1937

La Lutte Ouvrière, 7 juin 1937

Source : B. Stora, Nationalistes algériens et révolutionnaires français au temps du Front Populaire, 1987.

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Parti Ouvrier Internationaliste

Le POI aux côtés des travailleurs nord-africains

La Lutte Ouvrière, 7 juin 1937

La police avait arraché consciencieusement nos affiches, et à plusieurs reprises. Tous les efforts avaient été fournis pour saboter notre meeting. C’est qu’il s’agissait d’affaire d’importance. L’impérialisme n’aime guère que l’on se préoccupe des couches les plus offensées, les plus exploitées de la grande masse misérable des ouvriers et paysans coloniaux. D’autant plus que le gouvernement Blum fait bien sa besogne et qu'il a déjà singulièrement réussi à creuser un fossé entre ouvriers français et nord-africains. Et dans cette tâche il est hautement soutenu par l’appareil stalinien, tous les petits Thorez et les petits Cachin qui veulent une « France forte » et de bons émoluments bureaucratiques.

Eh bien, malgré ces messieurs, malgré leur police, nos camarades étaient réunis, ce vendredi soir, au meeting du « Petit Journal » . Tout le sens de ce rassemblement était de commencer une offensive, de dresser un barrage contre les déceptions, le scepticisme que fait monter partout dès maintenant la fameuse « expérience Blum » et qui facilite singulièrement la tache des Doriot et de La Rocque. Les couches les plus opprimées et les plus faibles sont les premières à ressentir fortement le bilan désastreux de la collaboration des classes. Mais elles seront également les premières à se regrouper pour une lutte révolutionnaire d’envergure. C’est ce que notre meeting a commencé.

Les camarades ont rapidement dressé un tableau de la famine en Afrique du Nord. Le Front Populaire avait annoncé le Pain et la Liberté. Les faits répondent aujourd’hui par la faim, par des camps de concentration d’affamés, par les morts de Metlaoui [1], par une audace toujours plus grande des bandes fascistes.

Au nom du Parti du Peuple Algérien, le camarade Messali rappela comment dans le passé l’Étoile Nord-Africaine s’était pleinement solidarisée avec les ouvriers français, les espoirs qu’avait fait naître dans les rangs des coloniaux l’avènement du Front Populaire, comment aux heures de combat les ouvriers nord-africains dans les manifestations, dans les usines avaient été aux côtés des ouvriers français, et les cruelles désillusions qu’avait amené la politique du Gouvernement Blum, bon laquais de l’impérialisme français. Il insista sur les dangers d’une telle situation pour la classe ouvrière française comme pour le mouvement ouvrier nord-africain. Il acheva son discours en retenant une fois de plus l’attention sur ce fait qu’il n’était pas possible de rayer purement et simplement de la réalité le mouvement ouvrier nord-africain, que c’était une force avec laquelle il faudrait compter.

Le camarade Gérard au nom du POI traça un saisissant tableau de l’extrême exploitation des masses en Indochine, des dernières arrestations, du régime de répression ignoble. Le camarade Tran Van apporta la solidarité des bolchevik-léninistes indochinois.

Répondant à l’inquiétude qui gagne les milieux nord-africains, Zeller, en brossant brièvement la situation de ces derniers mois, montra que dans la mesure où les chefs socialistes et staliniens trahissaient les masses coloniales, ils trahissaient également les ouvriers français. La même politique qui a amené à Metlaoui et qui a conduit à Clichy [2].

Au nom du POI, Rousset après avoir tracé le bilan d’un an de régime de Front Populaire en Afrique du Nord, opposa les mots d’ordre de notre parti. Pour répondre à la famine, prendre le blé qui s’entasse dans les docks silo, le distribuer aux masses affamées, sous le contrôle des ouvriers et des paysans; redistribuer les terres aux fellahs, leur donner les moyens financiers et techniques de les exploiter, exproprier les gros colons expropriateurs. Imposer |’arrestation et le jugement des chefs fascistes sous le contrôle ouvrier et paysan, préparer partout en Algérie des comités, pour élire au suffrage universel une Assemblée constituante algérienne où les ouvriers et les paysans algériens décideront de leur propre sort.

Devant la trahison du Front Populaire où aller ? Avec Doriot ? Mais Doriot est payé par les gros colons et représente la défense du capitalisme le plus féroce.

Le jour où le fascisme aurait triomphé des ouvriers français la situation aux colonies serait encore pire que présentement. La seule issue est de renouer les liens entre ouvriers français et nord-africains, d’unifier à nouveau les forces sur le plan révolutionnaire, de reprendre l’offensive commune contre l’impérialisme.

Boumendjel au nom du Parti du Peuple Algérien appela les nord-africains à resserrer leurs liens avec les ouvriers français, à se grouper en un front unique de lutte avec le POI, le seul parti représentant les traditions de Lénine et de Trotsky.

Dans le XV° — Meeting pour le soutien des grévistes

Samedi 12 juin, s’est tenu rue Cambronne un meeting organisé par le Parti du peuple algérien, pour soutenir les laveurs de voitures Nord-Africains, en gréve depuis 18 jours à Levallois. Plus de 800 ouvriers Nord-Africains avaient répondu dans le XV° à l’appel de cette courageuse organisation.

Ils ne reçoivent que 0,75 F de secours et par homme. La CGT ne fait rien, n’appelle pas les autres syndicats à la plus élémentaire solidarité. Le Secrétaire du Syndicat des laveurs, Barial, n’a pu que se taire lorsque des ouvriers indignés lui demandaient des comptes de cette attitude.

Le délégué syndical Nord-Africain fit un exposé remarquable sur le conflit, critiqua fort justement l’attitude des dirigeants syndicaux qui abandonnent les ouvriers Nord-Africains en lutte, mais se préoccupent fort de leur faire approuver le projet Blum-Violette qui constitue un véritable étranglement du peuple travailleur d’Algérie.

Notre camarade Sabas intervenant au nom du Parti Ouvrier Internationaliste, assura les grévistes de la solidarité de la seule organisation ouvrière française qui ait protesté contre la dissolution de l’Étoile Nord-Africaine. Il montra que le seul moyen de gagner la gréve, c’était l’élargissement du conflit à l'industrie du garage et en premier lieu l'organisation de la solidarité de tous les travailleurs de la Région Parisienne. Il stigmatisa l’attitude du Front Populaire qui, par sa politique et par ses actes (Metlaoui) risque de jeter les Nord-Africains dans les bras de canailles fascistes, Doriot ou La Rocque. Il termina aux cris de : Vive l'Union des travailleurs de France et d’Algérie. Vive le Parti du peuple Algérien ! Vive le Parti Ouvrier Internationaliste ! La salle fit une chaleureuse ovation au représentant du seul Parti de la Métropole qui se soit occupé de la lutte des Nord-Africains.

Le camarade Messali-Hadj prit la parole pour exposer comment les dirigeants de la CGT sabotent et trahissent la lutte des ouvriers laveurs. Il demanda aux ouvriers Nord-Africains de rester malgré tout à l'intérieur de la CGT, de lutter pour son redressement. Lui aussi,avec une grande véhémence, dénonça le projet Violette [3], qui n’est qu’un leurre pour le peuple algérien et un moyen de division de l'impérialisme français.

Après cet exposé très complet du camarade Messali, le camarade Boumendiel fit une intervention chaleureusement applaudie en faveur des grévistes.

À la fin de la réunion une délégation fut nommée pour s’occuper de faire aboutir les revendications des grévistes. Elle comprend des délégués, Messali, Boumendjel, et un membre du Parti Ouvrier Internationaliste qui apportera à nos camarades algériens le concours de notre parti.

Notes

1

À Metlaoui (Tunisie), une grève des mineurs avait éclaté le 4 mars 1937, et s’était soldée par une vingtaine de morts et de nombreux blessés.

2

Le 16 mars 1937, une réunion était organisée à Clichy par l’extrême-droite. Une contre-manifestation fut organisée par les organisations ouvrières. La police tira sur les contre-manifestants. Il y eut 6 morts et des dizaines de blessés.

3

Le projet Blum-Viollette visait à accorder la citoyenneté française, donc le droit de vote, à un peu plus de 20 000 musulmans sur 8 millions : diplômés du secondaire et du supérieur, militaires décorés, élus… C’était donc une modification à la marge du code de l’indigénat, pourtant encore inacceptable pour les colons, qui obtinrent l’abandon du projet.