limitée où ces mots d'ordre sont
réalisables par un gouvernement qui ne soit pas encore la
dictature du prolétariat, ils laissent au Parti communiste la
possibilité d'arrêter l'action à un certain point sans
porter atteinte à l'organisation et à la combativité des
masses. Cela peut être utile s'il semble impossible de
continuer la lutte jusqu'au bout sans compromettre la
possibilité de la reprendre efficacement plus tard.
- Il n'est pas exclu non plus que le
Parti juge opportun de lancer directement un mot d'ordre
d'action tout en sachant qu'il ne s'agit pas encore
de prendre le pouvoir, mais seulement de conduire une bataille
dont le prestige et l'organisation de l'adversaire
sortiront ébranlés et qui renforcera matériellement et moralement
le prolétariat. Dans ce cas, le Parti appellera les masses à la
lutte soit pour des objectifs réellement à atteindre, soit sur
des objectifs plus limités que ceux qu'il se propose
d'atteindre en cas de succès. Dans le plan d'action du
Parti, ces objectifs devront être ordonnés selon une progression
de façon à ce que chaque succès puisse constituer une plate-forme
d'attente lui permettant de se renforcer pour les luttes
suivantes. On évitera le plus possible la tactique désespérée
consistant à se lancer dans la lutte dans des conditions telles
que les seules possibilités soient ou bien le triomphe de la
révolution, ou bien, dans le cas contraire, la certitude de la
défaite et de la dispersion des forces prolétariennes pour une
durée imprévisible. Les objectifs partiels sont indispensables
pour conserver à coup sûr le contrôle de l'action, et on peut
les formuler sans entrer en contradiction avec la critique que le
Parti fait de leur contenu économique et social quand ils sont
considérés comme des fins en soi dont les masses pourraient se
satisfaire après les avoir atteintes, et non pas comme
l'occasion de luttes qui sont un moyen, un pas vers la
victoire finale. Bien entendu, la détermination de ces objectifs
et des limites de l'action est toujours un problème
terriblement délicat; c'est par l'expérience, et par la
sélection de ses chefs, que le Parti devient capable
d'assumer cette suprême responsabilité.
- Le Parti ne doit ni croire ni faire
croire que lorsque le prolétariat manque de combativité, il
suffise qu'un groupe d'audacieux se lance dans la lutte
et tente des coups de main contre les institutions bourgeoises
pour que son exemple réveille les masses. C'est dans le
développement de la situation économique réelle qu'il faut
chercher les raisons qui feront sortir le prolétariat de sa
prostration. Si la tactique du Parti peut et doit contribuer à ce
réveil, c'est par un travail beaucoup plus profond et continu
que ne peut l'être le geste spectaculaire d'une
avant-garde lancée à l'assaut.
- Le Parti se servira toutefois de ses
forces et de son encadrement pour des actions menées par des
groupes armés, des organisations ouvrières, et même des foules,
et bien contrôlées par lui dans leur plan et leur exécution;
ayant une valeur démonstrative et défensive, ces actions sont
destinées à prouver concrètement aux masses qu'avec de
l'organisation et de la préparation il est possible
d'affronter certaines résistances et contre-attaques de la
classe dominante, qu'elles se manifestent sous la forme
d'actions terroristes de groupes armés réactionnaires, ou
sous la forme d'interdictions policières contre certaines
formes d'organisation et d'activité prolétariennes. Le
but ne sera pas de provoquer une action générale, mais de rendre
à la masse abattue et démoralisée le plus haut degré de
combativité par une série d'actions concourant à réveiller en
elle les sentiments et le besoin de la lutte.
- Le Parti évitera absolument qu'au
cours de telles action locales la discipline intérieure des
organisations syndicales ne soit violée par les organes locaux et
par les communistes qui y militent. Ceux-ci, en effet, ne doivent
pas en venir à une rupture avec les organes centraux nationaux
dirigés par d'autres partis, car ils doivent, comme il a déjà
été dit, servir de points d'appuis indispensables pour
conquérir ces organes. Cependant le Parti communiste et ses
militants suivront attentivement les masses en leur donnant tout
leur appui lorsqu'elles répondent spontanément aux
provocations bourgeoises, fut-ce en rompant avec la discipline
d'inaction et de passivité imposée par les chefs des
syndicats réformistes et opportunistes.
- Dans la situation qui caractérise le
moment où le pouvoir de État est ébranlé sur ses bases et est sur
le point de tomber, le Parti communiste, déployant ses forces au
maximum et menant dans les masses le maximum d'agitation sur
les conquêtes suprêmes, ne laissera pas échapper l'occasion
d'influer sur les moments d'équilibre instable de la
situation en utilisant, tout en gardant une action indépendante,
toutes les forces marchant momentanément dans la même direction
que lui. Quand il sera bien sûr de prendre le contrôle du
mouvement dès que l'organisation traditionnelle de État aura
cédé, il pourra recourir à des accords transitoires avec
d'autres mouvements disposant de forces dans le camp en
lutte, sans pourtant faire de ceci l'objet d'une
propagande et de mots d'ordre aux masses. Dans tous les cas,
la seule mesure de l'opportunité de ces contacts et du bilan
qu'on devra ensuite en faire, sera le succès. La tactique du
Parti communiste n'est jamais dictée par des a priori
théoriques ou par des préoccupations éthiques ou esthétiques,
mais uniquement par le souci de conformer les moyens aux fins et
à la réalité du processus historique, selon cette synthèse
dialectique de doctrine et d'action qui est le patrimoine
d'un mouvement appelé à devenir le protagoniste du plus vaste
renouvellement social, le chef de la plus grande guerre
révolutionnaire.
8. Le Parti communiste italien et le moment actuel
- La phase et, par conséquent, le problème de la formation du parti, est désormais complètement dépassé en Italie. Avec le congrès socialiste de Milan, jusqu’auquel n’était pas encore définitivement rejetée la possibilité d’une modification de substance de la base de constitution du parti communiste italien par la fusion d’une fraction de gauche du parti socialiste italien qui y aurait acquis l’importance d’un élément essentiel et d’intégration - avec le Congrès de Milan et avec ses décisions cette possibilité a complètement disparu. Il dévient évident que seule la fraction extrême détachée à Livourne pouvait constituer le noyau créateur. Il est également clair, désormais, que le développement progressif normal du parti se fera désormais non en s’approchant des groupes organisés des autres formations politiques, mais seulement par l’adhésion individuelle de chaque personne qui, en entrant dans ses rangs préparés à les recevoir, n’y apportera ni désordre, ni changement, mais une force numérique et par conséquent une force d’action plus grande.
- C’est pour cela que le parti, libre des soucis inhérents à toute période de commencement, doit se consacrer entièrement à son travail de pénétration toujours plus large parmi les masses, en organisant et en multipliant les organes de liaison entre elles et lui. Aucune branche de l’activité prolétarienne ne doit rester ignorée des communistes : syndicats, coopératives, mutuelles doivent être pénétrées, toujours plus profondément, par la constitution de groupes communistes et, avec leur aide, ils doivent être conquis aux directives du parti ; tandis que les comités d’aide variés, pour les victimes politiques, pour la Russie, etc..., doivent avoir une représentation de communistes et jouir de leur collaboration. Et cela, seulement parce que le parti ne doit se désintéresser d’aucun instrument qui peut lui permettre d’améliorer ses contacts avec le prolétariat, doit s’occuper pour satisfaire ses nécessités contingentes, mais non pour instituer des rapports durables avec les autres partis politiques, aussi subversifs soient-ils.
- Envers ces partis, la polémique tendant à clarifier devant les travailleurs leur attitude et à dissiper l’équivoque de leurs déclarations programmatiques, doit se poursuivre infatigablement. Les socialistes et les libertaires poursuivent aujourd’hui, en Italie, sous deux formes diverses, l’affaiblissement de la classe prolétarienne : les uns par leur tactique de capitulation et de désarmement devant l’attaque du capitalisme, les autres par leur lutte contre la République des Soviets et le principe de la dictature du prolétariat à laquelle ils opposent l’apothéose vide et théorique abstraite.
La situation italienne actuelle, caractéristique de l’offensive toujours plus vaste et complète de la bourgeoisie, offre chaque jour mille arguments douloureux pour notre polémique contre les anarchistes et contre les social-démocrates qui fournissent la preuve évidente de leur incompréhension du moment qui, au lien d’être quelque chose d’exceptionnel et de transitoire, est, en réalité, un stade naturel et prévisible du régime capitaliste, une manifestation spécifique de la fonction et des objectifs de l’État démocratique.
- On peut constater aujourd’hui en Italie une régression caractéristique de l’État en ce qui concerne son fonctionnement ; la période constitutive de l’État bourgeois qui a signifié une centralisation progressive de toutes les fonctions de gouvernement dans l’organisation d’une autorité central, trouve son reflet et sa négation dans la période actuelle dans laquelle l’unité solide de tous les pouvoirs, autrefois soustraits à l’arbitraire des individus, s’émiette et s’éparpille ; les pouvoirs d’État sont exercés individuellement par chaque particulier et il ne serait même plus nécessaire que l’État mette explicitement, comme cela se passe encore, à la disposition de la conservation bourgeoise ses organes de l’armée à la magistrature, du parlement aux fonctionnaires du pouvoir exécutif, puisque chacun d’eux, dans la personne de ses adeptes, use des propres attributions pour le même but, d’une façon autonome et incontrôlable.
Pour empêcher ensuite qu’au cours d’un arrêt imprévu de cette crise de dissolution, l’État puisse reprendre un contrôle quelconque sur l’activité des particuliers, la classe bourgeoise procède fréquemment à la constitution d’organes complémentaires qui, en parfait accord avec les organes réguliers lorsque ceux-ci fonctionnent selon les désirs explicites de la réaction, s’opposent à eux, au contraire, et leur sont substitués lorsqu’ils se montrent rétifs à l’acquiescement le plus plat (Comités civils, Comités de défense, etc.).
Invoquer, comme le font les social-démocrates, le retour à l’autorité de l’État et au respect des lois, indique que ceux-ci, tout en affirmant que l’État démocratique et parlementaire est un État de classe, ne parviennent pas à comprendre justement que celui-ci faillit aujourd’hui à sa tâche essentielle, en violant les lois écrites qui furent nécessaires à sa consolidation progressive, mais qui mettraient aujourd’hui en danger sa consolidation.
- La situation italienne actuelle réunit synthétiquement en elle tous les éléments constitutifs du coup d’État, sans cependant que l’on puisse constater les faits extérieurs probants du geste militariste. La vérification progressive d’épisodes de violence annulant l’un après l’autre des conditions normales de vie sociale pour toute une classe de citoyens, la superposition aux dispositions de la loi écrite de la la volonté changeante des groupes et des individus, l’immunité assurée à ceux-ci et la persécution établie pour leurs adversaires, tout cela entraîne un acte unique, plus grandiose et plus violent, qui aurait mis ensemble en mouvement des forces plus nombreuses.
La classe bourgeoise a une parfaite conscience de cet état de choses, mais son intérêt nécessite que l’apparence extérieure d’une démocratie formelle ne soit pas détruite et que l’économie générale ne soit pas encore plus profondément troublées par un bouleversement violent qui n’offrirait pas , en définitive, à ses privilèges, un meilleur protecteur que celui qu’elle a aujourd’hui. Il est donc probable que la bourgeoisie, divisée sur l’évaluation de sa nécessité et encore suffisamment puissante pour l’étrangler, s’opposera à une tentative militariste qui amènerait le trouble et ne serait motivée que par des ambitions personnelles. Aucune nouvelle forme de gouvernement en pourrait, plus que la forme actuelle, avoir le mépris de la liberté, des droits acquis et reconnus, de la vie des ouvriers ; ce n’est que dans un perfectionnement ultérieur de l’État démocratique, plus capable de recouvrir la substance réelle du régime dictatorial de la bourgeoisie, que celui-ci pourrait en venir à ses fins. Cela viendra avec la formation d’un gouvernement social-démocrate.
- La situation italienne actuelle grandit et mûrit justement ce stade ultérieur du martyre du prolétariat. De deux côtés on travaille à ce résultat : un fort courant de parti socialiste et les partis de gauche de la bourgeoisie tâtent le terrain pour trouver le point favorable à leur rencontre et à leur alliance. Les uns et les autres motivent leur action seulement par la nécessité de trouver et de construire une défense contre la violence destructrice fasciste et sur ce terrain ils cherchent l’accord de tous les partis subversifs et prétendent mettre fin aux polémiques et aux attaques réciproques.
Si un gouvernement social-démocrate avait la force de combattre et de vaincre le fascisme, ce dont nous font douter fortement nos convictions théoriques et les exemples de l’histoire la plus récente et qu’il advint donc nécessaire de préparer un terrain favorable à sa formation, celui-ci serait d’autant plus facilement et rapidement constitué que les communistes maintiendraient leur état de scission et leur polémique implacable contre le parti socialiste.
L’attaque communiste met en valeur le parti socialiste en face de la bourgeoisie comme civile de la violence révolutionnaire et comme obstacle et freinage au déchaînement de la lutte de classe et rend ainsi plus probable leur accord et leur alliance. Il ne faut pas, en effet, oublier que l’on a commencé à considérer comme réalisable en Italie, la collaboration socialiste avec les groupes de gauche de la bourgeoisie depuis qu’après la scission de Livourne le parti socialiste s’est libéré de tout courant communiste. Un apaisement de la lutte entre communistes et socialistes placerait ceux-ci dans la position apparente et fausse d’être partisans de la doctrine et de la pratique de la troisième Internationale, ce qui empêcherait le renforcement de la confiance qui est nécessaire à la création du bloc social-démocrate.
C’est pourquoi l’intransigeance la plus absolue envers les partis d’opposition doit être pratiquée sur le terrain de la lutte politique, même dans la prévision, pour nous trompeuse, qu’un changement des hommes dans l’État formellement inchangé puisse être possible dans un sens favorable au prolétariat.
- Quant au fascisme, le P.C.I., même en le considérant comme une conséquence inéluctable du développement du régime, n’en tire pas la conclusion que face à lui il faille prendre une attitude de passivité inerte. Combattre le fascisme ne signifie pas croire que l’on peut annuler une fonction de la société bourgeoise, pour briser l’existence de celle-ci, ni s’illusionner en croyant que le fascisme peut être vaincu en lui-même, comme épisode séparé et isolé de l’action offensive complexe du capitalisme, mais tendre au contraire à rendre moins grave et douloureux les dommages que la violence ennemie inflige au parti.
- Le P.C.I., sans exclure et même en ne perdant pas de vue la possibilité que dans la situation instable puisse surgir l’occasion d’une action violente d’une partie de la bourgeoisie et en préparant donc un minimum de moyens nécessaires pour l’affronter et la surmonter, se place face au problème de l’action directe dans une attitude de préparation.
La crise mondiale de l’économie capitaliste a influé terriblement sur l’élan du prolétariat qui a vu briser ses organisations les plus fermes et qui, parce qu’il ne l’avait pas prévue, n’était donc pas préparé à la surmonter victorieusement. Le parti croit qu’il faut aujourd’hui reconstruire cette fermeté passée, guidé par la conviction que, dans une situation telle que celle qu’il traverse, un prolétariat solidement encadré et guidé par un parti révolutionnaire, pourrait, validement, passer à l’attaque. Par conséquent, construire ce parti et élargir son influence sur les masses, donner à ses adhérents la cohésion, la discipline et la préparation ; attirer derrière lui les couches toujours plus larges de la classe travailleuse ; telles sont les tâches essentielles des communistes italiens qui les résoudront en s’inspirant des thèses sur les différentes questions (syndicales, agricoles, etc.) qui seront approuvées et discutées par le présent congrès.
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