1942 |
Thèses adoptées à l'unanimité en juillet 1942 par des sections
européennes de la IV° Internationale, « quelque part en
Europe occupée ».
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IV° Internationale
Thèses sur la question nationale
Juillet 1942
La nation est le cadre territorial dans lequel le capitalisme a pris son essor. La réalisation de l'unité nationale a été l'un des objectifs essentiels de la révolution bourgeoise, à ce titre indissolublement liée aux revendications agraires et démocratiques. Au travers de l'unité nationale, la révolution bourgeoise visait à la réalisation d'un marché unique débarrassé des particularismes féodaux, tremplin vers un marché mondial et domaine réservé au capitalisme national (protectionnisme).
Partant de ces nécessités fondamentales du développement de la société bourgeoise, les intellectuels petits-bourgeois ont bâti tout un édifice idéologique qui est essentiellement caractérisé par la rencontre de deux tendances contradictoires : d'une part tendance où se reflète l'aspiration du capitalisme à dominer le marché mondial, cosmopolitisme, constitution d'une civilisation mondiale ; d'autre part sentiment national, réveil des cultures nationales répondant au caractère national des cadres de la production. Ces deux tendances, absolument conciliables tant que des débouchés nouveaux s'ouvrent au capitalisme, s'opposent violemment à partir du moment où le capitalisme s'est emparé de la totalité du marché mondial.
À l'époque du capitalisme libéral, la circulation des richesses a déjà un caractère international, mais le processus de la production se déroule avant tout dans le cadre national. À l'époque de l'impérialisme, au contraire, le capitalisme brise tour à tour les cadres nationaux de la production. Le maintien et l'élargissement du profit capitaliste ne peuvent plus désormais être recherchés dans la conquête de nouveaux débouchés. L'époque impérialiste est celle de l'exportation des capitaux et de l'importation des dividendes ; l'exportation des capitaux ne signifie rien d'autre que l'exportation d'entreprises industrielles et bancaires.
Ainsi s'élaborent de nouveaux modes de relations internationales. La nouvelle organisation économico-politique du monde trouve son expression condensée dans les notions de « Commonwealth » ou d'« espace vital » : zone préférentielle d'exportation des capitaux protégés par une série de barrières économiques et politiques, à l'intérieur desquelles les États nationaux continuent à subsister. L'indépendance politique de ceux-ci ne subit en principe aucune atteinte, mais ils tendent de plus en plus à être réduits à un état de vassalisation économique qui rend leur indépendance politique de plus en plus illusoire.
Le marché mondial partagé, ses possibilités d'absorption en régime capitaliste atteintes, le monde divisé en zones réservées d'exportation des capitaux, la surproduction relative et les crises devenues le mode d'existence le plus constant du capitalisme, chaque impérialisme n'a plus d'autre ressource que de tenter d'imposer par la force une nouvelle répartition des zones d'investissement et des marchés, de tenter d'accroître, aux dépens des impérialismes rivaux, le nombre des pays économique vassalisés.
Aussi la période de l'impérialisme est-elle caractérisée par la permanence des guerres, tantôt sourdes, tantôt brutales, tantôt locales, tantôt mondiales, toutes ayant pour objet un nouveau partage du monde, l'entrée de pays autrefois indépendants dans l'orbite économique de puissances impérialistes en nombre toujours plus restreint. Ainsi l'impérialisme, tout en brisant les cadres nationaux de la production, multiplie prodigieusement l'oppression nationale.
L'impérialisme a fait craquer les cadres nationaux de la production : celle-ci est devenue un processus international dans son essence même. De même qu'en expropriant des milliers de capitalistes et en concentrant la richesse économique, il a préparé le passage de l'économie aux mains du prolétariat, de même il a jeté les bases d'une organisation internationale de la production, dans laquelle la suppression du profit capitaliste permettra de supprimer l'exploitation de l'homme par l'homme et fera profiter chacun du travail de tous.
Parce qu'il est l'incarnation exacerbée de la soif du profit capitaliste, l'impérialisme fait servir la concentration industrielle, l'économie dirigée et l'organisation internationale de la production aux pires fins réactionnaires. Seule la révolution prolétarienne peut briser le cercle infernal des crises et des guerres ; seul le socialisme, en organisant à l'échelle internationale la production, la consommation et le circuit des richesses, peut supprimer la cause des guerres ; seule la révolution mondiale, en brisant le joug de l'impérialisme peut mettre fin à l'oppression nationale, par les États unis socialistes du monde. C'est pourquoi les révolutionnaires, tout en soutenant les justes revendications nationales des peuples opprimés, n'oublient pas un seul instant qu'il n'y a de solution à la question nationale que par la révolution prolétarienne internationale.
Ainsi les revendications nationales prennent à l'époque de l'impérialisme une signification nouvelle.
D'une part, dans les pays arriérés (colonies, semi-colonies), les revendications anti-impérialistes et anticapitalistes viennent se fondre avec les revendications agraires, démocratiques et nationales aux tâches de la révolution prolétarienne. Commencée sous la direction de la bourgeoisie, avec des objectifs nationaux et démocratiques, la lutte révolutionnaire dans les pays coloniaux ne peut être menée jusqu'à sa conclusion logique que sous la conduite du parti révolutionnaire du prolétariat, par la démocratie soviétique, et comme un maillon dans la chaîne de la révolution prolétarienne mondiale : socialement et historiquement, la lutte révolutionnaire prend ainsi un caractère permanent qui lie indissolublement toute lutte révolutionnaire à la lutte révolutionnaire du prolétariat des grands pays capitalistes pour le pouvoir. D'autre part, des rapports particuliers de vassalité se sont créés au cours des dernières vingt années entre pays capitalistes exportateurs de capitaux et pays capitalistes importateurs de capitaux. D'un côté les nations de l'Europe centrale et de l'Amérique latine ont vu leur économie dominée par les grands trusts internationaux, leur bourgeoisie petite et moyenne ruinée au bénéfice du capital financier étranger avec l'aide active et intéressée des banquiers de la grande bourgeoisie nationale, leur vie politique réduite à des heurts violents entre des pantins de tel ou tel impérialisme. D'un autre côté, pour faciliter sa domination, pour jeter quelques miettes aux bourgeoisies vassalisées, les grandes puissances, au travers de remaniements de frontières, de découpages absurdes de la carte des continents, ont remis à d'impuissantes bourgeoisies érigées en nations le soin de dominer et d'opprimer les nations les plus faibles et les plus arriérées économiquement ; ainsi, la « prison des peuples » a été partagée en une série de cachots étroits et obscurs où les Tchèques ont brimé les Slovaques, les Polonais, les Ukrainiens, les Serbes, les Croates.
La révolution qu'apporte sur ce point « l'ordre nouveau » hitlérien, c'est l'élévation au rôle de garde-chiourme au service de l'Allemagne, des nations économiquement les plus arriérées de l'Europe, la Slovaquie, la Croatie, la Hongrie, la Finlande, la Bulgarie. Mais cette promotion de pays agraires au rang de puissance dissimule mal la domination absolue des trusts et banques allemands sur tout le centre et l'est de l'Europe, de même que les phrases sur la solidarité interaméricaine ne peuvent cacher l'exploitation éhontée à laquelle le capitalisme américain, ayant éliminé un à un ses rivaux, soumet aujourd'hui la main-d’œuvre et les richesses de l'Amérique latine.
Enfin, au travers de ces guerres, des nations, qui étaient des puissances impérialistes, se trouvent à leur tour soumises à la domination de quelques grandes puissances mondiales dont le nombre va sans cesse diminuant. Au lendemain de la guerre 1914-1918, les grandes puissances victorieuses s'efforçaient de réduire à un état de sujétion politique et économique l'ancienne Autriche-Hongrie morcelée, l'Allemagne et l'Italie, par le jeu complexe des annexions, des traités, des dettes de guerre et des grands emprunts internationaux. La France elle-même, d'une position de premier plan parmi les alliés, se trouvait peu à peu refoulée au rang de puissance secondaire. La nouvelle guerre impérialiste a accéléré ce processus : elle a définitivement réduit l'Italie au rang de vassale, mis fin au rôle de la France comme puissance impérialiste de premier plan, arraché définitivement à l'Angleterre sa domination sur le marché mondial. Ainsi, non seulement le prolétariat et la petite paysannerie du monde entier se trouvent soumis à la domination d'un petit nombre de monopoles internationaux, mais encore les petite et moyenne bourgeoisies se trouvent ruinées au profit du grand capital étranger.
L'impérialisme, tout en brisant les cadres nationaux de la production en ouvrant la voie à une organisation internationale des échanges et de la consommation, multiplie prodigieusement l'oppression nationale. Un nombre énorme de petites nations, ainsi que de grands pays coloniaux , sont soumis à vassalisation plus ou moins ouverte. Les pays même qui conservent une indépendance nationale sont soumis à une dictature économique impitoyable ; leur agriculture, leur industrie, leur commerce, leurs finances publiques et privées, assujettis au contrôle implacable des trusts et des banques américains, japonais ou allemands. Loin de jeter les bases d'une communauté internationale des peuples, l'impérialisme exaspère les haines nationales et le chauvinisme, dresse les populations paysannes contre celles des villes, fait remonter à la surface les préjugés les plus monstrueux, les sentiments les plus abjects, dresse les uns contre les autres des peuples également opprimés qui espèrent trouver quelque soulagement à leur propre esclavage en soumettant leur voisin à une oppression plus sauvage encore.
La petite bourgeoisie des villes et des campagnes et, avec elle, la moyenne bourgeoisie, ruinées et spoliées par les grands monopoles internationaux, chassées des carrières libérales et administratives par la montée des démagogues et des aventuriers prêts à se vendre au plus offrant, se lèvent pour réclamer le retour de leur splendeur ancienne, la liquidation des monopoles, le maintien de leurs privilèges, la lutte contre le capital financier international pour la défense de la nation. Ainsi la renaissance du nationalisme est étroitement liée au profond mouvement social qui dresse les masses petites-bourgeoises contre l'ordre capitaliste, au nom du capitalisme lui-même. Révolutionnaire en tant qu'il vise au renversement de l'ordre existant, ce mouvement est réactionnaire par les objectifs utopiques qu'il se fixe. Incapable socialement de promouvoir une solution propre à la crise du capitalisme, la petite bourgeoisie doit, ou bien se rallier au grand capital contre le prolétariat, et constituer la troupe de choc de la contre - révolution, ou se ranger aux côtés du prolétariat dans la lutte des ouvriers et des paysans pour le pouvoir et le socialisme. En soi, le mouvement national n'est ni progressiste ni réactionnaire : il ne deviendra l'un ou l'autre qu'en fonction de la classe à laquelle se ralliera la petite bourgeoisie : réactionnaire si, aux côtés du grand capital, elle se fait, contre le prolétariat, l'instrument de défense et conquête de l'impérialisme ; progressiste, si elle lutte aux côtés du prolétariat, pour la suppression de l'exploitation capitaliste et pour le socialisme.
L'impérialisme permettant de moins en moins de dissimuler cette domination sous le voile pudique du libéralisme, la force des armes apparaît de plus en plus ouvertement comme l'instrument de régularisation des relations économiques. Dans les pays impérialistes vassalisés, le capital financier ne résiste pourtant pas à lutter pour reprendre sa place sur le marché mondial. Il se doit de susciter dans les masses un mouvement de chauvinisme exacerbé. C'est à la petite bourgeoisie qu'il fait appel, lui promettant des miettes du festin impérialiste si elle parvient, grâce à ses sacrifices, à restaurer sur les champs de bataille la grandeur perdue. Aussi, le fascisme n'est pas seulement une action préventive contre le développement du mouvement révolutionnaire que provoque nécessairement la mise en tutelle d'un impérialisme vaincu ; il doit encore inscrire dans son programme le rassemblement sous le drapeau d'un impérialisme déchaîné (la Grande Allemagne, la Grande Italie, la Plus Grande France) des classes moyennes ruinées et spoliées par la domination des grands monopoles internationaux pour la défense des monopoles nationaux menacés d'absorption.
L'une des tâches essentielles du mouvement révolutionnaire en face de la réaction autoritaire est de rompre le bloc de la petite bourgeoisie avec la grande bourgeoisie impérialiste de son propre pays, en mettant en avant des revendications révolutionnaires qui frappent à la fois le capital financier étranger et le grand capital national (nationalisation des industries clefs et des banques) ; dans les pays arriérés, il faut lier à ces revendications celle de la révolution agraire afin de rompre le bloc de la petite bourgeoisie des villes et des champs avec les grands propriétaires fonciers.
L'exacerbation du sentiment national a des conséquences extrêmement diverses sur le terrain idéologique. Elles oscillent entre une réaction fondamentalement saine contre la suppression de la vie politique, contre la mercantilisation de la culture, et un messianisme raciste, destiné à justifier par une pseudo-philosophie la domination de quelques puissances financières « élues » .
Seul le socialisme, en jetant les bases d'un nouveau progrès matériel, pourra préparer un nouvel essor intellectuel de l'humanité ; seul il assurera la libre administration des peuples en fonction de leurs traditions linguistiques et ethniques, dans le cadre d'une organisation générale du monde qui n'admettra ni opprimés ni oppresseurs ; seul il permettra le libre épanouissement des cultures et des traditions populaires dans le cadre d'un nouvel essor intellectuel de l'humanité et sollicitera de chaque peuple son apport original à l'élaboration d'une civilisation humaine à caractère universel.
Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes reste la formule centrale de la politique bolcheviste sur la question nationale. À l'impérialisme allemand et au découpage arbitraire par l'hitlérisme de la carte de l'Europe, comme au plan churchillo-gaulliste de dépècement de l'Allemagne, les révolutionnaires opposent la formule démocratique de la libre détermination des peuples.
Mais cette formule reste une banalité creuse si son contenu social n'est pas précisé de la façon la plus claire. Aussi ne faut-il jamais perdre de vue les précisions suivantes :
Aucune liberté ne saurait être fondée sur l'oppression : « un peuple qui en opprime un autre ne saurait être un peuple libre » . Cela signifie, en Hongrie, en Bulgarie, le soutien total des minorités nationales opprimées. Cela signifie qu'en Serbie, dans les rangs des Tchetniki, les révolutionnaires inscrivent sur leur drapeau, non la lutte pour la plus grande Yougoslavie, mais la lutte pour une libre fédération balkanique. Cela signifie qu'en France, en Belgique, en Hollande, la lutte pour les revendications nationales ne saurait être séparée d'un soutien intégral à la lutte des peuples coloniaux contre l'impérialisme ;
L’indépendance politique des peuples est un leurre si elle ne repose pas sur l'indépendance économique ; le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes implique donc nécessairement la nationalisation des banques et des trusts, le monopole du commerce extérieur. Ces mesures impliquent que le pouvoir politique réel soit arraché aux agents des trusts. Elle implique donc la liquidation totale du système d'exploitation capitaliste, quelle que soit la nationalité ou la race des exploiteurs. L'indépendance politique des peuples ne peut être en définitive assurée qu'au travers de la révolution socialiste et la prise du pouvoir par le prolétariat ;
la lutte pour l'indépendance économique ne saurait aucunement signifier la lutte pour un impossible isolement politique. Le développement des forces productives a fait de la production et de la distribution des richesses un processus international. L'expérience des dernières années démontre abondamment que l'autarcie est un phénomène de régression économique. Plus un pays est géographiquement limité (Autriche), plus il est économiquement arriéré (pays balkaniques), plus un nationalisme économique serait dénué de sens. C'est pourquoi le droit des peuples à disposer d'eux- mêmes est un non-sens s'il n'est pas lié à la lutte pour l'expropriation internationale des capitalistes, à la lutte pour la révolution prolétarienne mondiale.
Les révolutionnaires marxistes ne sauraient donc négliger les revendications nationales justifiées des masses, ni les opposer au programme essentiellement internationaliste de la révolution prolétarienne. La IV° Internationale inscrit sur son drapeau les mots d'ordre suivants :
États-Unis socialistes du monde, organisation internationale de l'économie mondiale débarrassée du capitalisme ;
fédérations régionales (fédération balkanique, danubienne, ibérique, indienne, etc.) créant de grandes unités politiques et administratives, unissant des peuples différents en une communauté géographique ;
républiques et communautés nationales, organismes administratifs, réunis en fédérations pour l'administration de leurs intérêts matériels.
Le parti révolutionnaire soutient entièrement les revendications nationales des masses. Il fait sien tous les mots d'ordre qui visent à traduire concrètement la formule des droits des peuples à disposer d'eux-mêmes. Droit pour le peuple polonais, pour le peuple tchèque, pour les peuples hollandais, français, belge, serbe, de s'organiser en un État pleinement indépendant et souverain, mais aussi droit pour le peuple alsacien-lorrain, pour le peuple luxembourgeois, pour le peuple ukrainien, pour le peuple croate, pour les peuples de Transylvanie et de Macédoine de choisir, par un plébiscite librement organisé, l'État auquel ils veulent se rattacher et de déterminer eux-mêmes les liens qui les y rattacheront et le degré de leur autonomie,
L'ensemble de ces revendications, chaque peuple de l'Europe l'oppose aussi bien à sa propre bourgeoisie et à l'impérialisme anglo-américain qu'à l'impérialisme allemand.
Les révolutionnaires savent que ces revendications ne sont en elles-mêmes ni réactionnaires ni progressistes. Ce sont des revendications formelles qui reçoivent toute leur valeur du contenu de classe qui les emplit. Il importe donc de lier indissolublement ces revendications aux revendications du prolétariat et à la perspective de la révolution socialiste. Il faut, dans l'immédiat, lier les revendications démocratiques des ouvriers, des paysans et des petits-bourgeois (lutte pour le pain, salaires, pouvoir d'achat, ravitaillement). Il faut montrer que seule la lutte de classe du prolétariat, l'action des masses disciplinées, couronnée par la grève, peut permettre de frapper efficacement la machine de guerre de l'impérialisme. Il faut organiser les masses petites-bourgeoises autour du prolétariat (réseau de sympathisants sur la base du travail, du village, des quartiers ; embryons d e comités de masse).
La lutte pour un État national indépendant et pour un gouvernement national n'a pas de sens si on ne précise pas le contenu de classe de cet État et les bases sociales de ce gouvernement. Tel qu'il est mis en avant par la radio de Londres et par l'Internationale communiste, ce mot d'ordre n'a pas d'autre sens que le retour en place des politiciens sans situation et des généraux sans armée rassemblés à Londres.
C'est le retour à la Pologne des colonels antisémites et anti-ukrainiens. C'est le retour à la Tchécoslovaquie de Benès, gendarme présomptueux et impuissant de l'Europe centrale, à la Belgique du renégat Spaak, à la Hollande de la reine Wilhelmine et de la Royal Deutsch, à la Norvège du roi Haakon et des armateurs, à la Yougoslavie du roi Pierre et des mines de Bor, à la Grèce du roi Georges et de la banque Hambre. C'est le retour à la France d'Herriot, de Paul Reynaud et des généraux monarchistes.
Sous sa forme stalinienne, ce mot d'ordre ne signifie pas autre chose qu'un gouvernement de front populaire élargi à droite, un gouvernement auquel les dirigeants ouvriers participent pour sauvegarder les intérêts du grand capital et des grands monopoles internationaux contre la classe ouvrière et les classes moyennes.
Mettre en avant le mot d'ordre de l'indépendance, sans préciser son contenu social, c'est perdre de vue que la paix impérialiste pourra peut-être restaurer dans leur indépendance formelle la plupart des pays d'Europe, mais qu'elle les soumettra à coup sûr à la pire des exploitations économiques. Le mot d'ordre d'un gouvernement national bourgeois ne peut aboutir qu'à hisser au pouvoir une clique au service d'un impérialisme vainqueur.
Il ne peut y avoir de gouvernement national indépendant que le gouvernement des comités d'ouvriers et de paysans dans le cadre des États- Unis socialistes d'Europe. Si le parti du prolétariat défend aujourd'hui le droit des peuples, il sait aussi que, de 1789 à 1918, tous les pays d'Europe ont accompli leur révolution nationale ; la tâche n'est donc plus de forger la nation mais de préserver les droits de la nation dans le cadre d'une organisation internationale du monde. Cette tâche est celle de la révolution prolétarienne ; c'est pourquoi, seule, elle peut donner à chaque pays un gouvernement véritablement national.
Ces considérations n'épuisent pourtant pas les problèmes nationaux de l'Europe actuelle. Elles n'ont au contraire de valeur que pour définir une perspective lointaine qui échappe totalement au regard des masses.
Dans l'immédiat, ce sont les nécessités de la guerre qui décident de l'attitude de l'impérialisme allemand : c'est en fonction des sacrifices que la guerre implique pour les masses que celles-ci se dressent d'abord contre l'oppression hitlérienne.
Les nécessités de la guerre n'ont pas permis une intégration progressive de l'appareil économique allemand des pays occupés dans la structure de l'impérialisme allemand. Elles ont imposé au contraire le pillage pur et simple, la mise en coupe réglée de l'industrie et de l'agriculture. Les conséquences sont d'une part la disette généralisée, d'autre part une perte de substance économique, une désorganisation de l'appareil de production qui entraîne le chômage, la hausse des prix et, d'une façon générale, une diminution catastrophique du niveau de vie des masses urbaines ouvrières et petites- bourgeoises.
En même temps, les nécessités économiques et militaires imposent un contrôle absolu de la vie politique des pays occupés. Une répression impitoyable devient le seul mode de gouvernement possible en face d'une population que les difficultés matérielles croissantes rendent de jour en jour plus hostile.
Bien que cette oppression soit destinée à prendre des formes plus directe s en cas de victoire hitlérienne, elle n'en est pas moins un phénomène très réel. Elle est d'autant plus cruellement ressentie par les masses que celles- ci voient en elle l'image anticipée de la « Nouvelle Europe » hitlérienne.
Devant la montée du mécontentement des masses, l'appareil d'État des différents pays capitalistes d'Europe, profondément ébranlé par les défaites militaires, ne peut que se sentir impuissant ; c'est en définitive aux baïonnettes allemandes que les différentes bourgeoisies d'Europe doivent demander protection contre la révolution. L'appareil de répression hitlérien devient aussi la pièce maîtresse de l'ordre bourgeois en Europe. Même ceux des capitalistes qui, en vertu d'intérêts économiques très précis, aspirent à la victoire anglo-saxonne, comprennent que celle-ci ne pourra intervenir qu'à travers une période de chaos qui rendrait possible une irruption des masses sur la scène politique, doivent s'en remettre à Hitler du souci de les protéger dans l'immédiat contre une telle éventualité.
Inversement, les différents appareils d'État bourgeois de l'Europe centrale apparaissent comme les garants de la continuité de l'exploitation capitaliste, comme les mainteneurs de l'ordre impérialiste, prêts à passer le pouvoir réel à l'une ou l'autre des grandes puissances et jouant le rôle de gendarme aussi longtemps que la décision militaire n'aura pas désigné le maître auquel ils doivent remettre le droit d'exploiter leur peuple.
Aussi, la tâche des révolutionnaires en Europe est-elle de lier indissolublement, dans chaque pays, la lutte pour le renversement de l'appareil d'État bourgeois national et l'expropriation de leur propre bourgeoisie à la lutte pour le renversement de l'appareil de répression hitlérien en tant que clé de voûte de l'oppression impérialiste en Europe.
Dans toute l'Europe, on assiste à une offensive économique du capital financier allemand (importation de capitaux, fusion de sociétés, prises de participation, etc.). Cette vassalisation économique ne signifie pourtant en aucun cas l'expropriation du capital national, la destruction du système capitaliste et des impérialismes secondaires. L'impérialisme allemand vise maintenant à fondre les entreprises des différents pays au sein des entreprises allemandes, à noyer les participations indigènes dans les participations allemandes, à absorber financièrement les trusts, les cartels et banques nationaux. Il vise à briser l'hégémonie des différents capitalismes dans leur secteur propre, mais non à porter atteinte aux droits du capital. Tous les pays d'Europe n'en gardent pas moins leur structure économique basée sur la prépondérance de plus en plus ouverte du capital financier et la préoccupation du maintien et de l'élargissement des investissements coloniaux (Transsaharien, boucle du Niger par la France, Compagnie de l'Est pour la Hollande, etc.).
En France, malgré toute la démagogie dont se pare aujourd'hui les partis bourgeois, la mainmise du capital financier sur l'économie reste incontestée : Beaudoin, Pucheu ou Gibrat, hommes des grands intérêts économiques, se succèdent au pouvoir. La banque Worms, après avoir, le 13 décembre, chassé Laval du pouvoir, l'y rappelle avant de lui préparer un successeur. De l'aveu du maréchal Pétain lui-même, ce sont les trusts qui dominent les comités d'organisation industrielle et en font autant d'instruments contre le petit et moyen patronat. Ce sont eux encore qui contrôlent l'appareil du ravitaillement et s'en servent comme couverture pour l'organisation du marché clandestin.
Dans le même temps, le capital anglo-saxon procède à des investissements dans toutes les entreprises (Syrie, Afrique, pour la France) qui sont à la portée de sa main, rachète des actions et montre la même avidité dans l'exploitation des Arabes et des Noirs que le capital allemand dans l'exploitation de l'Europe. Ainsi, en dépit de la violence de la lutte que se livrent entre elles les différentes fractions de la bourgeoisie, elles sont unanimes dans leur volonté de préserver et de restaurer dans leur splendeur passée l'exploitation des masses européennes et africaines.
Préoccupées avant tout de leur sort immédiat, les masses ne s'attachent guère au contenu impérialiste fondamental du programme des différents clans bourgeois. Elles tendraient même à faire leurs les préoccupations impérialistes dans la mesure où l'importation des denrées coloniales leur paraît susceptible d'apporter une solution au problème du ravitaillement. Mais les faits de chaque jour démontrent que le problème des relations économiques avec l'Afrique et l'Asie est avant tout un problème politique et qu'il ne comporte pas d'autre solution que l'établissement, entre l'Europe et les autres continents, de 115relations fondées sur l'égalité économique.
L'Afrique et l'Asie ne pourront vraiment apporter une contribution au ravitaillement de l'Europe qu'à partir du moment où elles seront libérées de l'oppression impérialiste et recevront une aide désintéressée des pays économiquement plus avancés et pourront mettre les richesses matérielles de leurs territoires vierges en exploitation au service de l'humanité toute entière et non plus au profit de quelques barons de la banque. C'est pourquoi l'indépendance des pays coloniaux et le soutien de leur lutte contre l'impérialisme sont des nécessités absolues pour le prolétariat de France, de Belgique, de Hollande et de l'Europe tout entière.
D'une façon générale, la tâche des révolutionnaires est de montrer que l'oppression nationale n'est pas le fait de la brutalité raciale ou d'une perversité doctrinale mais l'essence même du capitalisme à l'époque impérialiste. Il faut mettre en parallèle l'oppression hitlérienne en Europe et l'oppression colonialiste dans les colonies françaises, belges, hollandaises, anglaises, américaines. Il faut rappeler comment la bourgeoisie polonaise, tchèque, serbe, a brisé et exploité les paysans ukrainiens, slovaques, croates. Il faut montrer aussi comment les capitalistes des différents pays, tout en proclamant leurs sentiments nationaux, profitent des miettes que jette l'impérialisme allemand, comment ils vivent et subsistent politiquement et économiquement de la guerre impérialiste.
Dans les différents pays occupés, la bourgeoisie cherche avant tout à trouver les voies et moyens qui lui permettront de maintenir et d'élargir sa part de profit propre à restaurer sa grandeur impérialiste dans toute sa gloire passée. Tous les courants et toutes les fractions poursuivent le même but par des moyens différents, depuis le maquignonnage avec les grands trusts et cartels allemands jusqu'à la résistance par les armes. Dans chaque pays, les différentes fractions de la bourgeoisie nationale couvrent pudiquement leur politique du voile de l'intérêt national : en réalité, elles ne veulent qu'assurer la plus grande part possible de la plus-value que sue « leur » prolétariat. Seule, pourtant, la fraction de la bourgeoisie rassemblée autour du gouvernement fantôme de Londres, qui paraît mener la lutte la plus vigoureuse contre l'impérialisme allemand, poursuivant la lutte militaire, trouve un écho parmi les masses petites-bourgeoises et ouvrières. Le contenu réel des gouvernements de Londres est exprimé par les liens profonds qui unissent un grand nombre d'entreprises industrielles et financières belges, françaises, polonaises, norvégiennes aux trusts et banques britanniques. Il faut dénoncer impitoyablement ce contenu réel du nationalisme de Radio-Londres ; il faut utiliser chaque fait précis, chaque déclaration, pour une polémique impitoyable contre les agents du capitalisme britannique. Les masses ne se font, à vrai dire, aucune illusion sur ce que représente le nationalisme de Radio-Londres. En réalité, en l'absence de partis prolétariens qui prennent dans chaque pays leur volonté de lutte dans le sens de lutte de classe indépendante, elles tendent à voir dans les démocraties l'instrument immédiat de leur libération : elles inclinent par là-même à fermer les yeux sur le caractère impérialiste de la guerre de Londres et de Washington. Aussi faut-il inlassablement dénoncer, en partant des faits, le contenu réel de la guerre menée par les Anglo-Saxons.
Il faut dénoncer les tentatives d'expansion anglaise aux dépens des pays alliés neutres. Il faut rappeler la sanglante carrière d'oppression de l'impérialisme anglais en Afrique et aux Indes. Il faut, dans notre propagande, donner une large place au développement de la lutte du peuple hindou pour sa libération. Il faut aussi rappeler par quelles méthodes de corruption et de chantage l'impérialisme anglais s'est efforcé de maintenir sa domination sur l'Europe en dressant les peuples les uns contre les autres.
Il faut de même accumuler les faits pour démontrer comment la « grande démocratie » nord-américaine procède à l'invasion financière de l'Amérique du Sud et de l'Empire britannique. Il faut montrer comment, dans les pays de l'Amérique latine en particulier, cette pénétration s'accompagne d'une liquidation progressive des institutions démocratiques.
Il faut inlassablement expliquer que les alliés véritables des peuples opprimés de l'Europe, ce sont les grévistes anglais et américains, ce sont les peuples de l'Inde et de la Chine, luttant pour leur liberté, ce sont tous ceux qui mènent à travers le monde la lutte de classes pour le renversement de l'impérialisme anglais et américain ; comme ce sont aussi les ouvriers et les paysans de l'URSS combattant pour la défense du premier État ouvrier.
Mais les liens matériels qui unissent les différentes bourgeoisies européennes à l'impérialisme britannique n'épuisent pas tout le contenu des cliques nationalistes réfugiées à Londres. Celles-ci sont en effet divisées en multiples sous-courants et tendances qui se livrent entre eux une lutte extrêmement violente. Non seulement les antagonismes de pays à pays hérités de Versailles subsistent, mais encore les oppositions de politiques et de perspectives prennent, en un cercle restreint, un caractère extrêmement violent ; d'une part l'émigration englobe des gens venus de tous les horizons politiques, depuis l'extrême-droite réactionnaire et bonapartiste jusqu'au socialisme de gauche, d'autre part, les nationalistes convaincus s'opposent aux impératifs de l'impérialisme anglais et à ceux, chaque jour plus nombreux, de l'impérialisme yankee.
Il faut bien comprendre que ces divisions mêmes de la bourgeoisie constituent une des faiblesses essentielles du nationalisme de Londres. Même en cas d'une victoire alliée, les différentes bourgeoisies seraient incapables pour une longue période de se présenter aux masses avec un programme intérieur et extérieur cohérent et de rassembler les forces de la petite bourgeoisie contre la classe ouvrière autour d'un programme de l'impérialisme.
Seul un échec total du prolétariat révolutionnaire pourrait permettre aux différentes bourgeoisies d'utiliser le mouvement national des masses pour l'instauration d'un État autoritaire. Mais l'État autoritaire n'a de sens que comme instrument de la lutte de la bourgeoisie pour la domination du marché impérialiste ; dans la mesure même où une solution impérialiste de la guerre ne peut signifier que le partage du monde de puissances privilégiées, la liquidation des impérialismes secondaires et, à plus forte raison, la vassalisation totale des petites nations, tout développement national dans un sens autoritaire et contre-révolutionnaire sera frappé nécessairement de la même impuissance dont sont frappés actuellement les mouvements surgis dans l'Europe à l'imitation du national-socialisme.
Le mouvement national a, en Europe, un caractère fondamentalement différent de celui du nationalisme réactionnaire et impérialiste de Londres ; il est une des forces fondamentales qui préparent et mûrissent en Europe la crise révolutionnaire. Au stade actuel, c'est tout naturellement contre la domination en Europe du capital financier allemand et de la Gestapo que se tourne la rage de la petite et moyenne bourgeoisie. Le mouvement national des masses, loin d'avoir des racines strictement nationalistes, plonge dans l'une des contradictions les plus fondamentales du système capitaliste à l'époque impérialiste ; il est avant tout la manifestation, sous la forme du nationalisme, de la radicalisation de la petite bourgeoisie, une expression nouvelle de la révolte des classes moyennes contre le grand capital financier.
D'autre part, en l'absence d'un parti révolutionnaire enraciné dans les masses, il a fourni un premier axe de regroupement à la classe ouvrière politiquement et organisationnellement disloquée par l'effondrement de l'appareil d'État des démocraties auxquelles les bureaucraties politiques et syndicales avaient lié le sort de la classe ouvrière. Le prolétariat a vu ses organisations brisées, ses militants pourchassés ; la victoire de l'hitlérisme l'a trouvé politiquement désorganisé et désorienté. Aussi est-ce la petite bourgeoisie qui s'est trouvée précipitée au premier rang de la lutte contre l'impérialisme allemand. Le développement du mouvement national a ainsi constitué à travers toute l'Europe la première vague annonciatrice d'une nouvelle montée révolutionnaire — première vague derrière laquelle se rassemblent les forces d'une nouvelle vague prolétarienne. Le mouvement ouvrier s'est mis à nouveau en marche et, bien que ses premiers pas se soient effectués sous le drapeau périmé du nationalisme, ce nouveau départ ouvrier constitue un fait entièrement progressif.
D'une façon générale, en dépit du caractère réactionnaire des revendications, le mouvement national peut jouer un rôle progressiste dans la crise révolutionnaire qui se prépare, en tant qu'il lancera les masses profondes de la population dans l'arène politique, les dressant pratiquement contre la domination de l'impérialisme. La caractéristique des grandes crises historiques c'est en effet précisément de lancer dans la lutte contre l'ordre existant ceux-là mêmes qui, la veille encore, participaient à l'exploitation des masses ceux qui, nouveaux venus dans la lutte contre le régime, fournissent les effectifs de la première vague de la révolution.
Si par contre le prolétariat, au travers du mouvement national, perd la claire conscience de ses buts historiques propres, il constituera alors un pas en arrière, une menace terrible pour la révolution ; faute d'un prolétariat conscient, la crise se dénouera, une fois de plus, d'une façon contre-révolutionnaire ; mais il importe d'avoir toujours présent à l'esprit et d'expliquer que seule la classe ouvrière est capable d'apporter, au travers de la prise du pouvoir et de la dictature du prolétariat, une solution progressive à la crise où le capitalisme a précipité l'humanité ; il faut aussi comprendre que le mouvement national des masses est, dans la période actuelle, un des leviers les plus efficaces pour le renversement du capitalisme.
Précisément parce qu'il est, socialement et politiquement, d'une essence petite-bourgeoise, le mouvement national peut ouvrir la voie à la révolution prolétarienne ou à la contre-révolution impérialiste et autoritaire. Il dépend avant tout d'une juste tactique de la classe ouvrière que les classes moyennes se rangent sous le drapeau du socialisme ou sous le drapeau de la réaction capitaliste. L'échec de l'avant-garde ouvrière serait d'autant moins pardonnable que le rapport des forces entre la bourgeoisie, les classes moyennes et le prolétariat, après trois années de guerre impérialiste, évolue entièrement en faveur du prolétariat. Certes, il varie d'un pays à l'autre, suivant leur structure économique et leur position géographique : la Belgique, la Hollande, la Norvège et plus encore la France, en raison de leur proximité du front anglo-saxon, de leur dépendance économique à l'égard des trusts et des banques anglais, du poids social de leur bourgeoisie et du caractère impérialiste de leur structure économique, représentent l'aile droite réactionnaire du mouvement national, celle où les chances de triomphe de l'impérialisme sont sérieuses. Par contre, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Serbie représentent l'aile gauche ; la faiblesse relative de la bourgeoisie dans ces pays, l'importance de la question agraire, la proximité de l'URSS, sont autant de facteurs qui accentuent le caractère révolutionnaire du mouvement national dans ces pays. Mais on ne saurait séparer le mouvement national des pays de l'Ouest européen de celui des pays de l'Est ; le trait essentiel du mouvement national en Europe, c'est qu'il est dirigé contre un seul et même ennemi, qu'il constitue un tout indissoluble, que la lutte du peuple tchèque ou polonais pour des objectifs révolutionnaires sera un facteur puissant de radicalisation de la petite bourgeoisie en France ou en Belgique. De même, on ne peut pas séparer la lutte des masses de France ou de Belgique de celle des masses du Proche-Orient ou de l'Inde, de celle des peuples coloniaux en général. La tâche des révolutionnaires, c'est précisément, en montrant la solidarité qui existe entre tous les peuples exploités, de souder étroitement le mouvement national des peuples coloniaux avec celui des pays capitalistes et de donner ainsi à la résistance nationale un contenu vraiment anti-impérialiste et anticapitaliste.
L'impérialisme anglo-américain s'efforce d'exploiter à son profit le mouvement national des masses opprimées de l'Europe, mais la capacité effective à l'utiliser dépend avant tout du développement du rapport des forces militaires, économiques et morales dans les deux camps impérialistes en présence. Or, précisément, le trait fondamental de la situation internationale, c'est, quels que puissent être les succès remportés sur l'un ou l'autre front, l'impuissance de l'un ou de l'autre des belligérants à anéantir l'adversaire, c'est encore l'épuisement grandissant de l'appareil militaire, de l'appareil de production et de transport, le lent affaiblissement du moral des troupes et de l'arrière. Pour l'impérialisme anglo-saxon, la conséquence la plus immédiate de cette impuissance est l'incapacité de créer dans l'immédiat un second front qui seul pourrait constituer un levier pour la réalisation effective de l'union sacrée des masses européennes avec l'impérialisme anglo-américain.
Même au cas où, finalement, l'impérialisme anglo-saxon parviendrait à prendre l'offensive et à remporter la victoire, il ne pourrait y parvenir qu'après avoir à ce point épuisé ses possibilités de production et de transport, qu'il lui serait difficile, pour une longue période, d'apporter une solution concrète aux aspirations des masses et que celles-ci, une fois mises en mouvement par lui, se retourneraient contre sa domination.
En définitive, plus la guerre se prolonge, plus les possibilités progressives de l'impérialisme iront en s'amenuisant, plus au contraire le mouvement des masses prendra un contenu révolutionnaire et, par conséquent, le rapport des forces à l'intérieur du mouvement national évoluera en faveur du prolétariat.
D'autre part, la raréfaction croissante des denrées alimentaires prépare des explosions violentes de colère populaire, la révolte des pauvres et des affamés, non seulement contre les réquisitions effectuées par l'armée hitlérienne mais encore contre les accapareurs, les spéculateurs, les prévaricateurs et les repus ; ainsi tend à s'introduire dans le mouvement national une première distinction sociale. La hausse continuelle des prix industriels, la raréfaction des produits fabriqués, tendent à souder aux masses urbaines les masses profondes de la petite paysannerie. L'avilissement des salaires, la dureté de plus en plus effroyable des conditions de travail, tendent à déplacer la lutte vers le lieu de travail. Le transfert de la main-d’œuvre nationale dans les usines allemandes tend à prouver que seules, les méthodes de lutte du prolétariat contre l'oppression nationale peuvent être efficaces parce que seul il peut, en toute circonstance et en tout lieu, livrer combat à l'impérialisme sur le terrain où celui-ci l'a poussé. Il tend encore à déplacer l'axe de la lutte vers l'Allemagne même ; en se liant à la révolution allemande, le mouvement national perdra ainsi son caractère réactionnaire pour se charger d'un contenu révolutionnaire profond.
Pour toutes ces raisons, le rapport des forces entre les classes moyennes, la bourgeoisie et le prolétariat au sein du mouvement national a tendance à se modifier dès maintenant en faveur du prolétariat. Aussi, tout en faisant entièrement siennes les revendications nationales des masses, tout en participant au premier rang à la lutte pour la défense de ces revendications, l'avant-garde révolutionnaire doit savoir lier cette lutte à la lutte pour les revendications économiques. Elle doit savoir approfondir sans cesse le contenu de la lutte, placer au premier rang de la lutte nationale la fraternisation avec les ouvriers, les paysans et les soldats allemands. Elle doit inlassablement expliquer que seule la révolution prolétarienne peut apporter effectivement aux masses le pain, la paix et la liberté.
En l'absence de partis prolétariens profondément enracinés dans les masses, le rôle des différentes bourgeoisies européennes a eu pour conséquence, non le triomphe de la révolution mais celui de la contre-révolution fasciste. Désorganisé et désorienté, durement frappé par la misère et le chômage, le prolétariat n'a pu se regrouper que dans le sillage du mouvement national de la petite bourgeoisie. Les propres tentatives légales ou illégales de regroupement se sont d'abord effectuées en fonction des préoccupations nationales. Mais, très vite, le mouvement ouvrier a repris, à travers l'Europe, sa physionomie propre ; bien que le nationalisme et l'antifascisme soient restés une des caractéristiques fondamentales, il s'est très vite orienté dans la voie d'une action autonome de classe, menée avec les méthodes propres de la classe ouvrière. Les grèves d'Oslo, d'Amsterdam, du Borinage, des Sudètes, du. Nord de la France ont été autant d'indices annonciateurs d'une reprise des luttes ouvrières. Mais la répression brutale a rejeté les masses dans l'attente. Confusément, les masses estiment que le moment de la levée en masse contre l'hitlérisme ne pourra venir que lorsque les armées allemandes, subissant des échecs militaires décisifs, commenceront à se désagréger. C'est une appréciation entièrement juste, mais elle signifie en premier lieu que la révolution européenne ne peut sortir que d'une lutte sans merci du prolétariat européen et du prolétariat allemand, en particulier, pour la défaite de l'impérialisme allemand, comme la révolution dans les pays démocratiques ne peut sortir que d'une lutte impitoyable contre l'oppression impérialiste de Londres et de Washington. Les masses des pays opprimés par l'hitlérisme doivent souhaiter et concourir à la défaite de l'impérialisme allemand, à l'effondrement de l'armée dont les baïonnettes sont les plus sûrs garants de la domination de la bourgeoisie dans les divers pays de l'Europe.
En préconisant la lutte pour la défaite de l'impérialisme allemand, le parti révolutionnaire ne cesse de souligner :
la tactique du défaitisme révolutionnaire signifie avant tout la continuation de la lutte de classe du prolétariat, sans égards aux conséquences militaires de cette lutte. Toute action défaitiste qui prétend avoir recours à d'autres moyens (attente du « débarquement » , putsch, sabotage érigé comme but en soi), toute action défaitiste dont les buts de classe du prolétariat ne sont pas clairement définis, ne peuvent aboutir qu'au triomphe de la pire réaction, comme on l'a vu en juin 1940 ;
le défaitisme révolutionnaire ne vise pas à la victoire de l'un des camps au profit de l'autre mais à la défaite de l'impérialisme mondial ; il n'a de sens que comme tactique internationale. Le défaitisme des masses opprimées d'Europe doit constituer un appel permanent au défaitisme des masses ouvrières anglo-saxonnes à l'égard de leur propre bourgeoisie, mais cet appel ne peut être entendu que si la lutte des peuples opprimés de l'Europe est dirigée non seulement contre l'impérialisme allemand, que Churchill et Roosevelt prétendent aussi combattre, mais aussi par chaque peuple d'Europe contre sa propre bourgeoisie. Faire l'union sacrée avec sa propre bourgeoisie, renforcer l'union sacrée dans les démocraties impérialistes, c'est travailler à remplacer l'exploitation impérialiste allemande par l'exploitation impérialiste anglo-américaine.
Le nationalisme petit-bourgeois n'aurait pourtant pas survécu aux échecs militaires successifs des puissances anglo-saxonnes et aurait été emporté par la première montée des forces ouvrières, malgré le frein de la répression, si le stalinisme n'avait pas entrepris, avec toute la puissance de ses moyens et du prestige d'Octobre, de réhabiliter le nationalisme dans les rangs de la classe ouvrière elle-même. Au moment même où la logique du développement économique fait poindre dans la conscience de la petite bourgeoisie elle-même l'idée d'une organisation internationale de la société, le stalinisme, pour défendre les intérêts les plus immédiats de la bureaucratie russe, s'efforce de répandre dans les rangs du prolétariat européen le poison du nationalisme le plus étroit, du chauvinisme le plus abject.
C'est le devoir de toute organisation révolutionnaire de mener une lutte idéologique impitoyable pour extirper des rangs ouvriers les préjugés nationalistes, le désir de revanche, la haine du « boche » , et toute l'idéologie nationaliste et réactionnaire que le stalinisme s'efforce d'y accréditer.
Le nationalisme des différents partis communistes européens n'est qu'un alibi idéologique pour justifier l'abandon de toute action prolétarienne de classe et le recours aux méthodes de lutte purement militaires ; avec le nationalisme emprunté à l'arsenal politique de la petite bourgeoisie, la terreur individuelle, le sabotage sporadique, l'action de francs-tireurs isolés.
Certes, l'action de classe du prolétariat peut, dans la phase ultime de la lutte pour le pouvoir, revêtir une forme militaire et insurrectionnelle et donc aussi celle du sabotage, de la terreur, de l'action de partisans. Certes, il est du devoir du prolétariat européen d'aider, par tous les moyens, y compris les moyens militaires, à la défense de l'URSS. Mais le prolétariat ne doit pas perdre de vue un seul instant que la lutte la plus efficace, pour sauver les conquêtes d'Octobre, est la lutte pour le renversement du pouvoir bourgeois et la révolution socialiste. Toute action militaire qui compromet la lutte du prolétariat pour ses objectifs propres, qui les range sous les drapeaux d'une fraction quelconque de la bourgeoisie mondiale, au lieu de contribuer à l'émancipation du prolétariat, ne peut qu'aboutir au renforcement de l'impérialisme et à une menace mortelle pour l'Union soviétique. D'autre part, le recours à des formes de lutte militaire isolée n'est admissible que s'il peut faire, à bref délai, basculer les rapports de forces en faveur du prolétariat, si les masses sont mobilisées et prêtes à élargir l'action des partisans, lorsque la bourgeoisie est en recul et le prolétariat soudé en un bloc décidé à vaincre, lorsque l'appareil de répression de la bourgeoisie est parcouru de profondes fissures qu'il s'agit d'approfondir. Sinon, cette forme de lutte ne peut servir qu'à décimer l'avant-garde ouvrière, qu'à tenir hors de l'arène du combat les larges masses ouvrières et paysannes, qu'à justifier la répression et faire le jeu de l'ennemi.
Lorsque, dans les Balkans, le stalinisme remet entre les mains des militaires bourgeois (Mikhaïlovitch) la direction de la lutte des masses et les prive de tout objectif révolutionnaire, il condamne ce mouvement à n'avoir pas d'autre signification que celle d'un front local, et sacrifie les masses paysannes des Balkans pour les buts de guerre impérialistes de Londres ; lorsque, dans les territoires de l'Ouest, il s'acharne à des attentats isolés contre des soldats allemands, il ne fait que souder les rangs de l'armée allemande autour de son commandement, les rangs du prolétariat allemand autour du régime, et redonner à l'armée hitlérienne la cohésion qu'elle est en train de perdre, que justifier le nationalisme allemand par un chauvinisme borné, par un « racisme » à rebours qui voudrait faire de la race allemande la nouvelle « race juive » de l'Europe ; lorsqu'il incite au sabotage de la production et des récoltes, il le conçoit uniquement du point de vue de la technique militaire et non comme une action collective de classe au travers de laquelle on peut mobiliser le prolétariat et les paysans pauvres contre l'État bourgeois.
La politique du stalinisme ne vise, en définitive, qu'à porter à leur maximum les réactions nationales des masses et à ignorer leur action de classe, à créer des groupes de francs-tireurs destinés à coopérer avec les armées des démocraties à la création d'un deuxième front européen, et, si les alliés continuent à s'y refuser, à s'y substituer afin de soulager le front russe. Ce calcul est faux de la première à la dernière lettre.
Non seulement il oublie que les démocraties ne créeront pas le second front voulu par Staline, mais uniquement leur propre second front, qu'elles exigeront le passage sous leur contrôle de tous les groupes armés et l'acceptation de leur discipline et de leurs buts, mais encore il veut systématiquement ignorer que seule la révolution prolétarienne mondiale et l'action internationale de la classe ouvrière dans ce but peut assumer une défense effective de l'Union soviétique contre l'impérialisme mondial. Le seul second front qui puisse faire lâcher les armes à l'impérialisme allemand, c'est le front intérieur, c'est le front de la révolution allemande. Mais la révolution allemande n'est possible que si les peuples brimés et exploités d'Europe s'engagent eux-mêmes dans la voie révolutionnaire pour le pouvoir. Le terrorisme, le chauvinisme ne peuvent, au contraire, au stade actuel, que souder les rangs du prolétariat allemand autour du régime. En aucun cas le but militaire immédiat ne saurait être placé avant le but révolutionnaire fondamental ; c'est pourquoi la tâche d'unir et d'organiser la classe ouvrière, de trouver les formes de l'action de masse appropriées à la période présente est la tâche fondamentale ; tout ce qui détourne l'avant-garde ouvrière de cette voie pour l'engager dans la voie sans issue de l'action militaire individuelle est criminel au regard de la révolution mondiale et de la défense réelle de l'URSS.
Le nationalisme des masses, l'influence que conserve le stalinisme parmi elles, en dépit d'une tactique criminelle qui soulève le doute même parmi les plus enthousiastes, malgré tout ce que cette attitude contient de dangers, sont la démonstration la plus éclatante de la volonté de révolution des masses. La grande majorité des ouvriers et des paysans se rallie à la politique stalinienne, demande aux PC de faire dans leur pays la révolution socialiste, d'y suivre la voie de Lénine, celle qui a permis qu'aujourd'hui les armées soviétiques seules résistent à Hitler. En l'absence de parti révolutionnaire enraciné dans les masses, les partis communistes apparaissent à celles-ci comme seuls capables d'organiser efficacement une action ouvrière indépendante pouvant dépasser le stade de l'impuissance nationale et de porter la lutte sur le plan du continent.
Seule l'expérience concrète démontrera aux masses que l'Internationale communiste ne peut ni ne veut organiser la révolution en Europe et qu'elle travaille au contraire à consolider la domination de l'impérialisme. C'est pourquoi c'est seulement en participant à la lutte des masses, en s'efforçant d'exprimer clairement les objectifs réels pour lesquels elles veulent se battre, en combattant impitoyablement tous ceux, staliniens et bourgeois, qui veulent les détourner de leurs buts réels, en ouvrant dans la lutte d'aujourd'hui même et de demain, quels qu'en soient l'occasion et le mot d'ordre, la perspective révolutionnaire, c'est seulement ainsi que le parti révolutionnaire peut s'enraciner dans les masses.
Le parti révolutionnaire, en particulier, participe à toute action de caractère insurrectionnel des masses quelle qu'en soit l'occasion, quels qu'en soient les chefs et le mot d'ordre, quelles qu'en soient les perspectives, quelles qu'en soient les chances de victoire, pourvu seulement qu'elle mette les masses en mouvement. La tâche des révolutionnaires dans le cadre d'un tel mouvement est de mener une lutte impitoyable contre toute tentative de mainmise de l'impérialisme et de mettre en avant les solutions prolétariennes qui conviennent seules aux aspirations profondes des masses ; opposer le mot d'ordre de la milice ouvrière et de l'armement des masses à celui de la reconstitution de l'armée bourgeoise et de l'action de groupes de combat isolés, axer le mouvement sur le prolétariat des usines et des pays arriérés pauvres, confisquer les stocks de l'armée et des négociants de gros au profit de la population civile. Dans les villes et les villages, arracher le pouvoir aux administrations réactionnaires civiles et militaires, remettre le pouvoir aux comités d'ouvriers, de paysans et de soldats, faire une propagande intense pour la fraternisation, mettre à tout instant en garde contre les illusions militaires en traçant à chaque étape un tableau véridique de la situation, mettre à nu le caractère véritable de la démocratie bourgeoise, ouvrir toutes grandes les perspectives de la révolution, fut-ce au-delà d'une défaite militaire momentanée.
Au stade actuel, il est inévitable que l'impérialisme tente d'utiliser à son profit propre toute tentative d'insurrection des masses. Il y parviendra si le prolétariat renonce à prendre la tête du mouvement, si le parti révolutionnaire renonce à donner aux masses conscience de leurs propres forces. Le parti prolétarien ne doit donc jamais séparer la critique impitoyable de l'impérialisme de l'action positive qui vise à orienter l'action des masses dans la voie qui est celle de sa logique propre, celle de la révolution.
Il dépendra, dans chaque cas concret, de l'ampleur du mouvement réel des masses, de la proximité et de la puissance réelle de l'intervention de l'impérialisme, du contenu social des mouvements, de savoir la mesure dans laquelle les partis devront combiner deux activités essentielles : opposition politique à l'impérialisme, participation au mouvement des masses sous le drapeau de l'internationalisme prolétarien. En aucun cas il ne saurait les séparer l'un de l'autre.
Même là où les conditions seront défavorables à la victoire d'un tel mouvement — et à plus forte raison à son évolution dans un sens prolétarien —, seule la participation de l'avant-garde peut en faire une expérience utile à l'évolution socialiste des masses prolétariennes et petites-bourgeoises. Même si l'avant-garde est faible, elle ne peut rester en dehors d'un tel mouvement : son abstention la disqualifierait ; elle doit au contraire s'efforcer de forger ses cadres dans le feu de la lutte et de développer au travers de celle-ci son influence dans la classe ouvrière.
En résumé, les tâches de la IV° Internationale en face du mouvement national des masses en Europe sont les suivantes :
mener une politique impitoyable contre toutes les manifestations du chauvinisme réactionnaire dans les rangs de la petite bourgeoisie et de la classe ouvrière, dénoncer les buts impérialistes qui se cachent derrière la propagande nationale de Londres et de ses valets staliniens. À l'idée d'une hégémonie allemande, anglaise, américaine ou française en Europe, à toute idée de revanche aussi bien qu'au programme d'asservissement hitlérien, opposer le programme des États-Unis socialistes d'Europe qui, seuls, réaliseront effectivement le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes dans le cadre de la liquidation de l'esclavage capitaliste ;
mener une propagande inlassable pour la fraternisation. En particulier, organiser systématiquement la fraternisation entre les troupes d'occupation et la population des pays occupés, ainsi qu'entre les ouvriers allemands et les ouvriers étrangers travaillant en Allemagne ;
mener une agitation et une action constante pour toutes les revendications nationales immédiates des masses en les liant aux revendications économiques et aux revendications démocratiques ; ouvrir par le mot d'ordre de contrôle ouvrier la perspective de la révolution socialiste ;
lier étroitement la lutte contre l'oppression nationale dans la métropole à la lutte des colonies pour secouer le joug de l'impérialisme français, belge ou hollandais, ainsi qu'à la lutte des minorités opprimées (Alsace-Lorraine, Macédoine, etc.) ;
se refuser à toute adhésion à des organismes gouvernementaux et bourgeois et aux organismes de même nature montés par les staliniens pour servir les plans de l'impérialisme (front des Français, front de l'indépendance) et dénoncer le programme impérialiste de tels organismes ;
avec les organisations nationales petites-bourgeoises — partout où il en existera — et avec les partis communistes, organiser des actions communes pour des objectifs concrets et déterminés : mouvements de protestation contre la répression, contre la déportation des travailleurs, contre les mesures antisémites, contre la fermeture des universités et les persécutions contre les intellectuels, pour l'organisation de la solidarité. En vue de telles actions, le parti révolutionnaire prendra, chaque fois que ce sera nécessaire, des contacts avec les organisations.
Mais en aucun cas le parti révolutionnaire ne saurait renoncer à apparaître avec sa physionomie propre. Il intervient au contraire avec sa figure et son programme, et s'efforce de donner à la lutte un contenu social de plus en plus profond, de lier les luttes nationales aux luttes ouvrières, sans toutefois faire du degré de combativité ouvrière dans cette période donnée une condition à sa participation ;
être partout où se trouvent, manifestent, agissent la classe ouvrière et la petite bourgeoisie, quels que soient les mots d'ordre immédiats de la lutte et l'idéologie de leurs dirigeants du moment. Partout l'organisation ouvrière met en avant ses mots d'ordre propres et s'efforce d'orienter le mouvement dans la voie des solutions de classe et des formes d'organisation prolétarienne. Mais elle n'oublie jamais que c'est au travers de l'action elle-même et en partant des préoccupations immédiates des masses qu'il peut s'enraciner parmi elles ;
participer à tout soulèvement national des masses avec les mots d'ordre de la IV° Internationale pour les détourner de la voie impérialiste et les orienter vers la voie prolétarienne ;
l'organisation révolutionnaire doit comprendre que sa tâche est double : d'une part mener une lutte idéologique contre le courant, mener une politique incessante contre les tendances qui entraînent nécessairement les cercles politiques petits-bourgeois (et à leur suite les couches arriérées de la classe ouvrière) dans les canaux boueux du chauvinisme ; d'autre part, participer à fond au mouvement qui dresse la petite-bourgeoisie — et à plus forte raison les masses ouvrières — contre le grand capital, s'efforcer d'en prendre la tête afin de la détourner d'une nouvelle alliance avec l'impérialisme et la diriger au travers de l'action de chaque jour dans la voie de la révolution prolétarienne internationale ;
un tel objectif ne peut être atteint que si la classe ouvrière prend elle-même conscience de ses propres forces et de sa tâche historique et parvient à s'organiser de façon autonome sur la base de son programme de classe. C'est ce but qui reste l'objectif essentiel du Parti mondial de la révolution socialiste (IV° Internationale).