1930

Un texte du journal des militants de l’opposition de gauche emprisonnés dans l’isolateur de Verkhnéouralsk (s.d. vraisemblablement postérieur à juillet 1930). Texte publié en juillet 2020 sur le site de "Convergences Révolutionnaires".


Prisonniers b-l dans l'isolateur de Verkhnéouralsk

Tactique et tâches de l’opposition léniniste

s.d. vraisemblablement postérieur à juillet 1930


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I. Le rôle historique et les tâches de l’opposition léniniste dans le mouvement ouvrier international

1. L’opposition léniniste est avant tout un courant international. Son apparition et son développement prennent leurs racines dans les changements de toute la situation internationale survenus consécutivement à la défaite de la première vague de la révolution européenne en 1921-23.

La soi-disant stabilisation du capitalisme a apporté avec elle le renforcement des positions du social réformisme dans la classe ouvrière, la décroissance du mouvement communiste international et le renforcement dans ses rangs des éléments centristes et droitiers. L’aile gauche du Komintern [1] a subi une série de défaites jusqu’à ce qu’elle soit formellement exclue par l’IC.

La défaite de l’aile gauche du communisme a été la conséquence du changement qui s’est produit dans les relations internationales. Cependant, cette défaite n’a pas conduit à la liquidation du mouvement oppositionnel.

Les contradictions de l’économie mondiale sapaient de fait la « stabilisation », suscitant des réveils partiels de la lutte de classe prolétarienne, grâce auxquels l’aile gauche se renforçait à nouveau et se revivifiait.

2. La période complète recèle de très grandes possibilités révolutionnaires. Il s’ensuit la nécessité brûlante d’un parti mondial du communisme. La conquête du Komintern, sa transformation en l’instrument principal de la révolution prolétarienne mondiale, telle est la tâche principale de l’opposition de gauche communiste internationale.

Dans sa lutte pour le redressement du PC(b)U et de l’IC, l’opposition bolchevik-léniniste s’oriente vers une réforme profonde de ces organisations, par le changement de leur direction opportuniste.

Dans le même but, l’opposition donne une base idéologique aux éléments prolétariens de gauche du mouvement communiste international.

Seul l’accomplissement de cette tâche à l’étape actuelle, prépare la possibilité, à l’étape suivante, de conquérir les ouvriers communistes à la politique de Lénine et de transformer le Komintern en avant-garde du prolétariat révolutionnaire international, à un niveau plus élevé.

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II. Les étapes principales du développement de la pratique de l’opposition léniniste

A. D’octobre 1923 au 14e congrès du PC(b)U [2]

1. La première étape du mouvement d’opposition représentait une réaction spontanée des masses du Parti contre la bureaucratisation qui commençait à s’y développer. Celle-ci était la principale forme de pression exercée contre cette réaction spontanée par les éléments petits-bourgeois.

Les erreurs de la direction du parti en matière de politique économique, qui ont eu de fortes répercussions sur la situation matérielle des masses ouvrières, et la défaite de la tactique du Komintern en Allemagne, ont suscité un mécontentement ouvert dans les rangs du parti.

2. La tactique de l’opposition durant cette période consistait à donner une forme idéologique à ce mécontentement et à montrer les causes qui ont suscité les erreurs de la direction.

Cependant, l’opposition n’a pu remplir ce rôle jusqu’au bout, car elle (sa direction) n’avait pas encore totalement pris conscience, de façon claire, du fait que le clivage qui s’est esquissé dans le parti allait devenir le point de départ de la lutte ultérieure à l’intérieur du parti, qui entrainerait un clivage profond du parti selon deux options de classe.

3. La déclaration des 46 [3] et le Cours nouveau [4] sont les documents principaux de l’opposition à cette époque ; ils reflétaient une certaine absence d’explication, principalement en ce qui concerne l’analyse de la politique économique du CC et de sa signification sociale, ainsi que du sens politique des dissensions à l’intérieur du parti.

Cette erreur de la direction de l’opposition était accompagnée d’une autre erreur concernant les questions d’organisation. L’absence de forme organisationnelle de l’opposition en 1923 est l’une des causes de sa défaite à Moscou, malgré le fait qu’elle disposait d’une majorité nette dans les rangs de l’organisation moscovite.

4. La cause objective de toutes ces erreurs tactiques avait pour origine le développement insuffisant des contradictions de classe durant cette période dans le pays ; de là également résultait le retard de la prise de conscience par le parti des tâches rendue prioritaires par la marche des événements.

Cela explique aussi la presque complète liquidation du mouvement oppositionnel jusqu’au 14e congrès.

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B. Du 14e au 15e congrès [5]

1. Les principales tendances de classe liées aux dissensions internes du parti se sont révélées de façon suffisamment claire lors du 14e congrès. D’un côté s’est formé le bloc de centre droit ; de l’autre, un centre gauche qui était à la tête des mouvements oppositionnels du prolétariat de Leningrad [6].

En cette période, après avoir formé un bloc avec l’opposition de Leningrad tout en conservant son indépendance idéologique, la principale tâche tactique de l’opposition de 1923 consistait à obtenir progressivement l’hégémonie dans ce bloc.

Cette tâche, l’opposition l’a entièrement accomplie ; les documents principaux de l’époque en ont été l’expression :

  1. La déclaration de 1923 [7],
  2. La déclaration des 83 [8],
  3. La plate-forme des 13 [9].

2. Dans sa lutte contre le bloc de centre droit, la tactique de l’opposition unifiée est passée par trois étapes principales :

  1. La période de préparation du travail clandestin. Celle-ci s’est réduite à la création de la fraction et à la formulation d’une conception idéologique et organisationnelle. Ensuite, sur cette base, l’opposition unifiée a conduit à une offensive ouverte et résolue sous la forme de « siège » des « bastilles de l’appareil » (usine des appareils et instruments aéronautiques, usine Poutilov [10], etc.).
  2. Les leçons de la première période ont montré l’insuffisance d’une telle forme de lutte, la force énorme des préjugés dans la masse ouvrière elle-même et la nécessité du passage à une nouvelle forme de lutte : une forme plus compréhensible pour les éléments avancés des masses, et prévue pour donner le temps d’une explication progressive, persévérante et systématique des positions de l’opposition, dans le cadre d’interventions publiques et légales.
    La défaite du 16 octobre 1926 [11] a ouvert alors une période de recul de l’opposition sur la base de la réduction de la lutte fractionnelle clandestine et du transfert du centre de gravité vers le travail légal. La 15e conférence [12], le plénum du Comité exécutif de l’IC [13], le plénum de février du CC [14] ; telles ont été les étapes de cette nouvelle tactique. Le groupe des CD [15] a quitté l’opposition durant cette période ; il ne comprenait pas la nécessité de nouvelles formes de lutte, sans lesquelles on ne peut préparer les conditions pour une nouvelle offensive.
  3. La tactique du recul et des interventions légales ouvertes a été entièrement justifiée à ce moment, quand les dissensions se sont à nouveau attisées, en relation avec la révolution chinoise ; elles ont rendu inévitable l’aggravation de la lutte et le passage à l’offensive. Grâce à son travail légal, l’opposition a su recevoir un soutien politique fort du parti durant cette période.
    La nouvelle tactique offensive, pour la période qui va d’avril 1927 [16] au 15e congrès, utilisait des méthodes de lutte légales et semi-légales, et s’est développée de fait à une échelle plus importante que la lutte de 1926. Une grande campagne de pétition, des alliances, des manifestations, de pair avec le renforcement du travail fractionnel, étaient des indicateurs du haut niveau de lutte et de la grande participation des masses.

C. Du 15e congrès au plénum de novembre 1928 [17]

1. La capitulation des centristes de gauche (les zinoviévistes) et la crise aiguë du bloc de centre droit à l’occasion de la grève du pain des koulaks, qui a porté un coup décisif aux illusions de la période de reconstruction, ont créé un nouveau rapport de force dans le pays et dans le parti.

L’évolution vers la gauche de la politique des centristes a été l’expression de cette nouvelle période de développement, et a donné à l’opposition de nouvelles tâches à accomplir. « Le centrisme », dit le camarade Trotski, en évaluant les perspectives de la période qui a suivi le congrès, « est un coup d’arrêt, mais les masses acquièrent également leur propre expérience dans la lutte. Nous comptons là-dessus ». (À une nouvelle étape) [18]

L’agitation dans la classe ouvrière, et le renforcement des éléments de gauche du parti, créent les conditions favorables pour le mouvement oppositionnel. Le caractère hybride du centrisme, son absence de clarté, ses hésitations, qui se sont exprimées sous une forme claire aux plénums d’avril et de juillet 1928 [19], ont démasqué encore plus son incapacité à faire face à de nouveaux dangers.

2. En déclarant que notre principale tâche tactique est le soutien, sous une forme critique, des pas faits à gauche par le centrisme, dans le but de démasquer la direction centriste, l’opposition a trouvé le contact avec les masses du parti. Sur la base de cette tactique, elle a gagné l’initiative dans la lutte contre la droite et a pris l’offensive.

La campagne des conventions collectives de 1928 [20] a été le point le plus avancé de l’offensive de l’opposition. Sous ses coups puissants, les centristes ont été obligés d’entrer en lutte contre la droite ; cependant, l’opposition n’avait pas assez de forces pour mener à bien la réforme du parti et remplacer la direction centriste.

D. De novembre 1928 à la période actuelle

1. Malgré le fait que la direction centriste ait conservé pleinement tous ses désaccords stratégiques avec l’opposition, et n’ait pas touché au régime du parti et aux méthodes bureaucratiques de la construction de l’économie, elle s’est « emparée des slogans de notre arsenal » (Trotski), et prenant le chemin de la lutte administrative avec les koulaks et de l’organisation par en haut des kolkhozes et de l’industrialisation, elle a inculqué à la classe ouvrière et au parti des illusions qui n’étaient pas du tout révolutionnaires, sur les possibilités de sortie des contradictions dans de brefs délais.

2. Le changement radical de la situation a obligé l’opposition à changer à nouveau sa tactique, en réorientant son travail vers l’explication énergique et systématique aux masses de l’incapacité des centristes à diriger la classe ouvrière vers une nouvelle voie, et à sortir la dictature prolétarienne de l’ornière dans laquelle ils ont mis le pays par leur politique.

L’expression de cette nouvelle tactique a été la déclaration du 4 octobre 1929 [21] donnant comme principale tâche de cette période la création d’un front uni par rapport aux masses qui se font des illusions sur « le plan quinquennal ». En analysant la situation, la déclaration avertissait que le plan quinquennal des centristes, mis en place avec des méthodes rejetées par la révolution d’octobre, conduit non au développement, mais à la réduction des forces productives ; il n’améliore pas la situation matérielle, politique et culturelle de la classe ouvrière, mais la détériore.

3. Le passage de la direction centriste à la voie de l’aventure ultra gauche et le premier repli qui a suivi le 15 mars [22] ont démontré la complète absence de fondement et l’aventurisme de la politique centriste.

Dans les rangs de l’opposition, le début du déclin des illusions centristes parmi les masses a permis justement à l’opposition de commencer à se préparer à une nouvelle tactique offensive, mettant en avant un nouveau mot d’ordre pour le changement de direction, mot d’ordre qui pouvait devenir à ce moment-là la conclusion que les masses tiraient de leur propre expérience.

L’expression du passage à une nouvelle tactique offensive s’est manifestée dans les documents « des 4 et des 7 » [23], qui ont formulé pour la première fois les principales dissensions, et dans la « carte postale » d’août [24] du camarade Trotski, qui donnait la formulation la plus précise de la nouvelle tactique offensive et de ses principales tâches.

E. Les principales leçons de notre lutte

En jetant un regard rétrospectif sur les étapes passées de sa lutte, l’opposition léniniste doit tenir compte de façon sensée des erreurs qui ont été faites, afin d’éviter leur répétition dans le futur.

Notons ici seulement les principales d’entre elles.

Depuis le début de la lutte, l’opposition ne se rendait pas compte de la profondeur des dissensions qui la séparaient de la fraction dominante, et des influences de classe que ces dissensions déterminaient.

La sous-estimation du travail organisationnel a été également liée à cela ; elle a conduit à laisser passer les conditions les plus favorables pour la création d’une organisation illégale qui fonctionne correctement et qui oriente son travail vers une longue période de travail clandestin. La conséquence des erreurs a été justement l’inadéquation entre les exigences mises en avant par la crise politique et les possibilités organisationnelles existantes. Une inadéquation qui s’est reflétée de façon si préjudiciable sur le travail de masse : il a été loin de correspondre à son importance potentielle sur le plan idéologique.

Les concessions faites aux compagnons de route provisoires dans la lutte ont constitué un autre défaut non moins sérieux de notre travail ; elles ont souvent pris une proportion bien au-delà de ce qu’exigeaient les intérêts du mouvement, pris dans sa totalité. Le résultat a été, dans nos rangs, de mettre de l’eau dans notre vin, ainsi que d’affaiblir la direction ; ces éléments (principalement avec une orientation de centre gauche) nuisaient, dans les moments décisifs, aux bases idéologiques et aux forces organisationnelles de notre mouvement, ils y suscitaient de profondes crises internes. L’influence des compagnons de route se ressentait indubitablement aussi sur la ligne tactique de l’opposition dans une direction qui, selon l’appréciation du camarade Trotski, consistait à ce que « nos erreurs étaient toujours dans une bien plus grande mesure des erreurs de droite que des erreurs de gauche par rapport à la ligne juste » (voir sa lettre du 23 mai 1928 à Béloborodov). Ce n’est qu’en se purifiant, au cours de plusieurs processus, des éléments les plus nuisibles de centre gauche, que l’opposition léniniste a pu se donner une orientation claire à sa tactique dans sa lutte implacable avec le centrisme.

III. Nos tâches en lien avec les fondements de la tactique léniniste

La principale tâche de l’opposition, pour le moment, est l’organisation de la lutte prolétarienne pour la réforme du parti, des syndicats, de l’État, avec pour principe la démocratie ouvrière, ainsi que la rectification de la ligne stratégique du parti et son retour dans la voie tracée par Lénine.

Cette tâche ne peut être accomplie que par la mobilisation de toutes les forces révolutionnaires du parti et de la classe ouvrière autour de l’opposition léniniste.

Les conditions qui se sont formées à présent, la crise économique et politique qui ne cesse de s’approfondir dans le pays, suscitent la croissance du mécontentement de toutes les classes. Dans cette situation qui élargit indubitablement notre base dans la classe ouvrière, notre ligne tactique doit se traduire par une offensive politique sur la base d’un travail organisationnel profond dans les masses, bien que grandisse en même temps également le danger des interventions contre-révolutionnaires des classes ennemies.

« La seule possibilité, dit le camarade Trotski, de conserver et d’augmenter les chances de la voie du développement réformiste de la révolution d’octobre et du parti, réside dans la mise en place du fonctionnement correct de l’organisation centralisée des bolcheviks-léninistes, disposant de ressources techniques suffisantes pour influer de façon systématique sur l’opinion du parti atomisé. » (lettre du 08/08/1930) [26]

La qualité principale de l’opposition léniniste doit être la capacité à effectuer un brusque changement de tactique pour se réarmer, et à utiliser de nouvelles méthodes de lutte, en d’autres termes à pratiquer une politique de tournants brusques. Dans les périodes de croissance de l’activité politique des masses et du renforcement, en parallèle, de la pression des classes ennemies, elle doit mettre en pratique une tactique d’offensive décidée et hardie ; dans les périodes de recul politique de l’esprit des masses, elle doit passer à une tactique défensive et attentiste, mais en tentant, dans ces conditions, de faire preuve, sur la base d’une nouvelle ligne tactique, d’une très grande activité dans sa lutte pour gagner de l’influence sur les masses. Gardant la maitrise dans les compromis qu’elle passe et les accords forcés, elle ne doit jamais reculer d’un iota sur les questions de principe devant l’ennemi ou devant un allié peu sûr.

L’analyse politique profonde et les évaluations saines de la réalité ont toujours aidé l’opposition à indiquer de façon juste la tactique à suivre, en choisissant entre l’offensive et la défensive en fonction de la situation objective. C’est pour cette raison qu’elle a toujours été étrangère à l’aventurisme et s’est toujours basée uniquement sur la croissance de la conscience des masses.

Seule une élaboration approfondie des mots d’ordre concrets du moment, à partir des orientations programmatiques, qui soit étrangère à la fois au regard en arrière conservateur et à la simple répétition non critique des slogans anciens, peut assurer à l’opposition bolchevik-léniniste une tactique efficace qui corresponde aux buts poursuivis.

IV. La lutte pour les masses

Depuis la révolution d’octobre, il n’y a pas eu de changements dans la situation de notre prolétariat qui conduisent à la liquidation de son rôle révolutionnaire passé. Au contraire, il a grandi de façon plus sensible sur les plans politique et culturel.

Malgré le profond abattement de la classe ouvrière en ce qui concerne son état d’esprit politique, sa passivité, sa fatigue durant les années qui ont suivi la fin de la guerre civile, malgré l’exposition de certaines de ses couches à l’influence des préjugés petits-bourgeois qui lui viennent de la campagne et que la bureaucratie entretient consciemment, nous avons pu souvent observer la manifestation de la profonde résistance, sourde, de la classe ouvrière face à la ligne thermidorienne. Et cela permet d’estimer que maintenant, quand les illusions nuisibles parmi les masses s’effondrent rapidement, toute pression des classes ennemies peut créer à nouveau dans le parti et la classe ouvrière un retour vers l’activité révolutionnaire.

La politique actuelle de la bureaucratie centriste est clairement calculée pour brider le prolétariat, dans le but de lui retirer la possibilité de se défendre. En liaison avec cela, une différenciation, sur le plan de la conscience de classe des masses ouvrières, s’est effectuée à des niveaux plus ou moins clairement marqués. À côté d’une aristocratie ouvrière peu nombreuse et très bien payée, qui aspire à une vie tranquille, et un groupe d’ouvriers de choc assez important, mais qui n’est pas encore totalement formé, composant formellement le soutien du régime, il y a de nombreuses « recrues », venues de la petite bourgeoisie de la ville et de la campagne, dont l’état d’esprit va des relations de confiance bienveillantes à l’égard de toutes les fables que les centristes leur comptent, jusqu’à une haine plus consciente du pouvoir soviétique, tel qu’il est incarné par ses représentants actuels. Mais la fraction la plus importante du prolétariat industriel se libère progressivement des illusions passées, acquiert une expérience politique, et s’imbibe d’un profond mécontentement révolutionnaire ; elle continue de garder pour le moment une attitude d’attente, dans la mesure où le régime existant ne donne pas la possibilité aux sentiments des masses de se manifester librement, tant qu’ils n’atteindront pas leur limite supérieure, qui correspondrait à l’intensité de la pression politique qu’ils subissent. Ce noyau principal de la classe ouvrière, capable d’entrainer à sa suite le reste de la masse de nombreux millions de personnes, cherche maintenant une direction ferme, claire, ayant un programme d’action précis, visant à rétablir un régime normal et une ligne politique juste.

Les principales questions tactiques de notre lutte sont de trouver les voies pour gagner à nous des éléments révolutionnaires d’avant-garde et de la classe ouvrière et, par eux, gagner à notre influence, à notre direction la majorité de la classe ouvrière pour la lutte à venir pour la réforme. Et pour ce faire, notre première tâche consiste à contrecarrer tous les éléments de déception, de fatigue et d’apathie qui gênent l’essor de l’activité révolutionnaire des masses.

En même temps, on ne doit pas fermer les yeux sur le fait que la grande masse des ouvriers n’a pas pris conscience jusqu’à présent de la nécessité d’une lutte active contre la croissance du danger contre-révolutionnaire, par la faute de la direction centriste, malgré le fait que la dictature prolétarienne recèle de très grandes forces et possibilités de renaissance.

Nous savons qu’on ne peut pas vaincre vraiment avec la seule avant-garde. Et pour que toute la classe en arrive à un soutien direct et conscient de l’avant-garde, il est nécessaire qu’elle acquière sa propre expérience politique et sache la généraliser.

C’est pour cette raison qu’il devrait être clair pour nous que la défense des intérêts vitaux du prolétariat conduira au réveil des couches retardataires des masses, seulement quand les buts de la lutte seront étroitement liés à la situation concrète et seront compréhensibles pour les grandes masses. Ce n’est qu’en créant une organisation fortement ramifiée, liée étroitement aux masses sur leurs lieux de travail, et grandissant sur la base de la défense même des intérêts quotidiens les plus modestes, que nous pouvons compter sur la réussite de notre agitation, et sur le fait que cette masse nous suivra dans la lutte pour la réforme.

En nous préoccupant avant tout de la classe ouvrière dans sa globalité, nous devons mener le travail aussi bien parmi les membres du parti, que parmi les ouvriers sans parti, contrecarrant de toutes les façons possibles les tentatives de créer une séparation entre les uns et les autres. De telles tentatives sont aussi bien le fait de la bureaucratie centriste, qui essaie de semer la discorde entre les différents détachements de la classe ouvrière, que des partis anti-soviétiques, qui tentent de dresser les ouvriers sans parti contre le parti et de les détourner vers la voie de la contre-révolution.

Notre directive tactique acquiert de ce fait un sens particulier à l’égard des différents courants politiques, et avant tout à l’égard du centrisme lui-même, qui « représente le principal danger dans le parti » (L. Trotski).

Dans la mesure où l’objectif principal du centrisme est d’étouffer l’activité du prolétariat, aussi bien par des méthodes de terreur administrative et économique, que des méthodes sophistiquées de mensonge, notre tâche est un grand travail d’explication, destiné à démasquer le centrisme, dans le but de relever l’activité des prolétaires à un niveau où plus aucune menace n’est capable d’empêcher l’intervention des masses. En outre, nous devons expliquer avec ténacité aux masses que la voie de la réforme passe par le remplacement de la direction centriste « qui ne peut réaliser la réforme pour des raisons organiques » (Rakovski).

Le centrisme, qui suscite le désenchantement et la chute de l’activité même de la partie la plus révolutionnaire de la classe ouvrière, facilite l’influence des mencheviks sur les masses. En luttant contre le centrisme, et en montrant au prolétariat les voies les plus efficaces du sauvetage de son pouvoir (la dictature du prolétariat), nous paralysons en grande partie aussi l’influence des mencheviks et des autres partis anti-soviétiques qui font du travail dans la classe ouvrière. Il convient également de dire la même chose sur les anarchistes et les partis qui ont de la même façon des complices à l’intérieur de l’officiel PCR(b).

En luttant contre ces courants, nous nous battons contre la division de la classe ouvrière en sphères d’influence, en fonction de ses principales catégories sociales, contre sa soumission à différentes influences étrangères de classe, et pour son unité, son regroupement, avec le mot d’ordre du rétablissement de la dictature du prolétariat. Mais cette tâche ne peut pas être accomplie par une action extérieure, en lançant simplement des mots d’ordre ronflants, sans un travail préparatoire correspondant dans toutes les organisations ouvrières de masse.

En premier lieu, de ce point de vue, la lutte dans le secteur prolétarien du parti officiel est l’une des tâches à accomplir. Mais le travail dans cette direction ne doit en aucun cas masquer la nécessité de conquérir les organisations prolétariennes hors du parti, et particulièrement les syndicats.

Ce n’est qu’en attirant de notre côté toute l’aile révolutionnaire du parti et la majorité révolutionnaire de la classe ouvrière, ainsi qu’en rétablissant ensuite la confiance à son égard des couches pauvres et moyennes du village (par la voie de la propagande de mesures économiques correspondantes), que nous pourrons réaliser une réforme dans toute l’ampleur nécessaire.

Au cours de notre lutte, nous aurons sans doute à faire face à la résistance cruelle des forces thermidoriennes et bonapartistes. Et là se posera au prolétariat la question des formes que prendra sa lutte avec ces forces, car, celle-ci ne pourra certainement pas se faire sans un épisode de guerre civile.

Le parti officiel représente maintenant la cohabitation de deux camps de la guerre civile. (L. F.) [27]

Cette cohabitation ne peut continuer longtemps. L’un de ces camps doit périr, afin de laisser la place au développement de l’autre.

Nous ne pouvons pas, par conséquent, miser sur le travail en direction du parti officiel, qui n’existe pas comme parti, mais nous devons choisir de nous orienter vers la recréation du vieux parti léniniste avec le secteur révolutionnaire prolétarien du parti officiel et les ouvriers actifs, d’avant-garde, consciemment révolutionnaires, qui se trouvent actuellement hors du parti.

La fraction bolchevik-léniniste, organisée et en état d’agir, sera la base sur laquelle se fera la cristallisation de ces éléments prolétariens et révolutionnaires, et la renaissance du parti léniniste.

V. Les formes et les méthodes de lutte pour la réforme

En nous donnant pour tâche de contribuer à l’organisation des masses ouvrières, nous devons, en même temps, nous rendre compte que le régime et la politique centriste conduisent objectivement à ce que, dans le mouvement des masses, une certaine spontanéité puisse prendre le dessus sur le niveau d’organisation que l’opposition léniniste peut donner à ce mouvement.

C’est pour cette raison que, dans le cas où un mouvement se déclare de façon spontanée, nous ne refuserons pas d’y participer. Car lorsque se présentent les conditions objectives d’une pression révolutionnaire directe, se mettre au service du mouvement des masses est, comme dit Lénine, « la tâche la plus élevée du parti ».

Pour autant, nous ne sommes pas complaisants avec les éléments de spontanéité des mouvements, nous ne nous soumettons pas à eux, nous aspirons de toutes les manières possibles à les combattre, à soumettre ces mouvements à notre influence : « aller à la rencontre des masses ne veut pas dire lâcher pied devant la spontanéité » (L. T.).

Aujourd’hui, alors que la grande masse de la classe ouvrière (et pas toute son avant-garde) n’est pas encore sortie de son attentisme, il nous faut rejeter catégoriquement les propositions qui sont dictées par l’impatience révolutionnaire et l’absence de maturité politique.

Est-ce que cela veut dire que nous appelons à la passivité et inculquons aux éléments d’avant-garde du prolétariat qu’il faut survivre avec fatalisme, tant que le développement objectif des événements ne nous apportera pas des résultats tout prêts « par eux-mêmes » ? Absolument pas.

Cela veut seulement dire qu’il ne s’agit pas de lancer des mots d’ordre qui ne peuvent être encore compris des masses ouvrières et qui ne se déduisent pas de leur propre expérience. La principale tâche des ouvriers d’avant-garde et conscients, à l’étape actuelle de l’offensive politique, doit consister, non à crier des slogans ronflants, mais à réaliser un travail opiniâtre pour créer une organisation clandestine extrêmement ramifiée, afin d’être en mesure, grâce elle, de se saisir des conflits, particuliers ou plus généraux, des ouvriers avec la bureaucratie, et d’entraîner de plus en plus de masses d’ouvriers à la lutte pour la réforme. Jusqu’à présent, la lutte de la classe ouvrière contre le régime bureaucratique a eu principalement un caractère individualiste et anarchique. Dans les conditions d’étouffement complet de l’activité normale des syndicats, qui se sont transformés d’organes de défense des intérêts des ouvriers en organes auxiliaires des gestionnaires, les ouvriers ont recours à des formes de lutte comme les absences injustifiées, la détérioration des machines, l’assassinat des ouvriers de choc, etc.

L’opposition léniniste ne met pas en avant toute forme de mécontentement à l’égard du régime bureaucratique existant et de sa politique. Sa tâche consiste à préparer et à organiser la résistance collective et de masse à toute la politique de la bureaucratie stalinienne. Et en ce sens, il y a, à la disposition du prolétariat, toute une série de méthodes mises au point par l’expérience passée du mouvement, en commençant par les protestations organisées et en finissant par des manifestations, des grèves, etc.

Le mouvement, lorsqu’il a atteint une grande force et exerce une grande pression, peut se manifester en exerçant directement sa propre autorité, par la démocratie ouvrière, la destitution et l’élection des fonctionnaires dans le parti, les syndicats, les soviets.

En fonction du degré de développement d’un mouvement ouvrier de masse, la grève acquiert une grande importance en sa qualité d’instrument traditionnel de lutte de la classe ouvrière ; son utilisation dans les conditions actuelles est punie avec toute la sévérité de l’arbitraire bureaucratique, bien que du temps de Lénine elle ait été reconnue comme moyen de défense des ouvriers contre les perversions de l’appareil au pouvoir. Une résolution connue du 11e congrès [28] du parti sur les syndicats obligeait les cellules communistes des entreprises à se mettre à la tête des ouvriers contre les déformations bureaucratiques des organes économiques d’État (après épuisement complet des autres moyens d’action).

Dans les conditions actuelles, l’utilisation organisée des grèves peut jouer un grand rôle dans la mobilisation des forces prolétariennes avec les slogans de réforme du parti, des syndicats et des soviets.

La résolution du 11e congrès nous donne un argument important en faveur du droit de grève contre le régime bureaucratique. L’opposition doit montrer aux masses qu’elle est à cet égard le vrai promoteur de la ligne léniniste.

Enfin, dans les conditions se rapprochant de la pire des situations, celle qui exige la plus grande tension des forces du prolétariat, sa lutte peut prendre la forme la plus aiguë.

En cas d’intervention ouverte des éléments bonapartistes, dans le but d’un coup d’État contre-révolutionnaire, le seul moyen de rétablir la dictature du prolétariat est l’écrasement armé de la contre-révolution, d’où qu’elle vienne.

VI. Conclusion

L’opposition bolchevik-léniniste a toujours considéré sa lutte pour la réforme comme une tâche internationale. La lutte qui a été et qui est actuellement menée par l’opposition contre la direction stalinienne, l’est en lien étroit avec la lutte générale de l’aile gauche du Komintern contre la domination du centrisme. Sans le remplacement de la direction centriste du Komintern, la préparation du facteur subjectif de la révolution mondiale est impossible, car l’histoire de la direction stalinienne est l’histoire de ses erreurs incessantes et des défaites du prolétariat international suscitées par elles (L. Trotski).

Le centrisme stalinien et sa domination au Komintern ont grandi sur la base de la stabilisation relative du capitalisme et d’une série de défaites du prolétariat européen au cours des huit dernières années. Les succès de la lutte contre l’opportunisme stalinien et pour la renaissance du Komintern seront stimulés par l’essor du mouvement ouvrier international.

L’analyse de la situation internationale montre clairement la justesse de l’évaluation générale du 3e congrès de l’IC [29] selon laquelle « la courbe du développement capitaliste est, d’une façon générale, descendante avec des mouvements passagers de remontée ; la courbe de la révolution est, par contre, montante avec quelques fléchissements ».

Nous pouvons, en nous appuyant sur ce fait, attendre en toute certitude un nouvel essor de la révolution prolétarienne, qui sapera profondément le terrain sous les pieds de la domination de la bureaucratie centriste et créera la poussée que nous attendons au profit de la classe ouvrière et de l’aile gauche du Komintern.

C’est justement pour cette raison que l’opposition léniniste n’a jamais considéré (à la façon des zinoviévistes et des décistes qui souffrent de la même façon du bornage national) sa lutte contre le centrisme en faisant abstraction de sa dépendance à l’égard du développement de toute la situation internationale.

En menant une lutte opiniâtre pour la renaissance du Komintern sur les bases du léninisme, nous créons par là même les éléments subjectifs de l’essor futur de la lutte prolétarienne, en préparant le lendemain du mouvement communiste international.


[1Komintern : Commounistitchéski Internatsional (en russe), soit Internationale communiste en français (IC).

[2Le 14e congrès du Parti communiste (bolchévique) de l’URSS (PC(b)U) s’est tenu à Moscou entre le 18/12/1925 et le 31/12/1925.

[3Déclaration des 46 : lettre envoyée par un groupe de 46 dirigeants soviétiques au Bureau politique du Comité central du PC(b)U le 15 octobre 1923, et gardée secrète, comme ne concernant que le bureau politique. Écrite par 46 dirigeants bolcheviks, dont Préobajenski, Antonov-Ovséïenko, Smirnov, Piatakov… elle décrit la situation dans le pays, critique la direction du parti et son manque de démocratie.

[4Cours nouveau de L. Trotski, écrit fin 1923.

[5Le 15e congrès du PC(b)U s’est tenu à Moscou entre le 02/12/1927 et le 19/12/1927. Lors de ce congrès, les dirigeants de « l’opposition unifiée » sont exclus du parti. (Trotski l’avait été avant même le congrès, au mois de novembre). C’est également là qu’ont été avancées les premières résolutions sur le travail à la campagne et directives pour la mise en place du 1er plan quinquennal.

[6Dans les années 1920, le mouvement oppositionnel était animé par G. Zinoviev à Leningrad, ville où il avait une grande influence dans le Parti bolchévique et dont il avait été président du soviet en décembre 1917. (Elle s’appelait alors Petrograd, avant qu’on l’affuble du nom de Lénine en 1924, question d’honorer le mort… et faire, en son nom, le contraire de sa politique. Rebaptisée depuis 1991 de son nom sous le tsarisme, Saint-Pétersbourg, pour faire oublier son passé rouge. Mais c’est une autre histoire).

[7Déclaration de 1923  : voir la note 3.

[8Déclaration des 83, rédigée par Léon Trotski et envoyée au Comité central du PCPR en mai 1927. Thèmes traités : échec en Chine, échec en Grande-Bretagne, politique intérieure, danger de la guerre, unité du parti, défense de G. Zinoviev. Elle a été signée dans un premier temps par 83 bolcheviks de l’opposition (en fait 84), puis par plus de 3 000.

[9Plate-forme des 13  : préparée pour le 15e congrès du PC(b)U en septembre 1927, elle était signée à la fois par Kamenev, Zinoviev, Trotski, et plusieurs autres dirigeants de l’opposition trotskyste.

[10Usine Poutilov : usine d’armement construite en 1801 sous le règne de Paul 1er à Saint-Pétersbourg. Sa production se diversifie avec le temps (matériel ferroviaire, par exemple). En 1900, l’usine occupait la première place dans l’empire russe pour sa production métallurgique et de machines. En 1917, 29 000 ouvriers y étaient employés. Ils ont joué un rôle majeur dans les événements. Plus de 10 000 ouvriers ont rejoint les fronts de la guerre civile. Nationalisée en 1917, l’usine a été privatisée en 1992.

[11La défaite du 16 octobre 1926 : au plénum du Comité central du PC(b)U, L. Trotski, G. Zinoviev et L. Kamenev ont été exclus du Bureau politique.

[12La 15e conférence du PC(b)U s’est tenue à Moscou entre le 26 octobre et le 3 novembre 1926. Elle était consacrée à la situation internationale, à la situation économique du pays et aux tâches du parti et des syndicats, enfin à l’opposition.

[13Ce 7e plénum du Comité exécutif de l’IC s’est tenu à Moscou du 22/11 au 16/12/1926. Il portait sur la situation internationale (en particulier la Grande-Bretagne, la Chine et l’Allemagne), l’action du Comité exécutif de l’IC, les syndicats, et les oppositions à l’intérieur du parti russe (des exclusions).

[14Ce plénum du Comité central du parti, tenu le 12 février 1927, a voté les résolutions relatives à l’industrie du bâtiment en 1926/1927 et à La baisse des prix de vente et de détail.

[15Le groupe « Centraliste démocratique » (abrégé CD, également nommé Déciste), s’est formé en tant que tendance dans le parti bolchévique en mars 1919 au 8e congrès du PCR. Les dirigeants principaux étaient Valériane Ossinski, Vladimir Smirnov et Timoféï Sapronov. Ils voulaient revenir à une pratique politique et économique initiée par la base ouvrière au détriment de la centralisation et de la bureaucratisation qui s’étaient instaurées. Ils s’impliquèrent également dans le débat sur les syndicats fin 1920, début 1921. Le groupe se dissout en mars 1921 suite au 10e congrès du PCR qui condamne les fractions. Ses membres se lièrent en 1923 avec l’opposition de gauche initiée par Trotski, puis à l’opposition unifiée de Trotski avec Kamenev et Zinoviev, et rompirent avec l’opposition trotskiste après la défaite de cette opposition unifiée du 16 octobre 1926, dont parle l’article. Certains membres ont fait ensuite défection, d’autres sont restés fidèles à leurs idées, mais tous ont subi la répression stalinienne (isolateurs, prisons, exils, puis exécutions massives à la fin des années trente). Par rapport au régime stalinien, ils jugent que « Si chez nous les moyens de production sont nationalisés et que le pouvoir d’État n’est pas entre les mains de la classe ouvrière, alors l’absence par elle-même de la propriété privée des moyens de production montre que le sujet de l’exploitation a changé (le propriétaire), mais pas l’objet (la classe ouvrière) » [T. Sapronov : L’agonie de la dictature petite-bourgeoise]

Ils jugent en quelque sorte la contre-révolution comme achevée, et ont, dans la période du « Grand tournant » de Staline vers la dékoulakisation, une politique que Trotski juge à la fois gauchiste et en partie défaitiste. C’est à leur propos que Trotski écrit, fin 1928 : « … aller au-devant de la masse ne signifie pas se mettre à la tête des mouvements désordonnés auxquels tendent les « décistes », qui, ou bien se casseront le cou sur une politique d’aventure, ce qui ne serait qu’un demi-malheur, ou bien aideront accidentellement l’ennemi à tordre le cou à la révolution, ce qui est beaucoup plus grave […] » Et estimant nécessaire de se démarquer de cette politique, Trotski ajoutait : « Il faut que les flancs et l’arrière soient pour nous délimités par une ligne claire, afin que la masse sache où nous sommes et où nous ne sommes pas. » Cf. (Lettre du 21 octobre 1928). C’est ce point de vue que rappellent ici les rédacteurs du journal retrouvé de l’isolateur de Verkhnéouralsk.

[16Avril 27 : le 12 avril 1927, le Kuomintang retourne ses armes contre le Parti communiste chinois à Shanghaï et y écrase dans le sang la classe ouvrière, attisant ainsi la confrontation entre l’opposition de gauche et la majorité du PC(b)U.

[17Plénum de novembre 1928 : le plénum du Comité central du PC(b)U s’est tenu à Moscou du 16 au 24 novembre 1928. L’opposition droitière y a été condamnée ; celle-ci a cependant voté cette résolution avec les partisans de Staline pour préserver l’unité du parti.

[18À une nouvelle étape est un texte écrit après le 18 décembre 1927. La citation n’y a pas été retrouvée.

[19Plénums d’avril et de juillet 1928 : le premier s’est déroulé du 6 au 11 avril 1928 à Moscou et réunissait le Comité central du PC(b)U et la Commission centrale de contrôle du PC(b)U ; il était consacré à des questions agraire, industrielle, d’organisation du parti. Le second s’est déroulé du 4 au 12 juillet 1928 à Moscou et réunissait le Comité central du PC(b)U ; questions abordées : Komintern, agriculture, formation de spécialistes, nominations.

[20« À la fin de 1928, une campagne pour le renouvellement des conventions collectives s’est ouverte dans tout le pays […]  », précise Mikhail Vassiliev dans le numéro 20 des Cahiers du mouvement ouvrier : « Étant donné l’aggravation brutale des conditions de vie et de travail de la classe ouvrière, la hausse des prix sur les marchandises de première nécessité, un mouvement de grève s’est intensifié dans le pays. » Et il cite un document de l’opposition de gauche à l’époque qui dit : « Le mécontentement des ouvriers, ne trouvant pas d’issue auprès des syndicats, s’amplifie […] La grève, c’est le moyen extrême d’autodéfense de la classe ouvrière contre les perversions de l’appareil bureaucratique. […] les bolcheviks-léninistes doivent prendre la tête du mouvement partout et en se souciant en tout lieu de la défense des intérêts des travailleurs, luttant sans merci contre les perversions bureaucratiques. »

[21Nous n’avons pas le texte de la déclaration du 4 octobre 1929, rédigée par Rakovski, l’un des responsables de l’opposition trotkiste à l’époque. Mais elle est, semble-t-il, dans la continuité d’une autre déclaration de Rakovski, cosignée avec deux autres oppositionnels, Kossior et Okoudjava, datant du 22 août (publiée notamment par P. Broué dans Les cahiers Léon Trotsky no 6, p. 78 à 85). À sa façon, ce texte du 22 août saluait le tournant à gauche de la direction stalinienne, avec son plan d’industrialisation que les signataires de la déclaration appelaient à soutenir, appelant en même temps à la réintégration de l’opposition de gauche dans le parti, y compris la réintégration de Trotski et son retour d’exil.

Trotski a, à postériori (fin septembre), approuvé sur le fond ce texte, auquel il apportait sa signature. Dans sa Lettre ouverte aux bolcheviks-léninistes signataires de la déclaration du 22 août 1929, il écrivait : « Le fait du tournant à gauche de la direction officielle est patent. Depuis 1926, nous avons plus d’une fois prédit qu’il était inévitable sous les coups de la lutte de classe qui avait sans aucune difficulté démoli le cadre de la politique droite-centre. De même il n’est pas nécessaire de démontrer ici le fait incontestable que, si la lutte contre notre plate-forme a été conduite avec les arguments du groupe de droite actuel, la lutte officielle contre ce dernier a été menée avec des arguments empruntés à notre plate-forme. […] Vous avez absolument raison de souligner que le plan quinquennal de construction socialiste peut devenir une étape très importante dans le développement de la révolution d’Octobre. Dans des termes mesurés, mais sans équivoque, vous soulignez les conditions qui seraient nécessaires pour cela mais qui n’existent pas encore ».

Mais il mettait en garde contre toute illusion sur le cours qu’allait suivre la direction stalinienne, tant sur le plan international que dans sa politique vis-à-vis de la classe ouvrière et dans le parti : « La direction maintient et même renforce la répression parce que la coïncidence de nombre des mesures pratiques extrêmement importantes qu’elle a prises dans sa politique actuelle avec les mots d’ordre et formulations de notre plate-forme, ne fait nullement disparaître pour elle la dissemblance des principes théoriques d’où la direction et l’Opposition partent pour leur examen des problèmes de l’heure. »

Cette mise en garde semble avoir été prise en compte dans la déclaration du 4 octobre, qui était devenue, plus que sa première ébauche du 22 août, une référence pour l’opposition de gauche (dont les rédacteurs du texte). C’est ce que l’on voit par le résumé qu’en donne Rakovski lui-même en avril 1930 : « Dans sa déclaration au C.C. et à la C.C.C. du 4 octobre de l’année dernière, l’Opposition bolchevik-léniniste s’est élevée contre les mesures administratives extraordinaires à la campagne, parce qu’elles entrainent des conséquences politiques négatives. Nous nous sommes également élevés contre la théorie tout à fait néfaste de la possibilité de construction d’une société socialiste dans un seul pays […]  ». Cette déclaration dénonçait « l’application – en vue de l’accroissement de la discipline du travail et de la rationalisation – de procédés rejetés par la révolution d’Octobre » (décrets sur la discipline, introduction de la semaine continue, augmentation des normes de production…). Elle indiquait « la nécessité d’une unification de toutes les forces communistes et révolutionnaires autour du Plan quinquennal d’industrialisation et de la lutte contre le capitalisme agraire et les droitiers. […] Dans la mesure cependant où la réalisation du mot d’ordre d’unification de toutes les forces communistes signifie la fin de la période du monopole politique du centrisme la bureaucratie centriste va le combattre avec le même acharnement que dans le passé ». (Déclaration en vue du xvie congrès du PCUS, du 12 avril 1930, signée de Rakovski, Kossior, Mouralov et Kasparova, publiée par P. Broué dans le Cahier Léon Trotsky no 6, p. 90 à 103).

[22Il s’agit en fait d’une décision prise le 14 mars 1930 par le Comité central du PC(b)U sur La lutte avec les déviations dans le mouvement kolkhozien par rapport à la ligne du parti. Cette décision a fait suite à l’article signé par Staline dans la Pravda du 2 mars 1930, intitulé Le vertige du succès. Devant les difficultés rencontrées et la résistance des paysans, la campagne de « collectivisation » a été stoppée un temps et un certain nombre de cadres de base ont été réprimés pour gauchisme.

[23Il s’agit vraisemblablement du texte du 12 avril 1930, signé de Rakovski, Kossior, Mouralov et Kasparova, puis cosigné par quelques autres (Broué en cite deux autres) dont nous avons parlé dans la note 21.

[24Nous n’avons pas ce texte. Il semble être la lettre de Trotski d’août 1930 dont dit se souvenir Ciliga dans Au pays de mensonge déconcertant (une de ces lettres surnommées les « cartes postales » qui parvenaient aux oppositionnels même dans les prisons). Ciliga n’en cite pas le texte, mais seulement les longues discussions qu’ont suscitées au sein des trois tendances des oppositionnels de Verknéouralsk l’appréciation que Trotsky donnait du stade où en était le « bonapartisme stalinien ».

Ciliga écrit : « Une de ses phrases : “La préparation du bonapartisme dans le parti est achevée”, devint le fondement de tous les raisonnements et de toutes les thèses de la gauche. Quant aux droites, ils ne lui attribuaient qu’une valeur rhétorique sans importance pour l’attitude d’ensemble adoptée par Trotski. Les gauches ne voulaient entendre que le jugement négatif émis par Trotski sur la superstructure politique du régime, les droites – que son jugement positif quant à la base sociale : dictature du prolétariat et caractère socialiste de l’économie » (Ante Ciliga, Dix ans au pays du mensonge déconcertant, p. 181-182 de l’édition 10/18 de 1977). Mais il ne nous renseigne pas sur les précisions que Trotski donnait sur la nouvelle tactique de l’opposition dont parlent ici les auteurs du texte des oppositionnels emprisonnés.

[26Il s’agit vraisemblablement de la même « carte postale » d’août 1930 citée plus haut (cf note 24)

[27L. F. : Peut-être, sous ces initiales, les auteurs du texte tiennent-ils à citer L. Fédortchenko qui, si l’on en croit la liste des bolcheviks-léninistes enfermés dans l’isolateur de Verkhnéouralsk, publiée dans le no 19 de mars 1931 du Bulletin de l’Opposition, y aurait été enfermé. S’agirait-il de Léonide Fédortchenko dont a retrouvé mention par ailleurs et qui serait décédé en 1929 ?

[28Le 11e congrès du PC(b)U s’est tenu à Moscou du 27 mars au 2 avril 1922. Dans le projet de résolution sur Le rôle et les tâches des syndicats dans les conditions de la Nouvelle politique économique, rédigé par Lénine pour ce congrès, il écrivait : « Le passage des entreprises d’État à l’autonomie financière est inévitablement et indissolublement lié à la nouvelle politique économique, et dans un très proche avenir ce type de gestion deviendra immanquablement prépondérant, sinon exclusif. En fait, cela signifie, dans une situation où la liberté du commerce est autorisée et se développe, que les entreprises d’État reviennent dans une mesure notable à des bases commerciales capitalistes. Cette constance, jointe à la nécessité impérieuse d’accroître la productivité du travail, d’obtenir de chaque entreprise d’État une gestion non déficitaire et même bénéficiaire, à l’attachement légitime ou même excessif aux intérêts particuliers de l’entreprise, ne peut manquer d’engendrer une certaine contradiction d’intérêts entre la masse des ouvriers et les directeurs, les administrateurs des entreprises d’État ou les services administratifs dont ils relèvent. Aussi est-ce le devoir absolu des syndicats, même à l’égard des entreprises d’État, de défendre les intérêts de classe du prolétariat et des masses travailleuses vis-à-vis de leurs employeurs. » Et un peu plus loin il ajoutait : « C’est pourquoi une des tâches essentielles des syndicats consiste à défendre dans tous les domaines et par tous les moyens les intérêts de classe du prolétariat dans sa lutte contre le capital. Cette tâche doit être ouvertement située parmi les toutes premières, l’appareil des syndicats doit être réorganisé, modifié ou complété en conséquence, il faut créer, ou plus exactement faire en sorte que s’organisent des fonds de grève, etc. […] D’où il découle qu’actuellement nous ne pouvons absolument pas renoncer au recours à la grève, que nous ne pouvons par principe admettre que la loi substitue aux grèves l’arbitrage obligatoire de l’État. »

La résolution insistait aussi sur « la différence entre la lutte de classe du prolétariat dans un État qui reconnaît la propriété privée de la terre, des usines, etc., avec un pouvoir politique aux mains de la classe des capitalistes, et la lutte économique du prolétariat dans un État qui ne reconnaît pas la propriété privée de la terre et de la majorité des grosses entreprises, dans un État dont le pouvoir politique est dans les mains du prolétariat » en écrivant : « il est évident que le but final visé par les grèves en régime capitaliste est la destruction de l’appareil d’État et le renversement de la classe détenant actuellement le pouvoir d’État. Mais dans un État prolétarien de type transitoire comme l’est le nôtre, le but final visé par les grèves ne peut être que le renforcement de l’État prolétarien et du pouvoir d’État exercé par la classe prolétarienne, au moyen de la lutte contre les déformations bureaucratiques de cet État, contre ses erreurs et ses faiblesses, contre les appétits de classe des capitalistes échappant à son contrôle, etc. » (Lénine, Œuvres, tome 33, p. 185-196 de l’édition en français.)

[29Ce 3e congrès de l’IC : il s’est tenu à Moscou entre le 22 juin et le 12 juillet 1921. 103 partis et organisations et 605 délégués y ont participé. La citation est extraite des Thèses sur la situation mondiale et les tâches de l’Internationale communiste, chapitre VII, Perspectives et tâches.


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